CJUE, 1re ch., 10 juillet 2019, n° C-722/17
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Norbert Reitbauer, Dolinschek GmbH, B.T.S. Trendfloor Raumausstattungs-GmbH, Elektrounternehmen K. Maschke GmbH, Klaus Egger, Architekt DI Klaus Egger Ziviltechniker GmbH
Défendeur :
Enrico Casamassima
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bonichot
Avocat général :
M. Tanchev
Juges :
Mme Toader (rapporteure), MM. Rosas, Bay Larsen, Safjan
Avocats :
Mes Götz, Walder
LA COUR,
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 24, points 1 et 5, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. Norbert Reitbauer, Dolinschek GmbH, B.T.S. Trendfloor Raumausstattungs-GmbH, Elektrounternehmen K. Maschke GmbH, M. Klaus Egger et Architekt DI Klaus Egger Ziviltechniker GmbH (ci-après, ensemble, " Reitbauer e.a. ") à M. Enrico Casamassima, domicilié en Italie, au sujet d'une action en contestation de l'état de distribution du produit d'une adjudication judiciaire d'un immeuble, sis en Autriche.
Le cadre juridique
Le droit de l'Union
3 Les considérants 15, 21 et 34 du règlement n° 1215/2012 sont libellés comme suit :
" (15) Les règles de compétence devraient présenter un haut degré de prévisibilité et s'articuler autour de la compétence de principe du domicile du défendeur. Cette compétence devrait toujours être disponible, sauf dans quelques cas bien déterminés où la matière en litige ou l'autonomie des parties justifie un autre critère de rattachement. S'agissant des personnes morales, le domicile doit être défini de façon autonome de manière à accroître la transparence des règles communes et à éviter les conflits de compétence.
[...]
(21) Le fonctionnement harmonieux de la justice commande de réduire au minimum la possibilité de procédures concurrentes et d'éviter que des décisions inconciliables ne soient rendues dans différents États membres. Il importe de prévoir un mécanisme clair et efficace pour résoudre les cas de litispendance et de connexité et pour parer aux problèmes résultant des divergences nationales quant à la date à laquelle une affaire est considérée comme pendante. Aux fins du présent règlement, il convient de définir cette date de manière autonome.
[...]
(34) Pour assurer la continuité nécessaire entre la convention [du 27 septembre 1968 concernant la compétence judicaire à l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32)], le règlement (CE) n° 44/2001 [du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1)] et le présent règlement, il convient de prévoir des dispositions transitoires. La même continuité doit être assurée en ce qui concerne l'interprétation par la Cour de justice de l'Union européenne de la convention de Bruxelles de 1968 et des règlements qui la remplacent. "
4 Le chapitre II de ce règlement, intitulé " Compétence ", contient notamment une section 1, " Dispositions générales ", et une section 2, " Compétences spéciales ". L'article 4, paragraphe 1, qui figure sous cette section 1, dispose :
" Sous réserve du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre. "
5 L'article 7 dudit règlement est libellé comme suit :
" Une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre :
1) a) en matière contractuelle, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ;
b) aux fins de l'application de la présente disposition, et sauf convention contraire, le lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande est :
- pour la vente de marchandises, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées,
- pour la fourniture de services, le lieu d'un État membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis ;
[...] "
6 Aux termes de l'article 24, points 1 et 5, du même règlement :
" Sont seules compétentes les juridictions ci-après d'un État membre, sans considération de domicile des parties :
1) en matière de droits réels immobiliers et de baux d'immeubles, les juridictions de l'État membre où l'immeuble est situé.
[...]
5) en matière d'exécution des décisions, les juridictions de l'État membre du lieu de l'exécution. "
Le droit autrichien
L'EO
7 Il ressort des articles 209 à 212 de l'Exekutionsordnung (Code des procédures d'exécution, ci-après l'" EO ") qu'il doit être débattu oralement de la distribution du produit de la vente forcée d'un bien. À cet effet, les créanciers sont invités à déclarer leurs créances sur le produit à distribuer et à les établir par des preuves documentaires. L'exactitude et l'ordre de priorité des créances sont vérifiés lors de l'audience.
