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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 12 mai 2020, n° 19-01291

REIMS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

ASP (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mehl-Junbluth

Conseillers :

Mmes Maussire, Mathieu

TGI Reims, du 10 avr. 2019

10 avril 2019

EXPOSE DU LITIGE

Le 14 février 2018, Madame Marie-Madeleine I.-G., demeurant en Belgique, a acquis de la société ASP exploitant sous le nom Automobilia FR, dont le siège social est situé à Reims, un véhicule de marque Jaguar, type XK 120 SE Body F 7057, mis en circulation pour la première fois le 28 janvier 1954, immatriculé au Luxembourg, au prix de 162 500 euros. Ce prix a été payé par virement bancaire le lendemain.

Ce véhicule a fait l'objet d'une immatriculation provisoire sous le numéro WW-797-PR attribuée par le Ministère de l'intérieur à la société ASP, pour la période du 5 mars au 4 juillet 2018.

Après avoir demandé la remise des papiers du véhicule dans les meilleurs délais, dès le 22 février 2018, et plusieurs réclamations en ce sens étant demeurées sans effet, Madame Marie-Madeleine I.-G. a mis en demeure la société ASP, en la personne de son gérant Monsieur L., de lui fournir sous huit jours le certificat d'immatriculation, par courrier électronique en date du 30 juillet 2018.

Par courrier de son conseil en date du 20 août 2018, elle a envoyé au vendeur une mise en demeure de lui adresser sous huit jours les documents afférents au véhicule, en particulier l'exemplaire n° 2 du certificat de cession (cerfa 15776), le certificat de situation administrative, la carte grise et le Code de cession, nécessaires selon elle pour immatriculer le véhicule en Belgique.

Par acte d'huissier en date du 11 septembre 2018, Madame I.-G. a fait délivrer à la société ASP une sommation interpellative à cet égard, à laquelle le gérant de celle-ci répondait ceci : les délais de traitement sont extrêmement longs en France. Le site de la FFVE indique un délai supérieur à 16 semaines avec un traitement les demandes reçues entre le 5 et le 15 avril 2018. Je ne reçois que seulement maintenant mes demandes de janvier 2018. Le dossier ne devrait pas tarder, j'en suis désolé.

En l'absence de réception des documents ainsi sollicités, Madame Marie-Madeleine I.-G. a fait assigner la société ASP devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Reims, par acte d'huissier en date du 8 novembre 2018, aux fins de dépôt au greffe, sous astreinte de l'exemplaire du certificat de cession (cerfa l5776), du certificat de situation administrative, de la carte grise, du Code de cession et du quitus indispensable pour l'obtention de la carte grise.

Par décision en date du 10 avril 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Reims a :

- ordonné à la société ASP de transmettre à Madame Marie-Madeleine G. épouse I. la carte grise française, le quitus fiscal et le certificat de cession administrative du véhicule de marque Jaguar, type XK 120 SE Body F 7057, mise en circulation pour la première fois le 28 janvier 1954, faisant l'objet du certificat d'immatriculation provisoire sous le numéro WW-797-PR délivré jusqu'au 4 juillet 2018, sous astreinte provisoire de 50 euros par jour de retard passé le délai de quinze jours à compter de la signification de la présente ordonnance,

- dit que l'astreinte provisoire courrait pendant un délai maximum de trois mois, à charge pour Madame Marie-Madeleine G. épouse I., à défaut de réception de la carte grise à l'expiration de ce délai, de solliciter du juge de l'exécution la liquidation de l'astreinte provisoire et le prononcé de l'astreinte définitive,

- rejeté les autres demandes,

- rejeté les demandes formées par la SARL ASP au titre des frais irrépétibles,

- condamné la société ASP à payer à Madame Marie-Madeleine G. épouse I. la somme de 1 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens.

Par un acte en date du 6 juin 2019, la SARL ASP a interjeté appel de cette ordonnance.

Le 3 juin 2019, la SARL ASP a remis à Madame Marie-Madeleine G. épouse I. un certificat de cession d'un véhicule d'occasion concernant la voiture Jaguar litigieuse.

