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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 11 mars 2020, n° 17-01526

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Djib 9 Lenoir (SARL)

Défendeur :

Math Studio LTD

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Conseiller :

M. Gilles

Avocats :

Me Baechlin, Bernet

T. com. Paris, du 20 sept. 2016

20 septembre 2016

FAITS ET PROCÉDURE

La société Djib 9 Lenoir a notamment pour activité la vente d'articles d'habillement et d'accessoires. Elle a été créée par Monsieur X, footballer professionnel, et titulaire des marques " Mr X ", " Mme X " et " Mavro ".

La société de droit anglais Math Studio LTD, dirigée par M. Y est une société de droit anglais qui a pour activité la vente de vêtements sous la marque Math et réalise des prestations de stylisme/design pour des marques tierces dans le secteur de la mode.

Vu le jugement du 20 septembre 2016, le tribunal de commerce de Paris qui a :

- débouté la société Math Studio LTD :

* de ses demandes envers M. X,

* de sa demande au titre de l'article L. 442-6 du Code de commerce,

* de sa demande de dommages et intérêts au titre de la rupture abusive,

- condamné la société Djib 9 Lenoir à payer à la société Math Studio LTD les sommes de :

* 17.196,53 £ au titre des factures impayées, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2014, ou sa contrevaleur en euros à la date du présent jugement,

* 9.779,89 £ au titre des frais engagés, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2014, ou sa contrevaleur en euros à la date du présent jugement,

* 7.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens,

- condamné la société Math Studio LTD à payer à M. X une indemnité de procédure 2 000 euros,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement.

Vu l'appel de ce jugement interjeté par la société Djib 9 Lenoir le 18 janvier 2017,

Vu l'appel provoqué de M. X, régulièrement assigné à personne le 8 août 2017 - ainsi qu'en attestent le certificat de l'autorité requise datée du 18 septembre 2017 et l'AR qu'il a signé ;

Vu les conclusions de la société Djib 9 Lenoir, appelante, et de M. X, intervenant, déposées et notifiées le 6 octobre 2017 qui demandent à la Cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société Math Studio LTD de sa demande au titre de l'article L. 442-6 du Code de commerce de dommages et intérêts au titre de la rupture abusive ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a condamnée à régler à la société Math Studio LTD les sommes suivantes :

* 17.196,53 £ au titre des factures impayées, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2014, ou sa contrevaleur en euros à la date du jugement ;

* 9.779,89 £ au titre des frais engagés, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2014, ou sa contrevaleur en euros à la date du présent jugement ;

* 7.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

* outre les sommes de 105,30 et 63.62 euros correspondant respectivement au frais de greffe et à la signification de l'assignation,

statuant à nouveau et y ajoutant,

Vu l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539,

Vu les articles 15 et 16 du Code de procédure civile,

- écarter des débats les pièces n° 26-2 et 31 communiquées par la société Math Studio LTD ;

Vu les articles L.442-6, I, 5° du Code de commerce,

Vu l'article 9 du Code de procédure civile,

Vu les articles 1134 et 1382 du Code civil,

Vu l'article 259-1° du Code général des impôts,

- dire et juger la société Math Studio LTD mal fondée en ses demandes,

Débouter en conséquence la société Math Studio LTD de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société Math Studio LTD à verser à la société Djib 9 Lenoir la somme de 10.000 euros, sauf à parfaire, au titre des vêtements et du tissu qui ne lui ont pas été restitués,

- condamner la société Math Studio LTD à payer à la société Djib 9 Lenoir une indemnité de procédure de 10.000 euros ainsi qu'aux dépens.

