CA Pau, 1re ch., 20 mai 2020, n° 20-01269
PAU
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Comptoir Agricole Basque (SA)
Défendeur :
John Deere (SAS), Cab Services (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duchac
Conseillers :
MM. Serny (rapporteur), Castagne
Avocat :
SCP ABC Avocat
Vu l'acte d'appel initial du 29 janvier 2018 ayant donné lieu à l'attribution du présent numéro de rôle,
Vu le jugement dont appel rendu le 04 décembre 2017 par le Tribunal de grande instance de Bayonne qui a :
- déclaré Pierre C. recevable et fondé dans son action en résolution de l'acquisition par lui acquis d'un tracteur vendu par la S.A.R.L. Comptoir Agricole Basque selon contrat du 8 mars 2009 moyennant au prix de 62.500 euros H.T.,
- condamné la SAS John Deere France, le Comptoir Agricole Basque et la S.A.R.L. Cab Services à lui verser la somme de 62 500 euros H.T. augmentée du taux de TVA applicable depuis le 22 avril 2011,
- condamné ces trois mêmes personnes à lui payer une indemnité de 6 000 euros en dédommagement des préjudices annexes,
- condamné ces trois personnes aux dépens et à lui payer 2 000 euros en compensation de frais irrépétibles,
- assorti sa décision de l'exécution provisoire ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 28 mars 2019 par la société John Deere qui poursuit l'infirmation du jugement en opposant la prescription de l'action en résolution, l'absence d'un vice rendant la chose impropre à sa destination justifiant l'anéantissement du contrat et l'absence de tout préjudice annexe, pour ensuite réclamer 15 000 euros en compensation de frais irrépétibles exposés devant les deux degrés de juridiction ;
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 27 juin 2019 par la SA Comptoir Agricole Basque qui conclut à l'infirmation du jugement en opposant également la prescription, l'absence de tout défaut de conformité, l'absence de préjudice et en réclament 5 000 euros en compensation de frais irrépétibles exposés devant les deux degrés de juridiction ;
Vu les conclusions transmises par voie électronique le 23 juillet 2018 par Pierre C. au visa des articles 1147 et 1604 (obligation de délivrance du vendeur) et 1245 (responsabilité des produits défectueux) par lesquelles il entend :
- que la SA Comptoir Agricole Basque et la SAS John Deere soient déclarées contractuellement responsables de manquement et tendant à la confirmation de la décision dont appel en ce qu'elle prononcé la résolution de la vente et alloué des dommages-intérêts ;
- que lui soit allouée une somme de 5 000 euros en compensation de frais irrépétibles ;
Vu l'absence de comparution de la S.A.R.L. Cab Services en raison de sa radiation du RCS ;
Vu l'ordonnance de clôture délivrée le 08 janvier 2020.
Le rapport ayant été fait oralement à l'audience.
MOTIFS
Pierre C. a acquis de la SA Comptoir Agricole Basque qui est son seul vendeur et qui est seul tenu, pour être le seul vendeur, de la garantie des vices cachés et de l'obligation de délivrance.
Parallèlement à la vente, il a fait assurer le service d'entretien du tracteur par la S.A.R.L. Cab Services, liée à la SAS Comptoir Agricole Basque, mais juridiquement indépendante de cette dernière. Les manquements liés à l'inefficacité des réparations ou à des diagnostics erronés lors des incidents de fonctionnement se rattachent à ce contrat de fourniture de service et non au contrat de vente.
Sur la disparition de la S.A.R.L. Cab Services
A) l'aveu d'une situation irrégulière
La S.A.R.L. Cab Services, présente en première instance ne comparait pas en cause d'appel ; on lit dans les écritures de la SA Comptoir Agricole Basque les phrases suivantes révélatrices d'une situation irrégulière qui commande la communication au ministère public :
" Les établissements Comptoir Agricole Basque comprenaient à l'origine deux sociétés distinctes :
- la SA Comptoir Agricole Basque dont l'activité était axée sur la fourniture de matériel agricole,
- la S.A.R.L. Cab Services qui gérait quant à elle la fourniture de pièces détachées et le service après-vente. "
" La S.A.R.L. Cab Services a fait l'objet d'une dissolution amiable le 30 septembre 2015 et a été radiée du RCS DE BAYONNE le 23 février 2017 avec effet au 10 février 2017. "
Une décision de dissolution de société emporte désignation d'un liquidateur qui a pour mission de céder les actifs, de payer le passif ; cette mission emporte non seulement celle de répartir le boni de liquidation, mais aussi de déposer le bilan si le passif exigible est supérieur à l'actif disponible.
