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Décisions

CA Nîmes, 1re ch. civ., 28 mai 2020, n° 15/05027

NÎMES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

GMG (SARL)

Défendeur :

VCR France (SAS), Vivai Cooperativi Rauscedo (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Bruyère

Conseillers :

Mme Léger, Mme Sanjuan-Puchol

TGI Nîmes, du 14 sept. 2015

14 septembre 2015

FAITS ET PROCÉDURE

1. En 1946, M. X a créé l'entreprise Maison X, pépiniériste produisant du matériel certifié ; la société a été immatriculée le 9 juillet 1947 puis réimmatriculée le 31 décembre 1958 au Tribunal de commerce de Saint-Hippolyte du Fort.

Elle est devenue la SA Maison X, immatriculée le 12 octobre 1970 au Tribunal de commerce de Nîmes, avec pour nom commercial XX, à directoire et conseil de surveillance ; jusqu'en 1997, elle a eu pour actionnaires M. X, très largement majoritaire, et sa fille Mme X.

Son activité principale était la production et la commercialisation de plants de vignes.

M. X et Mme X étaient également associés au sein d'un groupement foncier agricole Y, propriétaire de terres agricoles données en location à la société Maison X.

Suivant protocoles du 2 février 1997 et actes du 8 septembre 1997, M. X et Mme X ont vendu la majorité de leurs parts du Y et des actions de la société Maison X qu'ils détenaient ; le solde des parts et actions a fait l'objet d'une promesse de vente et d'achat assortie de conditions qui ont été levées par X le 24 février 2003 concernant la SA Maison X et le 26 février 2003 concernant le Y.

Le bail rural liant le Y et la SA Maison X a quant à lui été résilié sans indemnité.

2. Au sein de la société Maison X, M. X a exercé les fonctions de président du directoire entre septembre 1997 et mars 1999 puis a été membre du conseil de surveillance entre le 23 mars 1999 et le 30 mars 2004.

M. Z a exercé les fonctions de directeur commercial salarié de la SA Maison X depuis 1988 et a été membre du directoire à compter du 8 septembre 1997. Il a été licencié le 25 septembre 2003 et a démissionné de ses fonctions de membre du directoire le 2 octobre 2003.

3. Jusqu'en 2003, la SA Maison X a entretenu des relations commerciales avec la société Vivai Cooperativi Rauscedo (VCR Italie), coopérative agricole du Frioul (Italie) qui exerce également une activité de pépiniériste produisant du matériel viticole " certifié " pour laquelle elle est un acteur mondial de premier plan ; elle est également sélectionneur clonal.

Suivant statuts datés du 12 septembre 2003, la société VCR Italie a créé une filiale en France, la SAS VCR France, immatriculée le 17 septembre 2003 au registre du commerce et des sociétés de Nîmes, dont le capital a été distribué comme suit :

- société VCR Italie : 49 %

- société Eurovite Rauscedo (elle-même détenue majoritairement par la société VCR Italie) : 31 %

- M. X : 10 %

- MM. A et B : 5 % chacun

Au mois de septembre 2003, M. Z a été licencié de la SA Maison X.

Le 1er octobre 2003, il a été embauché en tant que directeur de la Société VCR France et le 2 octobre 2003, il a démissionné de son mandat de membre du directoire de la SA Maison X.

4. La société Maison X est devenue le 12 avril 2006 une société anonyme à conseil d'administration sous la dénomination XXX et l'enseigne commerciale Maison X.

Elle a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire ouverte par un jugement du 8 novembre 2006 du Tribunal de commerce de Nîmes puis a bénéficié d'un plan de continuation avec apurement du passif homologué par un jugement de ce même Tribunal du 11 décembre 2007.

Le 13 février 2009, après fusion avec la société C, la SA XXX a finalement été transformée en société à responsabilité limitée dénommée XXX.

