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Décisions

CA Rennes, 2eme ch., 16 mars 2020, n° 16-08892

RENNES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Beuchat International (SAS)

Défendeur :

Caisse d'Assurance Maladie Electrique et Gazière (CAMIEG), Decathlon France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Christien

Conseillers :

M. Pothier, Mme Barthe-Nari

CA Rennes n° 16-08892

16 mars 2020

EXPOSÉ DU LITIGE

Le 13 août 2011, alors qu'il se livrait à la pêche sous-marine en apnée, M. M. s'est blessé à l'auriculaire droit en armant son harpon fabriqué par la société Beuchat International (la société Beuchat) et vendu deux jours plus tôt dans l'un des magasins exploités par la société Décathlon France (la société Décathlon).

À la suite de cet accident, il a subi une intervention chirurgicale puis a été en arrêt de travail du 14 août 2011 au 22 janvier 2012, du 14 au 16 février 2012, et du 14 au 15 mai 2012.

Prétendant que l'accident était imputable à un défaut du harpon, il a, par actes des 16, 17, 18, 19 et 20 septembre 2013, fait assigner les sociétés Beuchat, sur le fondement principal de la garantie des produits défectueux, et Décathlon, sur le fondement subsidiaire de la garantie des vices cachés de la chose vendue, et fait appeler en déclaration de jugement commun son organisme social, la Caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières (la CAMIEG) et sa mutuelle, la Mutuelle des industries électriques et gazières (la MUTIEG).

Par jugement du 20 septembre 2016, les premiers juges ont :

• jugé la société Beuchat entièrement responsable des conséquences dommageables de l'accident sur le fondement de la garantie des produits défectueux,

• avant-dire-droit, ordonné une expertise médicale confiée à M. B. à l'effet d'évaluer le préjudice corporel de M. M.,

• condamné la société Beuchat au paiement d'une provision de 2 000 euros,

• déclaré le jugement commun à la MUTIEG,

• débouté la CAMIEG de ses demandes en ce qu'elles sont dirigées contre la société Décathlon,

• condamné M. M. et la CAMIEG au paiement à la société Décathlon d'une indemnité de 1 200 euros chacune en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

• condamné M. M. au paiement des dépens afférents à la mise en cause de la société décathlon,

• ordonné l'excrétion provisoire,

• réservé le surplus des dépens ainsi que les autres demandes des parties.

Contestant sa responsabilité, la société Beuchat a relevé appel de cette décision le 22 novembre 2016, pour demander à la cour de :

• débouter M. M. de ses demandes,

• subsidiairement, limiter sa responsabilité,

• en tout état de cause, condamner tout succombant au paiement d'une indemnité de 2 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Ayant formé appel incident, M. M. demande à la cour de :

• à titre principal, confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré la société Beuchat responsable de l'accident et ordonné une expertise médicale,

• à titre subsidiaire, déclarer la société Décathlon responsable au titre de la garantie des vices cachés,

• porter le montant de sa provision à 3 000 euros,

• débouter la société Décathlon de sa demande d'application de l'article 700 du Code de procédure civile,

• condamner la société Beuchat ou, à défaut, la société Décathlon au paiement d'une indemnité 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La CAMIEG a également formé appel incident, pour demander à la cour de :

• déclarer ensemble les sociétés Beuchat et Décathlon responsables de l'accident,

• confirmer la désignation d'un médecin expert,

• débouter la société Décathlon de sa demande d'application de l'article 700 du Code de procédure civile,

• dire que sa créance provisoire s'élève à 10 458,41 euros,

• réserver sa demande en paiement d'indemnité forfaitaire de gestion,

• condamner les sociétés Beuchat et Décathlon au paiement d'une indemnité de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens d'appel.

La société Décathlon demande quant à elle à la cour de :

• à titre principal, confirmer du jugement attaqué,

• à titre subsidiaire, déclarer l'action en garantie des vices cachés irrecevable comme prescrite,

• dire qu'il existe une contestation sérieuse s'opposant à l'allocation d'une provision,

• à titre très subsidiaire, condamner la société Beuchat à garantir la société Décathlon des condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre,

• en tout état de cause, condamner tout succombant au paiement d'une indemnité de 6 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

La MUTIEG n'a pas constitué avocat devant la cour.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision attaquée ainsi qu'aux dernières conclusions déposées pour la société Beuchat le 5 novembre 2019, pour M. M. le 20 mars 2017, pour la CAMIEG le 17 mai 2017 et pour la société Décathlon le 22 mai 2017.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Pour obtenir la réparation de son préjudice, M. M. agit à titre principal contre la société Beuchat, fabricant du harpon incriminé, sur le fondement de la garantie des produits défectueux, et, à titre subsidiaire, contre la société Décathlon, sur le fondement de la garantie des vices cachés de la chose vendue.

