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Décisions

CA Orléans, ch. com. économique et financière, 19 mars 2020, n° 19-00656

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Société Nouvelle Prolitol (SAS)

Défendeur :

Vigifonds (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Caillard

Conseillers :

Mmes Chenot (rapporteur), Michel

T. com. Blois, 23 nov. 2018

23 novembre 2018

EXPOSE DU LITIGE :

A la fin de l'été 2015, la SAS Société nouvelle Prolitol (la société Prolitol), qui exerce une activité de tôlerie industrielle à Romorantin-Lanthenay (41), a contacté la SARL Vigifonds, à Nouméa, dans le but de lui acheter pour l'un de ses clients deux véhicules Toyota d'occasion, l'un pour le Bénin, l'autre pour la Cote d'Ivoire, ce dans un budget de 55'000'euros.

Après une série d'échanges par courriels, la société Vigifonds a adressé le 13 octobre 2015 une proposition à la société Prolitol, sous la forme d'une facture pro forma portant sur la fourniture en l'état de deux véhicules Toyota Land Cruiser HZJ79 blindés d'occasion, au prix de 54 000 euros payable à hauteur de 50 % à " la mise à FOB " (dédouanement), à hauteur 30 % au départ du bateau et à hauteur de 20 % à la réception des véhicules lors du dépotage du conteneur.

La société Prolitol a accepté sans réserve cette proposition, réglé 80 % du prix de vente et les deux véhicules ont été livrés le 19 janvier 2016.

En réponse à un courriel de relance par lequel elle lui réclamait le solde du prix, la société Prolitol a indiqué à la société Vigifonds, le 18 novembre 2016, qu'elle n'entendait pas la régler, aux motifs que les véhicules étaient arrivés délabrés et qu'elle avait dû effectuer d'importants travaux pour les remettre en état.

Après l'avoir vainement mise en demeure de lui régler le solde du prix, par courrier recommandé du 9 janvier 2017, la société Vigifonds a fait assigner la société Prolitol en paiement devant le tribunal de commerce de Blois par acte du 7 mars 2017.

Par jugement du 23 novembre 2018, retenant que la société Prolitol n'établissait pas la réalité des vices cachés qu'elle invoquait pour s'opposer au paiement et solliciter la condamnation de la venderesse à lui régler une somme de 15 400 euros HT au titre du coût de remise en état des deux véhicules, le tribunal a :

-débouté la SAS société nouvelle Prolitol de l'ensemble de ses demandes,

-condamne la SAS société nouvelle Prolitol à payer à la SARL Vigifonds la somme de 10 800 euros correspondant au solde dû sur le prix de vente des véhicules, augmenté des intérêts de droit à compter de la date de mise en demeure,

-condamné la SAS société nouvelle Prolitol à payer à la SARL Vigifonds une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

-dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

-condamné la SAS société nouvelle Prolitol aux entiers dépens

La société Prolitol a relevé appel de cette décision par déclaration en date du 15 février 2019, en critiquant expressément tous les chefs du jugement en cause.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 28 mai 2019, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses moyens, la société Prolitol demande à la cour, au visa des articles 1641 et suivants du Code civil, de :

-infirmer en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Blois en date du 23 novembre 2018

Et statuant à nouveau,

>à titre principal,

-dire et juger que les deux véhicules Toyota Land Cruiser HZJ79 vendus par la société Vigifonds suivant facture du 13 octobre 2015 étaient atteints de vices cachés au jour de la vente

-dire et juger que la société Prolitol est en droit de solliciter une réduction du prix de vente et cela pour un montant de 15 400 € HT, soit le coût des travaux nécessaires pour remédier aux vices

-dire et juger qu'après compensation avec la créance de la société Vigifonds, cette dernière demeure débitrice de la société Prolitol pour un montant de 4 600 €

-condamner la société Vigifonds à payer à la société Prolitol la somme de 4 600 €

-débouter la société Vigifonds de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

>à titre subsidiaire,

-dire et juger que la société Vigifonds a manqué à son obligation de délivrance conforme au titre de la vente des deux véhicules Toyota Land Cruiser HZJ79

-dire et juger que la société Vigifonds est tenue d'indemniser la société Prolitol de tous ses préjudices

-dire et juger que le préjudice subi par la société Prolitol correspond au coût des travaux nécessaires pour remédier aux désordres constatés sur les véhicules soit un montant de 15 400 € HT

-dire et juger qu'après compensation avec la créance de la société Vigifonds, cette dernière demeure débitrice de la société Prolitol pour un montant de 4 600 €

-condamner la société Vigifonds à payer à la société Prolitol la somme de 4 600 €

-débouter la société Vigifonds de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions

>en tout état de cause,

-condamner la société Vigifonds au paiement d'une somme de 3 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

