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Décisions

CA Lyon, 3e ch. A, 14 mai 2020, n° 18-00051

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Commerçants du Centre Commercial Givors Deux Vallées (Association)

Défendeur :

Flunch (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Esparbès

Conseillers :

Mme Homs, M. Bardoux

T. com. Lyon, du 22 nov. 2017

22 novembre 2017

EXPOSÉ DU LITIGE

La société Flunch est locataire d'un local dépendant du centre commercial Givors deux vallées (le centre commercial) depuis le 7 juillet 1981, date d'un premier bail qui a été renouvelé par période de 9 années.

Par acte du 22 novembre 2000 un nouveau bail a été signé pour une période de 12 ans.

Ces baux contiennent une clause imposant au locataire d'adhérer à l'Association des commerçants du centre commercial (l'association) et de maintenir l'adhésion jusqu'à la fin des baux.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 décembre 2013, la société Flunch a informé l'association que son adhésion forcée était nulle et qu'elle cessera d'y participer à compter du 1er janvier 2014, en l'invitant à faire le nécessaire pour que son action ne la concerne plus à aucun titre.

L'association a contesté cette démission et a continué à appeler les cotisations que la société Flunch n'a pas payées malgré les relances.

C'est dans ces conditions que, par acte du 23 novembre 2016, l'association a assigné la société Flunch devant le tribunal de commerce de Lyon en paiement des cotisations sur le fondement des articles 1134 et 1146 du Code civil puis elle a invoqué une stipulation pour autrui contenue dans le bail en application de l'article 1121 du Code civil.

La société Flunch s'est opposée à la demande en invoquant la nullité absolue de la clause du bail imposant son adhésion et de l'adhésion elle-même au visa de l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (CEDH) protégeant la liberté d'association et de l'article 4 de la loi du 4 juillet 1901 protégeant le droit de retrait d'une association.

Par jugement du 22 novembre 2017, le tribunal de commerce a :

• jugé que la société Flunch n'est pas contractuellement tenue au bénéfice de l'association via la stipulation d'autrui résultant du bail de participer financièrement comme tous les autres commerçants aux opérations de promotion et d'animation du centre commercial,

• jugé que les clauses du bail ont imposé l'adhésion de la société Flunch à l'association,

• jugé que sont entachées de nullité absolue tant les clauses du bail imposant cette adhésion que l'adhésion elle-même,

• débouté l'association de toutes demandes, fins et moyens quel qu'en soit le fondement,

• condamné l'association à payer à la société Flunch la somme de 3'500'€ au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

• débouté les parties de leurs autres demandes, fins et conclusions,

• condamné l'association aux dépens.

L'association a relevé appel de cette décision par acte du 3 janvier 2018.

Par conclusions déposées le 25 février 2019, fondées sur les articles 1121, 1134, 1146 et suivants du Code civil, l'association demande à la cour de :

À titre principal,

• infirmer le jugement entrepris et statuant à nouveau,

• constater que la société Flunch était contractuellement tenue à son bénéfice, via la stipulation pour autrui résultant du bail de participer financièrement comme tous les autres commerçants aux opérations de promotion et d'animation du centre commercial,

• constater que la société Flunch a manqué à son obligation de contribuer au paiement de ces opérations depuis le 1er janvier 2014,

• constater que la société Flunch est débitrice de la somme de 47 866,16 € TTC,

En conséquence,

• condamner la société Flunch à lui payer la somme de 47 866,16 € TTC outre intérêts au taux légal,

À titre subsidiaire, si la cour devait confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de l'adhésion,

• infirmer le jugement en ce qu'il a fait une mauvaise application des restitutions réciproques,

Et statuant à nouveau,

• ordonner les restitutions réciproques consécutives à la nullité,

En conséquence,

• pour la période 1981 au 31 décembre 2013 :

• condamner la société Flunch à lui restituer l'équivalent des prestations dont elle a bénéficié correspondant au montant des cotisations appelées,

• ordonner la compensation des créances réciproques,

• pour la période du 1er janvier 2014 à la date de l'arrêt :

• constater que la compensation entre le coût des prestations fournies et le montant des cotisations appelées est impossible,

En conséquence,

• condamner la société Flunch au paiement des sommes correspondant à la contrepartie des prestations fournies pour un montant de 47 866,16 € TTC,

En tout état de cause,

• condamner la société Flunch à lui payer la somme de 10 000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, ceux d'appel distraits au profit de Me X avocat.