Vu les conclusions de la société Math Studio LTD, intimée, déposées et notifiées le 8 août 2017

par lesquelles il est demandé à la Cour de :

Vu l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce,

Vu les articles 1134 et 1382 du Code civil,

- dire la société Djib 9 Lenoir mal fondée en son appel, l'en débouter,

- la dire bien fondée en son appel incident et son appel provoqué,

En conséquence,

Sur la mise en cause de M. X

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de ses demandes envers M. X et l'a condamnée à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

Sur la rupture des relations commerciales

- dire que M. X et la société Djib 9 Lenoir ont brutalement rompu la relation commerciale établie avec elle,

- dire que ladite rupture est intervenue dans des conditions abusives et vexatoires,

En conséquence,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a l'a débouté de ses demandes à ce titre et statuant à nouveau,

- condamner in solidum M. X et la société Djib 9 Lenoir à lui payer la contrevaleur en euro au jour de l'arrêt à intervenir des sommes suivantes':

* 12.000 £ au titre du manque à gagner résultant de l'absence de préavis raisonnable,

* 64.000 £ à titre de dommage et intérêts,

Sur les factures et frais impayés

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé que les sommes suivantes étaient dues à la société Math Studio LTD :

* 17.196,53 £ au titre des factures impayées, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2014, ou sa contrevaleur en euros à la date du jugement,

* 9.779,89 £ au titre des frais engagés, avec intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2014, ou sa contrevaleur en euros à la date du jugement,

- infirmer le jugement entrepris en ce que la condamnation n'est prononcée qu'à l'encontre de la société Djib 9 Lenoir et statuant à nouveau,

- condamner in solidum Monsieur X et la société Djib 9 Lenoir à payer ces sommes à la société Math Studio,

En tout état de cause'

- débouter la société Djib 9 Lenoir et M. X de toutes leurs demandes,

- condamner in solidum M. X et la société Djib 9 Lenoir à lui payer une indemnité de procédure totale de 20.000 euros et aux dépens de première instance et d'appel, qui pourront être recouvrés directement par la SELAS BCW & Associés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

A l'automne 2012, la société Djib 9 Lenoir s'est rapprochée de M. Y en vue de lui confier la création des collections de prêt à porter pour les lignes de vêtements sous les marques " Mr X ", " Mme X ", propriété de M. X et le 3 décembre 2012 elle a signé avec la société Math Studio LTD un contrat pour une durée de 4 mois courant du 1er novembre 2012 au 1er mars 2013.

Au terme de ce contrat, la mission confiée à la société Math Studio LTD a consisté à :

- définir le design ;

- choisir des matériaux et fournitures ;

- superviser les prototypes ;

- identifier les distributeurs-revendeurs.

La collaboration entre les parties s'est poursuivie au-delà du terme contractuel, la société Djib 9 Lenoir informant la société Math Studio LTD de la rupture de leur relation commerciale le 2 janvier 2014.

La société Math Studio LTD a alors engagé la présente procédure en indemnisation des préjudices qu'elle prétend subir de cette rupture et en paiement de factures et frais.

1 - Sur la demande tendant à voir écarter des débats les pièces 26-2 et 31 produites par la société Math Studio LTD

La société Djib 9 Lenoir demande, au visa de l'ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539 et des articles 15 et 16 du Code de procédure civile, que ces pièces correspondant à la synthèse des frais dont le remboursement est demandé et à la copie de leurs justificatifs soient écartées des débats comme étant rédigées en langue étrangère et non traduites.

Toutefois, il résulte des échanges de mails versés aux débats que la langue de travail des parties était l'anglais que la cour comprend.

Cette demande sera donc rejetée. Ce d'autant que ces pièces n'ont pas été contestées de ce chef ni avant le litige, ni en première instance.

2 - Sur la mise en cause personnelle de M. X

La société Math Studio LTD soutient qu'il se déduit du caractère purement intuitu personae de la relation commerciale litigieuse, résultant de l'investissement personnel de M. X dans la collaboration de sa société avec celle de M. Y, que les engagements qu'elle a pris ne l'ont toujours été qu'envers lui.

La société Djib 9 Lenoir soutient que M. X ne peut voir sa responsabilité personnelle engagée faute d'être débiteur d'obligations au terme du contrat en cause, sauf à voir démontrer l'existence d'une faute personnelle séparable de ses fonctions.

