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Décisions

CAA Nantes, 3eme ch., 2 avril 2020, n° 18NT04342

NANTES

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrot

Rapporteur :

M. Berthon

Rapporteur public :

M. Gauthier

Avocat :

Le Prado

TA Orléans, du 4 oct. 2018

4 octobre 2018

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Charente-Maritime a demandé au Tribunal administratif d'Orléans de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours à lui verser la somme de 11 895,84 euros en remboursement des frais qu'elle a exposés pour le compte de son assuré, M. E... D..., et la somme de 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

L'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a demandé au même tribunal de condamner solidairement le CHRU de Tours et son assureur, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), à lui rembourser la somme de 23 070,39 euros, montant de l'indemnité transactionnelle qu'il a versée à M. D... en réparation de ses préjudices, la somme de 700 euros au titre des frais d'expertise et une pénalité de 3 460,55 euros en application des dispositions du cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du Code de la santé publique.

Par un jugement n° 1700475, 1701434 du 4 octobre 2018, le Tribunal administratif d'Orléans a condamné solidairement le CHRU de Tours et la SHAM à verser à l'ONIAM la somme totale de 22 700 euros et le CHRU de Tours à verser à la CPAM de la Charente-Maritime la somme de 11 895,84 euros, ainsi que 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 10 décembre 2018, 14 janvier et

1er mars 2019 et 14 janvier 2020 le CHRU de Tours et la SHAM, représentés par Me F..., demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif d'Orléans du 4 octobre 2018 ;

2°) de rejeter les conclusions présentées devant le Tribunal administratif d'Orléans par la CPAM de la Charente-Maritime et l'ONIAM ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner la société Science et Médecine à les garantir des condamnations prononcées à leur encontre au profit de l'ONIAM et de la CPAM de la

Charente-Maritime ;

4°) de rejeter les conclusions d'appel incident présentées par l'ONIAM ;

5°) de mettre à la charge de la société Science et Médecine la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le recours de la CPAM de la Charente-Maritime n'était pas tardif ;

- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, la prothèse défectueuse, qui est à l'origine du dommage, a bien été fabriquée par la société Science et Médecine ; leur appel en garantie doit donc être accueilli ;

- à titre subsidiaire, les préjudices de M. D... ont été surévalués.

Par un mémoire enregistré le 22 octobre 2019 la CPAM de la Charente-Maritime, représentée par Me A..., conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge du CHRU de Tours la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le CHRU de Tours ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 31 décembre 2019 l'ONIAM, représenté par Me B..., conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à la réformation du jugement du Tribunal administratif d'Orléans du 4 octobre 2018 en tant qu'il n'a pas fait intégralement droit à sa demande de première instance ;

3°) à ce que soit mise à la charge solidaire du CHRU de Tours et de la SHAM la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges n'ont pas condamné solidairement le CHRU de Tours et la SHAM à lui verser une pénalité au titre des dispositions de l'article L. 1142-15 du Code de la santé publique ;

- les premiers juges ont insuffisamment évalué les sommes qui lui sont dues au titre de l'assistance par une tierce personne, du déficit fonctionnel temporaire et du déficit fonctionnel permanent, qui devront être respectivement portées à 4 798,39 euros, 2 580 euros et 10 492 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 85/374/CEE du Conseil du 25 juillet 1985, relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres en matière de responsabilité du fait des produits défectueux ;

- le Code civil ;

- le Code des relations entre le public et l'administration ;

- le Code de la santé publique ;

- le Code de la sécurité sociale ;

- l'arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du Code de la sécurité sociale pour l'année 2020 ;

- le Code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- les conclusions de M. Gauthier, rapporteur public,