8 Dans le cadre de la procédure de distribution du produit de la vente forcée, les créanciers et le débiteur peuvent contester, en vertu de l'article 213 de l'EO, la prise en compte de certaines créances. La contestation peut porter sur l'existence, le rang ou le montant d'une créance déclarée.
9 Aux termes de l'article 231, paragraphe 1, de l'EO, le juge se prononce sur les questions de droit soulevées par la contestation par une ordonnance de distribution. Si la décision sur la contestation dépend de la constatation d'éléments de fait litigieux, la partie demanderesse est invitée, par l'ordonnance de distribution, à intenter une action en contestation de l'état de distribution.
10 Selon l'article 232 de l'EO, la juridiction d'exécution est compétente pour statuer sur l'action en contestation de l'état de distribution.
L'AnfO
11 Aux termes de l'article 1er de l'Anfechtungsordnung (loi relative à l'action paulienne, ci-après l'" AnfO "), l'action paulienne tend à ce que les actes juridiques frauduleux qui concernent le patrimoine du débiteur soient déclarés inopposables au créancier demandeur et à lui seul. Cette action est ouverte lorsqu'une exécution sur le patrimoine du débiteur n'a pas permis de désintéresser intégralement le créancier ou ne le permettrait pas et si elle est susceptible de se traduire par un tel désintéressement.
12 Il ressort des articles 2 et 3 de l'AnfO que l'action paulienne peut être exercée en cas d'intention de fraude ou de dilapidation du patrimoine, ainsi que d'actes de disposition à titre gracieux.
13 Conformément à l'article 6 de l'AnfO, le fait que l'acte litigieux a été accompli en vertu d'un titre exécutoire ou de l'exécution d'un jugement ne fait pas obstacle à l'action paulienne.
14 Ainsi qu'il ressort de l'article 10 de l'AnfO, l'action paulienne peut être intentée dans le cadre de la procédure de distribution du produit de la vente forcée.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 M. Casamassima et Mme C., domiciliés à Rome (Italie), ont été concubins au moins jusqu'au printemps 2014. Au cours de l'année 2010, ils avaient acheté une maison à Villach (Autriche). Dans le livre foncier, seule Mme C. était inscrite en tant que propriétaire.
16 Des travaux de rénovation de l'immeuble ont, par la suite, été commandés auprès de Reitbauer e.a. Les paiements pour ces travaux n'étant pas intégralement honorés, Reitbauer e.a. ont introduit une action en dédommagement contre Mme C. Une série de jugements, dont le premier, non définitif, rendu au début de l'année 2014, faisaient droit à cette demande.
17 Le 7 mai 2014, Mme C. a reconnu, devant un tribunal de Rome, avoir à l'égard de M. Casamassima une dette relative à un emprunt d'un montant de 349 772,95 euros, dont les modalités de remboursement sur cinq ans avaient été convenues dans le cadre d'une transaction judiciaire. En outre, Mme C. s'est engagée à faire inscrire une hypothèque sur le bien situé à Villach pour garantir cette créance.
18 Par acte notarié du 13 juin 2014, établi à Vienne (Autriche), Mme C. a procédé à une nouvelle reconnaissance de ladite dette. Le 18 juin 2014, une sûreté réelle sur l'immeuble concerné a été inscrite au registre foncier en faveur de M. Casamassima.
19 Le premier jugement rendu en faveur de Reitbauer e.a. au début de l'année 2014 à la suite de l'action en dédommagement n'est devenu exécutoire qu'après l'inscription de la sûreté réelle en faveur de M. Casamassima, de telle sorte que les sûretés de Reitbauer e.a. sur le bien de Mme C. découlant de l'exécution de ce jugement étaient d'un rang inférieur à celle de M. Casamassima.
20 Le 3 septembre 2015, le tribunal de Rome a certifié la transaction judiciaire conclue entre Mme C. et M. Casamassima en tant que titre exécutoire européen, conformément aux dispositions du règlement (CE) n° 805/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, portant création d'un titre exécutoire européen pour les créances incontestées (JO 2004, L 143, p. 15).
21 Au mois de février 2016, M. Casamassima a demandé auprès du Bezirksgericht Villach (tribunal de district de Villach, Autriche), la juridiction de renvoi, la vente forcée de l'immeuble concerné. Il ressort de l'ordre de classements des créanciers, figurant au registre foncier, que le prix de 280 000 euros, auquel l'immeuble a été adjugé au cours de l'automne 2016, revenait presque en totalité à M. Casamassima sur le fondement de la sûreté réelle inscrite dans ce registre en sa faveur.
