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Décisions

CA Montpellier, 2e ch., 15 mai 2020, n° 17-02469

MONTPELLIER

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Bee Design (SARL)

Défendeur :

Forge de Laguiole (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Bourdon

Conseillers :

Mmes Rochette, Rougie

Avocat :

Me Morvilliers

T. com. Rodez, du 21 mars 2017

21 mars 2017

FAITS et PROCEDURE - MOYENS et PRETENTIONS DES PARTIES :

La SARL Forge de Laguiole est une manufacture créée en 1987 ayant pour activité la fabrication de couteaux dits " laguiole ", positionnée sur l'édition de couteaux d'exceptions avec des partenaires designers de renom.

La SARL Bee design se présente comme une société créée en 2009, ayant pour activité la commercialisation, via son site Internet " www.laguiole'attitude.com ", d'une large gamme de couteaux de type laguiole fabriqués par des artisans français, ainsi que divers produits de fabrication industrielle de qualité, d'art de la table, de coutellerie, vaisselle, couverts et accessoires sous les marques " laguiole " et [logo d'une abeille " laguiole "], dont elle est licenciée non inscrite et boutique en ligne officielle.

Son site est désigné comme " le site officiel de la marque Laguiole(r) " et elle est également membre, en tant que revendeur, de la fédération française de la coutellerie, association créée en 1999 de représentation et de défense de la coutellerie française.

Par courrier recommandé du 12 septembre 2014, la société Forge de Laguiole l'a mise en demeure d'avoir à :

- supprimer du site internet www.couteaux- lagiole.fr toute référence, article, photographie ou autre relatif à Forge de Laguiole, à ses produits, à ses couteliers, à ses partenaires,

- cesser sans délai tout lien commercial vers le site www.laguioleattitude.com à partir de la dénomination sociale de " forge de laguiole ",

- lui proposer une juste indemnisation.

Par courrier en réponse du 25 septembre 2014, la société Bee design reconnaissait la publication de quelques articles mettant en avant les Forges de Laguiole du fait " d'une erreur de maîtrise " puis elle indiquait que l'article les mettant en l'honneur avait été supprimé immédiatement et que les articles mentionnés dans le courrier du 15 septembre 2014 le seraient également. Elle contestait le second grief faute d'avoir la maîtrise des algorithmes de Google.

Par exploit du 27 octobre 2014, la société Forge de la Laguiole a fait assigner la société Bee design devant le tribunal de commerce de Rodez sur le fondement des articles L. 120-1, L. 121-1, L. 121-1-1 et suivants du Code de la consommation et de l'article 1382 du Code civil.

Le tribunal, par jugement du 21 mars 2017, a notamment :

- constaté que Forge de Laguiole démontre bien subir un préjudice directement sur la commune de Laguiole,

- dit :

Que le tribunal de commerce de Rodez est compétent pour connaître de ce litige,

Que les pièces versées aux débats n'ont pas à être écartées,

Que la présentation faite par la société que ce soit sur son site Internet ou par d'autres moyens de communication, caractérise des pratiques commerciales trompeuses comme étant de nature à induire en erreur le public sur les qualités substantielles de ses produits, leur origine et leur mode de fabrication, ainsi que sur les droits et aptitudes du professionnel,

Que ces pratiques trompeuses sont constitutives de concurrence déloyale au détriment de Forge de Laguiole puisque le non-respect de la législation et des règles applicables permet à la société Bee design de profiter d'un avantage concurrentiel indu,

- condamné en conséquence la société Bee design à cesser, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter d'une semaine suivant la notification du présent jugement toute pratique commerciale trompeuse sur son site Internet ou sur tout autre support de communication (blogs, brochures etc.) et notamment :

- dit :

Que la société Bee design ne pourra plus utiliser les expressions " boutique officielle Laguiole ", " site officiel Laguiole ", " produit conforme de qualité ", protège de la contrefaçon ", " coutellerie artisanale ",

Que la société Bee design ne pourra plus utiliser et se présenter sous l'expression générique " Laguiole "

Que la société Bee design ne pourra plus utiliser les mots clés " Forge de Laguiole " pour son référencement payant sur Google,

- condamné la société Bee design à verser à Forge de Laguiole la somme de 30 000 euros de dommages-intérêts pour perte subie et manque-à-gagner,

- condamné la société Bee design à verser à Forge de Laguiole la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour dépréciation de son image de marque du fait de l'utilisation du nom " Forge de Laguiole ",

- débouté la société Forge de Laguiole du surplus de ses demandes,

- ordonné l'exécution provisoire du jugement,

- condamné la société Bee design à payer à Forge de Laguiole la somme de 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure, ainsi qu'aux dépens.

La société Bee design a régulièrement relevé appel, le 28 avril 2017, de ce jugement en vue de sa réformation.

Elle demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées et notifiées le 18 octobre 2019 via le RPVA, de :

Vu les articles L. 120-1 et L. 121- 1 et suivants du Code de la consommation, 1240 et suivants du Code civil,

- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rodez en toutes ses dispositions,

Et statuant à nouveau :

- dire et juger que les pièces adverses n° 9, 13, 17, 18, 20 et 21 doivent être écartées des débats en raison de leur absence de caractère probant,

- dire et juger que :

La présentation du site Laguiole Attitude et du blog internet de la société Bee design ne caractérise pas des pratiques déloyales trompeuses au sens des articles L. 120 -1 et 121 1 et suivants du Code de Ia consommation,

La société Bee design n'a commis aucun acte de concurrence déloyale au préjudice de la société Forge de Laguiole,

- dire et juger à titre subsidiaire que la société Forge de Laguiole ne rapporte pas la preuve du quantum du préjudice qu'elle invoque et, le cas échéant, réduire ce préjudice à une valeur symbolique,

En tout état de cause :

- rejeter l'appel incident formé par la société Forge de Laguiole,

- condamner la société Forge de Laguiole à lui payer la somme de 20 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamner la société Forge de Laguiole aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de la SCP Auché H..

