CA Versailles, 3e ch., 30 avril 2020, n° 18-08829
VERSAILLES
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Chubb European Group (SE), Go Sport France (SAS)
Défendeur :
Planet'fun (SAS), Mach 1 (SAS), RATP (Sté), CCAS RATP, Mutuelle du Personnel de la RATP
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Bou
Conseillers :
Mmes Bazet, Derniaux
FAITS ET PROCÉDURE
Le 11 avril 2013, M. Gilbert D., né le 6 septembre 1968, a acheté un vélo de marque Spego dans un magasin Go Sport situé à Orgeval.
Le 11 juillet 2013, alors qu'il circulait sur ce vélo, la roue avant de celui-ci s'est cassée provoquant la chute de M. D..
A la suite de cet accident, M. D. a présenté une fracture de la diaphyse radiale droite nécessitant une opération chirurgicale, associée à une luxation de la tête cubitale.
Une expertise amiable du vélo a été diligentée, à la demande de l'assureur de M.D., la Maif, confiée au cabinet Creativ'Expertiz, qui a conclu à un défaut de la jante du vélo.
Une expertise médicale amiable a par ailleurs été conduite par le docteur B. à la demande de la Maif. Le rapport a été déposé le 15 janvier 2015.
Par actes des 8 et 12 septembre 2016, M.D. a assigné devant le tribunal de grande instance de Versailles la société Go Sport et son assureur, la société Ace Europe, ainsi que le régime spécial de la RATP, son organisme social, en réparation de son préjudice.
Par actes en date du 4 avril 2017, la société Go Sport et la société Ace European Group ont assigné en garantie la société Mach 1, fabricant de la jante du vélo, et la société Planet'Fun, fournisseur du vélo auprès de la société Go Sport.
Les instances ont été jointes par ordonnance du 4 juillet 2017.
Par conclusions du 23 février 2017, la Régie autonome des transports parisiens (RATP), employeur de M. D., et la mutuelle du Personnel de la RATP, sont intervenues volontairement à l'instance.
Par jugement du 29 novembre 2018, le tribunal a :
- rejeté la fin de non-recevoir soulevée par la société Planet'Fun,
- donné acte à la caisse de coordination aux assurances sociales de la RATP (régime spécial de la RATP), la régie autonome des transports parisiens et la mutuelle du personnel de la RATP qu'elles interviennent dans le cadre de l'instance en leur qualité respective d'organisme spécial de sécurité sociale, d'employeur et de mutuelle de M D.,
- condamné in solidum la société Go Sport et la société Ace European Group Limited à verser à M. D. la somme de 14 647 euros en réparation de son préjudice corporel, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- ordonné la capitalisation des intérêts dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du Code civil,
- condamné in solidum les sociétés Go Sport et Ace European Group Limited à verser à la caisse de coordination aux assurances sociales de la RATP la somme de 16 531,13 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- condamné in solidum les sociétés Go Sport et Ace European Group Limited à verser à la régie autonome des transports parisiens la somme de 5 243,40 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- condamné in solidum la société Go Sport et la société Ace European Group Limited à verser à la mutuelle du personnel de la RATP la somme de 844,83 euros, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- débouté la société Go Sport et la société Ace European Group Limited de leurs demandes en garantie formées à l'encontre des sociétés Planet'Fun et Mach 1,
- rejeté la demande d'expertise technique du vélo,
- condamné in solidum la société Go Sport et son assureur, la société Ace European Group Limited à verser la somme de 3 500 euros à M. D., celle de 1 500 euros à la régie autonome des transports parisiens, celle de 1 500 euros à la société Planet'Fun et celle de 1 500 euros à la société Mach 1 en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné in solidum la société Go Sport et son assureur, la société Ace European Group Limited, aux dépens,
- déclaré le jugement commun à la caisse de coordination aux assurances sociales de la RATP (régime spécial de la RATP),
- ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par acte du 28 décembre 2018, la société Chubb European Group, nouvelle dénomination de la société Ace European Group Limited et la société Go Sport France ont interjeté appel et demandent à la cour, par dernières écritures du 3 janvier 2020, de :
A titre principal :