22 Afin d'éviter une telle répartition du produit de l'adjudication judiciaire, Reitbauer e.a. ont entrepris un certain nombre de démarches judiciaires.
23 Ainsi, d'une part, au mois de juin 2016, Reitbauer e.a. ont introduit devant le Landesgericht Klagenfurt (tribunal régional de Klagenfurt, Autriche) une action paulienne contre M. Casamassima et Mme C. Par ordonnance devenue définitive au mois de juillet 2017, cette juridiction, déclinant sa compétence internationale eu égard au domicile de M. Casamassima et de Mme C. en dehors de l'Autriche, a rejeté cette action.
24 D'autre part, lors de l'audience organisée le 10 mai 2017, devant la juridiction de renvoi, conformément aux articles 209 à 212 de l'EO, aux fins de la répartition du produit de l'adjudication judiciaire entre différents créanciers, Reitbauer e.a. ont formé contestation, au titre de l'article 213 de l'EO, en ce qui concerne la répartition à l'égard de M. Casamassima.
25 Après avoir formé cette contestation, Reitbauer e.a. ont saisi la juridiction de renvoi d'une action en contestation de l'état de distribution, au titre de l'article 232 de l'EO, dans le cadre de laquelle ils ont soulevé deux moyens de contestation. Le premier moyen tend à ce qu'il soit constaté que l'attribution du produit de l'adjudication judiciaire à M. Casamassima avait été décidée à tort, car la créance de ce dernier aurait été éteinte par compensation avec les dommages et intérêts dont il était redevable à l'égard de Mme C. du fait d'avoir commandé les travaux de rénovation à Reitbauer e.a. sans le consentement de celle-ci. Le second moyen, que la juridiction de renvoi assimile à une action paulienne, concerne la reconnaissance de dette du 13 juin 2014 qui, selon Reitbauer e.a., aurait été établie par acte notarié dans le seul but de devancer leur mainmise sur l'immeuble concerné.
26 Afin de justifier la compétence internationale du Bezirksgericht Villach (tribunal de district de Villach) pour connaître d'une telle action, Reitbauer e.a. ont invoqué l'article 24, point 5, du règlement n° 1215/2012. En revanche, M. Casamassima a soulevé une exception d'incompétence internationale de cette juridiction, alléguant que l'action au principal revêt, en substance, une nature analogue à celle d'une action paulienne, dont la Cour a déjà jugé, par l'arrêt du 26 mars 1992, Reichert et Kockler (C 261/90, EU:C:1992:149), qu'elle ne relève pas de cette règle de compétence exclusive.
27 La juridiction de renvoi précise que, selon le droit autrichien, à l'occasion de l'audience organisée afin de débattre de la distribution du produit de l'adjudication judiciaire, il peut être procédé, en cas de contestation formée en vertu de l'article 213 de l'EO, à la vérification de l'existence et de l'ordre de priorité des créances. Si la décision sur la contestation dépend de la constatation de faits litigieux, les parties sont invitées à intenter, dans un délai d'un mois, une action distincte, à savoir l'action en contestation de l'état de distribution.
28 Cette action suspend l'exécution de la décision arrêtant la répartition, pour ce qui est de sa partie litigieuse.
29 Selon la juridiction de renvoi, l'action en contestation de l'état de distribution permet, notamment, de procéder au contrôle de l'opposabilité d'une sûreté réelle, ainsi que Reitbauer e.a. tendent à l'obtenir de cette juridiction par leur second moyen de contestation. Ladite juridiction estime que cette possibilité confère à l'action en contestation de l'état de distribution la nature d'une action paulienne.
30 En ce qui concerne la compétence internationale pour connaître d'une action en contestation de l'état de distribution, la juridiction de renvoi se demande si les règles de compétence devraient être examinées au regard d'une telle action appréciée de manière globale et abstraite, ou au regard de chaque moyen de contestation soulevé dans un cas concret.
31 Selon cette juridiction, les caractéristiques de cette procédure, prise dans son ensemble, témoigneraient d'un lien fort avec le tribunal du lieu de l'exécution forcée ou de l'assiette de la sûreté réelle.