Le 6 mars 2020, Madame Marie-Madeleine G. épouse I. a obtenu des autorités belges la délivrance d'un certificat d'immatriculation belge pour la voiture dont s'agit.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées par la voie électronique le 12 mars 2020, la SARL ASP conclut à l'infirmation de la décision déférée et demande à la cour de condamner Madame Marie-Madeleine G. épouse I. à lui payer la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Elle explique que :

- le véhicule provient du Luxembourg pour être destiné à circuler en Belgique,

- Madame Marie-Madeleine G. s est vue remettre le 3 juin 2019, l'original de la carte grise luxembourgeoise du véhicule désimmatriculé,

- le quittus fiscal sert à immatriculer en France un véhicule venant de l'étranger et nécessite que la personne soit domiciliée en France et qu'elle en justifie,

- le certificat de cession administrative n'existe pas,

-le certificat de situation administrative (ou certificat de non-gage) n'est délivré que pour un véhicule à moteur immatriculé en France ce document permettant de savoir si une particularité ou un événement empêche la vente du véhicule.

Elle fait valoir que Madame Marie-Madeleine G. épouse I. n'a jamais démontré être dans l'impossibilité d'immatriculer le véhicule Jaguar en Belgique et n'a pas non plus fourni de document émanant des services chargés de procéder aux immatriculations belges justifiant qu'elle aurait rencontré un obstacle pour immatriculer en Belgique sa voiture.

Elle soutient qu'elle a remis à Madame Marie-Madeleine G. épouse I. le 3 juin 2019 un certificat de vente du véhicule qui fait double emploi avec la facture remise au moment de l'achat.

Elle insiste sur le fait que Madame Marie-Madeleine G. épouse I. n'a manifestement formalisé que le 6 mars 2020 une demande d'immatriculation de son véhicule auprès des autorités belges, immatriculation qu'elle a obtenue immédiatement.

Aux termes de ses dernières écritures notifiées électroniquement le 12 mars 2020, Madame Marie-Madeleine G. épouse I. demande à la cour de confirmer l'ordonnance déférée excepté en ses dispositions relatives à l'astreinte prononcée et au quitus fiscal, devenues sans objet et demande à la cour de condamner la SARL ASP à lui payer la somme globale de 4 500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.

Elle explique qu'à l'issue de nombreuses démarches accomplies par son conseil belge, elle a obtenu le 6 mars 2020 la délivrance d'un certificat d'immatriculation belge ainsi que la plaque d'immatriculation correspondante.

Elle fait valoir que la SARL ASP a modifié son argumentaire puisque le gérant, Monsieur L., par courriel des 28 février et 16 mai 2018 lui avait assuré qu'il faisait le nécessaire auprès des autorités administratives françaises afin d'obtenir un quitus fiscal et une immatriculation provisoire.

Elle précise que Monsieur de C. qui a vendu la voiture litigieuse à la SARL ASP n'a pas reçu le paiement tout de suite, ce qui explique le retard dans la transmission des documents administratifs et insiste donc sur la mauvaise foi de l'appelante et les agissements inacceptables de Monsieur L..

Elle ajoute que l'obligation de délivrance comprend également une obligation contractuelle d'information, ce à quoi a manqué gravement la société ASP, dont le dirigeant s'est enferré dans ses mensonges et ses contradictions.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 16 mars 2020.

La présente juridiction, s'agissant d'une instance en référé, en application de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété, a retenu cette affaire sans audience après en avoir avisé les avocats.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, force est de constater que le litige a évolué depuis l'introduction de l'appel, puisque l'intimée dispose désormais d'une immatriculation du véhicule Jaguar en Belgique.

Aux termes de l'article 809 du Code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le président peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

Il appartient au vendeur dans le cadre de son obligation de délivrance découlant des articles 1615 et suivants du Code civil de livrer à l'acquéreur tous les éléments matériels et juridiques nécessaires à l'utilisation de la chose conformément à sa destination et donc notamment au vendeur d'un véhicule d'assurer à l'acheteur la transmission de tous les papiers nécessaires pour faire immatriculer le véhicule et donc pour permettre sa libre circulation.

En l'espèce, l'activité de la SARL ASP consistant en l'achat et la vente de voitures de sport et de prestige, il est constant que c'est un professionnel qui est aguerri aux démarches juridiques et administratives.

Il ressort des débats que la SARL ASP avant de vendre le véhicule Jaguar à Madame Marie-Madeleine G. épouse I. l'avait acquis auprès de Monsieur Guillaume de C. au Luxembourg.