- juger que l'action intentée par M. D. à l'encontre de la société Go Sport et son assureur, la société Chubb European Group, sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux est irrecevable en raison de la connaissance par M. D. de l'identité du producteur de la jante litigieuse, à savoir la société Mach 1,
En conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Go Sport et de la société
Chubb European Group,
Statuant à nouveau :
- déclarer irrecevable l'action intentée par M D. à leur encontre,
- déclarer irrecevables les demandes formulées par la RATP à leur encontre,
A titre subsidiaire : dans l'hypothèse où le 'tribunal' considérerait que l'action intentée par M D. serait recevable :
- juger que le rapport d'expertise amiable du cabinet Créativ'Expertiz du 27 décembre 2013 est parfaitement opposable à la société Mach 1 et à la société Planet'Fun,
- juger que le préjudice subi par M. D. résulte exclusivement d'un manquement fautif de la société Mach 1 qui a livré une jante défectueuse,
- déclarer recevable et bien fondé l'appel en garantie diligenté par la société Go Sport et son assureur, la société Chubb European Group, à l'encontre de la société Mach 1 et de la société Planet'Fun,
En conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société Go Sport et a condamné la société Go Sport et la société Chubb European Group,
Statuant à nouveau,
- condamner solidairement la société Mach 1 et la société Planet Fun à garantir et relever indemnes la société Go Sport et la société Chubb European Group de toutes condamnations prononcées à leur encontre en toutes fins qu'elles comportent.
A titre infiniment subsidiaire : dans l'hypothèse où la cour confirmerait le jugement en ce qu'il a déclaré le rapport d'expertise technique non contradictoire inopposable aux sociétés Planet'Fun et Mach 1 :
- juger que le rapport d'expertise médical non contradictoire est inopposable à la société Go Sport et à son assureur, la société Chubb European Group,
- juger que les créances alléguées par les assurances sociales de la RATP, la RATP et la mutuelle du personnel de la RATP ne sont pas justifiées tant dans leur existence que dans leur quantum,
En conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Chubb European Group et la société Go Sport à régler à M. D. la somme de 14 647 euros, au titre de son préjudice corporel,
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Go Sport et la société Chubb European Group au paiement de la somme de 16 531,13 euros au titre de la créance des assurances sociales de la RATP, de la somme de 5 243,40 euros au titre de la créance de l'employeur, la RATP, de la somme de 844,83 euros au titre de la créance de la mutuelle du personnel de la RATP,
Statuant à nouveau,
- débouter M. D. de l'ensemble de ses demandes formulées à leur encontre,
- débouter les assurances sociales de la RATP, la RATP et la mutuelle du personnel de la RATP de l'ensemble de leurs demandes,
A titre très infiniment subsidiaire : dans l'hypothèse où le " tribunal " entrerait en voie de condamnation à l'encontre de la société Go Sport et son assureur, la société Chubb European Group :
- juger que l'évaluation du préjudice de M D. retenue par le jugement est manifestement surévaluée au regard de la jurisprudence applicable,
- juger que les créances alléguées par les assurances sociales de la RATP, la RATP et la mutuelle du personnel de la RATP ne sont pas justifiées tant dans leur existence que dans leur quantum,
- juger que la société Mach 1 en sa qualité de fabricant de la jante défectueuse est seule responsable vis-à-vis de M. D.,
En conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il a évalué le poste de préjudice " souffrances endurées " à 5 000 euros et le poste de " préjudice esthétique permanent " à la somme de 1 000 euros,
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Go Sport et la société Chubb European Group au paiement de la somme de 16 531,13 euros au titre de la créance des assurances sociales de la RATP, de la somme de 5 243,40 euros au titre de la créance de l'employeur, la RATP, de la somme de 844,83 euros au titre de la créance de la mutuelle du personnel de la RATP,
- infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Go Sport et la société Chubb European Group de leur appel en garantie à l'encontre de la société Mach 1,
Statuant à nouveau,
- fixer l'indemnisation des préjudices de M. D. de la façon suivante :
souffrances endurées : 3 000 euros,
préjudice esthétique permanent : 500 euros.