-condamner Vigifonds aux entiers dépens de première instance et d'appel

Au soutien de ses prétentions, la société Prolitol, qui commence par rappeler qu'elle n'a pu examiner ni essayer avant la vente les véhicules qui se trouvaient à Nouméa, et qu'elle s'est fiée aux documents qui lui ont été communiqués par la société Vigifonds pendant leurs pourparlers, c'est-à-dire les cartes grises des deux véhicules et les photographies qui lui ont été transmises par courriels le 23 septembre 2015, assure que ces clichés photographiques donnaient l'apparence de véhicules en bon état, alors que les véhicules qui lui ont été livrés étaient délabrés et impropres à leur destination, comme l'établissent selon elle les factures des travaux qui ont été entrepris pour les remettre en état et les photographies qu'elle verse aux débats.

Elle souligne que les véhicules litigieux ne sont pas très anciens et que les désordres constatés (oxydation de la peinture, disparition de joints, habillage intérieur déchiré, pare-brise impacté, coulissement de portes arrachés, feux explosés) ne sont pas de ceux qui pouvaient être attendus comme étant liés à une usure normale pour des véhicules de sept ans.

Elle en déduit être en droit de solliciter une réduction du prix à hauteur d'une somme de 15 400 € correspondant au coût des travaux auxquels elle a dû faire procéder pour remédier aux vices.

A titre subsidiaire, la société Prolitol soutient qu'en lui livrant un véhicule affecté de désordres qui ne sont pas de ceux qui pouvaient être attendus comme consécutifs à l'usure normale de véhicules de sept ans, sans l'alerter de l'existence de ces désordres, la société Vigifonds a manqué à son obligation de délivrance conforme et engage sa responsabilité à son égard en application des articles 1604 et suivants du Code civil.

Elle en déduit que l'intimée devra être condamnée à lui régler, à titre de dommages et intérêts, la somme de 15 400 euros soit, après compensation avec sa créance de 10 800 euros, la somme de 4 600 euros.

Dans ses dernières conclusions notifiées le 26 juillet 2019, auxquelles il est pareillement renvoyé pour l'exposé détaillé de ses moyens, la société Vigifonds demande à la cour, au visa des articles 1134 ancien et 1641 du Code civil, de :

-rejeter toutes les demandes fins et conclusions de la société Prolitol

-confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de commerce de Blois

Y ajoutant :

-condamner la société Prolitol à lui payer la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

-condamner la société Prolitol aux entiers dépens que Me Gaelle D. pourra recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile

La société Vigifonds indique pour commencer que l'appelante ne peut lui reprocher de lui avoir adressé des photographies trompeuses, alors que les clichés montraient que les véhicules présentaient des usures liées à leur ancienneté de sept ans, aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur, et que cela n'avait pas échappé à l'intéressée, qui ne conteste pas avoir relevé que les pare-chocs avant des véhicules étaient fortement endommagés.

L'intimée souligne ensuite que la société Prolitol, qui n'a émis aucune réserve à la livraison des véhicules qu'elle a accepté d'acheter " en l'état ", qui ne produit pas le moindre constat et qui n'a protesté que dix mois après la livraison des véhicules, lorsqu'elle l'a relancée pour obtenir paiement du solde, n'apporte aucune preuve des vices cachés dont elle soutient qu'ils affecteraient les deux véhicules vendus, qui présentent des signes d'usure qui étaient apparents et qui sont normaux compte tenu de leur âge et des conditions dans lesquelles ils ont été utilisés pendant sept ans sur le réseau routier de Nouvelle Calédonie.

La société Vigifonds relève que les factures de travaux, datés de novembre 2016, émanent d'une société qui fait partie du même groupe que la société Prolitol et sont strictement identiques pour chacun des deux véhicules, ce dont elle déduit qu'aucune force probante ne peut leur être attachée.

La société Vigifonds sollicite en conséquence, par confirmation du jugement critiqué, la condamnation de l'appelante, en application de l'article 1134 ancien du Code civil, à lui régler le solde du prix.

L'instruction a été clôturée par ordonnance du 7 novembre 2019.

L'affaire, qui devait initialement être plaidée à l'audience du 19 décembre 2019, a été renvoyée à l'audience du 30 janvier 2020 à la demande des conseils des parties.

SUR CE, LA COUR :

En application de l'article 1603 du Code civil, le vendeur est tenu de deux obligations principales, celle de délivrer une chose conforme à sa destination contractuelle et celle de garantir la chose qu'il vend, notamment contre les vices cachés qui la rendent impropre à la destination à laquelle elle est destinée.

Il est acquis, d'une part que les notions de délivrance conforme et de garantie des vices cachés sont distinctes et exclusives l'une de l'autre ; d'autre part que le défaut de conformité s'entend par référence aux stipulations du contrat tandis que le vice caché s'apprécie, non pas selon la destination contractuelle de la chose vendue, mais de manière abstraite, c'est-à-dire selon la destination normale de la chose.

