CA Colmar, 2eme ch. civ., A, 14 mai 2020, n° 17-04289
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
S.R.I (SARL)
Défendeur :
Chez Vous Ou Presque - Tout Feu Tout Flammes (SAS), Du Coin Du Moulin (SCI), Axa France Iard (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Pollet
Conseillers :
M. Robin, Mme Garczynski
FAITS ET PROCÉDURE
La SCI du Coin du moulin (ci-après la SCI) a acquis le 7 février 2012, dans un ensemble immobilier situé [...], un hall dit 'A', dont elle a loué une partie à la société Chez vous ou presque pour y exploiter, sous l'enseigne 'tout feu, tout flamme', un fonds de commerce de fabrication de fonds de tarte, ayant nécessité la création et la mise en place d'une chaîne de fabrication et de restauration rapide.
Le 11 novembre 2012, les locaux, encore en cours d'aménagement, ont été endommagés par un incendie.
M. S., expert judiciaire, désigné en référé, qui a eu recours à M. S., sapiteur électricien, a indiqué, dans son rapport du 20 juin 2013, partager sans réserve les conclusions de celui-ci, selon lesquelles l'origine de l'incendie se situait dans la partie supérieure de l'armoire électrique, tableau général basse tension (TGBT), sans que la cause exacte qui avait déclenché l'incendie ait pu être mise en évidence ; il a évalué les dommages à 196 867,58 euros TTC.
La société SRI était chargée de la réalisation de l'ensemble des installations électriques, à l'exception des branchements des machines et équipements, laissés à la charge des entreprises concernées ; la réception des travaux de SRI n'était pas intervenue à la date du sinistre, mais, le 6 juillet 2012, un bureau de contrôle avait vérifié ces installations.
La société SRI a facturé à la société Chez vous ou presque, les 3 juin 2013 et 24 juillet 2013, les travaux qu'elle a réalisés à la suite du sinistre, pour les sommes respectives de 25 133,11 euros et 14 875,55 euros TTC, sur lesquelles elle lui a réclamé la somme de 14 880,30 euros, ayant été indemnisée du surplus par son assureur, la société Axa France IARD.
La société Chez vous ou presque s'étant opposée au paiement de cette somme, la société SRI l'a assignée, par acte du 5 novembre 2014, devant la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Saverne. La SCI du Coin du moulin est intervenue volontairement à l'instance. Elle s'est associée à sa locataire pour former une demande reconventionnelle en paiement de la somme de 262 907,57 euros en réparation des dommages subis. La société SRI a appelé en garantie son assureur, la société Axa France IARD (ci-après Axa).
Par jugement du 5 septembre 2017, le Tribunal de grande instance de Saverne a débouté la société SRI de sa demande principale et l'a condamnée à payer aux défenderesses la somme de 196 857,58 euros, en réparation de leur préjudice consécutif au sinistre ; il a condamné son assureur à la garantir et condamné, in solidum, les sociétés SRI et Axa au paiement aux défenderesses de la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile. Il a débouté la société Chez vous ou presque de sa demande en réserve de ses droits à chiffrer sa perte d'exploitation.
Le tribunal a retenu que l'article 1788 du Code civil mettait à la charge de l'entrepreneur la perte de l'ouvrage détruit par un incendie avant réception et que les factures réclamées par la société SRI, correspondant à des travaux de remise en état des installations électriques après sinistre, indemnisés comme tels par Axa en tenant compte du prix de revient du marché hors marge commerciale, ne pouvaient donner lieu à aucune demande complémentaire au maître de l'ouvrage.
Sur la demande reconventionnelle, il a estimé que la responsabilité de la société SRI ne pouvait être recherchée sur le fondement des articles 1788 et 1789 du Code civil, l'entrepreneur ne pouvant assumer les risques de la chose qu'il n'a pas réalisée, et que des éléments excluaient l'existence d'une faute de la société SRI, de sorte que sa responsabilité contractuelle n'était pas engagée ; il a retenu sa responsabilité sur le fondement de l'article 1384, alinéa 1, ancien, du Code civil, au motif qu'elle était restée gardienne de l'armoire électrique en l'absence de réception de l'ouvrage.
Sur le préjudice, il retenu l'évaluation des dommages faite par l'expert et n'a pas tenu compte de la facture de 43 446,69 euros, réclamée par la société Chez vous ou presque, en ce que, bien qu'antérieure à l'expertise, elle n'avait pas été invoquée devant l'expert.