- condamner la société Mach 1 à garantir et relever indemnes la société Go Sport et la société Chubb European Group de toutes condamnations prononcées à leur encontre en toutes fins qu'elles comportent,
- débouter les assurances sociales de la RATP, la RATP et la mutuelle du personnel de la RATP de l'ensemble de leurs demandes en toutes fins qu'elles comportent.
A titre " très très infiniment subsidiaire " : dans l'hypothèse où la cour venait à considérer que la responsabilité de la société Go Sport serait engagée :
- juger que la société Mach 1 est responsable, en sa qualité de fabricant de la jante litigieuse, du dommage subi par M. D.,
En conséquence,
- infirmer le jugement en ce qu'il a retenu exclusivement la responsabilité de la société Go Sport et a condamné la société Go Sport et la société Chubb European Group,
Statuant à nouveau,
- prononcer un partage de responsabilité à parts égales entre la société Mach 1 et la société Go Sport,
En tout état de cause,
- infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la société Go Sport et la société Chubb European Group à verser les sommes de 3 500 euros à M. D., 1 500 euros à la société Mach 1, 1 500 euros à la société Planet'Fun et 1 500 euros à la RATP au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- déclarer irrecevable la demande de condamnation formulée par la RATP pour la première fois en cause d'appel tendant à la condamnation de la société Go Sport et de la société Chubb European Group à la somme de 1 055 euros,
- débouter M. D. de son appel incident,
- condamner M. D., ou tout succombant, au paiement de la somme de 5 000 euros, à la société Go Sport France d'une part et à la société Chubb European Group d'autre part, au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner M. D., ou tout succombant, en tous les dépens.
Par dernières écritures du 25 juin 2019, M. D. demande à la cour de :
A titre principal :
- le juger recevable et bien-fondé en ses demandes, fins et prétentions et y faisant droit,
- débouter les sociétés Go Sport et Chubb European Group de l'ensemble de leurs demandes, fins et prétentions formées à son encontre
- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :
Limité l'indemnisation de son préjudice corporel à la somme de 14 647 euros,
Dit que les intérêts sur le montant des condamnations ne courraient qu'à compter du prononcé du jugement,
Statuant à nouveau,
- évaluer son préjudice à 19 008,75 euros, se décomposant de la manière suivante :
8 000 euros en réparation des souffrances endurées de 3,5/7,
1 808,75 euros en réparation du déficit fonctionnel temporaire,
7 200 euros en réparation du déficit fonctionnel permanent,
2 000 euros en réparation du préjudice esthétique permanent,
- condamner in solidum les sociétés Go Sport et Chubb European Group, anciennement dénommée Ace European Group Limited, et/ou toutes personnes qui seraient jugées responsables de l'accident à lui payer une somme de 19 008,75 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice corporel, outre les intérêts courus et à courir à compter du 12 septembre 2016 et jusqu'à parfait paiement,
- ordonner la capitalisation des intérêts à compter du 12 septembre 2016, conformément aux articles 1154 et suivants du Code civil.
- confirmer le jugement rendu pour le surplus,
Y ajoutant,
- condamner in solidum les sociétés Go Sport et Chubb European Group, ou toutes parties succombant, à lui payer une somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamner in solidum les sociétés Go Sport et Chubb European Group, ou toutes parties succombant, aux entiers dépens, avec recouvrement direct.