L'existence même d'une procédure judiciaire entre la société liquidée et un tiers démontre qu'un élément du passif de la société en liquidation était discuté et cela fait obstacle à toute clôture des opérations de liquidation et de radiation du registre du commerce. La disparition de la personne morale sur la base d'une clôture comptable dépourvue de sincérité constitue donc une faute civile susceptible d'engager la responsabilité des dirigeants sociaux et du liquidateur ; elle peut aussi dissimuler une infraction pénale puisque le patrimoine qui répond des créances impayées est escamoté.
La décision de dissolution emporte changement de représentant légal, ce qui est une cause d'interruption des instances en cours au moment où elle intervient et l'obligation de régulariser la procédure par l'intervention de ce nouveau représentant légal ; si c'est le dirigeant antérieur qui assure cette fonction, il lui appartient de signaler son changement de qualité.
La procédure sera donc communiquée au parquet pour vérifications car des créanciers ont pu être lésés.
B) l'interruption d'instance et la réouverture des débats
Les débats établissent que la disparition de la S.A.R.L. Cab Services est reconnue par les parties, même si les dossiers ne comportent pas le RCS. La cour la tient donc pour acquise.
La décision de dissolution du 30 septembre 2015 est une cause d'interruption de l'instance qui avait été engagée le 27 mars 2015 devant le tribunal de grande instance.
La date de la radiation du RCS est antérieure au jugement dont appel ; à la date à laquelle le tribunal a statué dans l'ignorance de cette disparition, aucune action contre la société n'était donc plus possible sauf à ce qu'un administrateur ad hoc ait été désigné en justice pour la représenter et sauf à ce que la SAS Comptoir Agricole Basque ait été cessionnaire à titre universel de la S.A.R.L. Cab Services, ce que l'on ignore (auquel cas elle serait obligée non pas en qualité de venderesse mais en qualité de prestataires de services aux droits de la société radiée).
Comme la teneur des conclusions de la SAS Comptoir Agricole Basque vaut notification en cause d'appel d'une interruption d'instance antérieure au jugement dont appel suivie de la disparition non contestée d'une des parties au procès, et comme le jugement n'est pas ratifiable en l'absence de désignation d'un administrateur ad hoc ou de successeur à titre universel, le jugement rendu sera déclaré non avenu, avec la conséquence que la procédure visant la S.A.R.L. Cab Services ne pourra être reprise qu'en première instance. La cour ne peut en effet se considérée saisie d'une action sur lequel le tribunal n'a pas statué.
S'il est justifié que la SAS Comptoir Agricole Basque est cessionnaire à titre universel de la société dissoute, la reprise d'instance pourra intervenir contre elle mais cela ne peut se faire en cause d'appel car la SAS n'y est pas attraite en qualité de continuatrice de la personne de la S.A.R.L. Cab Services.
La cour ne peut statuer que sur les actions entre Pierre C., la société John Deere et la SA Comptoir Agricole Basque RCS 782 370 043.
Sur la recevabilité visant la SA Comptoir Agricole Basque en raison du mauvais fonctionnement du tracteur
Pierre C. a acquis de la SA Comptoir Agricole Basque qui est son seul vendeur et qui, à ce titre est tenu à la garantie des vices cachés et tenu d'une l'obligation de délivrance du chose conforme.
La SA Comptoir Agricole Basque n'a pas conclu de contrat de prestations de services pour le suivi du véhicule vendu.
Le droit de la consommation ne trouve pas à s'appliquer puisque Pierre C. a acquis en qualité de professionnel ; la recevabilité des demandes s'apprécie donc au regard du seul droit civil.
A) chronologie utile
La vente du tracteur litigieux de type JD 6230 portant le numéro de série L06230K608118 a été conclue en février 2009 puis facturée ; il a été facturé le 18 mars suivant au prix de 62 500 euros H.T. soit 74 750 euros T.T.C., puis livré le 2 avril 2009.
A partir du mois de février 2010, Pierre C. s'est plaint de pannes affectant le système de direction qui serait affecté de " points durs " pouvant être bloquants, d'un mauvais fonctionnement de l'embrayage du pont avant, de problèmes de pertes de puissance à l'accélération pouvant créer un danger en cours de travaux agricoles sur de fortes pentes et d'apparition de " codes pannes ".
Le 27 septembre 2011, comme les contrôles techniques amiables n'ayant pas permis de résoudre le litige, Pierre C. a délivré assignation en référé à la société venderesse au visa de l'article 145 du Code de procédure civile.
Par ordonnance du 26 octobre 2011, le juge des référés a institué une expertise qui a ensuite été étendue à la société John Deere et à la S.A.R.L. Cab Services. Le rapport en a été déposé le 29 mars 2013
Le rapport donne l'avis de l'expert ; pour ce qui concerne le débat sur la recevabilité, sa teneur ne révèle rien de neuf ni de plus grave que ce qui avait motivé la saisine du juge des référés aux fins d'expertise.