Sauf à méconnaître le principe de non-option entre la garantie spécifique des vices cachés et la responsabilité commune pour manquement du vendeur à l'obligation de délivrance, l'appelante ne peut, pour un même défaut, fonder à la fois son action sur la garantie des articles 1641 et suivants et la non-conformité de l'article 1604.

Au cas particulier, il n'est pas contesté que, selon facture pro forma du 13 octobre 2015, la société Vigifonds s'est engagée à vendre à la société Prolitol, au prix de 54'000'euros, " en l'état ", deux véhicules " Toyota Land Cruiser HZJ79 blindés Centigon d'occasion portant les n° de châssis JTFLB71JX88015357 et JTFLB71JX88015355 ".

La société Prolitol ne se plaint pas d'avoir reçu des véhicules dont les caractéristiques ne seraient pas conformes aux stipulations du contrat de vente, qui ne comporte aucune autre précision que celles qui viennent d'être rapportées, mais soutient que les deux véhicules livrés présenteraient des défauts qui ne sont pas de ceux qu'un acheteur peut normalement attendre de véhicules de sept ans d'âge.

L'appelante ne se plaint donc pas de ce que la société Vigifonds lui aurait livré des véhicules non-conformes aux spécifications convenues, mais de ce que l'intimée lui aurait livré des véhicules non-conformes à leur destination normale.

Son action ne peut donc être reçue sur le fondement de l'article 1604 du Code civil, mais seulement sur celui, exclusif, des articles 1641 et suivants du même Code relatifs à la garantie des vices cachés.

Selon l'article 1641, le vendeur est tenu, ainsi qu'il a déjà été dit, de garantir l'acheteur contre les vices cachés qui rendent la chose vendue impropre à sa destination.

Concernant l'achat de véhicules d'occasion, il doit être rappelé que l'acheteur d'une chose d'occasion doit faire preuve d'une vigilance accrue et procéder ou faire procéder à des vérifications approfondies, qu'il ne peut s'attendre à retirer de la chose les même qualités que si elle était neuve et que les défauts qui ne sont dus qu'à la vétusté et à l'usure normale de la chose, que l'acheteur est réputé avoir acceptés en faisant l'acquisition d'un bien d'occasion, sont exclusifs de la garantie légale.

En l'espèce, la société Prolitol, à qui il incombe de démontrer, d'une part l'existence des défauts cachés qu'elle invoque, d'autre part la diminution portée à l'usage des véhicules en cause, ne produit ni constat d'huissier, ni expertise amiable, mais seulement des clichés photographiques non datés et deux factures dont elle déduit que les véhicules auraient été livrés dans un état déplorable.

Alors qu'elle a acquis des véhicules dont elle ne pouvait ignorer qu'ils avaient été mis en circulation à Nouméa plus de sept ans avec leur vente, qu'ils y avaient été utilisés à des fins professionnelles, qu'ils avaient respectivement parcouru au jour de leur vente 173 100 et 231'000 kilomètres, dans des conditions météorologiques et sur des voies de circulation difficiles, et que les photographies communiquées par la venderesse montraient, non seulement des traces d'usure sur les pare-chocs dont l'appelante a tiré parti pour négocier le prix, mais également des traces de corrosion et d'usure des équipements intérieurs, notamment des déchirures sur les sièges, la société Prolitol, qui a accepté d'acheter les véhicules "'en l'état'", sans s'enquérir de renseignements complémentaires, qui a pris livraison de ces véhicules sans aucune réserve, qui ne justifie ni même n'allègue que les véhicules ne seraient pas en état de circuler normalement, et qui s'est plaint, neuf mois après la vente, de défauts qui étaient tous décelables par un acheteur normalement vigilant, dont elle n'établit d'aucune manière qu'ils ne sont pas seulement liés à la vétusté des véhicules en cause, ne peut sérieusement soutenir que les défauts dont s'agit relèvent de la garantie prévue aux articles 1641 du Code civil.

Dès lors que la société Prolitol ne conteste pas ne pas avoir réglé le solde du prix, et n'apporte la preuve d'aucun fait libératoire, la décision des premiers juges sera confirmée.

La société Prolitol, qui succombe au sens de l'article 696 du Code de procédure civile, devra supporter les dépens de l'instance et régler à la société Vigifonds, à qui il serait inéquitable de laisser la charge de la totalité de ses frais irrépétibles, une indemnité de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme en tous ses chefs critiqués la décision entreprise ; Y ajoutant, Condamne la SAS Société nouvelle Prolitol à payer à la SARL Vigifonds la somme de 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SAS Société nouvelle Prolitol aux dépens ; Accorde à Maître Gaelle D. le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.