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Décisions

CA Versailles, 3eme ch., 12 mars 2020, n° 18-05636

VERSAILLES

Arrêt

PARTIES

Défendeur :

Septodont (SAS), Septodont Holding (SAS), Caisse Primaire d'Assurance Maladie des Yvelines

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bou

Conseillers :

Mmes Bazet, Derniaux (rapporteur)

TGI Versailles, du 15 févr. 2018

15 février 2018

FAITS ET PROCÉDURE

Le 3 février 2012, M L. s'est rendu chez le docteur G. pour l'extraction de deux dents (45 et 46) et d'une dent de sagesse (48). Le docteur G. lui avait déjà précédemment extrait les canines.

Les deux premières dents ont été retirées sans difficultés, après une anesthésie tronculaire. Le docteur G. expose avoir voulu compléter l'anesthésie en arrière de la dent 48 restant à extraire. Il s'est aperçu que l'aiguille s'était cassée et qu'un fragment était resté dans les parties molles de la dent. Il a tenté de le récupérer, en vain.

Il a informé M L. de cette situation. Celui-ci a été admis à l'hôpital de la Salpêtrière, accompagné du docteur G.

Après deux consultations les 6 et 10 février 2012, M L. a subi une intervention chirurgicale le 13 février 2012 par le docteur M. à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière. L'intervention a échoué à déloger le corps étranger et M L. a quitté l'hôpital le 14 février 2012 avec un traitement médicamenteux et un rendez-vous 5 jours plus tard.

Le 6 mars 2013, M L. a rencontré le docteur L. à Sartrouville qui lui a donné un nouveau traitement.

Il s'est fait ensuite suivre à l'hôpital René D. à Pontoise où il a subi le 7 octobre 2013 une nouvelle intervention chirurgicale aux fins d'extraction de l'aiguille. Cette nouvelle opération a échoué également.

M L. a assigné le docteur G. et la CPAM des Yvelines devant le Tribunal de grande instance de Versailles afin de voir désigner un expert.

Par ordonnance de référé du 24 juin 2014, le docteur G. a été désigné en qualité d'expert.

Le rapport d'expertise a été déposé le 4 février 2015.

M L. a ensuite assigné M G., la société Septodont Holding et la CPAM des Yvelines devant le Tribunal de grande instance de Versailles afin de voir ordonner une nouvelle mesure d'expertise.

Par jugement du 15 février 2018, le Tribunal de grande instance de Versailles a :

• prononcé la mise hors de cause de la société Septodont Holding,

• pris acte de l'intervention volontaire de la société Septodont,

• prononcé la mise hors de cause de M G.,

• débouté M L. de toutes ses demandes,

• débouté la CPAM des Yvelines de toutes ses demandes,

• débouté les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

• dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire du jugement,

• condamné M L. à payer les dépens comprenant les frais d'expertise.

Par jugement rectificatif du 22 mars 2018, le Tribunal de grande instance de Versailles :

• dit que dans le dispositif du jugement du Tribunal de grande instance de Versailles du 15 février 2018, il convient de remplacer :

" Déboute les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile par :

Condamne M L. à payer à la société Septodont et la société Septodont Holding la somme de 500 euros chacune sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Condamne M L. à payer au docteur G. la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Déboute M L. et la CPAM des Yvelines de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. "

Par acte du 2 août 2018, M L. a interjeté appel de ces décisions et, aux termes de conclusions du 8 décembre 2019, demande à la cour de :

• infirmer les jugements intervenus en toutes leurs dispositions,

• statuant à nouveau :

• débouter le docteur G., les sociétés Septodont et Septodont Holding de l'ensemble de leurs demandes,

• constater, à titre principal, la responsabilité du docteur G. dans le préjudice qu'il a subi,

• dire, à titre subsidiaire, la société Septodont responsable de ce préjudice,

• désigner, avant dire droit, tel expert avec mission de :

• examiner M L. et décrire les lésions imputables à l'accident médical dont il a été victime le 06 février 2012,

