CA Poitiers, 2e ch. civ., 7 mai 2019, n° 18-00518
POITIERS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CSF (SA)
Défendeur :
Briclo (SARL), Selarl Actis Mandataires Judiciaires (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Sallaberry
Conseillers :
Mme Caillard, M. Waguette
EXPOSE DU LITIGE
La SARL Briclo, qui exerce une activité de commerce de détail alimentaire à Montmorillon a, par acte sous seing privé en date du 19 novembre 2013, conclu avec la société CSF France un contrat d'approvisionnement pour une durée de sept années renouvelables par tacite reconduction par période de cinq ans.
Le même jour, la SARL Briclo a conclu avec la société Carrefour Proximité France un contrat d'enseigne pour une durée identique.
Par jugement en date du 6 décembre 2016, le tribunal de commerce de Poitiers a prononcé l'ouverture d'une procédure de sauvegarde à l'encontre de la SARL Briclo.
Par requêtes en date du 23 février 2017 adressées au juge-commissaire, la société Briclo a sollicité voir prononcer la résiliation des contrats d'approvisionnement et d'enseigne sur le fondement de l'article L. 622-13-IV du Code de commerce. Le mandataire a émis un avis favorable à ces résiliations.
Par ordonnances distinctes du 24 mars 2017, le juge commissaire a prononcé la résiliation des deux contrats.
Les sociétés CSF France et Carrefour Proximité France ont formé chacune un recours à l'encontre de l'ordonnance la concernant.
Par jugement en date du 19 décembre 2017, le tribunal de commerce de Poitiers a arrêté un plan de sauvegarde au bénéfice de la SARL Briclo pour une durée de 120 mois et a nommé la Selarl Actis commissaire à l'exécution du plan.
Par deux décisions distinctes en date du 22 janvier 2018, le tribunal de commerce de Poitiers a confirmé les ordonnances du 24 mars 2017 en ce qu'elles ont prononcé la résiliation des contrats d'enseigne et d'approvisionnement et a débouté les sociétés CSF France et Carrefour Proximité France de l'ensemble de leurs prétentions.
Par déclaration en date du 5 février 2018, la société Carrefour Proximité France, a relevé appel de la décision concernant le contrat d'enseigne.
Cette procédure a été enregistrée sous le numéro 18-518 du répertoire général et fait l'objet de la présente instance.
Par déclaration en date du 5 février 2018, la société SAS CSF, venant aux droits de la société CSF France, a relevé appel de la décision concernant le contrat d'approvisionnement.
Cette procédure a été enregistrée sous le numéro 18-518 du répertoire général.
Dans la procédure n° 18-518 :
Par conclusions signifiées le 30 janvier 2019, la société SAS CSF demande à la cour de :
Vu l'article L. 622-13 IV du Code de commerce,
Vu l'article 1134 ancien du Code civil,
Débouter la société Briclo de sa demande de jonction avec la procédure enregistrée sous le numéro RG n° 18-00517,
Réformer en tous points le jugement rendu par le tribunal de commerce de Poitiers le 22 janvier 2018,
Débouter la société Briclo de sa demande de résiliation du contrat d'approvisionnement,
Condamner la société Briclo aux entiers dépens.
Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que les contrats d'approvisionnement et de licence d'enseigne sont indépendants l'un de l'autre, l'absence d'indivisibilité résultant notamment de l'absence de clause d'exclusivité d'approvisionnement, et que les dispositions de l'article L. 341-1 du Code de commerce, invoquées par les intimés, ne s'appliquent pas en l'espèce dès lors que les parties aux contrats ne sont pas les mêmes.
Elle s'oppose en conséquence à la jonction sollicitée puisque le sort des deux contrats ne lui apparaît pas lié.
Elle prétend que la société Briclo ne démontre pas que la résiliation du contrat d'approvisionnement était nécessaire à la sauvegarde du débiteur et ne portait pas une atteinte excessive aux intérêts du co-contractant, conditions cumulativement requises par l'article L. 622-13-IV du Code de commerce, et fait valoir, en outre, qu'une telle résiliation justifierait le paiement d'une indemnité de résiliation anticipée qui préjudicierait à la société Briclo.