32 Ainsi, concernant les règles de compétence exclusive en faveur des juridictions de l'État membre du lieu d'exécution, prévues à l'article 24, point 5, du règlement n° 1215/2012, la juridiction de renvoi fait valoir que, selon l'EO, l'action en contestation de l'état de distribution relève de la compétence obligatoire du juge de l'exécution. S'il est vrai que l'action au titre de l'article 232 de l'EO ne vise pas principalement à s'opposer à l'exécution, le débiteur ayant déjà perdu la propriété de l'immeuble lors de l'adjudication judiciaire, l'immeuble concerné serait remplacé, à ce stade, par le produit de la vente, de sorte que la distribution de celui-ci par le juge relèverait également des activités de l'autorité d'exécution.
33 En ce qui concerne les règles de compétence exclusive en faveur des juridictions de l'État membre du lieu où l'immeuble est situé, prévues à l'article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012, la juridiction de renvoi fait valoir que l'action en contestation de l'état de distribution relève également du champ d'application de cette disposition, une telle action constituant une étape de l'exécution d'une sûreté réelle, finalisée par la répartition du produit de la vente de l'assiette de cette sûreté.
34 Dans ces conditions, le Bezirksgericht Villach (tribunal de district de Villach) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
" 1) L'article 24, point 5, du règlement n° 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens que l'action en contestation de l'état de distribution, qui est prévue à l'article 232 de l'EO en cas de désaccord sur la distribution du produit de l'adjudication judiciaire, relève du champ d'application de cette disposition,
et ce également lorsque l'action d'un créancier titulaire d'une sûreté réelle contre un autre créancier titulaire d'une sûreté réelle
a) est fondée sur le moyen de contestation selon lequel la créance de ce dernier, afférente à un prêt et garantie par une sûreté réelle, est éteinte du fait de la compensation avec une créance invoquée par le débiteur au titre de dommages-intérêts et
b) est fondée en outre - comme une action paulienne - sur le moyen de contestation selon lequel la constitution de la sûreté réelle garantissant cette créance afférente à un prêt est inopposable au motif qu'elle favorise un créancier ?
2) L'article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012 doit-il être interprété en ce sens que l'action en contestation de l'état de distribution, qui est prévue à l'article 232 [de l'EO] en cas de désaccord sur la distribution du produit de l'adjudication judiciaire, relève du champ d'application de cette disposition,
et ce également lorsque l'action d'un créancier titulaire d'une sûreté réelle contre un autre créancier titulaire d'une sûreté réelle
a) est fondée sur le moyen de contestation selon lequel la créance de ce dernier, afférente à un prêt et garantie par une sûreté réelle, est éteinte du fait de la compensation avec une créance invoquée par le débiteur au titre de dommages-intérêts et
b) est fondée en outre - comme une action paulienne - sur le moyen de contestation selon lequel la constitution de la sûreté réelle garantissant cette créance afférente à un prêt est inopposable au motif qu'elle favorise un créancier ? "
Sur les questions préjudicielles
35 Par ses deux questions, qu'il convient d'examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 24, points 1 et 5, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens que l'action d'un créancier en contestation de l'état de distribution du produit d'une adjudication judiciaire d'un immeuble tendant, d'une part, à la constatation de l'extinction par compensation d'une créance concurrente, et, d'autre part, à l'inopposabilité de la sûreté réelle garantissant l'exécution de cette dernière créance, relève de la compétence exclusive des juridictions de l'État membre où l'immeuble est situé ou des juridictions du lieu d'exécution forcée.
36 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu'il est de jurisprudence constante que, dans la mesure où le règlement n° 1215/2012 abroge et remplace le règlement n° 44/2001 qui, à son tour, remplace la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par les conventions successives relatives à l'adhésion des nouveaux États membres à cette convention, l'interprétation fournie par la Cour en ce qui concerne les dispositions de ces derniers instruments juridiques vaut également pour le règlement n° 1215/2012 lorsque ces dispositions peuvent être qualifiées d'" équivalentes " (voir, en ce sens, arrêts du 31 mai 2018, Nothartová, C 306/17, EU:C:2018:360, point 18, du 15 novembre 2018, Kuhn, C 308/17, EU:C:2018:911, point 31, ainsi que du 28 février 2019, Gradbenitvo Korana, C 579/17, EU:C:2019:162, point 45 et jurisprudence citée).