• examiner la partie de l'aiguille extraite du maxillaire de M L. et actuellement en sa possession,

• dire si elle était défectueuse,

• préciser les circonstances dans lesquelles l'aiguille s'est fracturée lors des soins du 6 février 2012 dispensés à M L.,

• indiquer les raisons pour lesquelles l'aiguille s'est brisée,

• désigner, si les éléments du dossier le permettent, le producteur de l'aiguille,

• indiquer, après s'être fait communiquer tous documents relatifs aux examens, soins et interventions dont la victime a été l'objet, l'évolution desdites lésions et les traitements appliqués et préciser si celles-ci sont bien en relation directe et certaine avec les faits en cause,

• décrire l'état antérieur et donner un avis sur les antécédents pouvant avoir une incidence sur les lésions ou leurs séquelles,

• donner les éléments permettant de déterminer si les actes réalisés étaient indiqués et si les soins et actes ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science,

• fixer la date de consolidation des blessures

• se prononcer sur les postes de préjudice.

• surseoir à statuer sur les demandes indemnitaires en réparation du préjudice subi dans l'attente du rapport d'expertise,

• dispenser M L., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, de consigner la provision de l'expert,

• réserver les dépens.

Par dernières écritures du 17 janvier 2019, M G. demande à la cour de :

• confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a prononcé sa mise hors de cause

• constater qu'il n'a commis aucune faute dans la prise en charge de M L.,

• prononcer sa mise hors de cause.

A titre subsidiaire :

• désigner de nouveau le docteur G., chirurgien-dentiste, aux frais avancés de l'aide juridictionnelle ou de l'appelant,

En tout état de cause : condamner tout succombant aux dépens de l'instance avec recouvrement direct et condamner M L. à lui payer la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par dernières écritures du 28 janvier 2019, la CPAM des Yvelines demande à la cour de :

• la recevoir en son appel incident,

• l'y déclarer bien fondée et en conséquence :

• infirmer les jugements dont appel en toutes leurs dispositions,

• statuant à nouveau, et faisant droit à la demande d'expertise de M L., lui donner acte de ce qu'elle s'engage à produire l'attestation définitive de ses débours accompagnée de l'attestation d'imputabilité dès que le rapport de l'expert qui sera désigné sera déposé,

• la juger recevable et bien fondée à solliciter par la suite le remboursement de ses débours auprès du tiers qui sera déclaré responsable outre le paiement de l'indemnité forfaitaire de gestion et celle au titre des frais irrépétibles,

• en tout état de cause : réserver en l'état l'indemnité forfaitaire de gestion, les frais irrépétibles et les dépens.

Aux termes de conclusions du 8 janvier 2020, les sociétés Septodont Holding et Septodont demandent à la cour de :

A titre principal, s'agissant de la société Septodont :

• constater que la déclaration d'appel régularisée par M L. le 2 août 2018 ne la vise pas en qualité d'intimée,

• juger que les jugements du Tribunal de grande instance de Versailles des 15 février 2018 et 22 mars 2018 sont définitifs à son égard,

• juger irrecevables l'intégralité des demandes, fins et conclusions de M L. dirigées à son encontre en ce qu'elle se heurtent à la chose jugée.

A titre principal toujours, s'agissant de la société Septodont Holding :

• constater le caractère limité de la déclaration d'appel de M L. en date du 2 août 2018 aux seuls dispositifs des jugements du Tribunal de grande instance de Versailles des 15 février 2018 et 22 mars 2018 visant les sommes allouées en vertu de l'article 700 du Code de procédure civile,

• juger irrecevables les demandes, fins et conclusions de M L. en ce qu'elles excèdent l'objet de sa déclaration d'appel du 2 août 2018,

• débouter M L. du surplus de ses demandes, fins et conclusions ayant trait à sa déclaration d'appel.

A titre subsidiaire, s'agissant tant de la société Septodont, que de la société Septodont Holding :

• confirmer en toutes leurs dispositions les jugements rendus les 15 février 2018 et 22 mars 2018 par le Tribunal de grande instance de Versailles,

• débouter M L. de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions.