Au soutien de son appel, elle fait essentiellement valoir que :

- les simples copies d'écran produites aux débats ne respectent pas les mesures spécifiques de garantie imposées par les tribunaux, les attestations émanent de prétendus consommateurs dont les dires sont flous ou invérifiables, et le caractère spontané des mails anciens reçus le site adverse pose question,

- les demandes adverses sont infondées en ce qu'il n'existe pas :

De tromperie par confusion avec Forge de Laguiole, la recherche de son site à partir des mots clés " Forge de Laguiole " ne pouvant avoir cet effet puisque l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif pouvait se rendre compte que les produits ou services visés par l'annonce ne provenaient pas de Forge de Laguiole mais bien au contraire d'un tiers exploitant du site " laguioleattitude.com " qui, une fois ouvert, contenait toutes les informations permettant une identification claire de la personne offrant les produits s'y trouvant,

De tromperie sur les droits et aptitudes du professionnel car en se présentant comme le site officiel Laguiole - mention aujourd'hui supprimée - elle ne faisait référence qu'à sa boutique en ligne officielle de la marque " Laguiole " dont elle est licenciée, et en se présentant encore comme une coutellerie, elle ne prétendait ni ne sous-entendait être un fabricant mais simplement un site offrant une large gamme de produits de coutellerie artisanale ou industrielle,

De tromperie sur les qualités substantielles des produits, du fait d'avoir mentionné sur son site " garantir un produit conforme de qualité " qui ne participe d'aucun abus de langage susceptible d'induire le consommateur en erreur quant à l'existence supposée d'un cahier des charges alors qu'il s'agissait de désigner, conformément aux usages, un produit conforme aux caractéristiques énoncées sur la fiche correspondante,

De tromperie sur la fabrication artisanale des couteaux du fait de la vidéo de fabrication artisanale offerte en page d'accueil de son site ou de la présentation générale faite de la rubrique " couteau laguiole " voire de ses newsletters, dès lors que 80 % des couteaux offerts à la vente sur son site sont réellement de fabrication artisanale française et que les sous-rubriques permettent au consommateur de distinguer entre couteaux artisanaux et couteaux industriels ne serait-ce que par leur prix; de même son nouveau discours commercial est exempt de reproches quant à la localisation de ses partenaires qui jouissent bien d'une renommée dans le domaine de la coutellerie artisanale,

D'altération du comportement du consommateur, faisant grief au tribunal d'avoir retenu sans motivation particulière que le discours de la société était trompeur alors qu'il aurait dû vérifier si les éléments retenus altéraient ou étaient de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur, la partie adverse procédant sur ce point par simple affirmation,

- les préjudices invoqués ne sont pas démontrés en ce que :

Le préjudice commercial ne repose sur aucune donnée objective mais d'une simple représentation par la partie adverse qui réalise au demeurant un chiffre d'affaires croissant et qui ne peut tirer argument de la réussite d'une société de vente sur Internet qui promeut la production coutelière de qualité des concurrents de la Forge de Laguiole ayant choisi des modalités de ventes classiques,

Le préjudice d'image est également inexistant dans la mesure où l'utilisation du nom " Forge de Laguiole " à titre de mots-clés ne crée pas de préjudice alors que les articles critiqués n'ont été publiés que quelques jours sur le blog.

Formant appel incident, la SARL Forge de la Laguiole sollicite de voir, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 15 octobre 2019 :

- Vu les articles L. 120-1, L. 121-1, L. 121-1-1 et s. du Code de la consommation, l'article 1382 (ancien) du Code civil, devenu 1240 du Code civil,

Rejetant toutes conclusions adverses comme injustes et mal fondées ;

- confirmer le jugement du tribunal de commerce de Rodez du 21 mars 2017 en ce qu'il a :

Dit que les pièces versées aux débats n'ont pas à être écartées,

Dit que la présentation faite par Bee design, que ce soit sur son site internet ou par d'autres moyens de communication, caractérise des pratiques commerciales trompeuses comme étant de nature à induire en erreur le public sur les qualités substantielles de ses produits, leur origine et leur mode de fabrication ainsi que sur les droits et aptitudes du professionnel,

Dit que ces pratiques trompeuses sont constitutives de concurrence déloyale au détriment de Forge de Laguiole puisque le non-respect de la législation et des règles applicables permet à Bee design de profiter d'un avantage concurrentiel indu,

Condamné, en conséquence, la société Bee design à cesser, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard, à compter d'une semaine suivant la signification du présent jugement, toute pratique commerciale trompeuse sur son site internet ou sur tout autre support de communication (blog, brochure etc) et notamment :

Dit que la société Bee design ne pourra plus utiliser les expressions " boutique officielle Laguiole ", " site officiel Laguiole ", " produit conforme de qualité ", " protège de la contrefaçon ", " coutellerie artisanale ",

Dit que la société Bee design ne pourra plus se présenter sous l'expression générique " Laguiole ",

Dit que la société Bee design ne pourra plus utiliser les mots-clés " Forge de Laguiole " pour son référencement payant sur Google,

- infirmer le jugement pour le surplus et statuant à nouveau :

- interdire à la société Bee design d'utiliser les expressions " boutique en ligne officielle de la marque Laguiole ", et " coutellerie ",

- lui interdire encore de se présenter sous l'expression générique " Laguiole ",

- condamner la société Bee design à lui verser à titre provisionnel la somme de 300 000 euros à titre de dommages et intérêts pour perte subie et manque à gagner,

- condamner la société Bee design à lui verser à titre provisionnel la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour dépréciation de son image de marque,

- ordonner la publication de l'arrêt par extraits que la Cour décidera,

Dans un encart spécifique précédé de la mention " condamnation judiciaire " et en police de caractère 12, sur la page d'accueil du site internet http://www.Laguiole-attitude.com, au-dessus de la ligne de flottaison, pendant une durée de trois mois, et ce pendant 3 mois, sous astreinte de 3 000 euros par jour de retard passé un délai de 48 heures suivant la signification dudit arrêt,

Dans un journal local et un journal national, au choix de Forge de Laguiole, aux frais exclusifs de Bee design dans la limite de 5 000 euros HT par insertion, et sous astreinte de 3 000 euros par jour de retard passé un délai de 48 heures suivant la notification du choix des journaux par Forge de Laguiole,

- autoriser Forge de Laguiole à publier pendant une durée de trois mois sur la page d'accueil de son site internet les extraits de la décision que la Cour décidera,

- condamner la société Bee design à verser à la société Forge de Laguiole la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance d'appel.

