Livv
Décisions

Cass. com., 18 septembre 2019, n° 18-12.601

COUR DE CASSATION

Arrêt

Rejet

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mouillard

Avocats :

SCP Gadiou, Chevallier, SCP Piwnica, Molinié

Paris, du 10 nov. 2017

10 novembre 2017

LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 novembre 2017), que, reprochant à la société Electricité de France (la société EDF), gestionnaire en Corse du réseau public d'électricité, de n'avoir pas respecté son obligation de leur transmettre une convention de raccordement dans le délai maximal de trois mois à compter de la demande de raccordement de leur installation de production d'électricité d'origine photovoltaïque à ce réseau et de ne pas avoir exécuté la convention de raccordement qu'elles lui avaient retournée, dûment signée, le 2 décembre 2010, accompagnée de l'acompte demandé, la société Corsica Sole 2 (la société Sole 2) et sa société mère, la société Corsica Sole (la société Sole), l'ont assignée en réparation du préjudice résultant de la perte de la chance de réaliser les gains qu'aurait permis l'application des tarifs alors en vigueur et dont elles n'ont pu bénéficier en raison de leur soumission au régime du moratoire instauré par le décret du 9 décembre 2010, les obligeant à présenter une nouvelle demande sur la base de tarifs inférieurs ;

Attendu que les sociétés Sole et Sole 2 font grief à l'arrêt de dire qu'à la date du 1er décembre 2010 à minuit, la société Sole 2 n'avait pas conclu un contrat d'achat d'électricité pour le projet en cause et qu'elle ne peut revendiquer le bénéfice du tarif d'achat de l'électricité au tarif de l'arrêté du 10 juillet 2006, que la faute de la société EDF n'est pas la cause des préjudices allégués par elle et de rejeter ses demandes de dommages-intérêts alors, selon le moyen : 1°) que le pétitionnaire qui a accepté la convention de raccordement au réseau reçu du gestionnaire et l'a lui a retournée avant l'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010 bénéficie de la procédure de raccordement et a droit à la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité au tarif applicable à la date de la demande de raccordement sans que soit nécessaire la signature d'un tel contrat avant l'entrée en vigueur dudit décret ; que la cour d'appel, en considérant que la société Sole et sa filiale ne bénéficiaient pas du tarif de 2006 au jour de l'entrée en vigueur du décret moratoire bien que la filiale avait renvoyé la proposition de raccordement à la société EDF le 3 décembre 2010, a violé l'article 1er du décret n° 2010-1510 du 9 décembre 2010 ; 2°) que l'exécution de la convention de raccordement n'est pas subordonnée à la mise en service de l'installation ; qu'en retenant que le défaut d'exécution de la convention de raccordement durant la période de suspension ne peut pas être le fait de la société EDF puisqu'il n'est pas contesté que le projet de la société Sole et de sa filiale n'était pas encore réalisé, la cour d'appel a violé l'article 1147 ancien du Code civil ; 3°) que le pétitionnaire qui a accepté la convention de raccordement au réseau reçu du gestionnaire et l'a lui a retournée avant l'entrée en vigueur du décret du 9 décembre 2010 bénéficie de la procédure de raccordement et a droit à la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité au tarif applicable à la date de la demande de raccordement sans que soit nécessaire la signature d'un tel contrat avant l'entrée en vigueur dudit décret ; qu'ainsi, le gestionnaire qui n'a pas exécuté la convention a commis une faute causale du préjudice subi par le pétitionnaire qui a été privé par le premier du bénéfice du contrat d'achat formé sous le régime tarifaire antérieur ; que la cour d'appel, en décidant par motifs propres et adoptés que la société EDF n'était pas la cause des préjudices allégués par la société Sole et sa filiale, quand la convention de raccordement reçue de la société EDF le 3 décembre 2010 par la société Sole 2 a été renvoyée par cette dernière le jour même, soit le 3 décembre 2010 avec paiement de l'acompte à la première, a violé l'article 1147 ancien du Code civil ; 4°) que, subsidiairement et à supposer que la Cour de cassation considère que le pétitionnaire qui a retourné la convention de raccordement au gestionnaire le 3 décembre 2010 ne puisse plus prétendre à la conclusion d'un contrat d'achat d'électricité au tarif applicable à la date de sa demande de raccordement, le manquement de la société EDF à adresser au pétitionnaire dans le délai de trois mois prévu par les textes la convention de raccordement a fait perdre à ce dernier une chance de pouvoir retourner la convention de raccordement à une date qui lui aurait permis de prétendre à la conclusion d'un contrat d'achat au tarif antérieur ; qu'en statuant comme elle l'a fait, bien que la société EDF, qui avait elle-même indiqué que le projet était entré en file d'attente le 30 août 2010 et que le résultat de la convention de raccordement vous sera transmis pour le 29 novembre 2010, n'avait adressé la convention de raccordement que par une lettre datée du 30 novembre 2010 reçue le 3 décembre 2010, soit après l'expiration du délai de trois mois, et non pour le 29 novembre 2010 comme elle l'avait pourtant indiqué, la cour d'appel a violé l'article 1147 ancien du Code civil ;