A titre subsidiaire, si la cour devait considérer comme insuffisamment probant le rapport d'expertise médicale du docteur B. :
- désigner tel expert, médecin spécialisé en matière de réparation du préjudice corporel,
- renvoyer cette affaire afin qu'il soit statué sur la liquidation des intérêts civils.
Par dernières écritures du 24 avril 2019, la société RATP, la Caisse de coordination aux assurances sociales et la mutuelle du personnel de la RATP demandent à la cour de :
- confirmer la décision entreprise,
- donner acte à la RATP qu'elle agit dans la présente instance en sa triple qualité d'organisme spécial de sécurité sociale, d'employeur et de mutuelle de M. D.,
- condamner solidairement les appelantes à réparer les conséquences préjudiciables de l'accident survenu à M D.,
- les condamner solidairement à verser à la RATP en sa triple qualité d'organisme de sécurité sociale, d'employeur et de mutuelle, la somme de 22 619,36 euros, y ajoutant, celle de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion soit la somme totale de 23 764,36 euros,
- condamner solidairement les appelantes au paiement des intérêts de droit qui auront pour point de départ la première demande,
- les condamner à verser la somme de 3 000 euros, pour l'ensemble des concluantes, en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par dernières écritures du 16 juin 2019, la société Planet'Fun demande à la cour de :
- déclarer la société Go Sport et la société Chubb European Group mal fondées en leur appel,
- les en débouter, ainsi que de toutes leur demandes, fins et conclusions,
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
Y ajoutant,
- condamner la société Go Sport in solidum avec son assureur au paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens.
Par dernières écritures du 24 juillet 2019, la société Mach One demande à la cour de :
- débouter les sociétés Go Sport et la société Chubb European Group anciennement dénommée Ace European Group Limited de toutes leurs demandes, fins et conclusions en cause d'appel,
- confirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise,
- condamner in solidum la société Go Sport france et la société Chubb European Group au paiement d'une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La cour renvoie aux écritures des parties en application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile pour un exposé complet de leur argumentation.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2020.
SUR QUOI, LA COUR
Sur le rejet de la fin de non-recevoir
Le tribunal a tout d'abord rejeté la fin de non-recevoir opposée par la société Planet'Fun, tirée du non-respect du principe selon lequel nul ne peut se contredire au détriment d'autrui. La cour observe que si, dans le corps de ses conclusions, la société Planet'Fun réaffirme l'atteinte supposée à ce principe, elle n'en tire aucune conséquence puisqu'elle demande, dans son dispositif, qui seul lie la cour, la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Ce rejet sera en conséquence confirmé.
Sur la recevabilité des demandes dirigées contre la société Go Sport France et son assureur
Le tribunal a jugé que le rapport d'expertise amiable mettait en évidence que le vélo acheté par M. D. était défectueux, des lors que l'expert avait constaté que sur les deux goujons d'assemblage de la jante avant, un goujon semblait décentré, élément créant une fragilité dans la jante avant.
Le tribunal a jugé qu'en application des dispositions des articles 1245-10 et 1245-5 du Code civil, la société Go Sport France devait être assimilée au producteur puisqu'elle avait apposé sur le vélo vendu à M. D. la marque Spego associée à son enseigne, que sa responsabilité dans la survenance de la chute de M. D. était engagée et qu'elle était tenue d'en réparer les conséquences dommageables, in solidum avec son assureur.
La société Go Sport France fait valoir, avec son assureur, que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, elle n'a pas apposé sa marque sur le vélo litigieux, de sorte qu'elle ne peut être assimilée à un producteur en application de l'article 1245-5 du Code civil.
La société Go Sport France soutient que sa responsabilité ne peut être recherchée par M. D. sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux dès lors que l'identité du producteur du produit défectueux, soit la société Mach 1, était connue de ce dernier - et ce dès le rapport de l'expert mandaté par son propre assureur - l'article 1245-6 du Code civil n'instituant la responsabilité subsidiaire du distributeur que dans l'hypothèse où le producteur ne serait pas identifié. Elle considère que l'action dirigée à son encontre est donc irrecevable.