En réponse à l'argumentation adverse et au soutien de ses demandes, elle fait valoir :

- que les captures d'écran produites pour preuve de faits juridiques sont parfaitement admises par la jurisprudence la plus récente ; elles sont corroborées par les captures d'écran extraites du site The Wayback Machine également retenues comme probantes en jurisprudence et par constats d'huissier, la preuve n'étant pas faite d'une quelconque falsification,

- que rien ne justifie que les attestations et e-mails produits aux débats soient écartés en ce que leur contenu est clair et sans équivoque, n'ayant pas à justifier des modalités d'obtention d'autant qu'aucun incident de faux n'a été présenté,

- dans ses rapports avec le consommateur, le professionnel même s'il bénéficie d'une liberté de concurrence reste contraint au niveau de la publicité et du discours commercial à bannir les pratiques commerciales trompeuses,

- or il existe bien en l'espèce des actes répréhensibles imputables à la société adverse :

Par confusion avec la société Forge de Laguiole dont le nom utilisé comme mot-clé de recherche, permet de faire apparaître le site Laguiole Attitude en première position, qui se désigne comme " Laguiole (r) site officiel de la marque laguiole " en faisant ainsi croire aux consommateurs qu'il s'agit du site de la Forge de Laguiole puisqu'aucun repère pertinent ne leur permet d'identifier clairement l'entreprise concernée; le blog destiné à la promotion du site marchand de Bee design entretient encore cette confusion par la publication d'articles sur le travail des designers de la Forge de Laguiole en provoquant ainsi une association erronée entre ces grands noms et les produits commercialisés sur le site marchand de Bee design et une altération substantielle du comportement économique du consommateur,

Par tromperie sur les droits et aptitudes du professionnel à savoir :

- tromperie sur le caractère officiel d'un site qui s'arroge la certification purement imaginaire de " site officiel Laguiole " où sont publiés des messages vantant la " qualité " et la " garantie " des produits vendus avec utilisation répétitive de l'appelation générique " Laguiole " auquel s'ajoute " la boutique officielle de la marque Laguiole ", pour faire croire à une véritable caution officielle respectant des normes contraignantes,

- tromperie sur les aptitudes professionnelles et le service après-vente puisque la rubrique du site intitulée " couteaux laguiole couteau à l'ancienne client " comme sa présentation sur le moteur de recherches laissent conclure qu'elle serait un coutelier artisanal doté d'un service après-vente, sans qu'aucune référence ne soit faite au recours à la sous-traitance pour la confection de ces couteaux, le tout dans le but d'induire en erreur le consommateur et à altérer de manière substantielle son comportement économique,

Par tromperie sur les qualités substantielles du produit en présence de conditions générales incomplètes, mensongères (recours à des maîtres couteliers), et adoption d'un discours qui sous-entend le respect de normes de qualités protégeant de la contrefaçon, (alors même que le couteau laguiole ne fait l'objet d'aucune protection juridique) mais également une fabrication artisanale de tous les couteaux vendus sur site,

Tromperie par omission et confusion quant à l'origine étrangère des couteaux voire de leurs pièces détachées, dénoncée sur le blog " passion laguiole ; forum gratuit " par des acheteurs dupés par la présentation du produit alors que le blog de Bee design critique la fabrication à bas prix de couteaux à l'étranger puis camoufle sur ses envois la mention " pcr " révélatrice d'une fabrication en Chine,

- victime directe de ces pratiques commerciales trompeuses et déloyales génératrices de confusion, elle a nécessairement subi un détournement de commandes et un pillage de ses efforts de communication pendant que Bee design travaille à son référencement sur Google de manière à apparaître systématiquement en tête des résultats à partir de mots-clés " Laguiole " ou " couteaux laguiole " voire " Forge de Laguiole ", ce qui amène nécessairement le consommateur à être attiré par ce site,

- les chiffres d'affaires adverses communiqués confirment la réalisation de résultats colossaux sur un marché restreint alors que les siens sont en baisse depuis 2013 du fait des agissements de Bee design qui ne peut soutenir l'absence de preuve d'un préjudice puisque celui-ci s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale,

- la confusion orchestrée par la société adverse implique de lui faire défense d'utiliser les termes à l'origine de cette confusion sauf à maintenir le consommateur dans le flou le plus complet.

Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 22 octobre 2019

MOTIFS DE LA DECISION :

La compétence du tribunal de commerce de Rodez n'étant plus discutée, le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur la demande de rejet de pièces

Si comme le soutient l'intimée, la preuve des faits juridiques est libre et peut être rapportée par tous moyens, le juge dispose d'un pouvoir souverain dans l'appréciation de la force probante des éléments de preuve qui lui sont soumis par les parties.

Les copies d'écran du site (pièce 9) et du blog " Laguiole-Attitude.com " (pièce 13)

La pièce 9 est une capture d'écran du site http://www.laguiole-attitude datée du 23 octobre 2014 11:58. Son contenu est corroboré par un constat d'huissier de justice en date du 11 juillet 2014 dans lequel sont détaillées les vérifications préalables auxquelles il a procédé : précisions sur le matériel, l'adresse IP, le mode de navigation et le réseau de connexion utilisés, vérifications que la mémoire cache et l'historique de l'ordinateur ont été supprimés et description de la navigation à laquelle il a procédé pour obtenir les captures d'écran reproduites dans son procès-verbal.

La société Bee design ne peut donc pas soutenir que cette pièce ne serait pas fiable et dépourvue de portée probatoire.

La pièce 13 (13.1 à 13.9) est une impression d'écran éditée le 18 septembre 2014, issue du blog http://www.couteaux.laguiole.fr/la-maison-du-couteau-laguiole ayant pour titre " Couteaux Laguiole " sur laquelle il se présente " comme un blog dédié aux couteaux de la marque Laguiole, mais aussi à la marque Laguiole en général. Aujourd'hui, de nombreux produits sont conçus sous la griffe de la mouche (ou abeille) comme les accessoires liés aux arts de la table Laguiole. Nous avons donc voulu créer un site pour parler de la marque Laguiole, de ses couteaux et couverts de manière libre (histoire, évolution, fabrication, arts de la table) ".