5. Plusieurs procédures impliquant ces personnes physiques et morales ont ensuite été mises en oeœuvre :

- procédure pénale :

Dans le cadre de la procédure d'alerte prévue par l'article L. 234 du Code de commerce, M. D, commissaire aux comptes de la SA Maison X a, par courrier du 12 décembre 2003 adressé au procureur de la République, dénoncé des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale pouvant concerner M. X et M. B. et ayant entraîné une baisse importante du volume des commandes reçues par la société Maison X.

L'enquête diligentée à la suite de ce signalement par le service régional de police judiciaire de Montpellier a fait l'objet d'un classement sans suite par le parquet de Nîmes le 14 décembre 2005.

- procédures prud'homales :

Par ordonnance du 9 juin 2004, le conseil des prud'hommes de Nîmes statuant en référé a condamné la SA XXX à payer à M. Z le solde de l'indemnité transactionnelle de rupture de son contrat de travail.

Par jugement du 18 novembre 2005, il a débouté la SA XXX de sa demande en résolution du protocole de rupture du contrat de travail de M. Z, l'a condamnée à lui verser le solde de l'indemnité transactionnelle et des dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

- procédure de référé :

Par ordonnance du 24 novembre 2003, le juge des référés du Tribunal de grande instance de Nîmes a ordonné une expertise judiciaire confiée à M. E, a fait interdiction à M. X et M. Z de se trouver sur le salon Sitevi de Montpellier sous astreinte, a fait interdiction à la société VCR France d'utiliser de manière quelconque le nom de X sous astreinte et s'est réservé la liquidation éventuelle desdites astreintes.

Par arrêt rendu le 10 mai 2005, la cour d'appel de Nîmes a modifié la mission de l'expert, sans remettre en cause sa nomination et a annulé l'interdiction pour M. X et M. Z d'aller au salon Sitevi.

Le rapport d'expertise a été déposé le 7 février 2008.

- procédure civile en Italie :

Par jugement du 21 janvier 2006, le Tribunal de première instance de Pordenone a condamné la SA XXX à payer à la société VCR Italie la somme de 253 114,52 euros au titre des créances impayées, ainsi que la somme de 7 000 euros au titre des dépens et des frais irrépétibles.

- procédure d'arbitrage :

Par sentence du 22 mai 2007, le Tribunal arbitral a condamné solidairement les acquéreurs des actions de la SA XXX à en payer le prix à M. X, auquel s'ajoutent des dommages et intérêts, ainsi que des sommes accordées au titre des frais irrépétibles et des dépens.

6. Par actes des 4, 14 et 15 octobre 2010, la SARL XXX a assigné Mme X en sa qualité d'héritière de X, M. Z, la SAS VCR France et la société VCR Italie afin d'obtenir leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 6 400 000 euros à titre principal pour concurrence déloyale et parasitisme, ainsi que la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Contestant l'impartialité de l'expert judiciaire, Mme X, M. Z, la SAS VCR France et la société VCR Italie ont saisi le juge de la mise en étant, faisant valoir que M. E exerçait ses fonctions au sein d'une SARL F dans laquelle est associé M. D qui exerçait les fonctions de commissaire aux comptes de la SARL XXX.

Par ordonnance du 5 avril 2012, le juge de la mise en état du Tribunal de grande instance de Nîmes a annulé le rapport d'expertise déposé le 7 février 2008, a rejeté la demande de production de pièce sous astreinte formée par Mme X, M. Z, la SAS VCR France et VCR Italie, a condamné la SARL XXX à payer à ces derniers la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et a renvoyé l'affaire à la mise en état.

Par arrêt rendu le 7 novembre 2013, la cour d'appel de Nîmes a infirmé l'ordonnance du juge de la mise en état, disant que ce dernier n'avait pas compétence pour statuer sur la nullité du rapport d'expertise, et a condamné Mme X, M. Z, la SAS VCR France et la société VCR Italie à payer la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par jugement contradictoire du 14 septembre 2015, le Tribunal de grande instance de Nîmes a annulé le rapport d'expertise déposé par M. E le 7 février 2008, a débouté la SARL XXX de l'intégralité de ses demandes, et l'a condamnée au paiement de la somme de 5 000 euros à M. Z à titre de dommages et intérêts, la somme de 2 000 euros à la SAS VCR France à titre de dommages et intérêts, la somme de 2 000 euros à Mme X, M. Z, la SAS VCR France et la société VCR Italie chacun à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que la somme de 1 000 euros chacun sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens y compris les frais d'expertise.