37 Le système des attributions de compétences communes prévues au chapitre II du règlement n° 1215/2012 est fondé sur la règle générale, énoncée à l'article 4, paragraphe 1, de celui-ci, selon laquelle les personnes domiciliées sur le territoire d'un État membre sont attraites devant les juridictions de cet État, indépendamment de la nationalité des parties.
38 Ce n'est que par dérogation à cette règle générale de la compétence des juridictions du domicile du défendeur que l'article 24 du règlement n° 1215/2012 prévoit des règles de compétence exclusive, notamment en matière de droits réels immobiliers et d'exécution des décisions. Ces règles spécifiques de compétence doivent, en conséquence, faire l'objet d'une interprétation stricte.
39 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, selon les règles pertinentes de l'EO, à la suite d'une procédure d'adjudication judiciaire d'un immeuble, la distribution du produit de l'exécution forcée est décidée lors d'une audience, organisée devant le juge d'exécution. À cette occasion, si le droit de participation d'un créancier est contesté, le juge sera amené à procéder à des vérifications portant, notamment, sur l'existence ou l'ordre de priorité des créances. Dans le cas où la décision sur la contestation dépend de la constatation de faits litigieux, les parties sont invitées à intenter une action en contestation de l'état de distribution.
40 En l'occurrence, à l'appui de l'action en contestation de l'état de distribution au principal, Reitbauer e.a. ont invoqué, d'une part, l'extinction par compensation de la créance de M. Casamassima et, d'autre part, l'inopposabilité de la sûreté réelle garantissant l'exécution de cette créance, cette dernière objection revêtant, selon la juridiction de renvoi, la nature d'une action paulienne.
41 S'il est indéniable que, analysée dans son ensemble, l'action en contestation de l'état de distribution présente un lien avec la procédure d'exécution relative à la vente forcée immobilière, il n'en demeure pas moins, ainsi qu'il résulte des éléments du dossier soumis à la Cour, que les moyens de contestation soulevés dans le cadre d'une telle action peuvent être très divers en ce qui concerne leur contenu et revêtir ainsi une nature juridique différente, de telle sorte que leur proximité avec l'exécution forcée ou avec les droits réels immobiliers peuvent varier considérablement.
42 Partant, une analyse globale de l'action en contestation de l'état de distribution aux fins de la détermination de règles de compétence internationale applicables à cette action irait, ainsi qu'il a été en substance relevé par M. l'avocat général, aux points 35, 38 et 48 de ses conclusions, à l'encontre de l'interprétation stricte, imposée par leur caractère dérogatoire, des règles de compétence exclusive prévues à l'article 24, points 1 et 5, du règlement n° 1215/2012.
43 Eu égard à ces considérations, il convient d'examiner, si, d'une part, l'article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012, et, d'autre part, l'article 24, point 5, de ce règlement, permettent de déterminer le for compétent pour connaître respectivement de chacun des moyens de contestation soulevés par Reitbauer e.a.
Sur l'article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012
44 En ce qui concerne la compétence des juridictions de l'État où l'immeuble est situé, prévue à l'article 24, point 1, du règlement n° 1215/2012, la Cour a itérativement jugé que cette compétence exclusive englobe non pas l'ensemble des actions qui concernent des droits réels immobiliers, mais seulement celles d'entre elles qui, tout à la fois, entrent dans le champ d'application du règlement n° 1215/2012 et sont au nombre de celles qui tendent, d'une part, à déterminer l'étendue, la consistance, la propriété, la possession d'un bien immobilier ou l'existence d'autres droits réels sur ces biens et, d'autre part, à assurer aux titulaires de ces droits la protection des prérogatives qui sont attachées à leur titre (arrêts du 3 avril 2014, Weber, C 438/12, EU:C:2014:212, point 42, du 17 décembre 2015, Komu e.a., C 605/14, EU:C:2015:833, point 26 ainsi que du 16 novembre 2016, Schmidt, C 417/15, EU:C:2016:881, point 30).