Par conclusions signifiées le 18 janvier 2019, la société Briclo et la Selarl Actis, ès qualités, demandent à la cour de :
Vu les articles L. 341-1 et L. 622-13 IV du Code de commerce,
Prononcer la jonction de la présente procédure avec la procédure pendante devant la cour d'appel enregistrée sous le numéro de RG 18-00517,
Constater l'interdépendance des contrats d'approvisionnements et de licence d'enseigne résiliés le 24 mars 2017 par ordonnance du juge commissaire,
Débouter la société CSF de ses demandes, fins et prétentions,
Confirmer le jugement du tribunal de commerce de Poitiers rendu le 22 janvier 2018 prononçant la résiliation du contrat conclu entre la société CSF et la société Briclo,
Condamner la société CSF aux entiers dépens ainsi qu'à verser à la société Briclo la somme de 3 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les intimés soutiennent que les dispositions de l'article L. 341-1 du Code de commerce ne limitent pas ses conditions d'application aux seuls contrats conclus entre les mêmes personnes mais a vocation à s'appliquer puisque ses deux co-contractants sont des filiales du groupe Carrefour, que les contrats, signés à la même date et avec la même échéance, comportent des clauses susceptibles de limiter sa liberté d'exercice avec une obligation d'approvisionnement prioritaire et une interdiction d'adhérer à une autre organisation ou groupement commercial ou à un autre organisme de distribution.
Ils en déduisent que la jonction des deux procédures est ainsi nécessaire puisque la résiliation d'un seul des contrats emportera, par application de l'article précité, celle de l'autre qui est interdépendant.
Ils prétendent que la résiliation était nécessaire à la sauvegarde de la société Briclo qui exploite un petit commerce de proximité inadapté aux conditions imposées par les deux contractants faisant supporter des coûts exorbitants d'approvisionnement générant des marges commerciales insuffisantes
Ils font valoir qu'il appartient à la société CSF de démontrer la preuve de l'atteinte excessive à ses intérêts que lui imposerait la résiliation ce qui n'est nullement établi au regard, notamment, de ses résultats financiers.
En application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs moyens et prétentions.
La clôture de la procédure est intervenue le 19 février 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée.
Sur l'interdépendance des contrats et la jonction des procédures.
La SARL Briclo conclut à l'application en la cause de l'article L. 341-1 du Code de commerce, telles qu'il résulte de la loi du 6 août 2015, applicable aux contrats en cours lors de son entrée en vigueur le 1er octobre 2016, et qui dispose que :
" L'ensemble des contrats conclus entre, d'une part, une personne physique ou une personne morale de droit privé regroupant des commerçants, autre que celles mentionnées aux chapitres V et VI du titre II du livre 1er du présent Code, ou mettant à disposition les services mentionnés au premier alinéa de l'article L. 330- 3 et, d'autre part, toute personne exploitant pour son compte ou pour le compte d'un tiers, un magasin de commerce de détail, ayant pour but commun l'exploitation de ce magasin et comportant des clauses susceptibles de limiter la liberté d'exercice par cet exploitant de son activité commerciale prévoient une échéance commune.
La résiliation d'un de ces contrats vaut résiliation de l'ensemble des contrats mentionnés au premier alinéa du présent article. "
Bien que les sociétés Carrefour Proximité France et CSF France sont des filiales à 100 % du groupe Carrefour, elles n'en demeurent pas moins des entités distinctes, avec leur personnalité morale propre, et dès lors qu'elles ont, certes à la même date et pour la même durée, mais néanmoins distinctement, conclu l'une le contrat d'enseigne et l'autre le contrat de distribution avec la SARL Briclo, il ne peut être soutenu que ces contrats relèveraient des dispositions susvisées qui n'ont vocation qu'à régir un ensemble de contrats convenus uniquement entre deux personnes physiques ou morales sans que la portée du texte, restrictif de la liberté contractuelle, ne puisse être étendue au-delà de la stricte définition de ses conditions d'application.
L'indivisibilité des contrats était également soutenue en application de l'article 1186 du Code civil qui dispose que lorsque l'exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d'une même opération et que l'un deux disparaît, sont caducs les contrats dont l'exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l'exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d'une partie. La caducité n'intervenant toutefois que si le contractant contre lequel elle est invoquée connaissait l'existence de l'opération d'ensemble dont il a donné son consentement.
Cependant, ces dispositions sont issues de la loi du 10 février 2016 dont l'article 9 a précisé qu'elles n'étaient pas applicables aux contrats en cours.
Elles consacrent toutefois la théorie jurisprudentielle de l'interdépendance contractuelle que la SARL Briclo peut invoquer mais dont les conditions ne sont cependant pas remplies dès lors que quand bien même les contrats ont été conclus le même jour et pour une durée identique, il ne résulte cependant ni d'une commune intention des parties ni des clauses contractuelles qu'ils tendaient à la réalisation d'une même opération et ne pouvaient exister l'un sans l'autre.
En effet, rien ne permet d'affirmer que les parties aient eu la volonté de considérer chaque contrat comme la condition de l'existence de l'autre et aucune disposition contractuelle ne vient préciser que l'approvisionnement aurait été conditionné par l'enseigne choisi pas plus que le choix de l'enseigne n'impliquait l'obligation pour la société Briclo d'un approvisionnement en marchandises exclusivement réservé à la société CSF France.