La Cour retient que la société Math Studio LTD qui ne vise aucun fondement juridique à l'appui de sa demande de mise en cause de M. X, qui n'est pas le signataire du contrat litigieux ne démontre pas en quoi elle est fondée à solliciter celle-ci.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Math Studio LTD de ses demandes envers M. X et l'a condamnée à lui payer une indemnité de procédure de 2 000 euros.

3 - Sur les demandes au titre d'une rupture brutale ou fautive

3.1 - sur la brutalité de la rupture

La société Math Studio LTD prétend justifier d'une relation commerciale continue de 14 mois, formalisée par une collaboration régulière et ininterrompue depuis le 1er novembre 2012 sans qu'aucun reproche n'ait été formulé sur les prestations de la société Math Studio LTD. Elle en déduit que si le contrat visait initialement une prestation de stylisme-design pour des collections déterminées, il s'est tacitement renouvelé pour une durée indéterminée.

La société Djib 9 Lenoir soutient que la relation commerciale avec la société Math Studio LTD n'a porté que sur le design de deux collections de prêt à porter pour les saisons automne 2013 / hiver 2014 et printemps / été 2014 et qu'elle était à durée déterminée.

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages de commerce, par des accords interprofessionnels.

Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.

La Cour retient, à l'instar du jugement entrepris, que le prolongement de dix mois de la relation commerciale des parties au-delà des quatre mois prévus au contrat procèdent d'une mauvaise appréciation de la durée nécessaire au travail objet de ce contrat et non de leur volonté commune d'établir une relation stable dans un cadre pérenne que les éléments en débat, y compris les quelques missions supplémentaires ne suffisent pas à établir.

A cet égard il suffira d'ajouter ce qui suit.

La société Math Studio LTD n'explique pas en quoi ces missions supplémentaires s'inscrivent dans une relation suffisamment stable et habituelle au sens du texte qui fonde sa demande, ce que ses pièces 23 et 24 ne suffisent pas à établir, ce d'autant qu'il résulte des échanges de mails des parties et en particulier de la pièce 7 produite par la société Djib 9 Lenoir, datée du 3 décembre 2013, que le climat de leur collaboration s'est progressivement tendu.

En outre, aucune pièce n'étaye l'affirmation selon laquelle elle a dû délaisser sa propre marque qui était en expansion pour satisfaire les commandes de la société Djib 9 Lenoir, ses pièces 32 et 33 relatives aux ventes 2011 - 2013 de cette marque n'étant pas de nature à l'établir.

De même, sa pièce 30 relative à un projet avec Katch Média ne saurait justifier non plus qu'elle a dû y renoncer pour pouvoir se consacrer à sa relation commerciale avec la société Djib 9 Lenoir.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Math Studio LTD de sa demande au titre de L442-6 du Code de commerce.

3.2 - Sur la rupture prétendument fautive de la relation commerciale

La société Math Studio LTD soutient qu'elle a été informée de la rupture, sans préavis par un texto du 2 janvier 2014 dans des conditions abusives et vexatoires.

La société Djib 9 Lenoir conteste tout propos offensant, soutenant que la rupture est intervenue suivant un mode de communication habituel entre les parties en raison des retards et manquements contractuels de la société Math Studio LTD et qu'aucun préjudice n'est établi.

La cour retient comme le jugement entrepris, vu les articles 1134 et 1382 anciens du Code civil invoqués par la société Math Studio LTD, que l'envoi d'un texto pour notifier la rupture correspond au mode de communication habituel des parties et que la société Math Studio LTD procède par affirmation quant à aux conditions prétendument abusives et vexatoires de la rupture (ses conclusions p. 18). La demande de la société Math Studio LTD tendant à voir condamner la société Djib 9 Lenoir à lui payer la somme de 64 000 £ à ce titre ne peut donc aboutir.

Pour le surplus, la société Djib 9 Lenoir ne justifie certes pas des retards et défauts de qualité prétendus qui ne résultent ni de ses pièces 1,2,3,4,6 et 7 ni de la pièce adverse 24 censées les établir de sorte qu'elle n'est pas fondée à invoquer l'exception d'inexécution.