45 Dès lors, il ne suffit pas qu'un droit réel immobilier soit concerné par l'action ou que l'action ait un lien avec un immeuble pour attirer la compétence de la juridiction de l'État membre où l'immeuble est situé. Il faut, au contraire, que l'action soit fondée sur un droit réel et non sur un droit personnel (arrêt du 16 novembre 2016, Schmidt, C 417/15, EU:C:2016:881, point 34).
46 S'agissant, en premier lieu, du moyen de contestation tendant à la constatation de l'extinction par compensation de la créance de M. Casamassima, il y a lieu de faire observer que, au moyen d'une telle demande, Reitbauer e.a. visent, en substance, à contester l'existence de la créance qui leur a été opposée dans le cadre de la distribution du prix de l'adjudication judiciaire.
47 Or, s'il est vrai que l'existence de la créance a servi de base à la constitution de la sûreté réelle et à l'exécution subséquente, cette demande de compensation n'est pas fondée sur un droit réel. Le fait de savoir si la créance de M. Casamassima à l'égard de sa débitrice est éteinte par voie de compensation n'est, dès lors, pas lié aux raisons permettant d'attribuer la compétence exclusive aux juridictions du lieu où l'immeuble est situé, à savoir la nécessité de procéder à des vérifications, à des enquêtes et à des expertises sur place (voir, en ce sens, arrêt du 17 décembre 2015, Komu e.a., C 605/14, EU:C:2015:833, point 31 ainsi que jurisprudence citée).
48 S'agissant, en second lieu, du moyen par lequel Reitbauer e.a. contestent le bien-fondé de l'acte notarié de reconnaissance de dette intervenu entre M. Casamassima et Mme C, le 13 juin 2014, qui a servi de fondement à l'exécution forcée et demandent la constatation de l'inopposabilité de cet acte à leur égard, il y a lieu de faire observer que l'examen d'une telle argumentation n'exige pas l'appréciation de faits ni l'application des règles et des usages du lieu de situation du bien qui sont de nature à justifier la compétence d'un juge de l'État membre dans lequel l'immeuble est situé (arrêt du 10 janvier 1990, Reichert et Kockler, C 115/88, EU:C:1990:3, point 12).
49 En effet, un tel moyen de contestation, assimilé par la juridiction de renvoi à une action paulienne, trouve son fondement dans le droit de créance, droit personnel du créancier à l'égard de son débiteur, et a pour objet de protéger le droit de gage dont peut disposer le premier sur le patrimoine du second (arrêt du 4 octobre 2018, Feniks, C 337/17, EU:C:2018:805, point 40).
50 Par conséquent, ainsi qu'il a été également relevé par M. l'avocat général au point 58 de ses conclusions, l'examen de la question de savoir si les conditions d'une telle action sont remplies ne présuppose pas des vérifications strictement liées au lieu où l'immeuble est situé, de nature à justifier une compétence exclusive des juridictions de l'État membre de la situation de cet immeuble.
Sur l'article 24, point 5, du règlement n° 1215/2012
51 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon cette disposition, en matière d'exécution des décisions, sont seules compétentes, sans considération du domicile des parties, les juridictions de l'État membre du lieu de l'exécution.
52 Selon la jurisprudence de la Cour, relèvent du champ d'application de l'article 24, point 5, du règlement n° 1215/2012 les actions qui visent à faire trancher une contestation relative au recours à la force, à la contrainte ou à la dépossession de biens meubles et immeubles en vue d'assurer la mise en œuvre matérielle des décisions et des actes (voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 1992, Reichert et Kockler, C 261/90, EU:C:1992:149, point 28).
53 En ce qui concerne, en premier lieu, le moyen de contestation, soulevé par Reitbauer e.a., tendant à la constatation de l'extinction par compensation de la créance de M. Casamassima, il y a lieu de faire observer que l'examen du bien-fondé d'une telle demande s'éloigne des questions touchant à la mise en œuvre de l'exécution forcée en tant que telle.
54 Or, ainsi qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour, la spécificité du lien exigé à l'article 16, point 5, de la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle que modifiée par les conventions successives relatives à l'adhésion des nouveaux États membres à cette convention, dont les dispositions ont été reprises à l'article 24, point 5, du règlement n° 1215/2012, implique qu'une partie ne puisse se prévaloir de la compétence que cette disposition confère aux tribunaux du lieu de l'exécution afin de saisir ces tribunaux, par voie d'exception, d'un litige qui relève des tribunaux d'un autre État membre (voir, en ce sens, arrêt du 4 juillet 1985, AS-Autoteile Service, 220/84, EU:C:1985:302, point 17).