Par conclusions déposées le 6 décembre 2018, fondées sur l'article 11 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, les articles 1134, 1102 et 1108 du Code civil dans leur rédaction antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016 et le principe selon lequel l'exception de nullité est perpétuelle, l'article 4 de la loi du 1er juillet 1901, la société Flunch demande à la cour de :

• constater, dire et juger que les clauses du bail du 7 juillet 1981 puis du bail du 22 novembre 2000 lui ont imposé l'adhésion à l'association,

• constater que sont entachées de nullité absolue tant les clauses du bail imposant cette adhésion que l'adhésion elle-même,

• constater, dire et juger qu'elle a exercé le 30 décembre 2013 son droit de retrait en demandant à l'association de cesser de l'impliquer dans ses actions,

• constater l'absence de consentement de sa part à un quelconque accord même tacite à compter du 30 décembre 2013,

• par suite, confirmer le jugement en toutes ses dispositions,

• débouter l'association de ses demandes subsidiaires tendant aux restitutions, notamment les prétendues prestations qu'elle lui aurait fournies pour la période courant du 1er janvier 2014 à l'arrêt à venir,

• débouter plus généralement l'association de toutes ses demandes, fins et moyens quel qu'en soit le fondement,

• condamner l'association à lui payer une indemnité de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en sus de celle déjà allouée par le jugement attaqué,

• la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Me Z.

MOTIFS

Sur la demande principale de l'association en paiement de la somme de 47 866,16 € TTC

L'association réclame le paiement de cette somme outre intérêts au taux légal correspondant à la contrepartie en valeur des prestations qu'elle a rendues depuis le 1er janvier 2014 sur le fondement d'une stipulation pour autrui contenue dans le bail signé entre la société Flunch et son bailleur.

Au soutien de son appel, elle prétend que la validité de la clause du bail prévoyant l'adhésion tout comme la démission de la société Flunch sont indifférentes car elles n'ont pas d'incidence sur l'obligation de paiement par cette dernière des prestations qu'elle a rendues, dès lors que cette obligation résulte d'une stipulation pour autrui contenue dans le bail et d'un engagement librement consenti.

Elle fait grief aux premiers juges d'avoir fait une interprétation erronée de cette stipulation pour autrui en jugeant que celle-ci était relative à l'adhésion à l'association et non à la participation aux opérations d'animation et de promotion alors que la stipulation contient les obligations distinctes d'une part, d'adhérer à l'association et d'autre part, d'apporter son concours à celle-ci et ce même en cas de démission ; que dès lors la nullité de la première ne peut avoir pour effet de " contaminer " la seconde et de plus, la démission de l'association est sans effet sur l'obligation de participer aux frais communs de promotion et d'animation.

Elle ajoute qu'indépendamment du débat sur l'application du principe constitutionnel de liberté d'association et de la possibilité pour ses membres de démissionner, les opérations de promotion et d'animation sont menées dans les centres commerciaux et que du fait de leur implantation, librement choisie dans le centre, chacune des enseignes bénéficient des prestations rendues au bénéfice de toutes ; que le juge doit rechercher la commune intention des parties et qu'en choisissant de se maintenir dans le centre commercial après la démission, la société Flunch s'est privée seulement du droit de participer activement au choix et à la mise en œuvre des opérations (étant noté qu'elle a cependant continué à présider l'association après sa démission), mais sans pouvoir s'exonérer de l'obligation de payer ces prestations dont elle a bénéficié ; que rien ne justifie ni économiquement ni juridiquement qu'une partie puisse bénéficier de prestations sans en payer le prix étant rappelé que les dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6 du Code de commerce, opposable entre commerçants via l'obligation de loyauté, proscrivent les situations créant un avantage sans contrepartie.