Néanmoins, il n'est pas établi qu'elle aurait dû respecter un préavis s'agissant d'un contrat à durée déterminée, peu important que la relation commerciale des parties se soit poursuivie de fait pendant dix mois au-delà du terme initialement convenu, dès lors qu'aucun manquement contractuel, distinct du manquement délictuel résultant de l'absence de tout préavis examiné au point 3.1 ci-dessus, n'est allégué.

La société Math Studio LTD n'est donc pas fondée à obtenir condamnation de la société Djib 9 Lenoir à lui payer la somme de 12 000 £ au titre du manque à gagner résultant de l'absence de préavis raisonnable.

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la société Math Studio LTD de ses demandes en dommages-intérêts au titre de la rupture abusive.

4 - Sur la demande en paiement de la somme de 17.196,53 £ HT au titre du solde de sept

factures d'honoraires du 28 mars 2013 au 6 janvier 2014

Le jugement entrepris retient par des motifs pertinents qu'il convient d'adopter que cette somme est due faute de preuve de l'inexactitude de ces factures et faute de preuve de la renégociation alléguée des honoraires, les factures mentionnant seulement une exigibilité immédiate d'une partie de la facture alors même que la société Math Studio LTD soutient n'avoir accepté que des délais de paiement et que la société Djib 9 Lenoir reconnaît que cette renégociation ne résulte d'aucun écrit.

Ce d'autant que :

- les griefs de la société Djib 9 Lenoir examinés au point précédent qui justifieraient cette renégociation, contestés, ne sont pas établis,

- la photo produite en pièce 22 par la société Djib 9 Lenoir pour justifier du défaut de restitution allégués des tissus commandés est, en soi, manifestement dénuée de toute valeur probante, tout comme l'attestation de la salariée de la société Djib 9 Lenoir (pièce 20), tendant à prouver que la société Math Studio LTD n'a pas permis à la société Djib 9 Lenoir d'exposer toute sa collection à la presse à l'ouverture de la boutique éphémère, dès lors que cette salariée est par ailleurs l'auteur des mails produits en pièces 5, 6 et 7,

- les relevés de compte versés ne justifient pas de paiements qui n'auraient pas été pris en compte ou qui auraient soldé les factures dès lors, d'une part, qu'ils sont contestés soit comme ayant réglé la dette d'une autre période soit parce que le montant total de la facture n'a pas été renégocié et d'autre part, que la société Djib 9 Lenoir ne produit aucun décompte exhaustif de la créance adverse et de ses paiements prétendus.

Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.

5 - Sur la demande au titre des frais

La société Math Studio LTD n'établit ni que le remboursement des frais était convenu entre les parties, ce que le remboursement ponctuel de certains d'entre eux ne suffit pas à prouver ni en tout état de cause, que les frais litigieux n'ont été engagés que pour la collaboration avec la société Djib 9 Lenoir.

Le jugement entrepris sera donc infirmé de ce chef et la société Math Studio LTD déboutée de sa demande à ce titre.

6 - Sur les demandes accessoires

Conformément aux articles 696 et 700 du Code de procédure civile, la société Djib 9 Lenoir, partie perdante pour l'essentiel doit supporter la charge des dépens sans pouvoir prétendre à une indemnité de procédure et l'équité commande de la condamner à ce dernier titre dans les termes du dispositif de la présente décision.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a condamné la société Djib 9 Lenoir à payer à la société Math Studio LTD la somme de 9 779,89 £ en principal outre intérêts, au titre des frais engagés ; Statuant à nouveau de ce chef infirmé et y ajoutant, Rejette la demande tendant à voir écarter des débats les pièces 26-2 et 31 de la société Math Studio LTD ; Déboute la société Math Studio LTD de sa demande au titre des frais engagés ; Condamne la société Djib 9 Lenoir aux dépens d'appel ; Condamne la société Djib 9 Lenoir à payer à la société Math Studio LTD une indemnité de procédure en appel de 8 000 euros et rejette toute autre demande.