M. D. observe que la marque Spego est enregistrée au nom de la société Go Sport France, laquelle a vendu le vélo dans ses magasins, sous un contrat de vente libellé à son nom et ayant émis une facture à son en-tête. Il ajoute que le fait que la société Go Sport France sous- traite la réalisation de certaines pièces des vélos qu'elle produit sans que l'identité de ces sous-traitants ne soit portée à la connaissance du consommateur ne permet pas à ce dernier de douter du fait que la société Go Sport France n'est pas le producteur du vélo, de sorte qu'il y a lieu de faire application de l'article 1386-6 du Code civil.
La société Mach 1 fait valoir que la société Go Sport France a vendu à M. D. un vélo en émettant une facture à son nom, sans qu'aucune réserve ne soit mentionnée sur le prétendu fait qu'elle ne serait pas le producteur du vélo et qu'elle ne pouvait être assimilée à ce dernier. Elle ajoute qu'il est fallacieux pour la société Go Sport France d'alléguer que M. D. avait connaissance de ce que la société Mach 1 était le producteur.
La société Planet'Fun ainsi que la société RATP, la Caisse de coordination aux assurances sociales et la mutuelle du personnel de la RATP ne développent pas d'observation particulière sur la recevabilité des demandes formées contre la société Go Sport France.
Aux termes de l'ancien article 1386-4 du Code civil, (devenu l'article 1245-3) un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Par application de l'ancien article 1386-1 du même Code, (devenu l'article 1245), le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. L'ancien article 1386-6 dispose qu'est assimilé à un producteur toute personne agissant à titre professionnel qui se présente comme producteur en apposant sur le produit son nom, sa marque ou un autre signe distinctif.
Il est constant que la société Go Sport France a vendu à M.D., le 11 avril 2013, un vélo " Spego 115 ". M. D. verse aux débats deux pièces, à propos desquelles la société Go Sport France est particulièrement taisante :
- une notice de la marque Spego, citant comme source l'OMPI (organisation mondiale de la propriété intellectuelle) qui mentionne que le déposant est le groupe Go Sport,
- un extrait du Bulletin officiel de la propriété intellectuelle 98/16 sur lequel est mentionné un dépôt du 3 mars 1998 par Go Sport du nom de Spego.
C'est donc à bon droit que le tribunal a jugé que la société Go Sport France avait apposé sur le vélo litigieux le nom Spego qui est associé à son enseigne de sorte que les dispositions susvisées sont applicables.
La société Go Sport France ne peut par ailleurs valablement soutenir que M. D. devait assigner la société Mach 1 au motif qu'il avait connaissance de l'identité du producteur de la jante avant l'introduction de l'instance alors que l'avis de l'expert, qui au demeurant désignait également la société Go Sport France comme responsable, ne lui permettait pas de savoir avec la certitude requise que la société Mach 1 était le producteur de la jante litigieuse.
Les demandes formées par M. D. à l'encontre de la société Go Sport France et de son assureur sont donc parfaitement recevables.
Sur les responsabilités encourues
Il sera tout d'abord observé que la société Go Sport France et son assureur ne contestent pas que le rapport du cabinet Créativ' Expertiz du 27 décembre 2013 leur est opposable. Étaient présents à la réunion d'expertise M. H., responsable atelier du magasin Go Sport d'Orgeval, et M. B. mandaté par ACE Europe, ancienne dénomination de la société Chubb European Group.
M. B., du cabinet Creativ'Expertiz, indique que la jante avant présente une cassure à l'opposé de la valve de gonflage, juste à l'endroit de l'assemblage de la jante maintenue par deux goujons. Le pneumatique monté sur la jante lui semble en bon état et ne présente aucune trace de choc. Il n'est par ailleurs pas constaté de desserrage important sur les rayons. L'expert conclut que sur les deux goujons d'assemblage de la jante avant, un goujon semble décentré, élément créant une fragilité dans cette jante. Cet élément semble pour l'expert la cause de la torsion de la jante puis de sa rupture.