55 En ce qui concerne, en second lieu, le moyen de contestation assimilé par la juridiction de renvoi à une action paulienne, il convient de faire observer que, au moyen de celui-ci, Reitbauer e.a. ne contestent pas les actes des autorités chargées de l'exécution forcée, en eux-mêmes, de telle sorte qu'une telle action ne présente pas le degré de proximité requis avec cette exécution pour justifier l'application de la règle exclusive de compétence prévue à l'article 24, point 5, du règlement n° 1215/2012.
56 Cela étant, et afin de donner à la juridiction de renvoi toutes les indications utiles pour trancher le litige dont elle est saisie, il convient d'examiner, à l'instar de M. l'avocat général, si l'article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 ne fournit pas une base juridique à la compétence internationale de cette juridiction en ce qui concerne l'action paulienne.
57 Selon cette disposition, en matière contractuelle, une personne domiciliée sur le territoire d'un État membre peut être attraite dans un autre État membre, devant la juridiction du lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande.
58 À cet égard, la Cour a déjà jugé que l'action paulienne, lorsqu'elle est introduite sur le fondement de droits de créance nés d'obligations assumées par la conclusion d'un contrat, relève de la " matière contractuelle ", au sens de l'article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012 (arrêt du 4 octobre 2018, Feniks, C 337/17, EU:C:2018:805, point 44).
59 En l'occurrence, ainsi que Reitbauer e.a. et la Commission européenne l'ont fait, en substance, valoir, lors de l'audience, le second moyen de constatation assimilé par la juridiction de renvoi à une action paulienne étant formulé afin de constater l'inopposabilité à Reitbauer e.a. de la sureté réelle constituée en faveur de M. Casamassima par Mme C, débitrice commune à laquelle chacun de ces créanciers était lié contractuellement, le for du domicile du défendeur pourrait être complété par celui autorisé à l'article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012.
60 Une tel for répond, au regard de l'origine contractuelle des relations entre les créanciers et Mme C., tant à l'exigence de sécurité juridique et de prévisibilité qu'à l'objectif de bonne administration de la justice.
61 Il serait, par conséquent, loisible aux titulaires de droits de créance issus d'un contrat d'introduire une action paulienne devant la juridiction du " lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande ", ce for étant celui qui est autorisé en vertu de l'article 7, point 1, sous a), du règlement n° 1215/2012. En l'occurrence, par le second moyen, Reitbauer e.a. tendent à préserver leurs intérêts dans l'exécution des obligations issues des contrats de travaux de rénovation, passés avec Mme C. Il s'ensuit que le " lieu d'exécution de l'obligation qui sert de base à la demande " serait, conformément à l'article 7, point 1, sous b), de ce règlement, celui où, en vertu de ces contrats, ces travaux de rénovation ont été fournis, à savoir en Autriche.
62 Eu égard à ces considérations, il y a lieu de répondre aux questions posées que l'article 24, points 1 et 5, du règlement n° 1215/2012 doit être interprété en ce sens que l'action d'un créancier en contestation de l'état de distribution du produit d'une adjudication judiciaire d'un immeuble tendant, d'une part, à la constatation de l'extinction par compensation d'une créance concurrente, et, d'autre part, à l'inopposabilité de la sûreté réelle garantissant l'exécution de cette dernière créance, ne relève pas de la compétence exclusive des juridictions de l'État membre où l'immeuble est situé ou des juridictions du lieu d'exécution forcée.
Sur les dépens
63 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
L'article 24, points 1 et 5, du règlement (UE) n° 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens que l'action d'un créancier en contestation de l'état de distribution du produit d'une adjudication judiciaire d'un immeuble, tendant, d'une part, à la constatation de l'extinction par compensation d'une créance concurrente, et, d'autre part, à l'inopposabilité de la sûreté réelle garantissant l'exécution de cette dernière créance, ne relève pas de la compétence exclusive des juridictions de l'État membre où l'immeuble est situé ou des juridictions du lieu d'exécution forcée.