Les impressions d'écran en cause ne sont pas intégralement corroborées par un constat d'huissier de justice hormis les pages intitulées " La coutellerie d'art, des couteaux pratiques et esthétiques " (p.13.9) et " Les couteaux du désigner Christian G. " dont l'existence est constatée dans les procès-verbaux de constat d'huissier de justice des 8 septembre 2014 (p.10) et 11 juillet 2014 (p.104), respectant en page 1 le protocole des vérifications préalables, ci-dessus rappelées.

Il convient ensuite de constater que dans sa mise en demeure du 12 septembre 2014, la société Forge de Laguiole a critiqué la présentation faite de ce blog correspondant à la pièce 13.1 ainsi que la publication de deux articles accessibles aux adresses suivantes :

- http://www.couteaux-laguiole.fr/couteaux-désigner-christian-g.

- http:/www.couteaux-laguiole.fr/la-coutellerie-dart-des-couteaux-pratiques-et-esthétiques.

Dans son courrier du 25 septembre 2014, la société Bee design ne discutait ni cette présentation ni ces articles mais indiquait avoir fait supprimer l'article faisant honneur à Forge de Laguiole (correspondant à la pièce 13.5) et les deux articles mentionnés ci-dessus, le dernier correspondant à la pièce 13.9, dont elle reconnaissait ainsi la publication.

En conséquence, seront seules écartées des débats les pièces 13.2, 13.3,13.4, 13.6,13.7, 13.8, à l'exclusion des pièces 13.1, 13.5 et 13.9.

Sur les copies d'écran extraites du blog " passion Laguiole " ( pièce 21)

Les impressions d'écran en question ne comportent pas de garantie quant à la fiabilité de leurs dates et de leur contenu qui n'a pas été authentifié ou vérifié dans le cadre des diligences habituelles telles que rappelées ci-dessus.

Elles n'offrent ainsi aucune assurance quant au support à partir duquel ces captures ont été effectuées et leur tirage a été effectué à partir d'un service d'archivage exploité par un tiers à la procédure, qui est une personne privée sans autorité légale, dont les conditions de fonctionnement sont ignorées.

De plus, elles se limitent à reproduire les échanges critiques entre trois personnes qui ne s'identifient pas ou se présentent sous des pseudonymes et ne présentent donc pas des garanties suffisantes.

Il convient d'écarter cette pièce 21.

Sur les mails, attestations et courriers (pièces 17, 18 et 20)

Les mentions de l'article 202 du Code de procédure civile ne sont pas prescrites à peine de nullité et leur omission ne justifie pas davantage que la pièce 17 qui est un écrit d'un consommateur, M. B. qui a joint une pièce d'identité, soit écartée des débats.

Il est loisible à l'appelante de critiquer la valeur probante du contenu des mails et courriers produits aux débats sans que le caractère " flou " des faits relatés dans l'un, ou l'interprétation faite par la société Forge de Laguiole du contenu de l'autre ne puissent justifier de les écarter des débats sans examen au fond (pièces 18 et 20).

La société Bee design se limite ensuite à qualifier de douteuse l'intégrité et l'authenticité de la pièce 20 qui serait selon elle un montage de mails échangés via le formulaire de contact proposé sur son site web avec un client dont la demande a été transférée à la coutellerie de Laguiole.

Elle s'abstient cependant de corroborer ses doutes par une quelconque démonstration ou production d'un commencement de preuve susceptible d'en discréditer le contenu.

Il n'y a donc pas lieu de l'écarter.

Sur les pratiques commerciales trompeuses imputées à la société Bee design

L'article L. 121-1 du Code de la consommation (article L. 120-1 dans son ancienne rédaction) interdit la pratique commerciale déloyale et la définit comme étant celle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle et qui altère ou est susceptible d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service.

Il vise ensuite au nombre des pratiques commerciales déloyales les pratiques commerciales trompeuses définies notamment à l'article L. 121-2. (Anciennement L. 121-1.2°).

Au sens de ces dispositions, une pratique commerciale est réputée trompeuse soit quand elle contient des informations fausses, soit quand elle est susceptible d'induire en erreur le consommateur moyen, et qu'elle est en outre de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique de celui-ci en le conduisant à prendre une décision commerciale qu'il n'aurait pas prise autrement.

Les sociétés en litige ne discutent pas qu'elles exercent des activités concurrentes et il n'est pas contesté que les documents (site internet, blog, newletters) sur lesquels la société Forge de Laguiole fonde ses griefs constituent autant de moyens d'information destinés à permettre à un client potentiel de se faire une opinion sur les résultats qui peuvent être attendus du bien ou du service qui lui est proposé.

Il convient donc d'examiner si les griefs de la société Forge de Laguiole sont fondés pour apprécier ensuite dans quelle mesure ils ont généré le risque d'une altération du comportement économique du consommateur moyen.

Sur le grief de tromperie par confusion avec la société Laguiole

L'article L. 121-2,1° du Code de la consommation (anciennement L. 121-1, 2°) retient le caractère trompeur d'une pratique commerciale lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une- marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d'un concurrent.

1) La société Forge de Laguiole soutient qu'il existe une tromperie par confusion du fait de l'utilisation de son nom, comme mot clé de recherche sur Internet, permettant à la société Bee design de profiter ainsi de sa renommée.

L'insertion dans un moteur de recherche de la dénomination sociale d'un concurrent à titre de mot clé peut constituer un acte de concurrence déloyale si elle engendre un risque de confusion entre les deux entreprises, leurs produits ou leurs sites respectifs, qu'il incombe aux juges de caractériser.

Il est établi et non contesté que la société Bee design a sélectionné " Forge de Laguiole " comme mot-clé dans le moteur de recherche Google.

Ainsi lorsque l'internaute tape ce nom, apparait sur la page d'écran en première position " Laguiole(r)site officiel-Laguiole-Attitude.com

Annonce www.laguiole-attitude.com/fr/ de la Marque. Coutellerie artisanale Art de la Table:vaisselle.couverts.

