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Décisions

ADLC, 20 février 2020, n° 20-DCC-26

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

relative à la prise de contrôle conjoint de la société Satar par les sociétés Inseco et Stef

ADLC n° 20-DCC-26

20 février 2020

L'Autorité de la concurrence,

Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 20 janvier 2020, relatif à la prise de contrôle conjoint de la société Satar par les sociétés Inseco et Stef, formalisée par un protocole de cession de la société Satar en date du 17 décembre 2019 entre les sociétés Hermes Investissement et Prim@ever et un protocole d'investissement du 17 décembre 2019 entre la société Satar Investissement, la société Prim@ever, la société Hermes Investissement, les sociétés associées Satar et la société Stef SA ;

Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-7 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Adopte la décision suivante :

I. Les entreprises concernées et l'opération

1. La SAS Satar et ses filiales (ci-après, le " groupe Satar "), sont actives dans le secteur du transport routier, en particulier dans la filière des fruits et légumes. Le groupe Satar propose des prestations de transport à l'échelle nationale et européenne.

2. Préalablement à l'opération, la SAS Satar est contrôlée par Hermes Investissement, à hauteur de 99,67 %, elle-même contrôlée par la société Inseco. L'essentiel de l'activité d'Inseco est réalisé par sa filiale Satar.

3. La société Stef SA et ses filiales (ci-après, le " groupe Stef "), sont principalement actives dans le domaine du transport de marchandises sous température dirigée et dans des services logistiques frais et grand froid.

4. L'opération notifiée est constituée de trois opérations interdépendantes permettant à Prim@ever, détenu conjointement par Inseco et Stef, de prendre le contrôle du groupe Satar, détenu exclusivement par Inseco avant l'opération. En effet, 100 % des actions de SAS Satar détenues actuellement par Hermes Investissement seront cédées à la société Prim@ever.

5. En ce qu'elle se traduit par la prise de contrôle conjoint de la société SAS Satar par les sociétés Inseco et Stef, l'opération notifiée constitue une concentration au sens de l'article L. 430-1 du code de commerce.

6. Les entreprises concernées réalisent ensemble un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 150 millions d'euros (Inseco : 239,5 millions d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2018 ; groupe Stef : 3255,1 millions d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2018 ; groupe Satar : [= 150 millions] d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2018). Chacune de ces entreprises réalise, en France, un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros (Inseco : [=50 millions] d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2018 ; groupe Stef : [= 50 millions] d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2018 ; groupe Satar : [= 50 millions] d'euros pour l'exercice clos au 31 décembre 2018). Compte tenu de ces chiffres d'affaires, l'opération ne revêt pas une dimension européenne. En revanche, les seuils de contrôle mentionnés au I de l'article L. 430-2 du code de commerce sont franchis. La présente opération est donc soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce, relatives à la concentration économique.

II. Délimitation du marché pertinent

7. Les parties sont simultanément présentes sur le marché du transport routier de marchandises sous température dirigée(1). Les parties sont en outre présentes, de manière marginale(2), sur le marché du transport routier de produits industriels.

A. LE MARCHÉ DU TRANSPORT ROUTIER DE MARCHANDISES SOUS TEMPÉRATURE DIRIGÉE

8. La pratique décisionnelle considère que les différents modes de transport de marchandises ne sont généralement pas substituables entre eux(3). En effet, le choix d'un mode de transport est contraint par certains facteurs, tels que l'emplacement géographique du client ou la nature des biens transportés. En outre, chaque mode de transport présente des caractéristiques spécifiques liées, notamment, aux structures de coûts et à la durée du transport. Ainsi, les autorités de concurrence opèrent une distinction entre le transport aérien, le transport maritime et le transport terrestre de marchandises, lui-même sous-segmenté selon le mode de transport : train, route, voie navigable et pipeline(4).

9. S'agissant du transport routier de marchandises, plusieurs segmentations ont été envisagées selon (i) le caractère domestique ou transfrontalier du transport(5), (ii) le type de produits transportés(6) (les marchés du transport de matières dangereuses(7) et de marchandises sous température dirigée(8) ont été considérés comme des marchés spécifiques), (iii) le type d'offres proposées (transport dédié, transport par camions complets, transport par lot ou groupes de lots, et transport par messagerie)(9), et (iv) le mode de conditionnement (transport de marchandises conditionnées, transport de marchandises en vrac)(10).

10. En l'espèce, l'opération emporte un chevauchement d'activité sur le marché du transport routier de marchandises sous température dirigée qui se caractérise par une demande constituée d'industriels agro-alimentaires (IAA), de professionnels de la restauration hors foyer (RHF), des grandes et moyennes surfaces (GMS) et de grossistes qui ne possèdent pas leur propre flotte de camions pour la livraison de leurs produits frais et grand froid.