A titre infiniment subsidiaire, s'agissant de la société Septodont : désigner tout nouvel expert judiciaire qu'il plaira à la cour aux fins d'accomplir la mission d'expertise sollicitée par l'appelant au contradictoire de la société Septodont.

En tout état de cause :

• débouter la CPAM des Yvelines de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions,

• condamner M L. à leur verser la somme de 2 500 euros chacune au titre des frais irrépétibles exposés par elles, en cause d'appel, sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

• condamner M L. aux entiers dépens de l'instance avec recouvrement direct.

La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2020.

SUR QUOI,

- Sur la procédure

La société Septodont soutient qu'elle n'est pas visée dans la déclaration d'appel de M L. en sorte que les dispositions des jugements entrepris sont définitives à son égard. La société Septodont Holding fait quant à elle valoir que les demandes formées par M L. excèdent les termes de sa déclaration d'appel qui ne portent que sur les dispositions du jugement rectificatif du 22 mars 2018.

Aux termes de l'article 901 du Code de procédure civile la déclaration d'appel est faite par acte contenant, outre les mentions prescrites par l'article 58, et à peine de nullité :

1° La constitution de l'avocat de l'appelant ;

2° L'indication de la décision attaquée ;

3° L'indication de la cour devant laquelle l'appel est porté ;

4° Les chefs du jugement expressément critiqués auxquels l'appel est limité, sauf si l'appel tend à l'annulation du jugement ou si l'objet du litige est indivisible.

Elle est signée par l'avocat constitué. Elle est accompagnée d'une copie de la décision. Elle est remise au greffe et vaut demande d'inscription au rôle.

Par ailleurs, aux termes des dispositions de l'article 930-1 du même code, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, les actes de procédure sont remis à la juridiction par voie électronique.

En l'espèce, il résulte de la déclaration d'appel adressée à la cour le 2 août 2018 à 14h45, par la voie électronique, sous la signature de Maître B., que cet acte concernait toutes les parties présentes en première instance (dont notamment les sociétés Septodont Holding et Septodont) et qu'il portait sur les deux décisions suivantes :

• jugement du Tribunal de grande instance de Versailles du 15 février 2018, en ce qu'il a : " prononcé la mise hors de cause de M G. - Débouté M L. de toutes ses demandes - Débouté les parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile - Condamné M L. à payer les dépens comprenant les frais d'expertise dont distraction ... "

• jugement du 22 mars 2018 en tout son dispositif, expressément repris dans l'acte.

Il résulte de cette déclaration d'appel que les demandes formées par M L. à l'encontre des sociétés Septodont et Septodont Holding sont recevables.

Il s'avère que c'est en réalité le greffe de la cour qui a commis une erreur en retranscrivant l'acte d'appel puisque la retranscription tant des intimés que du contenu de l'appel y était erronée. Or, c'est cette pièce qui a été signifiée par le conseil de M L. aux deux sociétés intimées, en sorte que celles-ci ont été induites en erreur sur sa portée exacte.

Sur le fond

La disposition du jugement qui a mis hors de cause la société Septodont Holding n'est pas critiquée et est donc définitive.

M L. soutient que M G. est responsable de ses préjudices et ce, sur deux fondements :

- la faute : l'expert s'étant fondé essentiellement sur la position de l'aiguille sur les scanners pour affirmer que la rupture ne peut être due à un geste technique inapproprié, alors qu'il ne disposait que de scanners réalisés plusieurs mois après les faits et que l'aiguille avait déjà commencé à migrer, et l'aléa thérapeutique ne pouvant être retenu en l'absence d'impossibilité de maîtriser l'acte médical s'agissant en l'espèce de l'usage d'un produit ;

- sa qualité de fournisseur (article L 1245-6 du Code civil) : M G. a refusé de donner le nom du fournisseur de l'aiguille en cause, il n'a pas conservé ce qui en restait après qu'elle s'est brisée et n'a pas fait de déclaration de fracture de matériel, en sorte qu'il doit répondre du préjudice causé en sa qualité de fournisseur d'un produit défectueux.