- les observations de Me H..., représentant le CHRU de Tours et la SHAM, et de Me G..., représentant la CPAM de la Charente-Maritime.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., né le 20 octobre 1934, a été admis au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Tours du 31 mars au 15 avril 2010 pour le remplacement d'une prothèse de la hanche droite. L'opération a eu lieu le 1er avril 2010. Quelques mois après cette intervention, il a ressenti de violentes douleurs. Des examens radiographiques ont révélé la rupture de l'implant fémoral. M. D... a été hospitalisé du 15 au 24 décembre 2010 pour le remplacement de ce matériel. Il a saisi la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) du Centre, qui a confié une expertise à un chirurgien orthopédique et traumatologique, lequel a rendu son rapport le 25 avril 2012. Au vu de ce rapport, la CCI a, dans un avis du 31 mai 2012, estimé que la complication subie par M. D... était due à un défaut de conception du matériel implanté le 1er avril 2010 et que son préjudice devait être pris en charge par le CHRU de Tours. La SHAM, assureur du centre hospitalier, ayant refusé d'indemniser M. D..., l'ONIAM a versé à ce dernier la somme totale de 23 070,39 euros en application de protocoles d'indemnisation transactionnelle signés les 30 septembre 2014 et 15 juillet 2016. L'ONIAM a demandé au Tribunal administratif d'Orléans le remboursement de cette somme par le CHRU de Tours et la SHAM. La CPAM de la Charente-Maritime, par un recours distinct, a sollicité du même tribunal le remboursement, par l'établissement hospitalier, des débours qu'elle a exposés pour M. D.... Par un jugement du 4 octobre 2018, le Tribunal administratif d'Orléans a condamné solidairement le CHRU de Tours et la SHAM à verser à l'ONIAM la somme de 22 700 euros et le CHRU de Tours seul à verser à la CPAM de la Charente-Maritime la somme de 11 895,84 euros, ainsi que 1 066 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion. Le CHRU de Tours et la SHAM relèvent appel de ce jugement. L'ONIAM demande, par la voie de l'appel incident, la majoration des sommes qui lui ont été accordées en première instance.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Contrairement à ce que soutiennent le CHRU de Tours et la SHAM sans plus de précisions, les termes du jugement attaqué ne révèlent aucune insuffisance de motivation.

Sur la recevabilité de la demande de la CPAM de Charente-Maritime devant le Tribunal administratif d'Orléans :

3. Il est constant que le silence gardé par le CHRU de Tours sur la réclamation préalable que lui a adressée la CPAM de la Charente-Maritime, par le courrier du 10 octobre 2016 reçu le 12 octobre suivant, a fait naître une décision implicite de rejet le 12 décembre 2016. Le centre hospitalier n'a pas accusé réception de cette réclamation préalable, rendant ainsi inopposable le délai de recours contentieux de deux mois prévu par les dispositions de l'article R. 421-2 du Code de justice administrative. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté la fin de non-recevoir opposée par le CHRU de Tours et la SHAM, tirée de la tardiveté de la demande de la CPAM de la Charente-Maritime.

Sur la responsabilité du CHRU de Tours :

4. Le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils de santé qu'il utilise, y compris lorsqu'il implante, au cours de la prestation de soins, un produit défectueux dans le corps d'un patient.

5. Il résulte de l'instruction, en particulier des conclusions de l'expert désigné par la CCI du Centre, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que la rupture de la tige longue fémorale implantée chez M. D... le 1er avril 2010 n'est pas imputable à une faute opératoire mais à un défaut de conception ou de fabrication de ce matériel. Sans préjudice d'un éventuel appel en garantie contre le fabricant de ce matériel, cette défaillance engage donc la responsabilité du CHRU de Tours.

Sur les droits de l'ONIAM :

6. Aux termes de l'article L. 1142-15 du Code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré ou la couverture d'assurance prévue à l'article L. 1142-2 est épuisée ou expirée, l'office institué à l'article L. 1142-22 est substitué à l'assureur. (...) L'office est subrogé, à concurrence des sommes versées, dans les droits de la victime contre la personne responsable du dommage ou, le cas échéant, son assureur ou le fonds institué à l'article L. 426-1 du même Code. Il peut en outre obtenir remboursement des frais d'expertise ".

En ce qui concerne le remboursement des sommes versées à M. D... :

7. Il résulte de l'instruction qu'en application des dispositions du Code de la santé publique rappelées au point précédent, l'ONIAM a versé à M. D... une somme totale de 23 070,39 euros, dont 2 580 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 3 600 euros au titre des souffrances endurées, 1 600 euros au titre du préjudice esthétique permanent, 4 798,39 euros au titre du besoin en assistance par une tierce personne et 10 492 euros au titre du déficit fonctionnel permanent.

8. Sur la base d'un besoin fixé à une heure par jour, durée admise par les parties, d'une période indemnisable de 334 jours courant du 1er août 2010 au 1er juillet 2010, d'un taux horaire moyen de rémunération tenant compte des charges patronales et des majorations de rémunération pour travail du dimanche fixé à 12,63 euros et d'une année de 412 jours (coefficient 1,128) pour tenir compte des congés payés et des jours fériés, le préjudice de M. D... au titre de son besoin en assistance par une tierce personne s'élève à la somme de 4 758,40 euros (1 x 334 x 12,63 x 1,128). Il y a donc lieu de réformer sur ce point le jugement attaqué, qui n'a accordé que 4 200 euros à l'ONIAM.

9. L'expert a évalué le déficit fonctionnel temporaire subi par M. D... à 100% du 15 au 24 décembre 2010 et à 50% du 1er août au 14 décembre 2010 et du 25 décembre 2010 au 1er juillet 2011. Le préjudice de M. D... a été correctement évalué par les premiers juges à la somme de 2 200 euros, qui doit donc être confirmée.