Sur la garantie de l'assureur Axa, le tribunal a fait application de l'article 2.17.1 de la police relative à la responsabilité civile du chef d'entreprise et rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'existence d'une transaction, au motif que l'évaluation de l'expert portait sur l'ensemble des dommages consécutifs à l'incendie non visés par ladite transaction, laquelle portait exclusivement sur la remise en état de l'installation électrique réalisée par SRI, non concernée par l'appel en garantie.
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Par déclaration du 6 octobre 2017, la société SRI a interjeté appel.
Par conclusions du 21 mars 2019, elle a sollicité l'infirmation du jugement déféré aux fins de voir :
- sur sa demande principale : fixer sa créance à l'égard de la société Chez vous ou presque à la somme de 14 880,30 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 2 juin 2014, date de la mise en demeure, et la condamner à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- sur la demande reconventionnelle : constater l'irrecevabilité des prétentions de la société Chez vous ou presque et de la SCI, en raison de la vente de l'immeuble intervenue le 25 janvier 2018, et, au fond, les en débouter et les condamner à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
A titre subsidiaire, elle a sollicité la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Axa France IARD à la garantir et la condamnation de celle-ci à lui payer 2 500 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle a fait valoir, sur sa demande principale, que cette demande porte sur des travaux effectués après le sinistre, à la demande de la société Chez vous ou presque, et que celle-ci s'était engagée à les payer.
Sur la recevabilité de la demande reconventionnelle, elle a soutenu que la société Chez vous ou presque et la SCI n'ont plus qualité à agir, la vente ayant eu pour conséquence de transmettre à l'acquéreur du bien, objet des désordres, le soin de poursuivre l'action engagée, en l'absence de clause particulière dérogeant à ce principe, et l'acte de vente stipulant qu'il n'existe aucune procédure en cours.
Sur le fond, elle a rappelé que, selon la jurisprudence constante relative à l'article 1788 du Code civil, la charge des risques n'est présumée peser sur l'entrepreneur que concernant la chose même qu'il fournit, et non l'ensemble de l'ouvrage, de sorte que doit être recherchée sa responsabilité contractuelle de droit commun, ce qui nécessite la preuve d'une faute de sa part, aucune obligation de sécurité de résultat ne pesant sur lui.
Elle a soutenu que l'incendie, en raison de son caractère imprévisible et irrésistible, constituait un cas fortuit et a eu pour conséquence de faire périr la chose. Elle s'est approprié les motifs du premier juge sur son absence de faute et met en cause les résidus de laine de verre trouvés à l'intérieur de la partie gauche de l'armoire, à l'endroit où l'incendie s'est déclaré, dont la présence pourrait être imputée à la société exploitante. Elle a contesté avoir eu la garde de l'armoire, en l'absence de pouvoir effectif, autonome et réellement indépendant de direction et de contrôle de la chose, lequel avait été transféré à la société Chez vous ou presque ; à défaut de transfert de garde, elle a estimé être déchargée de sa responsabilité par la cause étrangère exonératoire.
Sur l'appel en garantie contre son assureur, elle s'est approprié les motifs du premier juge.
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Par conclusions du 26 mars 2019, Axa France a sollicité l'infirmation du jugement déféré aux fins de voir :
- déclarer irrecevable la SCI qui n'a plus d'intérêt à agir suite à la vente de son bien,
- débouter la SCI et la société Chez vous ou presque,
- débouter la société SRI de son appel en garantie,
- condamner la SCI et la société Chez vous ou presque in solidum à lui payer la somme de 12 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle a fait valoir, sur la fin de non-recevoir, qu'il ressort de l'acte de vente que la SCI ne s'est pas réservé la possibilité de poursuivre le procès en cours.
Sur le fond, elle a reproché au premier juge de ne pas avoir respecté la règle du non-cumul des responsabilités contractuelle et extra-contractuelle, faisant valoir qu'en présence d'un contrat, seule la responsabilité contractuelle peut être retenue, à l'exclusion de l'article 1384, alinéa 1, du Code civil. Subsidiairement, elle a contesté la qualité de gardienne du tableau électrique de son assurée, la garde devant être distinguée de la réception et ayant été transférée à la société Chez vous ou presque après la vérification de l'installation électrique par le bureau de contrôle, le tableau général basse tension étant utilisé par les entreprises intervenant sur le chantier pour s'éclairer. Elle a ajouté que n'est pas démontrée l'imputabilité du sinistre aux travaux de son assurée, en l'absence de preuve de ce que la cause du sinistre réside dans la structure même du tableau, alors notamment que de la laine de roche y a été placée par un tiers. Elle a contesté également toute faute contractuelle. Elle a estimé que l'entrepreneur ne doit de dommages et intérêts au maître de l'ouvrage, en cas de perte de la chose qu'il n'a pas réalisée, qu'en cas de faute prouvée, et qu'il est libéré du contrat si la perte est due à un cas fortuit.