La société Flunch oppose à la prétention de l'association, l'exception de nullité absolue de la clause du bail lui imposant d'adhérer à l'association et de maintenir son adhésion pendant la durée du bail au motif qu'elle est contraire à la liberté fondamentale d'association protégée par l'article 11 de la CEDH qui implique la liberté de ne pas adhérer et par voie de conséquence, la nullité de l'adhésion elle-même ce qui ne permet pas à l'association de réclamer le paiement de cotisations et ce d'autant moins qu'elle a exercé son droit de retrait prévu par l'article 4 de la loi du 1er juillet 1901, droit qui ne peut être tenu en échec par les statuts de l'association et qui ne peut être entravé par une clause du bail ; que tel est le cas d'une clause prévoyant qu'en cas de retrait, le preneur reste tenu de régler à l'association sa participation financière aux dépenses engagées pour l'animation du centre commercial et qui est entachée de nullité absolue.

La clause d'un bail faisant obligation au preneur d'adhérer à une association de commerçants et à maintenir son adhésion pendant la durée du bail est entachée de nullité absolue en ce qu'elle est contraire à la liberté d'association consacrée par l'article 11 de la CDEH et au droit de se retirer d'une association protégée par l'article 4 de la loi du 1er juillet 1901.

L'exception de nullité d'un contrat à exécution successive partiellement exécuté opposée par la société Flunch ne remet pas en cause ce qui a déjà été accompli au jour où les juges statuent mais permet au défendeur de refuser d'exécuter un contrat illicite pour l'avenir et ce quelle que soit la durée de l'exécution du contrat, peu important ainsi l'observation de l'association sur la durée de l'adhésion.

En l'espèce, le bail invoqué par l'association comme fondement de sa prétention conclu le 22 novembre 2000 entre la Société immobilière Carrefour et la société Flunch contient les dispositions suivantes :

Dans l'exposé préalable :

" Il est également précisé, qu'en vue de pratiquer une politique promotionnelle communep et unifiée, il a été créé une Association entre tous les Commerçants du Centre. Le Preneur s'obligera, par le seul fait des présentes, à demander son adhésion et à apporter son concours à cette Association dont la dénomination est : Association des Commerçants du Centre Commercial de Carrefour Givors ".

Dans l'article 9 :

" A titre de clause essentielle, déterminante et de rigueur, à défaut de laquelle le présent bail n'aurait pas été conclu, le preneur devra - comme tout cessionnaire - adhérer et maintenir son adhésion pendant la durée du présent bail et de ses renouvellements éventuels à l'Association des commerçants du centre commercial de Carrefour Givors ou GIE qui a notamment pour objet la promotion, l'organisation, le développement de la publicité du centre et à exécuter les décisions régulièrement prises par ladite association ou GIE, même si sa candidature était rejetée ou s'il venait à cesser d'en faire partie pour quelque cause que ce soit.

Sera sanctionnée l'obligation souscrite par le preneur, même pour le cas où il serait démissionnaire ou exclu de l'association, de s'abstenir de tout agissement pouvant porter atteinte à l'intérieur ou à l'extérieur du centre commercial, au bon fonctionnement et à l'efficacité des politiques de promotion commerciale menées au sein de ce dernier, dont le preneur fait partie intégrante et assume les charges ".

L'article 20 de ce bail insère une clause résolutoire sanctionnant le manquement à toutes les clauses du bail.

Ces clauses comportent à la charge de la société Flunch :

- une obligation d'adhérer à l'association, de maintenir l'adhésion et d'exécuter les décisions prises par cette dernière même si sa candidature était rejetée ou si elle venait à cesser d'en faire partie pour quelque cause que ce soit,

- une obligation, même pour le cas où il serait démissionnaire ou exclu de l'association, de s'abstenir de tout agissement pouvant porter atteinte à l'intérieur ou à l'extérieur du centre commercial, au bon fonctionnement et à l'efficacité des politiques de promotion commerciale menées au sein de ce dernier, dont elle fait partie intégrante et assume les charges.

Contrairement à ce que soutient l'association, ces clauses ne comportent pas un engagement de la société Flunch à participer aux frais de promotion et d'animation du centre commercial mais une obligation d'adhérer à l'association et de maintenir l'adhésion, d'exécuter les décisions de celles-ci même en cas de démission ou d'exclusion et de ne pas porter atteinte au bon fonctionnement et à l'efficacité des politiques de promotion commerciale menées au sein du centre dont il est rappelé qu'elle en fait partie intégrante et assume les charges.