S'il est exact que l'expert emploie des termes non péremptoires, cet élément n'est pas de nature à remettre en cause ses conclusions, étant observé que la société Go Sport France n'a suggéré à l'expert aucune autre cause possible de la rupture de la jante.
Il y a lieu de juger en conséquence que le défaut affectant le vélo acquis par M. D. auprès de la société Go Sport France est à l'origine de sa chute, dont la réalité n'est par ailleurs pas contestée.
La société Mach 1 fait valoir que le rapport d'expertise ne lui est pas opposable dès lors qu'elle n'a pas participé aux opérations d'expertise.
Si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il est de principe qu'il ne peut, pour prononcer des condamnations à l'encontre d'une partie, se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée non contradictoirement à son égard.
Force est de constater que le rapport du cabinet Créativ'Expertiz est la seule pièce sur laquelle se fonde la société Go Sport France pour demander à la cour que la société Mach 1 soit jugée responsable du dommage subi par M. D. ou qu'un partage de responsabilité entre elles soit ordonné.
Il est également de principe qu'une partie est en droit d'invoquer les éléments de preuve contenus dans une expertise versée aux débats par une autre partie et qui ne lui est pas opposable. La société Planet'Fun est donc fondée à faire valoir que le rapport du cabinet Créativ'Expertiz ne met en évidence aucun manquement qui lui serait imputable en lien avec les dommages subis par M. D..
Les demandes formées par la société Go Sport France et son assureur à l'encontre de la société Mach 1 et de la société Planet'Fun ont en conséquence à bon droit été rejetées par le tribunal.
Sur les préjudices subis par M. D.
Les appelantes soutiennent que dans l'hypothèse où le rapport d'expertise technique serait déclaré inopposable aux sociétés Planet'Fun et Mach 1, il y aura lieu de juger que le rapport d'expertise médical, non contradictoire, est inopposable à la société Go Sport France et son assureur, affirmant que le tribunal a à tort réservé un traitement différent aux deux rapports.
Ainsi qu'il a été rappelé, si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l'une des parties.
Or, M. D. ne verse pas aux débats le seul rapport d'expertise établi par le docteur B. mais également le compte- rendu de son hospitalisation à l'hôpital de Mantes La Jolie, le compte-rendu du scanner des articulations sterno-claviculaires ainsi qu'un certificat médical du 12 novembre 2013, outre les attestations de sa compagne et du père de celle-ci, tous deux présents lors de l'accident, qui décrivent les blessures initiales subies et évoquent l'arrêt de travail de l'intéressé.
Il y a donc lieu de juger que la cour dispose des éléments suffisants pour procéder à la liquidation des préjudices subis par M. D..
La date de consolidation fixée au 17 septembre 2014, alors que M. D. était âgé de 46 ans, n'est pas discutée.
* les dépenses de santé
Il n'est formé aucune demande par M. D. à ce titre et celles formées par la société RATP, la caisse de coordination aux assurances sociales et la mutuelle du personnel de la RATP seront examinées ultérieurement.
* le déficit fonctionnel permanent
Il est de 5 %, et le tribunal l'a indemnisé à hauteur de 7 200 euros, montant non contesté par les parties, qui sera donc confirmé.
* le déficit fonctionnel temporaire
Le tribunal a indemnisé ce poste de préjudice par l'allocation de la somme de 1 447 euros, en retenant un montant journalier de 20 euros.
Les parties ne contestent pas le nombre de jours durant lesquels ce préjudice doit être indemnisé pas plus que le taux de déficit évalué par M. B.. Ne les oppose que le montant du taux journalier, dont les appelantes acceptent qu'il soit fixé à 20 euros tandis que M. D. voudrait le voir porté à 25 euros.