Par déclaration du 6 novembre 2015, la SARL XXX a interjeté appel de cette décision.

Par arrêt contradictoire du 19 avril 2018, la cour d'appel de Nîmes a confirmé le jugement déféré en ce qu'il a annulé le rapport d'expertise déposé par M. E le 7 février 2008 mais l'a réformé pour le surplus et statuant à nouveau, a ordonné une nouvelle expertise, finalement confiée à M. G après changement d'expert.

L'expert a accompli sa mission et a établi son rapport le mai 2019.

Suivant ordonnance du conseiller de la mise en état du 25 juin 2019 l'instruction a été clôturée avec effet différé au 19 décembre 2019 et l'affaire a été fixée à l'audience du 7 janvier 2020. Les parties ont alors conclu, en suite du rapport d'expertise, le 5 puis le 18 décembre 2019 pour l'appelante et le 17 décembre 2019 pour les intimés. A l'audience du 7 janvier 2020, l'affaire a été renvoyée à celle du 28 janvier 2020 en raison de la grève des avocats.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 18 décembre 2019, la SARL XXX demande à la cour de :

- dire son appel, à l'encontre du jugement rendu le 14 septembre 2015 par le Tribunal de grande instance de Nîmes, recevable en la forme,

au fond y faisant droit,

- écarter des débats les dernières écritures et pièces signifiées par les adversaires le 17 décembre 2019, 2 jours avant la clôture, au visa des articles 15 et 16 du Code de procédure civile,

- subsidiairement, si par impossible, la cour venait malgré tout à accueillir les dernières écritures et pièces signifiées par les adversaires, admettre aux débats les présentes conclusions en réponse,

vu les articles 1382 du Code civil, L. 420-1 et suivants du Code de commerce,

- condamner solidairement les adversaires, qui ont commis des fautes de concurrence déloyale, parasitisme et comportement destructif à ses dépens, à lui payer la somme de 6.400.000,00 euros avec intérêts de droit à compter de la décision à intervenir, et ce jusqu'au parfait paiement,

- débouter les adversaires intimés de l'ensemble de leurs demandes, ainsi que de tout appel incident,

- les débouter de toutes demandes visant à voir constater de quelconques actes de concurrence déloyale de sa part à l'encontre de VCR France, ni un quelconque préjudice de M. Z,

- condamner conjointement et solidairement les adversaires à lui payer la somme de 20.000 euros hors taxes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, y compris le coût des rapports de M. E et de M. G, experts judiciaires dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Nîmes sur son affirmation de droit en application de l'article 699 du Code de procédure civile.

S'appuyant en particulier sur le rapport de l'expert L., elle fait valoir qu'il y a eu une chute brutale et massive des ventes de la société Maison X qui tient son origine dans la migration de ses clients vers la SAS VCR France ; que la société concurrente a été créée alors M. B. était encore directeur commercial de la société et mandataire social ; qu'elle a entraîné pour la société Maison X une perte de clientèle immédiate préparée antérieurement avec la complicité de la société VCR Italie qui a été indispensable ; que la rupture brutale des relations avec les fournisseurs et sous-traitants ont entraîné la désorganisation de la société Maison X, de même que la débauche massive de son personnel ; que M. X a prêté son nom à une opération de dénigrement commercial et d'absorption de la clientèle de la société Maison X alors qu'il était encore membre du conseil de surveillance ; qu'il existe ainsi de multiples fautes des intimés, constitutives d'une concurrence déloyale de leur part et ayant contribué à la production du dommage subi par la société Maison X.