Sur l'appel en garantie formé contre elle, elle a contesté devoir garantir les conséquences d'un incendie dans les locaux d'un tiers, qui aurait dû souscrire sa propre assurance. Elle soutient que l'article 2.17 du contrat d'assurance ne peut trouver application, puisqu'il concerne la responsabilité civile du chef d'entreprise, non caractérisée en l'espèce, et que les dommages de construction sont exclus, cette exclusion étant valable ; elle indique avoir versé une indemnité au titre du volet dommage du contrat, article 2.2, considérant que chaque entrepreneur intervenant sur le chantier était en charge des risques concernant son propre ouvrage et que cette indemnité prenait en charge le coût du remplacement du seul ouvrage réalisé par son assurée, la totalité des travaux réalisés par tous les corps d'état intervenus n'ayant pas à être supportée par elle. Elle a contesté l'appel incident de la société Chez vous ou presque sur la perte d'exploitation, les dysfonctionnements de la ligne de fabrication n'apparaissant pas liés à l'incendie, mais au matériel lui-même.
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Par conclusions du 12 mars 2019, la SCI du Coin du moulin et la société Chez vous ou presque, auxquelles se joignent le mandataire judiciaire et l'administrateur de cette dernière société, intervenant volontairement à la procédure, ont sollicité l'infirmation du jugement, en ce qu'il les a pour partie déboutées de leurs prétentions. La société Chez vous ou presque a demandé, en plus des condamnations prononcées par le tribunal, la somme de 43 443,69 euros, au titre des frais de remise en état de sa ligne de production, et la réserve de ses droits sur la perte d'exploitation. Les deux sociétés ont réclamé la condamnation des sociétés SRI et Axa, in solidum, à leur payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elles ont fait valoir, sur la fin de non-recevoir, que la SCI a financé partie des travaux de réfection, qu'elle agit en remboursement et que le bien cédé était rénové, de sorte que l'action en remboursement n'est pas un accessoire de celui-ci, qui aurait été transmis lors de la vente.
Sur le fond, elles ont soutenu que le sinistre résulte d'une cause inhérente à l'ouvrage, puisqu'il est consécutif à l'explosion de l'armoire électrique, que l'entrepreneur avait la garde de cet ouvrage jusqu'à la réception et qu'il doit réparation du préjudice. Subsidiairement, elles ont fait valoir que l'entrepreneur était tenu, jusqu'à réception, d'une obligation de résultat de réaliser un ouvrage exempt de vice, à laquelle il a en l'espèce manqué, et que le vice, même indécelable, ne constitue pas la force majeure. Très subsidiairement, elles ont plaidé que l'intérieur du bâtiment dans son ensemble a été détruit et que, l'origine du sinistre provenant de l'armoire, il appartient à la société SRI de démontrer que le sinistre est survenu sans faute de sa part, alors qu'elle est intervenue sur l'installation le 5 novembre 2012 suite à un dysfonctionnement de l'éclairage.
La société Chez vous ou presque a contesté le rejet de sa demande en indemnisation du nettoyage de la ligne de production, souillée par la fumée de l'incendie, et indiqué ne pas être en mesure de chiffrer sa perte d'exploitation, alors que son plan de sauvegarde n'a été arrêté que par jugement du 29 novembre 2016.
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L'instruction de l'affaire a été clôturée par ordonnance du 4 décembre 2018, laquelle a été révoquée par la cour à l'audience du 28 mars 2019, une nouvelle clôture de l'affaire étant ordonnée.