11. La pratique décisionnelle a envisagé une segmentation de ce marché selon les catégories de produits transportés : (i) fruits et légumes, (ii) produits carnés, (iii) produits laitiers, (iv) produits de marée, (v) produits congelés et surgelés et (vi) autres produits(11).

12. En revanche, la pratique décisionnelle a considéré qu'il n'était pas pertinent de retenir une segmentation entre les prestations de transport de produits " grand froid "(12) et les prestations de transport de produits frais sous température dirigée positive car ces deux types de transport font appel à des équipements similaires, capables de produire du froid positif comme du froid négatif(13). En effet, la flotte des opérateurs de transport de marchandises sous température dirigée est constituée de camions multi-températures pouvant être équipés de cloisons séparant des compartiments maintenus à température différentes.

13. La question de la délimitation exacte des marchés peut toutefois être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse concurrentielle demeurant inchangées quelles que soient les délimitations retenues.

B. LE MARCHÉ GÉOGRAPHIQUE

14. La pratique décisionnelle considère que les marchés du transport routier de marchandises et leurs éventuels segments revêtent généralement une dimension nationale malgré une tendance à l'européanisation(14).

15. Il n'y a pas lieu de remettre en cause cette délimitation à l'occasion de la présente opération.

III. Analyse concurrentielle

A. EFFETS HORIZONTAUX

16. Sur le marché du transport routier de marchandises sous température dirigée, les parties estiment leur part de marché à [20-30] % avec une addition de part de marché estimé à [0-5] %.

17. Les principaux concurrents identifiés par les parties notifiantes sont, sur ce marché, STG ([0-5] % de part de marché) et FM Logistic ([0-5] % de part de marché). Le marché est, par ailleurs, très dispersé, avec plus d'une vingtaine d'opérateurs disposant chacun de parts de marchés situées entre 1 % et 4 %.

18. Dans la mesure où la cible de l'opération n'est active que de manière très limitée sur ce marché ([0-5] % de part de marché) et que les parties restent confrontées à la concurrence de nombreux acteurs, l'opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur ce marché par le biais d'effets horizontaux.

19. Si l'on retient une segmentation spécifique au transport routier de marchandises sous température dirigée de fruits et légumes, les parties estiment leur part de marché à [20-30] %. Le groupe Satar, cible de l'opération, détient à lui seul une part de marché de [5-10] % sur ce segment de marché. S'agissant des acquéreurs, Prim@ever détient une part de marché de [10-20] % et le groupe Stef de [0-5] %. À l'instar du marché du transport de transport routier de marchandises sous température dirigée, celui segmenté aux fruits et légumes est caractérisé par un important éclatement des opérateurs qui, pour une dizaine d'entre eux, détiennent une part de marché située entre 1 % et 5 %.

20. Les parties notifiantes apportent des précisions relatives au fonctionnement du marché faisant apparaître l'important contrepouvoir des clients. Tout d'abord, elles mettent en avant le fait que les principaux clients sur ce marché sont la grande distribution, de grands groupes agroalimentaires et de grossistes importants qui disposent d'un fort pouvoir d'achat et de négociation à l'égard des prestataires de transport. Ensuite, les parties soulignent le fait que la demande relativement concentrée rencontre une offre assez éparpillée et caractérisée par une multitude d'acteurs de taille modeste. Enfin, elles indiquent que les contrats à long terme sont rares dans le secteur : les clients sont, en effet, nombreux à mettre en concurrence les différents opérateurs au travers d'appel d'offres. En outre, les clients sont parfaitement en mesure de diviser l'ensemble de leur demande en différents lots, ce qui a pour conséquence que des capacités importantes de transport ne confèrent pas nécessairement d'avantage concurrentiel important.

21. Les parties mettent également en avant le fait qu'il existe sur ce marché peu de barrières à l'entrée, ce qui s'illustre notamment par l'important nombre d'acteurs viables de petite taille qui le composent, souvent indépendants et à structure familiale, ou encore par l'existence du phénomène de " cabotage " (affrètement occasionnel de transporteurs étrangers pour des transports domestiques).

22. Compte tenu de ces éléments et dans la mesure où l'acquéreur Stef n'est en outre actif que de manière très limitée sur ce segment de marché ([0-5] % de part de marché) et que les parties restent confrontées à la concurrence de nombreux acteurs, l'opération envisagée n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur ce marché par le biais d'effets horizontaux.

23. Compte tenu de ces éléments, la présente opération n'est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence sur les marchés du transport routier de marchandises sous température dirigée par le biais d'effets horizontaux.