Couteaux laguiole Couverts laguiole

Art de la table laguiole Couverts luxe laguiole "

Cette présentation est donc exempte de toute mention du terme " Forge de Laguiole " susceptible de faire croire au consommateur ayant utilisé ce mot clé qu'il s'agissait du site de la société Forge de Laguiole qui apparaissait ensuite sur la page d'écran du moteur de recherche en 2e ou 4e position. Cette confusion apparaît d'autant exclue que le nom de " Laguiole-Attitude " est indiqué.

La société Forge de Laguiole ne peut donc prétendre en l'état des éléments soumis à la cour qu'il existait un risque de confusion entre elles et entre leurs sites respectifs du seul fait de l'emploi de sa dénomination sociale comme mot clé de recherche.

2°) Soutenant ensuite que les articles publiés sur le blog de la société Bee design créaient un risque de confusion entre les deux entreprises et leurs produits respectifs, ce grief doit être examiné au vu des seules pièces non écartées des débats.

Il n'est pas discuté que le blog litigieux était accessible depuis le site internet " www.laguiole-attitude " et qu'après avoir cliqué sur le lien correspondant, apparaissait en première page du blog un article intitulé " La maison du couteau Laguiole " et en partie gauche de cette page, une présentation du blog dans les termes rappelés ci-dessus.

Ont été publiés sur ce blog, différents articles au nombre desquels :

- un article ouvert par le lien http://www.couteaux-laguiole.fr/ intitulé " La forge de laguiole- une visite au cœur des couteaux Laguiole " que la société Forge de Laguiole critique en ce que le mot forge est écrit comme un nom commun sans majuscule et omet de préciser que Forge de Laguiole est une entreprise concurrente,

- un article ouvert par le lien http://www.couteaux-laguiole.fr/ intitulé " La coutellerie d'art des couteaux pratiques et esthétiques " évoquant les créateurs de la coutellerie d'art mais dont le contenu est critiqué en ce qu'il y est fait mention que " certains [de ces artisans créateurs à savoir Messieurs Munoz C. et Rambaud] sont passés par la Forge de Laguiole pour travailler avec la marque et proposer de véritables chefs d'œuvre ".

Ainsi titré, le premier article pouvait laisser croire qu'il s'agissait de présenter au lecteur un atelier de fabrication des couteaux, et nonobstant la restitution de la majuscule à Forge de Laguiole dans le corps de l'article, celle-ci y est seulement décrite comme un lieu " permettant de rassembler dans un même endroit des savoir-faire d'exception et des méthodes artisanales de qualité " sans y être identifiée comme une société autonome, concurrente et distincte. Elle ne l'est pas davantage dans le second article où elle est réduite à un passage préalable à une collaboration avec la marque que la société Bee design affirme, par ailleurs, représenter officiellement.

L'appelante a ainsi utilisé la dénomination sociale et la manufacture de son concurrent sans mentionner que la société Forge de Laguiole en était le propriétaire et l'exploitant exclusif, dans un discours laissant croire à un consommateur moyennement attentif que Forge de Laguiole se réduisait à un regroupement informel d'artisans créateurs, un lieu d'émergence de talents dont la société Bee design bénéficiait in fine.

Ce faisant, elle incitait le consommateur à penser que Forge de Laguiole était l'atelier de l'exploitant du site susceptible d'être visité (cf. pièce 20 relative à un consommateur ainsi abusé) et pouvait laisser croire que certains produits vendus par la société Bee design avaient été conçus dans cet atelier ou que les articles qui y était fabriqués pouvaient se trouver en vente sur le site de la société Bee design.

Il convient de retenir le grief d'une confusion entre entreprises et produits respectifs.

Sur la tromperie sur les droits et aptitudes du professionnel

Au sens de l'article L. 121-1, 2° f, du Code de la consommation (L. 121-2, 2° f dans sa rédaction actuelle) une pratique commerciale est trompeuse lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel.

1) La société Forge de Laguiole critique tout à la fois :

- la présentation du site comme étant le " Site officiel Laguiole ", " Le site officiel Laguiole Qualité garantie " et le discours selon lequel " Laguiole-Attitude " vous garantit un produit conforme de qualité et vous protège de la contrefaçon'

- l'affirmation en page d'accueil de son site qu'il s'agit de la " BOUTIQUE OFFICIELLE de la Marque Laguiole(r) " modifiée aujourd'hui en ces termes " BOUTIQUE EN LIGNE OFFICIELLE DE LA MARQUE LAGUIOLE (r) "

- l'effacement complet de Bee design ou de Laguiole Attitude dans la page de texte exposant " La philosophie Laguiole Attitude " derrière l'appellation générique " Laguiole " (ex " Avec Laguiole, vos hôtes s'en souviendront ", " Laguiole a créé pour vous une multitude de couverts magnifiques ")

Il n'est pas discuté que la marque Laguiole a été enregistrée pour différents produits et services de différentes classes ni davantage que la société Bee design est " licenciée de marques Laguiole " l'autorisant à exploiter les marques en cause portant sur des produits diversifiés et non seulement sur des couteaux.

L'action de la société Forge de Laguiole contre Bee design a été engagée le 27 octobre 2014 et les jurisprudences invoquées quant à l'annulation de marques Laguiole n'ont été rendues que le 5 avril 2017 par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) et le 5 mars 2019 par la cour d'appel de Paris.

Ainsi, le fait de se présenter comme représentant " la marque Laguiole " n'était pas en soi mensonger mais néanmoins imprécis et source de confusion puisqu'il n'existait pas une " Marque Laguiole " mais plusieurs marques composées du nom Laguiole dont l'exploitation a été concédée à la société Bee design.

Et s'arroger sous ces différents titres critiqués, un caractère " officiel " sans autre précision pouvait laisser croire à une légitimité particulière de représentation d'une marque unique donnée par personne habilitée et authentifiant qui déniait a contrario toute légitimité aux autres commerçants et même à ceux fabriquant localement et vendant des couteaux originaires de Laguiole parmi lesquels la société Forge de Laguiole.