Par arrêt mixte du 16 mai 2019, la cour a rejeté les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité pour agir de la société Chez vous ou presque, ainsi que du défaut de qualité et d'intérêt pour agir de la SCI du Coin du moulin ; après avoir indiqué, dans ses motifs, que, le sinistre étant intervenu avant réception des travaux, la responsabilité de la société SRI ne pouvait pas être recherchée sur le fondement des articles 1792 à 1792-6 du Code civil, la cour a, avant dire droit au fond sur la demande reconventionnelle:
- invité les parties à faire toutes observations utiles sur l'application de la responsabilité du fait des produits défectueux à la demande reconventionnelle et sur la question de la prescription de l'action, sur ce fondement,
- sursis à statuer sur le surplus des demandes et renvoyé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 13 mars 2020.
Par ses dernières conclusions du 10 décembre 2019, la société SRI maintient l'intégralité de ses demandes, ajoutant une demande de condamnation de la société Chez vous ou presque à lui payer la somme de 14 880,30 euros, outre intérêts, et non une simple fixation de sa créance.
Elle fait les observations suivantes en réponse à l'arrêt de la cour :
- la demande reconventionnelle a été formée le 22 janvier 2015,
- sur la responsabilité du fait des produits défectueux :
* l'organisme vérificateur a attesté le 6 juillet 2012 de la conformité du produit, de sorte qu'elle doit bénéficier de l'exonération de responsabilité prévue à l'article 1245-10, 2° et 4°,
* les demandeurs reconventionnels n'établissent pas le défaut de son installation,
* elle n'en avait plus la garde,
* il existe une suspicion très forte d'un comportement répréhensible des demandeurs reconventionnels.
Par ses conclusions du 13 septembre 2019, la société Axa indique qu'il n'existe pas de difficulté concernant la prescription, interrompue en janvier 2015, alors que l'incendie est de novembre 2012. En revanche, elle estime que les conditions de mise en jeu de la responsabilité du fait des produits défectueux ne sont pas réunies, les experts ne concluant pas à une défectuosité de l'installation électrique et affirmant que la cause de l'incendie est indéterminée, si bien que l'imputabilité de l'incendie à une telle défectuosité n'est pas démontrée, le seul fait que l'incendie ait pris naissance dans le tableau électrique étant insuffisant.
Elle fait donc valoir que seuls les articles 1788 et 1789 du Code civil sont applicables, qu'elle a accepté d'indemniser la reprise de l'ouvrage de SRI bien que la garde de l'ouvrage eût été transférée au maître d'ouvrage au moment de l'incendie, que la survenance de cet incendie constitue un cas de force majeure, cause d'extinction des obligations contractuelles de la société SRI, et qu'aucune faute ne peut être retenue à son encontre.
Par conclusions du 9 mars 2020, Me C. intervient volontairement à la procédure en qualité de liquidateur judiciaire de la société Chez vous ou presque, suite au prononcé de la liquidation judiciaire de cette société, et reprend à son compte les demandes qu'il a formées précédemment en qualité de mandataire judiciaire, conjointement avec la société Chez vous ou presque, son administrateur judiciaire, et la SCI.
Sur les questions posées par la cour, la SCI et la société Chez vous ou presque, ainsi que ses liquidateur et administrateur judiciaires observent qu'il résulte de l'article 1245-5, dernier alinéa, que les constructeurs ne peuvent être responsables du fait des produits défectueux, étant déjà soumis au régime spécifique de responsabilité des constructeurs. Ils maintiennent, en conséquence, que la société SRI est responsable comme gardienne de l'installation, ou, subsidiairement, comme tenue à une obligation de résultat de réaliser un ouvrage exempt de vice et, encore plus subsidiairement, pour faute. Ils contestent que l'origine du sinistre soit inconnue puisqu'" elle réside dans l'armoire électrique ".
A l'audience du 13 mars 2020, avant l'ouverture des débats, la cour a révoqué l'ordonnance de clôture prononcée par elle le 28 mars 2019, suite à l'intervention de Me C. en qualité de liquidateur, et ordonné une nouvelle clôture.
MOTIFS
Sur la demande en dommages et intérêts
La responsabilité du fait des produits défectueux
Si l'article 1245-5 du Code civil dispose en son dernier alinéa que ne sont pas considérés comme producteurs les personnes dont la responsabilité peut être recherchée sur le fondement des articles 1792 à 1792-6 et 1646-1, il n'en résulte pas, pour autant, une exclusion de principe du régime de la responsabilité du fait des produits défectueux à tout constructeur ou 'réputé constructeur' d'un ouvrage.