Le taux journalier sera fixé à 23 euros.
M. D. est ainsi fondé à demander en indemnisation de ce préjudice la somme de 1 664,05 euros se décomposant comme suit :
- déficit fonctionnel temporaire total du 14 au 16 juillet 2013 et le 3 septembre 2014 : 23 euros x 4 jours = 92 euros,
- déficit fonctionnel temporaire 50 % du 17 juillet au 20 août 2013 : 23 euros x 34 jours x 50 % = 391 euros,
- déficit fonctionnel temporaire 25 % du 21 août au 12 novembre 2013 : 23 euros x 83 jours x 25 % = 477,25 euros,
- déficit fonctionnel temporaire 10 % du 13 novembre 2013 au 2 septembre 2014 et du 4 au 17 septembre 2014 : 23 euros x 306 jours x 10 % = 703,80 euros
Et le jugement sera infirmé de ce chef.
* les souffrances endurées
Le tribunal les a indemnisées par l'allocation de la somme de 5 000 euros, qui correspond, à la lecture du jugement, à la somme demandée par M. D., lequel devant la cour voudrait la voir portée à 8 000 euros, les appelantes en sollicitant sa réduction à 3 000 euros.
Les souffrances endurées ont été évaluées par M. B. à 3,5 sur 7. Les pièces produites par M. D. et citées précédemment permettent de retenir que celui-ci a souffert d'une fracture de la diaphyse radiale droite associée à une luxation de la tête cubitale. Quarante séances de rééducation ont été nécessaires et il a été procédé à l'ablation du matériel d'ostéosynthèse en septembre 2014.
Les souffrances endurées ont été justement indemnisées par le tribunal et le jugement sera confirmé de ce chef.
* le préjudice esthétique permanent
Il n'est pas contesté que ce préjudice réside dans une cicatrice opératoire verticale de 17 cm de long sur 5 à 10 mm de large sur la face antérieure de l'avant-bras droit. M. B. a évalué ce préjudice à 1 sur une échelle allant de 1 à 7.
Le tribunal a fait une exacte évaluation de ce préjudice en l'indemnisant à hauteur de 1 000 euros, observation étant faite que les appelantes et l'intimé ne démontrent pas en quoi elle serait excessive ou insuffisante. Le jugement sera confirmé de ce chef.
Le tribunal ayant alloué à M. D. en indemnisation de ses préjudices corporels une somme globale, le jugement doit être infirmé de ce chef.
* le préjudice matériel
M. D. indique ne plus former de demande à ce titre, laquelle avait été rejetée par le tribunal, disposition qui sera donc confirmée.
Sur les demandes formées par la société RATP, la caisse de coordination aux assurances sociales et la mutuelle du personnel de la RATP
Pour s'opposer à ces demandes, les appelantes soutiennent que les créances alléguées ne sont pas justifiées tant dans leur existence que dans leur quantum et qu'aucun justificatif n'avait été produit devant le tribunal.
Toutefois la cour observe que le dispositif de leurs conclusions tel que rapporté par le jugement entrepris ne contient aucune demande relative aux prétentions de la société RATP, de la caisse de coordination aux assurances sociales et de la mutuelle du personnel de la RATP et que le tribunal a indiqué que les sommes demandées par ces dernières ne faisaient l'objet d'aucune contestation. Devant la cour, ces dernières versent les attestations de prise en charge des salaires, des charges patronales, des frais médicaux et d'hospitalisation. Il sera au surplus observé que M. D. ne forme aucune demande en rapport avec des dépenses de santé qui seraient restées à charge et des pertes de gains professionnels.