Ces clauses entravent donc la liberté du preneur de ne pas adhérer à l'association ou de s'en retirer en tout temps et sont entachées de nullité absolue tout comme l'adhésion à l'association venue en exécution de ces dispositions ce que la société Flunch peut invoquer par voie d'exception pour s'opposer à la demande en paiement.

De plus, la société Flunch pouvait se retirer de l'association, en application de l'article 4 de la loi du 1er juillet 1901 modifié par la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 qui permet ce retrait à tout moment, après paiement des cotisations échues de l'année courante, nonobstant toute clause contraire.

Ainsi, peu importe les clauses des statuts de l'association et le fait que cette démission soit considérée comme incohérente avec le fonctionnement du centre et l'engagement initial de la société Flunch ou contraire aux dispositions de l'article L. 442-6 du Code de commerce qui sont étrangères aux rapports entretenus par l'association et un commerçant ancien adhérent.

Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutient l'association, la démission de la société Flunch à compter du 1er janvier 2014 n'est pas indifférente à la solution du litige dès lors la société Flunch ne s'est pas engagée à participer aux frais de fonctionnement de l'association.

En conséquence, l'association n'est pas fondée en sa demande en paiement de dépenses de fonctionnement de l'association égales au montant des cotisations à compter 1er janvier 2014.

Sur la demande subsidiaire de l'association relative aux restitutions

L'association fait valoir que si la cour devait confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de l'adhésion, il lui appartiendra de constater que le tribunal de commerce n'a pas tiré les conséquences d'une telle nullité et par suite de le censurer en ce qu'il n'a pas fait application du principe des restitutions réciproques et statuant à nouveau, de condamner la société Flunch au paiement des sommes correspondant à la contrepartie des prestations fournies à compter du 1er janvier 2014 pour un montant de 47 866,16 € au titre des restitutions réciproques consécutives à la nullité de l'adhésion.

C'est avec pertinence que la société Flunch réplique qu'il ne peut être fait grief au tribunal de commerce de ne pas avoir ordonné les restitutions réciproques alors qu'aucune des parties ne lui avait demandé, l'association n'ayant formulé que sa demande en paiement d'abord sur le fondement de ses statuts et ensuite sur le fondement d'une prétendue stipulation pour autrui et elle-même ayant opposé l'exception de nullité pour obtenir le débouté de la demande en paiement sans présenter de demande reconventionnelle de prononcé de nullité ; que d'ailleurs, le tribunal n'a pas prononcé la nullité de l'adhésion, se bornant à constater cette nullité et celle des clauses du bail l'ayant imposée pour conclure au débouté des demandes de l'association.

La cour n'étant pas non plus saisie d'une demande de nullité de l'adhésion, elle ne peut statuer sur des restitutions qui en seraient la conséquence.

Surabondamment, il est exact que, comme le dit la société Flunch, la demande de restitution de l'association masque une demande de paiement des cotisations à compter du 1er janvier 2014 puisqu'elle conduit au seul paiement de la somme égale au montant des cotisations pour la période postérieure à la démission et jusqu'à la date du jugement. En effet, l'association considère que pour la période du 1981 au 31 décembre 2013, le montant des cotisations qu'elle doit restituer se compensent avec le montant des prestations qui doivent lui être restituées et de même montant que celui des cotisations alors que pour la période postérieure, n'ayant pas perçu les cotisations, seule la société Flunch doit lui restituer le montant des prestations égales au montant des cotisations qu'elle aurait dû payer.

Or, même si la nullité avait été demandée et prononcée, le retrait de la société Flunch à compter du 1er janvier 2014 s'opposerait en tout état de cause à des restitutions postérieures à ce retrait qui met fin à l'exécution des obligations des parties.

En conséquence, l'association est déboutée de ses demandes subsidiaires.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant dans son action et dans son recours, l'association doit supporter les dépens de première instance et d'appel ainsi que les frais irrépétibles qu'elle a exposés et verser des indemnités de procédure à la société Flunch, les condamnations prononcées à ces titres par les premiers juges étant confirmées.

Par ces motifs : LA COUR statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Confirme le jugement entrepris, Condamne l'Association des commerçants du centre commercial Givors deux vallées à verser à la SAS Flunch, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et pour la cause d'appel une indemnité complémentaire de 5 000 €, Condamne l'Association des commerçants du centre commercial Givors deux vallées aux dépens d'appel avec faculté de recouvrement conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.