Mais attendu qu'il revient aux juridictions nationales de sauvegarder les droits que les particuliers tirent de l'effet direct de l'article 108, § 3, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), en examinant si les projets tendant à instituer ou à modifier des aides d'Etat n'auraient pas dû être notifiés à la Commission européenne, avant d'être mis à exécution, et de tirer toutes les conséquences de la méconnaissance par les autorités nationales de cette obligation de notification, qui affecte la légalité de ces mesures d'aides ;

Qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (la CJUE) qu'une mesure d'aide au sens de l'article 107, § 3, du TFUE, mise à exécution en méconnaissance des obligations découlant de l'article 108, § 3, du TFUE est illégale et qu'une décision de la Commission européenne déclarant une aide d'Etat non notifiée compatible avec le marché intérieur n'a pas pour conséquence de régulariser, a posteriori, les actes d'exécution, qui sont invalides du fait qu'ils ont été pris en méconnaissance de l'interdiction visée à l'article 108, § 3, du TFUE (CJCE 21 novembre 1991 Fédération nationale du commerce extérieur des produits alimentaires et Syndicat national des négociants et transformateurs de saumon contre République française, aff. C-354/90, CJCE 5 octobre 2006 Transalpine Ölleitung in Österreich et autres contre Finanzlandesdirektion für Tyrol et autres, aff. C-368/04, point 41 ; CJUE 23 janvier 2019 Presidenza del Consiglio dei Ministri contre Fallimento Traghetti del Mediterraneo SpA, aff. C-387/17, point 59) ;

Attendu qu'aux termes de l'article 107, § 1, du TFUE, constituent des aides d'Etat, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions ;

Qu'un mécanisme de compensation intégrale des surcoûts imposés à des entreprises en raison d'une obligation d'achat de l'électricité d'origine photovoltaïque à un prix supérieur à celui du marché, dont le financement est supporté par tous les consommateurs finals d'électricité sur le territoire national, tel que celui résultant de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, modifiée par la loi n° 2006-1537 du 7 décembre 2006, constitue une intervention au moyen de ressources d'Etat au sens de l'article 107, § 1, du TFUE ;

Que l'arrêté du 12 janvier 2010 ayant pour effet d'obliger la société EDF à acquérir l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans le cadre de référence du marché libéralisé de l'électricité au sein de l'Union européenne, favorisait, de manière sélective, les producteurs de l'électricité ayant cette origine ;

Que l'électricité de source photovoltaïque ayant vocation à se substituer à l'électricité produite par d'autres moyens technologiques et le marché de l'électricité ayant été libéralisé, ce régime d'aide était de nature à affecter les échanges entre Etats membres et à fausser la concurrence au détriment d'autres entreprises productrices d'électricité ;

Qu'il en résulte que le mécanisme d'obligation d'achat par la société EDF de l'électricité photovoltaïque à un prix supérieur à celui du marché, mis en exécution par l'arrêté du 12 janvier 2010, constituait une aide d'Etat ;

Attendu que ce dispositif ne peut bénéficier du règlement n° 800/2008 du 6 août 2008, qui prévoit l'exemption de notification, sous conditions, de certaines aides d'Etat, dès lors que l'article 23 réserve l'exemption aux aides environnementales en faveur des investissements dans la promotion de l'énergie produite à partir de sources d'énergie renouvelables, excluant ainsi les aides au fonctionnement, telles que l'aide litigieuse, qui garantit l'achat d'électricité à un prix supérieur à celui du marché ;

Qu'il ne peut non plus bénéficier de l'exemption de notification prévue par les règlements de minimis 1998/2006, puis 1407/2013, dont l'article 2.4 du premier et 4 du second réservent cet avantage aux aides dites transparentes, c'est-à-dire pour lesquelles il est possible de calculer précisément et préalablement l'équivalent-subvention brut, sans qu'il soit nécessaire d'effectuer une analyse du risque, excluant ainsi les aides au montant préalablement indéterminé, telles les aides litigieuses ;

Attendu qu'il est constant que ce mécanisme, mis en œuvre dans les conditions définies par l'arrêté du 12 janvier 2010, n'a pas été notifié à la Commission européenne, préalablement à sa mise en exécution, dans les formes prévues par le règlement 784/2004 ; que l'aide est donc illégale ;

Qu'il résulte de ce qui précède que les pétitionnaires ne sont pas fondés à invoquer un préjudice constitué de la perte de la chance de bénéficier d'un tarif procédant d'une aide d'Etat illégale, un tel préjudice n'étant pas réparable ;

Que par ces motifs de pur droit substitués, après avis délivré aux parties, à ceux critiqués, le rejet des demandes de dommages-intérêts formées par les sociétés Sole et Sole 2 se trouve justifié, de sorte que les chefs de dispositif se prononçant sur la faute et sur le lien de causalité deviennent sans objet ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;

Par ces motifs : rejette le pourvoi.