Il est ensuite exact que dans l'article " philosophie de Laguiole Attitude " (cf. constat d'huissier de justice du 11 juillet 2014, p.70) visant à promouvoir les articles vendus le site, l'exploitant " Laguiole Attitude " - et a fortiori Bee design - ne s'identifie que sous le terme " Laguiole " qui devient ainsi par substitution, le sujet offrant les articles vendus en ligne.

Si l'utilisation du mot Laguiole, dont les parties s'accordent à dire qu'il s'agit d'une expression générique, ne peut être interdite, il n'en demeure pas moins que le fait de se présenter sous le terme " Laguiole " sans autre élément de différenciation, ajouté aux titres critiqués comme au discours d'une garantie contre la contrefaçon, était susceptible de conforter le client dans cette croyance erronée quant à l'identité, les qualités du professionnel au seul visa de l'article de l'article L. 121-1, 2° f, du Code de la consommation ( L. 121-2, 2° f dans sa rédaction actuelle).

Ce grief sera retenu.

2) Sur l'annonce " Laguiole(r)site officiel de la marque " figurant sur le moteur de recherche Google, la société Bee design emploie également les termes " Coutellerie. Couteaux artisanaux ".

Le mot " coutellerie " désigne essentiellement l'activité de fabrication artisanale de couteau et plus accessoirement la vente des produits finis mais pour autant la société Bee design ne se désigne pas ici comme un fabricant de couteaux et en page d'accueil, elle se présente comme une " boutique " et aujourd'hui comme une " boutique en ligne " en ajoutant par ailleurs le terme de " coutellerie disponible " qui ne peut s'interpréter que dans la deuxième acception.

Dans la rubrique de son site " Couteaux Laguiole. Couteaux à l'ancienne pliants " (constat du 11 juillet 2014, p.12 pièce 12), elle écrit effectivement " nos couteaux Laguiole de fabrication artisanale à l'ancienne sont minutieusement façonnés par les meilleurs couteliers français depuis 1920 qui ont toujours forgé du Laguiole " (souligné par la Cour).

Le seul emploi de l'adjectif possessif ne permet pas de conclure sauf à dénaturer ce texte qu'elle laissait ainsi entendre qu'elle fabriquerait ou ferait fabriquer elle-même les couteaux et elle prend soin de mentionner un façonnage par les meilleurs couteliers de France et non pas " ses couteliers ".

A cet égard, elle démontre par plusieurs attestations qu'elle est le distributeur de plusieurs artisans couteliers établis à Thiers et il n'était donc pas inexact de sa part de mentionner que des couteaux de fabrication artisanale sont en vente sur son site.

Ainsi le lecteur normalement attentif n'a pas pu être trompé sur le sens à donner au mot coutellerie puisque rien dans les extraits litigieux ne pouvait lui faire croire que la société Bee design se présentait comme un fabricant de couteaux assurant de surcroit un service après-vente qui n'est nullement affirmé dans les extraits litigieux.

Tromperie sur les qualités substantielles des produits

Au sens de l'article L. 121-2, 2° b du Code de la consommation, (codifié aujourd'hui sous l'article b L. 121-2, 2° b) une pratique commerciale est trompeuse lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir: ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service.

1) sur le grief de tromperie tenant aux qualités du produit

En première page de son site (pièce 9), la société Bee design indique " Laguiole-Attitude vous garantit un produit conforme de qualité et vous protège de la contrefaçon ".

S'il est exact que " garantir un produit conforme de qualité " peut s'interpréter comme la garantie offerte au consommation d'un produit conforme aux caractéristiques énoncées sur chaque fiche de qualité, le fait de rajouter " vous protège de la contrefaçon " se heurte au fait non contesté que le couteau Laguiole ne bénéficie quant à lui d'aucune protection juridique.

Il convient de retenir le grief d'un discours trompeur sur ce point susceptible d'induire en erreur le client moyen quant aux qualités intrinsèques des couteaux de type Laguiole vendus sur son site.

2) sur le grief de tromperie quant à la fabrication artisanale des couteaux et quant à leur origine

La société Bee design justifie par l'attestation de son expert-comptable en date du 10 juin 2015 que 80 % des achats de couteaux commercialisés en 2014 et 2015 sont " produits en France " et que les 20 % restants sont des " couteaux importés ".

Si ces pourcentages sont contestés et si la notion " produits en France " peut effectivement recouvrir différentes situations, la société Bee design justifie qu'elle est depuis plusieurs années le distributeur de sociétés de fabrication artisanale de couteaux situées à Thiers (cf. lettres et courriels de Fontenille Pataud des 16 janvier 2015 et 26 février 2019, de Claudine D. du 22 février 2019, de la Scip Vauzy-Chassangue le 20 février 2019, de la manufacture Au Sabot le 25 février 2019) voire à Laguiole (courrier en date du 15 janvier 2015 de la société Fonderie Laguiole ).

Elle peut dès lors valablement dédier des pages de sa communication internet à la fabrication artisanale des couteaux concernés, sans qu'il y ait pratique commerciale reposant sur de fausses allégations concernant ce type de produits.

Mais commercialisant également des couteaux importés ou industriels, il convient d'apprécier si comme le prétend la société Forge de Laguiole, cette commercialisation s'est réalisée sous la fausse présentation d'une fabrication artisanale.

Il est indiscutable que sur son site, la société Bee design s'emploie à distinguer deux types d'articles :

- sur la page " Couteaux à l'ancienne ", elle indique ainsi que " Laguiole attitude vous propose un large choix de couteaux (...) Laguioles artisanaux faits main en France et de coutellerie industrielle de qualité " (cf. Pièce 9-5 de l'intimée et constat d'huissier).

- elle distingue par ailleurs différentes gammes de qualité " allant des couteaux au meilleur prix jusqu'aux couteaux Laguiole fabriqués à la main, de façon 100 % artisanale par des maîtres couteliers (...) " (passages soulignés par la cour).

Mais il est tout aussi exact qu'elle illustre son discours sur l'origine artisanale de ses couteaux en proposant en première page de son site, une vidéo sur la fabrication artisanale et en vantant ensuite le " Couteau Laguiole " comme " un objet emblématique français " et encore en ornementant certaines pages d'une estampille " comment choisir son couteau artisanal fabriqué en France. Garantie à Vie " (cf. constat d'huissier du 28 novembre 2014 p3).