Pierre C. a saisi le tribunal de grande instance par une assignation du 27 mars 2015 au visa des articles 1134 et 1147 du Code civil, en se plaignant de désordres que la partie adverse entend faire requalifier de vices cachés pour opposer la prescription biennale ; la prescription doit donc être examinée du chef des deux types d'action étant précisé qu'en toute hypothèse il subsiste des griefs, visés dans la mission de l'expert, qui ne peuvent pas relever de la garantie des vices cachés.
B) sur la prescription de l'action en garantie des vices cachés
Comme le vendeur et la société John Deere font valoir que malgré le visa des articles 1147 et 1134 du Code civil, la demande recouvre une action en garantie des vices cachés pour soutenir qu'elle est irrecevable après requalification, la cour doit se prononcer sur la qualification de l'action et sur l'application du délai biennal de l'article 1648 du Code civil.
Les défauts sur lesquels ont porté les examens ont toujours été les mêmes entre la première visite au garage en 2010 et les opérations d'expertise ; ce n'est donc pas l'expertise qui a informé Pierre C. de la nature réelle des vices dont il se plaint ; la date de dépôt du rapport d'expertise n'a rien révélé et l'expert a porté une appréciation sur les défauts dont Pierre C. s'était plaint. Les désordres qui y sont décrits concernent la bonne marche de la chose acquise et l'existence de défauts mécaniques qui la rendent impropre à son fonctionnement ce qui signifie, quel que puisse ensuite avoir été le visa des textes légaux mentionnés dans l'assignation au fond ; l'acheteur, en saisissant le juge des référés, entendait obtenir une mesure d'instruction susceptible de soutenir aussi bien une action en garantie de vices cachés qu'une action en responsabilité pour défaut de conformité ; sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, il n'avait pas à préciser de fondement précis. Cette assignation de référé a donc interrompu le délai biennal de l'article 1648 du Code civil au moment où elle est intervenue.
Par application de l'article 2231 du Code civil, l'interruption d'un délai de prescription a pour effet d'en faire courir un nouveau qui est de même durée.
La décision instituant l'expertise a eu également un effet interruptif de prescription, mais ce délai a été immédiatement suspendu jusqu'au dépôt du rapport d'expertise par application de l'article 2239 du Code civil. Ainsi, le délai biennal a donc été suspendu à compter du 26 octobre 2011 pour ne recommence à courir que le 29 mars 2013, date de dépôt du rapport d'expertise ; pour avoir assigné au fond, par acte du 27 mars 2015, Pierre C. pouvait encore agir sur le fondement de la garantie des vices cachés.
Cependant l'assignation qui a saisi le tribunal de l'instance sur le fond a été délivrée deux jours avant le terme du délai de prescription biennale de l'article 1648 du Code civil ; elle vise seulement les articles 1134 et 1184 du Code civil mais non les articles l'article 1641 et suivants propres à l'action rédhibitoire ; le demandeur s'en est donc tenu à une action en résolution fondée sur le défaut de conformité du véhicule, non sur une action rédhibitoire ; le fondement d'une telle action en résolution pour défaut de conformité se prescrit dans le délai de droit commun de 5 ans de l'article 2224 du Code civil.
C) sur la prescription de l'action en responsabilité pour défaut de conformité de la chose vendue par la SAS Comptoir Agricole Basque
Cette action est soumise au délai de prescription de droit commun de 5 ans qui court à compter de la découverte de la non-conformité, qui est distincte de la garantie des vices cachés.
L'assignation qui a saisi le tribunal de grande instance en mars 2015 décrit des désordres pour soutenir qu'ils rendent le tracteur impropre à sa destination et elle vise les articles 1134 et 1147 du Code civil ce qui est une mauvaise qualification pour obtenir réparation des défauts de fonctionnement.
Mais l'assignation et les conclusions postérieures développent aussi des griefs relatifs à la conformité du tracteur à être utilisé sur des terrains en forte pente et l'expert devait se prononcer sur ce point puisque la mission qui lui a été confiée énonçait dans son point 12 : " dans le cas où le tracteur présenterait des impropriétés d'usage, les caractériser, dire si l'engin présente une dangerosité en usage normal dans les pentes ". L'assignation du 27 mars 2015 a interrompu ce délai.
L'action en responsabilité du fait d'une défectuosité du produit n'encourt pas le grief de prescription.
Le jugement sera confirmé sur ce point.
