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Décisions

CJUE, 9e ch., 19 mars 2020, n° C-838/19

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Boé Aquitaine SELARL

Défendeur :

Mercialys SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Rodin

Juges :

M. Šváby, Mme Jürimäe (rapporteure)

Avocat général :

M. Pitruzzella

CJUE n° C-838/19

19 mars 2020

LA COUR (neuvième chambre),

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 101, paragraphe 1, TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant Boé Aquitaine SELARL à Mercialys SA au sujet de la validité de clauses contenues dans des contrats de bail commercial conclus entre ces deux sociétés.

Le litige au principal et la question préjudicielle

3 Boé Aquitaine exploite une pharmacie dans une zone commerciale. Entre les mois de mai 2006 et de décembre 2012, elle a conclu avec Mercialys trois contrats de bail successifs pour la location de surfaces commerciales de superficies différentes.

4 À la suite de la résiliation de ces contrats, Mercialys a proposé leur renouvellement à de nouvelles conditions, ce que Boé Aquitaine a refusé.

5 Par acte du 7 août 2017, Boé Aquitaine a assigné Mercialys devant le tribunal de commerce de Bordeaux (France), qui est la juridiction de renvoi dans la présente affaire, afin de faire constater l'illicéité des clauses contenues dans les contrats de bail en cause au principal et de la faire condamner au paiement de différentes sommes, à titre d'indemnités, du fait de l'utilisation de ces clauses, ainsi qu'à titre de réparation du préjudice consécutif au non-renouvellement de ces contrats.

6 Il ressort des éléments contenus dans la décision de renvoi que la compétence de la juridiction de renvoi pour connaître du litige au principal dépend de l'applicabilité de l'article L 442-6 I 2° du code de commerce français sur lequel Boé Aquitaine fonde ses prétentions.

7 Mercialys conclut à l'incompétence de cette juridiction au motif que la Cour de cassation (France) aurait jugé, en 2018, que seules les activités de production, de distribution ou de services entrent dans le champ d'application de l'article L 442-6 I 2° du code de commerce français, ce qui exclurait les contrats de bail commercial de ce champ d'application.

8 Boé Aquitaine fait valoir que cette jurisprudence de la Cour de cassation est contraire au droit de l'Union, et notamment aux articles 101 et 102 TFUE, dans la mesure où les notions sur lesquelles seraient fondés les articles L 410-1 et L 442-6 du code de commerce français seraient empruntées à ces dispositions du droit de l'Union, de telle sorte qu'elles devraient recevoir une interprétation conforme auxdites dispositions. En outre, un arrêt récent de la Cour invaliderait ladite jurisprudence, laquelle priverait l'article 101, paragraphe 1, TFUE d'effet utile, en excluant de son champ d'application les restrictions de concurrence dans le cadre des contrats de bail commercial.

9 Pour Mercialys, si l'article 101 TFUE a un équivalent dans le droit français, à savoir l'article L 420-1 du code de commerce français, celui-ci serait totalement étranger au litige au principal.

10 Dans ces conditions, le tribunal de commerce de Bordeaux a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

" [L'article 101, paragraphe 1, TFUE] doit[-il] être interprété en ce sens que le louage d'un local situé dans un centre commercial ne constitue pas une activité économique soumise aux règles du droit de la concurrence et ne fait dès lors pas obstacle à ce que le droit interne soustraie les contrats de bail commercial portant sur la location d'un local situé dans un centre commercial aux sanctions liées aux pratiques restrictives de concurrence [?] "

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

11 En vertu de l'article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu'une demande ou une requête est manifestement irrecevable, la Cour, l'avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d'ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

12 Il convient de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

13 Selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l'article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d'interprétation du droit de l'Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu'elles sont appelées à trancher (voir, notamment, arrêt du 27 novembre 2012, Pringle, C-370/12, EU:C:2012:756, point 83, et ordonnance du 9 janvier 2019, Fluctus e.a., C-444/18, non publiée, EU:C:2019:1, point 16 ainsi que jurisprudence citée).

14 La nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l'Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. En effet, la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l'interprétation d'un texte de l'Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (voir, notamment, arrêt du 26 juillet 2017, Superfoz - Supermercados, C-519/16, EU:C:2017:601, point 44 et jurisprudence citée).