Force est de constater qu'elle ne donne alors au consommateur aucune clef permettant de distinguer le couteau français de fabrication artisanale des autres et se limite à énoncer que le prix est le critère déterminant lui permettant de comprendre que les deux sous-rubriques de son site, intitulées " couteaux pliants " et " couteaux multifonctions " correspondent aux couteaux " industriels ".

Or ce critère n'est nulle part explicité et la notion de " meilleur prix " laissée à la libre interprétation du lecteur. Ainsi si les couteaux proposés dans les deux dernières sous-rubriques sont vendus dans une fourchette de prix comprise entre 19 et 60 euros, il reste que les couteaux vendus dans les cinq premières rubriques le sont dans une fourchette de prix allant de 59 et 990 euros, avec de nombreux modèles au prix de 150 euros à 200 euros, de sorte que le prix ne peut pas être un critère déterminant pour le client quant au mode de fabrication et à l'origine réelle de l'article offert.

Il convient ainsi de constater :

- que tout en mettant en exergue une fabrication artisanale du couteau Laguiole, la société Bee design intègre pourtant dans la rubrique " Couteaux Laguiole " des couteaux de fabrication industrielle voire importés de même design que le couteau artisanal,

- qu'elle ne donne aucune indication au consommateur permettant de distinguer sans risque d'erreur le produit correspondant à une fabrication artisanale de celui qui ne l'est pas.

Ce grief qui englobe celui tenant à la confusion entretenue sur l'origine des couteaux sera donc retenu.

Sur l'altération du comportement économique du consommateur moyen

Il convient d'examiner si les manquements ci-dessus retenus ont été susceptibles d'altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur en l'amenant à prendre une décision qu'il n'aurait pas prise si de tels manquements n'avaient pas eu lieu.

Produit de consommation courante, le couteau acquiert une valeur particulière quand il est relié à une histoire et à un savoir-faire. Il devient alors un objet singulier susceptible d'être recherché le plus souvent dans le cadre d'achats limités en nombre sinon uniques, réalisés par tous types de consommateurs qui sont donc plus susceptibles d'être induits en erreur par une publicité trompeuse quant aux qualités intrinsèques de l'objet acheté.

Les fausses indications portant sur une représentation officielle de la " Marque Laguiole " qui n'existe pas en tant que telle mais qui se décline en plusieurs marques dont certaines annulées à ce jour, la garantie offerte d'une protection contre la contrefaçon laissant croire que les produits vendus par la société Bee design seraient protégés au détriment de ceux des concurrents, étaient susceptibles de convaincre le consommateur raisonnablement attentif et avisé, de la légitimité exclusive de toute autre, de tous les produits vendus par la société Bee design.

Le discours axé sur la fabrication artisanale et la confusion entretenue quant à l'identité de " Forge de Laguiole " conjugués à l'attractivité d'articles à moindre coût étaient de nature à modifier substantiellement le comportement économique de ce même consommateur alors convaincu de pouvoir se procurer un couteau artisanal Laguiole à moindre frais.

En trompant ainsi le consommateur, Bee design a réalisé un détournement de clientèle et s'est assuré un avantage concurrentiel indu au préjudice des appelants qu'il convient d'apprécier dans son quantum.

Sur le préjudice

Un trouble commercial, constitutif d'un préjudice, fût-il seulement moral, s'infère nécessairement d'un acte de concurrence déloyale.

Le fait de détourner ou de s'approprier la clientèle d'une entreprise concurrente induit des conséquences économiques négatives pour la victime, se traduisant par un manque à gagner et une perte subie y compris sous l'angle d'une perte de chance.

La société Forge de Laguiole soutient que son chiffre d'affaires était en hausse entre 2010 et 2012, qu'il a baissé en 2013 et qu'il se maintient à des montants similaires depuis cette date en opposant, au-delà de ses doutes quant à la fiabilité des chiffres adverses communiqués, le fait que le chiffre d'affaires annoncé par Bee design est " colossal " puisque représentant le 5e de celui qu'elle réalise elle-même.

L'examen des chiffres d'affaires donnés par la société Forge de Laguiole entre 2010 et 2016 montre que :

- l'année 2012 est l'année où a été réalisé le plus fort chiffre d'affaires de 5 179 925 euros contre 4 790 246 euros en 2011,

- ceux réalisés sur les exercices suivants sont certes repassés en deçà de la barre des 5 millions d'euros mais ont atteint des montants supérieurs à ceux réalisés avant 2012,

- son chiffre d'affaires a effectivement chuté de 295 898 euros en 2013 par rapport à 2012, de 43 487 euros en 2014 par rapport à celui de 2013, et encore de 14 459 euros en 2015 par rapport à 2014. Il a ensuite augmenté de 97 149 euros en 2016 par rapport à 2013.

Il apparaît d'une part que la diminution du chiffre d'affaires 2013/2012 ne peut pas être reliée avec certitude avec les manquements reprochés à la société Bee design, n'étant pas établi que le site et le blog auraient alors eu le contenu litigieux ayant conduit à l'action contentieuse qui n'a été engagée qu'en octobre 2014.

Même si une simultanéité peut être constatée quant à l'évolution des résultats respectifs de 2014/2015 au moment de l'insertion puis de la suppression des articles litigieux publiés sur le blog de la société Bee design, il reste constant qu'un préjudice commercial n'est jamais égal au chiffre d'affaires perdu mais seulement à la perte de marge nette du chiffre d'affaires, qui constitue le manque à gagner.

A ce titre, la société Forge de Laguiole s'abstient de toute production ou démonstration permettant de donner crédit à son évaluation globale de 300 000 euros.

En ce qui concerne la perte subie, elle ne démontre pas avoir dû exposer des frais, tels des dépenses d'investissements ou de publicités, en raison d'une dépréciation de sa production consécutive aux agissements de la société Bee design.