Il ne peut être sérieusement contesté que les courriels, sommation interpellative et la présente procédure initiée à la requête de Madame Marie-Madeleine G. épouse I. attestent des difficultés rencontrées par cette dernière pour procéder à l'assurance et à l'immatriculation du véhicule Jaguar auprès des autorités belges, et qu'au demeurant, Monsieur L., dirigeant de la SARL ASP, a conforté cette dernière en la nécessité d'obtenir une immatriculation française et un quitus fiscal.

En effet, Monsieur L., écrivait :

- suivant mail du 28 février 2018 Pour l'immatriculation, je ne peux rien vous promettre, les fonctionnaires français travaillent sans ponctualité et pression hélas, je me renseigne dans le pire des cas pour vous faire un ww provisoire.sportivement

- suivant mail du 18 mai 2018 d' abord je tenais à vous remercier de votre confiance, mais à ce jour c'est plus de 20 dossiers d'immatriculation que j'attends, mon activité est fortement ralenti et le garage est plein à craquer ; en France tout est arrêté pour un véhicule d' importation dans votre cas car il repart avec les papiers belges mais dans tous les cas la vente s'est faite en France dont il me faut un quitus fiscal, je relance le service concerné, je vous prie d'accepter mes excuses. Sportivement -sic-.

En exécution de l'ordonnance de référé entreprise, la SARL ASP a répondu à l'huissier instrumentaire : Le tribunal a ordonné la restitution de la carte grise française par erreur. Je vous remets le titre de circulation luxembourgeois du véhicule dé-immatriculé au Luxembourg permettant d'effectuer directement les formalités en Belgique et également le certificat de cession du véhicule Jaguar daté du 3 juin 2019.

Il est pour le moins curieux de relever que le certificat de vente est daté du 3 juin 2019 alors que la facture a été établie par la SARL ASP le 14 février 2018 et cette dernière ne justifie pas des circonstances l'ayant conduites à ne délivrer ce document que 16 mois après la réalisation de la cession et le paiement effectif du prix.

S'il résulte désormais des débats et notamment des renseignements fournis par les autorités belges qu'aucune carte grise française n'est nécessaire pour immatriculer le véhicule d'occasion importé du Luxembourg, toutefois, force est de constater que la SARL ASP, vendeur professionnel, n'a pas été en mesure de renseigner utilement ses clients et les a induit en erreur en leur affirmant qu'elle faisait le nécessaire auprès des autorités administratives françaises afin d'obtenir une immatriculation ainsi que le quitus fiscal.

Ainsi, si à ce jour, il ressort des débats que les documents sollicités devant le premier juge ne pouvaient pas être produits par la SARL ASP, en raison des caractéristiques de la vente, et que la demande de communication de pièces est devenue sans objet, cependant il appert du dossier que le certificat de cession du véhicule n'a été transmis à Madame G. épouse I. que le 3 juin 2019 date de son établissement et en exécution de l'ordonnance de référé du 10 avril 2019, ce qui justifie que cette dernière ait initié la présente procédure.

Dans ces conditions, il convient d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a ordonné la communication de pièces sous astreinte et de constater que la demande de communication de pièces est devenue sans objet.

Les circonstances de l'espèce et la solution donnée au présent litige commandent de condamner la SARL ASP à payer à Madame G. épouse I. la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles à hauteur d'appel et de la débouter de sa demande en paiement sur ce même fondement.

Par ces motifs LA COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire et sans audience Infirme l'ordonnance rendue le 10 avril 2019 par le juge des référés du tribunal de grande instance de Reims, sauf en ce qu'elle a condamné la SARL ASP à payer à Madame Marie-Madeleine G. épouse I. la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles ainsi qu'aux dépens. Et statuant à nouveau, Déboute Madame Marie-Madeleine G. épouse I. de ses demandes de production de pièces. Constate que la SARL ASP a transmis à Madame Marie-Madeleine G. épouse I. le certificat de cession du véhicule Jaguar le 3 juin 2019. Condamne la SARL ASP à payer à Madame Marie-Madeleine G. épouse I. la somme de 1 500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles à hauteur d'appel. La Déboute de sa demande en paiement sur ce même fondement. Condamne la SARL ASP aux dépens de première instance et d'appel et autorise la Selarl R. et Associés à les recouvrer directement dans les formes et conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.