B. EFFETS CONGLOMÉRAUX

24. Une concentration a des effets congloméraux lorsque la nouvelle entité étend ou renforce sa présence sur plusieurs marchés dont la connexité peut lui permettre d'accroître son pouvoir de marché. En règle générale, de tels effets sont analysés lorsqu'une opération de concentration étend ou renforce la présence d'une nouvelle entité sur plusieurs marchés distincts mais qui sont considérés comme connexes. Ces effets peuvent également être analysés lorsque le renforcement de la position d'une nouvelle entité prend place sur un même marché, mais qu'il s'agit d'un marché de produits suffisamment différenciés pour que d'une part, un effet de levier puisse être exercé à partir de l'un d'entre eux et que, d'autre part, les mêmes clients achètent régulièrement plus d'un produit au sein de cette gamme de produits. Si les concentrations conglomérales peuvent généralement susciter des synergies pro-concurrentielles, certaines peuvent néanmoins produire des effets restrictifs de concurrence lorsqu'elles permettent de lier, techniquement ou commercialement, les ventes ou les achats des éléments constitutifs du regroupement de façon à verrouiller le marché et à en évincer les concurrents.

25. À l'issue de l'opération, la nouvelle entité pourrait décider de lier, au sein d'une même offre commerciale, la fourniture de services de transport routier de marchandises sous température dirigée pour la livraison de produits frais et grand froid, marché sur lequel le groupe Stef est le premier acteur du marché, et la fourniture de services de transport routier de marchandises sous température dirigée pour la livraison de produits frais et grand froid de type fruits et légumes, segment sur lequel Prim@ever est le premier acteur du marché, afin de verrouiller le marché aux concurrents des parties.

26. La pratique décisionnelle des autorités de concurrence considère en principe qu'un risque d'effet congloméral peut être écarté dès lors que la part de l'entité issue de l'opération sur les marchés concernés ne dépasse pas 30 %.

27. En l'espèce, la part de marché du groupe Satar sur le marché du transport routier de marchandises sous température dirigée restera, à l'issue de l'opération, inférieure à 30 %, quelle que soit la segmentation retenue. En conséquence, l'opération n'est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais d'effets congloméraux sur les marchés connexes à celui-ci.

DÉCIDE

Article unique : L'opération notifiée sous le numéro 19-345 est autorisée.

NOTES :

1 Par ailleurs, Stef est présente sur le marché des services logistiques frais, mais ni la cible, ni Prim@ever ne le sont.

2 La part de marché cumulée des parties est ici estimée à [0-5] %.

3 Voir notamment les décisions de la Commission européenne n° COMP/M.5096 RCA / MAV Cargo du 25 novembre 2008, et de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-13 du 16 juin 2009 relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Giraud CEE et Giraud Sidérurgie par la société Geodis et n° 11-DCC-79 du 16 mai 2011 relative à la prise de contrôle conjoint de Transcosatal Finances par les sociétés Satar, Chabas et STEF-TFE Transport.

4 Voir notamment la décision de la Commission européenne n° COMP/M.4746 Deutsche Bahn / EWS du 6 novembre 2007.

5 Voir la décision n° 09-DCC-13 précitée.

6 Voir les lettres du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n° C2004-85 du 2 septembre 2004 relative à une concentration dans le secteur des transports routiers de produits pétroliers, n° C2005-116 du 9 décembre 2005 relative à une concentration dans le secteur du transport routier de marchandises sous température dirigée et n° C2005-36 du 6 janvier 2006 au conseil de la société STEF-TFE, relative à une concentration dans le secteur de l'entreposage frigorifique, et la décision de l'Autorité de la concurrence n° 11-DCC-33 du 24 février 2011 relative à la prise de contrôle exclusif de la société SAS Transports Roger et Cie et du fonds de commerce de la société Renaud Distribution par la société Transport G Gautier.

7 Voir la lettre n° C2004-85 et la décision n° COMP/M.6059 précitées.

8 Voir les lettres n° C2005-36 et n° C2005-116 précitées.

9 Voir notamment les lettres du ministre de l'économie n° C2007-70 du 4 juillet 2007 au Président Directeur Général de la société Transalliance SA, relative à une concentration dans le secteur des transports routiers de marchandises et n° C2006-130 du 7 décembre 2006 Butler Capital Partners / Sernam, et les décisions de l'Autorité de la concurrence n° 09-DCC-74 du 14 décembre 2009 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Lovefrance SAS par la société Groupe Berto et n° 11-DCC-206 du 27 décembre 2011 relative à la prise de contrôle exclusif d'actifs du groupe Mory par la société Caravelle.

10 Voir la décision n° 09-DCC-13 précitée et la lettre du ministre de l'économie n° C2005-110 en date du 29 novembre 2005 relative à une concentration dans les secteurs du transport routier de marchandises et de la logistique.

11 Voir notamment la décision n° 11-DCC-79 précitée.

12 Les produits " grand froid " sont les produits conservés sous température dirigée négative : les produits congelés, les produits surgelés et les crèmes glacées.

13 Voir la lettre n° C2005-36 précitée.

14 Voir notamment les décisions n° COMP/M.6059, n° 09-DCC-13 et n° 11-DCC-79 précitées.