Il fait valoir que la société Septodont ne peut se prévaloir de l'aléa thérapeutique pour se dégager de sa responsabilité.

Lorsqu'ils ont recours à des produits de santé pour l'accomplissement d'un acte médical, les professionnels de santé n'engagent leur responsabilité qu'en cas de faute et il appartient au patient de prouver que son dommage est imputable à une telle faute.

En l'espèce, il est constant que M. G. a voulu compléter l'anesthésie en arrière de la dent 48 restant à extraire et qu'il s'est aperçu que l'aiguille s'était cassée avec un fragment resté dans les parties molles de la dent qu'il a tenté de récupérer, en vain.

L'expert a observé en conclusion de son rapport que les soins et actes prodigués par M. le docteur G. ont été " attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science médicale. Il n'y a pas d'éléments permettant de mettre en rapport la fracture d'une partie de l'aiguille avec une éventuelle erreur technique de la part du docteur G. ".

L'expert a relevé par ailleurs que le praticien avait rempli consciencieusement son devoir d'assistance à son patient en lui faisant réaliser les examens complémentaires nécessaires de façon urgente et en l'accompagnant à l'hôpital de La Salpêtrière.

L'expert a précisé que l'examen des coupes des scanners de la face indiquait que l'aiguille s'était fracturée sur son trajet et non au niveau de sa base ce qui était en faveur d'une anomalie du matériel utilisé et donc d'un aléa thérapeutique. Il est inexact de soutenir, comme le fait l'appelant, qu'il s'est appuyé sur des scanners réalisés à une date éloignée de l'intervention litigieuse alors qu'il a expressément cité l'imagerie réalisée le jour de celle-ci, le 3 février 2012, peu après le bris de l'aiguille.

Il résulte de ces éléments que c'est à raison que le tribunal a mis hors de cause M G. dont la responsabilité pour faute ne peut être retenue, M L. ne faisant état d'aucun élément ou moyen nouveau permettant de remettre en cause les conclusions expertales s'agissant de la qualité de la prestation du professionnel de santé.

Il est constant que le reste de l'aiguille, partie supérieure, a été jetée et que M. G. n'a fait aucune déclaration de fracture de matériel.

Par ailleurs, le tribunal a constaté que la facture établie par la société Septodont au nom de M. G. datée du 12 février 2012 ne portait pas sur la vente d'aiguilles et M. L. ne discute pas ce constat.

Il apparaît ainsi que les éléments produits par M. L. sont insuffisants pour démontrer que l'aiguille qui s'est cassée lors de son utilisation le 3 février 2012 provenait de la société Septodont.

L'appelant se prévaut de ce qu'il a en sa possession une partie de l'aiguille cassée qui lui a été retirée suite à une nouvelle intervention chirurgicale intervenue le 17 mars 2015 à l'hôpital de la Pitié Salpêtrière. Il précise que le morceau d'aiguille lui a été remis et demande une expertise afin de déterminer son origine.

Cependant, il convient de relever qu'il ne justifie pas que la seule partie inférieure de l'aiguille puisse permettre de désigner son 'producteur' comme il le demande à l'expert qu'il souhaite voir désigner. Aucun élément ne permet en outre de considérer que le seul examen de l'extrémité de cette aiguille permettrait d'y déceler un défaut.

L'utilité d'une mesure d'expertise n'est donc nullement démontrée par M. L.

Le jugement sera confirmé en ce qu'il a débouté l'intéressé et la CPAM des Yvelines de leurs demandes. Il le sera également s'agissant de ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

Succombant en appel, M L. sera condamné aux dépens y afférents.

Les demandes formées à son encontre au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile seront rejetées pour des considérations d'équité.

Par ces motifs : LA COUR, Déclare recevables les demandes formées par M L. à l'encontre des sociétés Septodont et Septodont Holding ; Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Rejette les demandes formées au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. L. aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.