L'article 3 du contrat d'enseigne est interprété, à tort, par la SARL Briclo comme interdisant au franchisé de s'approvisionner autrement que par le contrat conclu avec la société CSF France, alors qu'il prohibe uniquement l'adhésion pour une activité similaire à une autre organisation ou groupement commercial ou à un autre organisme de distribution, sans évoquer l'approvisionnement du magasin qui n'est pas concerné.
Il en résulte que la jonction des procédures n'est justifiée ni à raison des dispositions de l'article L. 341-1 du Code de commerce, ni encore de l'interdépendance des contrats, les deux contrats concernés restent exécutables séparément et la résiliation de l'un d'un serait sans incidence sur l'existence de l'autre.
Le bien-fondé des résiliations prononcées par les jugements entrepris devra être appréciée pour chacun des contrats selon les seuls critères posés par les dispositions de l'article L. 622-13-IV du Code de commerce.
Sur la résiliation du contrat d'approvisionnement.
En application des dispositions de l'article L. 622-13-IV du Code de commerce, durant la période d'observation suivant l'ouverture de la procédure de sauvegarde, la résiliation d'un contrat en cours peut être prononcée par le juge-commissaire, à la demande de l'administrateur désigné ou, à défaut, de celle du débiteur après avis conforme du mandataire judiciaire (article L. 627-2), si elle est nécessaire à la sauvegarde du débiteur et ne porte pas une atteinte excessive aux intérêts du cocontractant.
C'est donc à ces deux seules conditions cumulatives, dont le juge-commissaire désigné à la procédure de sauvegarde de la SARL Briclo puis le tribunal de commerce statuant sur recours contre l'ordonnance rendue devaient constater la réunion, que le contrat liant les parties pouvait être résilié.
Force est de constater que la motivation du jugement entrepris ne permet pas de vérifier le bien-fondé de la résiliation prononcée, le tribunal de commerce, à l'instar du juge-commissaire, ayant simplement affirmé que les deux conditions étaient remplies au regard de la requête déposée par la société Briclo qui faisait reproche au contrat de s'avérer coûteux pour l'entreprise.
La SARL Briclo prétend que la résiliation est nécessaire pour sa sauvegarde en ce que l'approvisionnement par l'intermédiaire de la société CSF provoquait des coûts exorbitants qui ont conduit à des impayés. Elle ajoute que, se prévalant des clauses contractuelles pourtant contraires aux dispositions légales, la société CSF a refusé de reprendre les livraisons postérieurement à l'ouverture de la procédure de sauvegarde.
Il est effectivement justifié par la société Briclo qu'à la veille de l'ouverture de la procédure de sauvegarde la société CSF France a décidé de stopper les livraisons, faisant valoir un impayé de plus de 19 000 , et que malgré les dispositions protectrices de la sauvegarde, et notamment l'obligation de poursuivre les relations contractuelles rappelées par le mandataire judiciaire, la société CSF faisait part, par courriel du 23 décembre 2016, qu'elle se trouvait fondée par les dispositions du contrat à refuser de nouvelles livraisons.
Outre ce refus de livrer préjudiciable, quand bien même il est prétendu que les livraisons auraient repris postérieurement, il est démontré par les éléments comptables résultant de la période d'observation que la poursuite d'activité avec un approvisionnement hors contrat CSF France a permis une hausse de marge commerciale de plus de 10 000 avec un coût d'achat des marchandises en forte baisse.
Ces éléments, confirmés par l'adoption d'un plan de sauvegarde, suffisent à prouver que la résiliation du contrat d'approvisionnement était nécessaire à la sauvegarde de la société Briclo en ce qu'elle lui a permis de réduire ses coûts d'approvisionnement.
La première condition se trouvait donc remplie. Quant à la seconde qui tient à l'absence d'atteinte excessive aux intérêts de la société CSF, force est de constater que cette dernière ne démontre pas, comme elle en a la charge, que la résiliation emporterait en l'espèce une telle atteinte.
C'est donc à bon droit que le tribunal de commerce, confirmant l'ordonnance du juge-commissaire, a approuvé la résiliation du contrat d'approvisionnement conclu le 19 novembre 2013 entre la SARL Briclo et la société CSF France.
La société CSF qui succombe en cause d'appel supportera les dépens de l'instance et sera condamnée à payer à la SARL Briclo la somme de 2 000 par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Dit n'y avoir lieu à jonction des procédures enregistrées sous les numéros RG 18-517 et RG 18-518, Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Poitiers le 22 janvier 2018 entre la SARL Briclo, la Selarl Actis et la société CSF France, Y ajoutant, Condamne la société CSF aux dépens de l'instance d'appel ainsi qu'à payer à la SARL Briclo la somme de 2 000 par application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.