Elle n'en demeure pas moins fondée à soutenir que par ses pratiques, Bee design a attiré des consommateurs sur un marché restreint en les induisant en erreur sur ses droits réels quant à la représentation de la Marque Laguiole sans précision et quant aux qualités substantielles de ses articles en s'abstenant de distinguer clairement les couteaux de fabrication artisanale de ceux qui ne l'étaient pas.

Elle s'est ainsi assuré un avantage concurrentiel indu en utilisant encore à cette fin le nom et l'atelier de Forge de Laguiole dans des termes aussi réducteurs en se plaçant ainsi dans son sillage tout en faisant croire à des qualités qu'elle n'avait pas.

A cet égard, la réparation du préjudice en résultant peut être évaluée en prenant en considération cet avantage indû modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes.

Bee design indique les chiffres d'affaires suivants :

- 2011-2012 : 535 321 euros

- 2012-2013 : 709 090 euros

- 2013- 2014 : 923 341 euros

- 2014 -2015 : 982 136 euros

Au-delà de ses doutes quant à la fiabilité des données adverses, l'intimée souligne que ces chiffres d'affaires représentent 1/5 des siens sur la période considérée. Cependant aucun élément ne permet de retenir que ces résultats comme la progression des chiffres d'affaires ci-dessus serait le fait exclusif des manquements retenus alors même que le secteur d'activité de l'appelante est beaucoup plus large ce qui lui permet d'attirer et de fidéliser une clientèle. Le seul élément concret susceptible d'être retenu pour l'appréciation du préjudice subi en raison de l'avantage concurrentiel indu réside dans le fait que cette progression englobe l'achat de couteaux d'origine industrielle ou d'importation, ayant pu bénéficier de ces tromperies.

En prenant en compte que cette catégorie d'articles représente 20 % des articles proposés à la vente mais également le fait que leur prix se situe dans la fourchette mentionnée supra, il convient de réparer le préjudice subi par la société Forge de Laguiole à la somme de 40 000 euros.

Il convient également de retenir un préjudice d'image subi par Forge de Laguiole du fait de la publication de l'article dans des termes aussi réducteurs qui sera indemnisé à hauteur de la somme de 15 000 euros.

Sur les autres mesures réparatrices.

Bien que soutenant le caractère excessif des conclusions tirées par l'intimée quant à l'emploi des termes SITE OFFICIEL LAGUIOLE et BOUTIQUE OFFICIELLE DE LA MARQUE LAGUIOLE, la société Bee design indique avoir fait retirer ces mentions du site.

Les griefs étant fondés et retenus sur ce point, la mesure d'interdiction ordonnée en première instance sera néanmoins confirmée en tant que de besoin et complétée par l'interdiction faite à la société Bee design d'utiliser l'expression de " Boutique en ligne officielle de la marque Laguiole " dès lors que la juxtaposition des mots " officiel Laguiole (r) " ou " officielle de la Marque Laguiole " sans autre précision peut effectivement laisser croire à tort à une reconnaissance voire une authentification qui est pourtant inexistante.

De la même manière en l'absence de protection spécifique du couteau Laguiole, la décision de première instance sera confirmée en ce qu'elle a dit que la société Bee design ne pourra plus utiliser l'expression " protège de la contrefaçon ". Elle sera également confirmée en ce qu'elle a interdit à Bee design de se présenter sous le terme générique Laguiole.

L'astreinte prononcée par le tribunal sera confirmée dans son quantum sauf à dire qu'elle commencera à courir à l'expiration du délai d'un mois suivant la signification du présent arrêt et pendant une période de trois mois.

Par contre et pour les motifs qui précèdent tenant au rejet des autres griefs, le jugement de première instance sera réformé sur les autres mesures réparatrices ordonnées.

L'indemnisation allouée et les mesures ordonnées étant suffisantes à indemniser le préjudice et à faire cesser les actes illicites, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de publication.

Sur les frais et les dépens

La société Bee Design, qui succombe au moins partiellement, devra supporter les dépens de l'instance et payer à la société Forge de Laguiole une somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Réforme le jugement du tribunal de commerce de Rodez en date du 21 mars 2017, mais seulement en ce qu'il a : - dit que les pièces versées aux débats n'ont pas à être écartées, - dit : Que la société Bee design ne pourra plus utiliser les expressions, " produit conforme de qualité " et " coutellerie artisanale ", Que la société Bee design ne pourra plus utiliser l'expression générique " Laguiole ", Que la société Bee design ne pourra plus utiliser les mots clés " Forge de Laguiole " pour son référencement payant sur Google, - condamné la société Bee design à verser à Forge de Laguiole la somme de 30 000 euros de dommages-intérêts pour perte subie et manque à gagner, - condamné la société Bee design à verser à Forge de Laguiole la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts pour dépréciation de son image de marque du fait de l'utilisation du nom " Forge de Laguiole ". Statuant à nouveau de ces chefs, Ecarte des débats les pièces n° 13.2, 13.3,13.4, 13.6,13.7, 13.8 et 21 produites par la société Forge de Laguiole, Dit n'y avoir lieu à écarter les autres pièces critiquées, Déboute la société Forge de Laguiole de ses demandes tendant à ce qu'il soit fait interdiction à la société Bee design d'utiliser les expressions, " produit conforme de qualité " et " coutellerie artisanale ", d'utiliser l'expression générique " Laguiole ", les mots clés " Forge de Laguiole " pour son référencement payant sur Google, Condamne Bee design à payer à la société Forge de Laguiole la somme globale de 55 000 euros de dommages-intérêts, Confirme le jugement entrepris dans le surplus de ses dispositions et y ajoutant, Dit que la société Bee design ne pourra plus utiliser l'expression " boutique en ligne officielle de la marque Laguiole ", Dit que la société Bee design ne pourra plus se présenter sous l'expression générique " Laguiole ", Ordonne à la société Bee design de se conformer aux mesures d'interdiction ci-dessus confirmées ou ordonnées dans un délai de 1 mois suivant la signification du présent arrêt et sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard commençant à courir à l'expiration de ce délai et pendant une période de trois mois. Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires, Dit que la société Bee design supportera les dépens de première instance et d'appel et payera à la société Forge de Laguiole une somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Dit que les dépens d'appel seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.