15 La Cour insiste également sur l'importance de l'indication, par le juge national, des raisons précises qui l'ont conduit à s'interroger sur l'interprétation du droit de l'Union et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour (voir, notamment, ordonnance du 9 janvier 2019, Fluctus e.a., C-444/18, non publiée, EU:C:2019:1, point 18 ainsi que jurisprudence citée).

16 En effet, étant donné que la décision de renvoi sert de fondement à la procédure devant la Cour, il est indispensable que le juge national explicite, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et donne un minimum d'explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l'Union dont il demande l'interprétation ainsi que sur le lien qu'il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis (voir, notamment, ordonnance du 3 juillet 2014, Talasca, C-19/14, EU:C:2014:2049, point 20 et jurisprudence citée).

17 Ces exigences concernant le contenu d'une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l'article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l'article 267 TFUE, avoir connaissance et qu'elle est tenue de respecter scrupuleusement (voir, notamment, arrêt du 5 juillet 2016, Ognyanov, C-614/14, EU:C:2016:514, point 19 et jurisprudence citée).

18 Ainsi, aux termes de cet article 94, toute demande de décision préjudicielle contient " un exposé sommaire de l'objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu'ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ", " la teneur des dispositions nationales susceptibles de s'appliquer en l'espèce et, le cas échéant, la jurisprudence nationale pertinente ", ainsi que " l'exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s'interroger sur l'interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l'Union, ainsi que le lien qu'elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal ".

19 Ces exigences sont reflétées dans la dernière version des recommandations de la Cour de justice de l'Union européenne à l'attention des juridictions nationales, relatives à l'introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1), dont le point 15 reproduit, en substance, les dispositions de l'article 94 du règlement de procédure.

20 Selon une jurisprudence constante de la Cour, lesdites exigences valent tout particulièrement dans le domaine de la concurrence qui est caractérisé par des situations de fait et de droit complexes (voir, en ce sens, arrêts du 31 janvier 2008, Centro Europa 7, C-380/05, EU:C:2008:59, point 58, et du 13 décembre 2018, Rittinger e.a., C-492/17, EU:C:2018:1019, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

21 En l'occurrence, la décision de renvoi ne répond manifestement pas aux exigences rappelées aux points précédents de la présente ordonnance.

22 En effet, la juridiction de renvoi n'indique pas les éléments factuels et juridiques permettant d'établir un lien entre le litige au principal et l'article 101, paragraphe 1, TFUE, dont l'interprétation est sollicitée.

23 À cet égard, la juridiction de renvoi se borne essentiellement à reproduire l'argumentation développée par Boé Aquitaine à l'appui de son recours au principal, dans lequel celle-ci fait valoir que les articles L 410-1 et L 442-6 I 2° du code de commerce français, tels qu'interprétés par la Cour de cassation, ne sont pas conformes à l'article 101 TFUE.

24 De plus, si la juridiction de renvoi se réfère de manière générale à une jurisprudence nationale dont il ressortirait que le champ d'application des articles L 410-1 et L 442-6 I 2° du code de commerce français limiterait le champ des activités économiques soumises au droit de la concurrence, force est de constater que cette juridiction ne présente nullement le contenu de cette jurisprudence ni aucun autre élément permettant d'appréhender si ladite jurisprudence se borne à délimiter le champ d'application de ces dispositions ou si elle a une portée plus large, en ce sens qu'elle affecterait le champ d'application des dispositions du droit national de la concurrence.

25 En outre, il ne ressort pas des indications fournies par la juridiction de renvoi que, quand bien même les faits au principal se situeraient en dehors du champ d'application de l'article 101 TFUE, cette disposition soit rendue applicable par la législation nationale en cause au principal, laquelle se conformerait, pour les solutions apportées à des situations purement internes, à celles retenues par le droit de l'Union (voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2015, Maxima Latvija, C-345/14, EU:C:2015:784, point 12 et jurisprudence citée).

26 En raison de ces lacunes, la demande de décision préjudicielle ne permet donc pas à la Cour de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi afin de trancher le litige au principal ni ne donne aux gouvernements des États membres ainsi qu'aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l'article 23 du statut de la Cour de justice de l'Union européenne.

27 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de considérer, en application de l'article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable.

Sur les dépens

28 La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (neuvième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par le tribunal de commerce de Bordeaux (France), par décision du 22 mars 2019, est manifestement irrecevable.