Pour obtenir le remboursement de ses débours, la CAMIEG sollicite quant à elle la condamnation in solidum des sociétés Beuchat et Décathlon, sans préciser le fondement de son action mais en déclarant se joindre à l'argumentation de M. M. sur la question des responsabilités.

Quel que soit le fondement invoqué, il résulte des articles 1386-9, devenu 1245-8, et 1641 du Code civil qu'il incombe à M. M. de rapporter la preuve du défaut affectant le harpon.

Pour ce faire, celui-ci produit le rapport de M. M., expert extrajudiciaire commis par l'assureur de protection juridique de la victime, duquel il ressort que l'encoche de la flèche est légèrement déformée, que, du fait de la forme du débit de cette encoche, l'obus articulé ne s'y trouve que faiblement engagé, et que le mode d'emploi du matériel ne préconisait pas pour sa manipulation le port de gants, alors que ceux-ci auraient été de nature à limiter la gravité de la blessure subie.

Cependant, la société Beuchat produit de son côté le rapport de M. B., expert mandaté par son assureur de responsabilité ayant assisté aux opérations d'expertise de M. M., duquel il ressort qu'il n'a été constaté aucun défaut de sécurité du matériel, les simulations d'utilisation du harpon ayant démontré que l'obus ne se décrochait pas de la flèche même en cas de chocs répétés, et que l'accident ne trouve son origine que dans une utilisation anormale du harpon imputable à la victime, alors pourtant que le matériel était livré avec une plaque prescrivant de ne l'armer que dans l'eau et en activant la sécurité ainsi qu'avec une notice mettant en garde sur la nécessité de vérifier la bonne installation de l'obus sur la flèche.

Il est de principe que le juge ne peut fonder exclusivement sa décision sur l'avis d'un expert extrajudiciaire sans que celui-ci soit corroboré par d'autres éléments de preuve.

Or, M. M., qui ne sollicite pas d'expertise technique judiciaire dans le dispositif de ses conclusions qui, seul, saisi la cour en application de l'article 954 du Code de procédure civile, se borne à produire le rapport de l'expert commis par son propre assureur, alors que l'avis de M. M., loin d'être corroboré par d'autres éléments du dossier, est au contraire contredit par l'expert commis par l'assureur de la société Beuchat.

Il ne peut donc être tenu pour établi que le matériel souffrait d'un défaut de conception, ni même que la flèche avait subi une déformation antérieure à la vente.

De même, le seul avis non corroboré de M. M. ne saurait suffire à établir le fait que le mode d'emploi du matériel présentait des insuffisances en lien causal avec le dommage.

Au surplus, rien ne démontre que les consignes de précaution fournies par le fabricant n'étaient pas suffisantes et que la notice d'emploi, remise aux utilisateurs d'une arme de chasse sous-marine mise en œuvre dans le cadre de la pratique sportive de la plongée, auraient dû spécifiquement conseiller le port de gants.

Il convient donc d'infirmer le jugement attaqué en toutes ses dispositions et de débouter M. M. et la CAMIEG de leurs demandes.

Statuant à nouveau sur l'ensemble des frais irrépétibles de première instance et d'appel, la cour allouera aux sociétés Beuchat et Décathlon une indemnité globale de 2 000 euros chacune en application de l'article 700 du Code de procédure civile, dont M. M. supportera la charge exclusive.

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement rendu le 20 septembre 2016 en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau sur l'entier litige, Déboute M. M. et la Caisse d'assurance maladie des industries électriques et gazières de leurs demandes ; Condamne M. M. à payer à la société Beuchat International et à la société Décathlon France une somme de 2 000 euros chacune en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. M. aux dépens de première instance et d'appel ; Rejette toutes autres demandes contraires ou plus amples.