En effet, dès lors que la responsabilité du constructeur ne peut être recherchée sur le fondement des articles 1792 à 1792-6 du Code civil avant la réception de l'ouvrage, condition de mise en œuvre de cette responsabilité, il peut être considéré comme producteur avant cette date, étant rappelé que toute exception est d'interprétation stricte.
En l'espèce, le sinistre étant intervenu avant la réception des travaux, il n'existe donc pas de difficulté pour considérer la société SRI, qui a installé l'armoire électrique litigieuse, comme producteur.
En application des anciens articles 1386-1 et suivants, devenus 1245 à 1245-17, du Code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit et qui résulte d'une atteinte à la personne ou à un bien, autre que le produit défectueux lui-même, ce qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime.
Selon l'article 1245-3 du Code civil, un produit est défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.
La charge de la preuve de la défectuosité du produit pèse sur la victime du dommage, et cette preuve peut être rapportée par tout moyen, notamment par des présomptions graves, précises et concordantes.
L'article 1245-10, alinéa 1, exonère le producteur de sa responsabilité de plein droit dans certains cas, et notamment s'il prouve, selon le 2°, " que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement. "
En l'espèce, l'armoire contenant le tableau électrique principal et à l'intérieur de laquelle le feu a pris naissance est un produit, lequel a été mis en circulation par SRI, nonobstant l'absence de réception des travaux d'installation électrique, dès lors qu'il a commencé à être utilisé par les entreprises intervenant sur le chantier.
Il suffit qu'il soit établi que cette armoire n'offrait pas une sécurité normale, sans qu'il soit nécessaire que la cause précise du défaut de sécurité soit déterminée. Or il résulte du seul fait que l'incendie s'est déclaré spontanément dans l'armoire électrique qu'elle n'offrait pas une sécurité normale.
Cependant, il est constant que la vérification des installations électriques en date du 6 juillet 2012 n'avait mis en évidence aucune non-conformité en rapport avec le sinistre et que les installations avaient fonctionné sans difficulté pendant plus de trois mois.
Il est, par ailleurs, établi que des résidus de laine de verre se trouvaient dans la face intérieure de la porte de gauche de l'armoire en partie haute, à l'endroit où l'incendie a débuté, le sapiteur indiquant : " c'est comme si de la laine de verre avait été collée à l'intérieur de la porte pour réaliser une isolation acoustique... cela altère le fonctionnement des disjoncteurs et ce n'est plus conforme aux règles de l'art " (p 3/5).
La société SRI n'avait aucune raison de placer cette laine de verre à l'intérieur de l'armoire et il est certain qu'elle n'y était pas lors du contrôle des installations le 6 juillet 2012.
En revanche, plusieurs intervenants étaient présents sur le chantier.
Si la société SRI a dû elle-même intervenir sur le chantier, une série de luminaires ne s'éteignant plus à la suite du passage de la société Hexatis, début novembre 2012, pour installer un dispositif d'alarme anti-effraction, c'est pour rétablir des connexions qui avaient été modifiées, ses travaux n'ayant pas concerné l'armoire électrique. La société Hexatis a ensuite été rappelée par le gérant de la société Chez vous ou presque, sans que l'objet et la portée de l'intervention qui s'en est suivie n'aient pu être identifiées.
Il peut être déduit de la présence de la laine de verre, dont le rôle dans le déclenchement de l'incendie ne peut être exclu, qu'un tiers est intervenu sur l'armoire après sa mise en circulation. La preuve est ainsi rapportée de circonstances permettant d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où l'armoire électrique a été mise en circulation par la société SRI ou que ce défaut est né postérieurement.
En conséquence, la société SRI ne saurait être déclarée responsable de l'incendie sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, bénéficiant de l'exonération prévue par les dispositions précitées.
Les autres régimes de responsabilité
L'application du régime spécial de la responsabilité du fait des produits défectueux n'exclut pas celle d'autres régimes de responsabilité, à la condition toutefois qu'elle repose sur d'autres fondements que le fait du produit.
Par conséquent, en l'espèce, il ne peut être fait application de la responsabilité du fait des choses fondée sur l'article 1384, alinéa 1, ancien, du Code civil, devenu l'article 1242, alinéa 1, à l'encontre de la société SRI, comme l'a fait le premier juge, laquelle procéderait nécessairement du défaut de sécurité présenté par l'armoire électrique ; en outre, concernant la société Chez vous ou presque et comme l'oppose Axa, l'article 1384, alinéa 1, ancien, ne peut être invoqué, s'agissant d'une responsabilité extra-contractuelle, alors qu'elle est liée à SRI par un contrat de louage d'ouvrage.