La RATP agit en qualité d'organisme spécial de sécurité sociale et est fondée à exercer le recours prévu à l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale en vue du recouvrement des prestations qu'elle a exposées. Elle justifie avoir versé à M. D. les sommes suivantes :
* maintien des salaires
du 14 juillet au 12 novembre 2013 : 8 738, 81 euros
du 3 septembre au 17 septembre 2014 : 1 574, 52 euros
* frais médicaux, pharmaceutiques : 2 701 euros
* hospitalisations : 3 516, 80 euros
soit au total la somme de 16 531,13 euros .
La demande que forme la RATP tendant à la condamnation de la société Go Sport France et de son assureur à lui payer la somme de 1 055 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire de gestion prévue par les dispositions de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale sera déclarée recevable et accueillie. Contrairement à ce qui est soutenu par les appelantes, il ne s'agit pas là d'une demande nouvelle, la RATP pouvant former cette demande devant le tribunal - ce qu'elle n'a pas fait - puis devant la cour, étant observé que cette demande échappe en tout état de cause à la prohibition des demandes nouvelles car elle est l'accessoire des prétentions soumises au tribunal au sens de l'article 566 du Code de procédure civile.
La RATP est par ailleurs bien fondée, en sa qualité d'employeur, à se prévaloir des dispositions de l'article 32 de la loi du 5 juillet 1985 et à demander le remboursement des charges patronales afférentes aux rémunérations maintenues à M. D. pendant l'indisponibilité de celui-ci sans contrepartie de travail, soit la somme de 5 243, 40 euros qu'elle a payée du 14 juillet au 12 novembre 2013 puis du 3 septembre au 17 septembre 2014 (4 442, 90 euros + 800,50 euros).
Enfin, la mutuelle est fondée, en application de l'article L. 224-9 du Code de la mutualité, à poursuivre le remboursement des dépenses qu'elle a exposées à due concurrence de la part d'indemnité mise à la charge du tiers qui répare l'atteinte à l'intégrité physique de la victime, soit la somme de 844,83 euros.
Sur les mesures accessoires
Le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux indemnités de procédure et aux dépens.
Les sommes allouées produiront intérêts au taux légal à compter du prononcé de l'arrêt, s'agissant d'une créance indemnitaire, et les intérêts seront capitalisés dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du Code civil.
La société Go Sport France et son assureur, qui succombent, seront condamnés in solidum aux dépens avec recouvrement direct.
Ils seront également condamnés in solidum à payer, en remboursement de leurs frais irrépétibles d'appel, à :
* M. D. la somme de 3 000 euros
* la RATP la somme de 2 000 euros
* la société Mach 1 la somme de 2 000 euros
* la société Planet'Fun la somme de 2 000 euros
Par ces motifs LA COUR, Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Go Sport France et la société Ace European Group à payer à M. D. la somme de 14 647 euros. Statuant à nouveau du chef infirmé, Fixe comme suit les préjudices de M. D. : - souffrances endurées : 5 000 euros - déficit fonctionnel temporaire : 1 664,05 euros - préjudice esthétique permanent : 1 000 euros - déficit fonctionnel permanent : 7 200 euros ; Condamne in solidum la société Go Sport France et la société Chubb European Group, anciennement dénommée Ace European Group Limited, à payer à M. D. les sommes précitées, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, les intérêts étant capitalisés dans les conditions fixées par l'article 1343-2 du Code civil, Confirme le jugement pour le surplus, Y ajoutant, Déclare recevable la demande formée par la société RATP en application de l'article L. 376-1 du Code de la sécurité sociale, Condamne in solidum la société Go Sport France et la société Chubb European Group à payer à la société RATP la somme de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion, Condamne in solidum la société Go Sport France et la société Chubb European Group à payer en application de l'article 700 du Code de procédure civile les sommes suivantes : à M. D. : 3 000 euros, à la RATP : 2 000 euros, à la société Mach 1 : 2 000 euros, à la société Planet'Fun : 2 000 euros ; Condamne in solidum la société Go Sport France et la société Chubb European Group aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.