D) en conclusion sur la prescription
L'assignation au fond ayant ainsi été délivrée au visa des actions contractuelles, le délai de prescription biennale de l'article 1648 invoqué par le défendeur s'est trouvé expiré deux jours après la délivrance de l'acte ; le demandeur ne peut donc obtenir réparation que du chef de la responsabilité contractuelle en raison d'un défaut de conformité, aucun préjudice lié à un vice caché ne pouvant pas être indemnisé et dans l'appréciation du bien-fondé de l'action de Pierre C., il faut rechercher, pour chaque défaut dont il se plaint, si ce défaut présente les caractéristiques d'un vice caché (prescrit) ou d'un défaut de conformité (non prescrit).
Sur le fond
La situation s'apprécie au moment de la vente, seul moment où le vendeur intervient puisque l'entretien et les réparations relevaient d'un contrat de services séparé, passé avec la société Cab Services et sur l'exécution duquel la cour ne peut se prononcer pour les raisons exposées ci-dessus.
Le seul défaut de conformité invoqué, et sur lequel a porté la mission de l'expert, réside dans l'aptitude du tracteur acquis à pouvoir être utilisé, indépendamment de tout vice de fabrication, dans les fortes pentes où évolue l'acquéreur. Tous les autres griefs relèvent de la garantie des vices cachés sur laquelle Pierre C. ne peut agir.
Sur ce point, l'expert explique qu'après la vente, l'acquéreur a fait installer un "booster" dans des conditions non réglementaires pour pouvoir mieux travailler et que la pose de dispositif a pu perturber le fonctionnement de l'électronique embarquée chargé de réguler l'injection et la carburation ; des ruptures de régime ont pu se produire. Le tracteur a donc été utilisé dans des conditions discutables par le fait de l'acquéreur lui-même. Ces constatations factuelles rompent aussi tout lien de causalité entre l'aptitude du modèle de tracteur à travailler sur la propriété de l'acheteur et la faute qu'aurait commise le vendeur (non l'entreprise qui a pu suivre l'entretien du véhicule) en lui fournissant ce modèle.
Rien ne vient démontrer que le modèle acquis soit inapte à être utilisé sur un terrain accidenté Pierre C. n'en est pas à sa première acquisition de tracteur dans la gamme du fabriquant John Deere ; il connaît donc bien ses besoins et l'aptitude du matériel de ce fabricant à les satisfaire ; il connaît aussi les inconvénients de travaux agricoles réalisés sur des terrains pentus ; il mesure donc les risques et les limites de la mécanique. Il ne démontre pas en quoi le vendeur lui aurait donné un mauvais conseil en lui vendant ce tracteur, qu'il a d'ailleurs pu utiliser.
Ne démontrant ni la faute de son cocontractant, ni le défaut de conformité du modèle vendu, Pierre C. sera débouté de son action en résolution de la vente.
Aucun dommage tenant à la défectuosité du produit ne peut être invoquée que ce soit sur le fondement de l'article 1147 du Code civil (dans son ancienne rédaction applicable en la cause) ou sur le fondement des articles 1245 et suivants du même Code.
Son action en responsabilité contractuelle visant la société John Deere ne peut prospérer pour les mêmes raisons.
Le jugement sera infirmé.
La SA Comptoir Agricole Basque n'exerce aucune action récursoire contre la société John Deere
Sur les demandes annexes
Par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Pierre C. sera condamné à payer 2 500 euros à la société John Deere.
Les dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais de référé et d'expertise seront supportés par Pierre C.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt rendu par défaut et en dernier ressort, Communique la présente décision au Ministère Public en raison de l'irrégularité présumée des opérations de liquidation de la S.A.R.L. Cab Service dissoute et radiée en cours d'instance ; Déclare non avenu le jugement dans ses dispositions concernant la S.A.R.L. Cab Service en raison de l'interruption d'instance survenue avant ledit jugement mais seulement notifiée en cause d'appel ; Dit que parmi les griefs dénoncés, seul revêt le caractère de défaut de conformité le grief tenant à l'inaptitude du tracteur à être utilisé dans les fortes pentes et dit que l'ensemble des autres griefs concernent des défauts qualifiables de vices cachés non invoqués en temps utile au fond ; Confirme le jugement en ce qu'il a déclaré recevable l'action contractuelle en résolution et en indemnisation en raison de défauts de conformité ; Mais sur le fond, dit que le défaut de conformité allégué n'est pas justifié et déboute Pierre C. de son action contractuelle en responsabilité et réparation visant la SAS Comptoir Agricole Basque et la société John Deere ; Condamne Pierre C. à payer à la société John Deere une somme de 2 500 euros en compensation de frais irrépétibles et dit n'y avoir lieu à d'autre application de ce texte ; le Condamne aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de la SCP D. L. M. D.