Il demeure donc seulement possible de rechercher la responsabilité de la société SRI pour faute contractuelle, s'agissant de la société Chez vous ou presque, ou pour faute délictuelle, s'agissant de la SCI du Coin du moulin, qui n'a pas commandé les travaux.
Cependant, aucune faute de la société SRI en lien avec le sinistre n'est caractérisée.
La société SRI n'était pas tenue, dans le cadre du contrat conclu avec la société Chez vous ou presque, d'une obligation de résultat de réaliser un ouvrage exempt de vice, comme soutenu, outre qu'une telle obligation se confondrait avec la responsabilité du fait des produits défectueux, précédemment écartée, et étant rappelé que la garantie des vices cachés ne concerne pas le contrat d'entreprise mais seulement le contrat de vente.
En conséquence, le jugement déféré sera infirmé et la demande reconventionnelle rejetée.
L'appel en garantie de SRI à l'encontre d'Axa n'ayant été formé qu'à titre subsidiaire, il n'y a pas lieu de l'examiner.
Sur la demande de la société SRI à l'encontre de la société Chez vous ou presque
La société SRI sollicite la somme de 14 880,30 euros au titre des travaux qu'elle a effectués après le sinistre, en réparation des dommages causés à son propre ouvrage, aux seuls motifs que la société Chez vous ou presque s'était engagée à payer 'des montants qu'elle devait' et que la motivation du premier juge n'emporte pas la conviction.
Cependant, en application de l'article 1788 du Code civil, l'entrepreneur qui fournit la matière supporte la perte de la chose qui vient à périr, de quelque manière que ce soit, avant d'être livrée, à moins que le maître n'ait été mis en demeure de recevoir la chose.
La livraison, au sens de ces dispositions, s'entend, en matière de construction, de la réception de l'ouvrage, telle que définie par l'article 1792-6 du Code civil.
En l'absence de faute de la société SRI, ces dispositions ont vocation à s'appliquer, s'agissant des dommages causés par l'incendie à son propre ouvrage avant sa réception, alors qu'elle n'avait pas mis en demeure la société Chez vous ou presque de le recevoir.
En l'espèce, Axa a accepté de supporter la charge des risques du dépérissement du tableau électrique et a indemnisé la société SRI, en estimant les dommages à l'ouvrage réalisé par son assurée à 25 128,36 euros, déduction faite de la franchise de 553,72 euros ; si cette indemnisation ne couvre pas tous les travaux de reprise de l'ouvrage de la société SRI, tels qu'elle les a facturés à la société Chez vous ou presque, elle ne peut se retourner contre le maître de l'ouvrage pour le surplus, puisqu'il lui incombe de supporter les risques de la perte de la chose qu'elle a fournie, conformément aux dispositions précitées. Elle ne pourrait que contester le montant de l'indemnité allouée par son assureur, déterminée par ce dernier en fonction des stipulations du contrat d'assurance conclu entre eux, ce qu'elle ne fait pas.
En conséquence, c'est à juste titre que le jugement déféré a débouté la société SRI de sa demande.
Sur les dépens et l'application de l'article 700 du Code de procédure civile
Compte tenu de l'issue du litige, chacune des parties supportera la charge de ses propres frais et ceux de l'expertise seront partagés par moitié entre, d'une part, les sociétés Chez vous ou presque et du Coin du moulin, et, d'autre part, les sociétés SRI et Axa.
Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire, après débats en audience publique, Vu l'arrêt du 16 mai 2019 ayant rejeté les fins de non-recevoir tirées du défaut de qualité pour agir de la société Chez vous ou presque ainsi que du défaut de qualité et d'intérêt pour agir de la SCI du Coin du moulin, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il a débouté la société SRI de sa demande principale ; Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant, Déboute la société Chez vous ou presque et la SCI du Coin du moulin de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts ; Déboute les parties de leurs demandes respectives fondées sur l'article 700 du Code de procédure civile en première instance comme en appel ; Condamne d'une part les sociétés Chez vous ou presque et du Coin du moulin, et d'autre part les sociétés SRI et Axa France IARD, à supporter la moitié du coût de l'expertise judiciaire et dit que chacune de ces sociétés supportera la charge de ses propres dépens, y compris ceux de la procédure de référé.