10. Le déficit fonctionnel permanent de M. D... a été évalué à 10% par l'expert. La somme de 10 400 euros allouée à l'ONIAM par les premiers juges est suffisante et doit donc être confirmée.

11. Les montants de 3 600 euros et de 1 600 euros accordés à l'ONIAM par le Tribunal administratif d'Orléans au titre des souffrances endurées et du préjudice esthétique permanent ne sont pas sérieusement contestés par le CHRU de Tours et la SHAM. Il y donc lieu de les confirmer.

S'agissant des frais de l'expertise amiable :

12. En vertu des dispositions rappelées au point 6, l'ONIAM a droit au remboursement de la somme de 700 euros qu'il a exposée au titre des frais de l'expertise réalisée à la demande de la CCI.

S'agissant de la pénalité prévue à l'article L. 1142-15 du Code de la santé publique :

13. Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 1142-15 du Code de la santé publique : " En cas de silence ou de refus explicite de la part de l'assureur de faire une offre, ou lorsque le responsable des dommages n'est pas assuré, le juge, saisi dans le cadre de la subrogation, condamne, le cas échéant, l'assureur ou le responsable à verser à l'office une somme au plus égale à 15 % de l'indemnité qu'il alloue. ".

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions précitées et de mettre une pénalité à la charge de la SHAM.

15. Il résulte de ce qui précède que la somme de 22 700 euros que le Tribunal administratif d'Orléans a condamné le CHRU de Tours et la SHAM à verser à l'ONIAM doit être portée à 23 258,40 euros.

Sur les droits de la CPAM de la Charente-Maritime :

16. Les parties ne contestent pas que la CPAM de la Charente-Maritime a droit à la somme de 11 895,84 euros en remboursement de ses débours. Il y a donc lieu de confirmer le jugement attaqué sur ce point.

Sur l'appel en garantie formé par le CHRU de Tours et la SHAM :

Aux termes de l'article 1386-1 du Code civil repris à l'article 1245 : " Le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime ". Aux termes de l'article 1386-2 du même Code repris à l'article 1245-1 : " Les dispositions du présent titre s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne ou à un bien autre que le produit défectueux lui-même ". Aux termes de l'article 1386-4 du même Code repris à l'article 1245-3 : " Un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre ". Enfin, aux termes de l'article 1386-6 repris à l'article 1245-6 : " Est producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première, le fabricant d'une partie composante ".

17. Le CHRU de Tours et la SHAM produisent pour la première fois en appel le compte rendu de l'opération du 1er avril 2010 et la feuille de bloc opératoire, sur lesquels figurent les étiquettes du matériel implanté à M. D... et dont il résulte que ce matériel, en particulier le clou diaphysaire Renaissance de 220 mm défectueux, a été produit et fourni au CHRU par la société Science et Médecine. En vertu des dispositions rappelées au point précédent, il y a donc lieu de condamner cette société à garantir le CHRU de Tours et la SHAM de l'intégralité des condamnations prononcées à leur encontre.

18. Il résulte de ce qui précède que le CHRU de Tours et la SHAM sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Orléans a rejeté leurs conclusions tendant à ce que la société Science et Médecine les garantisse des condamnations prononcées à leur encontre au profit de l'ONIAM et de la CPAM de la Charente-Maritime.

Sur les frais de l'instance :

19. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge du CHRU de Tours et de la SHAM les sommes demandées par l'ONIAM et par la CPAM de la Charente-Maritime au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la société Science et Médecine une somme de 1 500 euros à verser au CHRU de Tours et à la SHAM au même titre.

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 22 700 euros que le Tribunal administratif d'Orléans a condamné le CHRU de Tours et la SHAM à verser à l'ONIAM est portée à 23 258,40 euros.

Article 2 : La société Science et Médecine garantira le CHRU de Tours et la SHAM de la totalité des condamnations prononcées à leur encontre tant par le jugement du Tribunal administratif d'Orléans que par le présent arrêt.

Article 3 : Le jugement n° 1700475, 1701434 du 4 octobre 2018 du Tribunal administratif d'Orléans est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'appel en garantie présentées par le CHRU de Tours et la SHAM à l'encontre de la société Science et Médecine et réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête du CHRU de Tours et de la SHAM, le surplus des conclusions présentées devant la cour par l'ONIAM et les conclusions présentées au titre de l'article L.761-1 du Code de justice administrative par la CPAM de Charente-Maritime sont rejetés.

Article 5 : La société Science et Médecine versera au CHRU de Tours et à la SHAM la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au CHRU de Tours, à la SHAM, à l'ONIAM, à la CPAM de la Charente-Maritime et à la société Science et Médecine.