Elle soutient que ces dommages ont été considérables, qu'elle a été obligée de déposer le bilan sans toutefois disparaître comme c'était l'objectif des intimés, que sa perte commerciale directe s'élève à 3 217 748 euros (perte de marge du fait de la clientèle détournée, remise de plants gratuits sans motifs, invendus, coût des litiges, dépenses de restructuration, indemnités payées au Y, coût des locaux surdimensionnés, frais financiers), mais que, en tenant compte de la situation qui s'est effondrée entraînant une chute de la valeur de son actif net, la perte réelle se situe à plus de 6 400 000 euros.

Elle conteste enfin tout acte de concurrence déloyale ou de dénigrement émanant de ses représentants de même que le préjudice invoqué par les intimés, en particulier par M. B..

Dans leurs dernières conclusions notifiées par voie électronique le 17 décembre 2019, Mme X, M. Z, la SAS VCR France et la société Vivai Cooperativi Rauscedo demandent à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement dont appel,

- constater que les faits de concurrence déloyale allégués par la société XXX à leur encontre ne sont pas établis et constater que la société XXX ne rapporte pas la preuve d'un prétendu préjudice,

- débouter la SARL XXX de l'ensemble de ses demandes,

- dire que la procédure engagée par la SARL XXX est abusive,

- constater que la société Maison X aujourd'hui XXX a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société VCR France et a porté préjudice à M. Z,

- condamner la SARL XXX à verser à la SAS VCR France les sommes de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts et 2 000 euros pour procédure abusive, à verser à M. Z les sommes de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts et de 2 000 euros pour procédure abusive, à Mme X la somme de 2 000 euros pour procédure abusive,

- condamner la SARL XXX à verser à chacun des défendeurs la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile outre les entiers dépens.

Rappelant que le rapport de M. E a été annulé, ils critiquent celui de M. G en ce qu'il n'a pas répondu à leur dire et demandent dans cette mesure de le recevoir avec tels égards que de droit.

Ils contestent toute concurrence déloyale de leur part, considérant que celle-ci ne peut leur être reprochée du seul fait de l'existence de clients communs ou d'une activité nouvelle de VCR France portant atteinte à une activité ancienne, celle de Maison X et que l'expert judiciaire se livre à cet égard à de simples hypothèses.

Sur le fond, ils estiment que l'engagement de M. X n'a créé aucune confusion aux yeux des tiers, qu'aucun comportement fautif à l'encontre de M. B. ou de la société VCR France n'est caractérisé, que la société VCR Italie dont la notoriété est mondiale était parfaitement en droit de s'installer directement en France ; que les transferts de clientèle et de personnel entre Maison X et VCR France sont mesurés et ne sont dus qu'à une concurrence normale entre les deux entreprises, à l'attractivité de la société VCR France et à l'impéritie des dirigeants de Maison X ; que les préjudices allégués ne sont ni comptablement justifiés, sont pour l'essentiel incompréhensibles, et ne leurs sont pas imputables.

Ils ajoutent que la société XXX s'est au contraire livrée à des actes de concurrence déloyale et de dénigrement portant atteinte à l'honneur et à la considération de M. B. et à l'image de la société VCR France et a multiplié les procédures abusives contre tous les intimés, justifiant ses condamnations au paiement de dommages et intérêts par confirmation ou ajout au jugement déféré.

MOTIFS

I. Sur la demande aux fins de rejet des conclusions des intimés

Au vu du message de l'appelante du 24 juillet 2019, proposant une fixation de l'affaire avec clôture différée alors que seul le pré-rapport d'expertise avait été communiqué aux parties, le conseiller de la mise en état a, par décision du 25 juin 2019, fixé au 19 décembre 2019 la clôture de l'instruction et au 7 janvier 2020 l'audience de plaidoirie.

L'appelante n'a pourtant conclu en lecture du rapport d'expertise définitivement établi le 15 octobre 2019 que le 5 décembre 2019, en connaissance de la proximité de la clôture différée qu'elle avait sollicitée. Elle n'est donc pas fondée à reprocher aux intimés d'avoir eux-mêmes déposé leurs conclusions le 17 décembre 2019, même si cette date est effectivement proche de la clôture, et celles-ci, tout comme les pièces venant à leur appui, ne sauraient être écartées des débats.

Elle a de surcroît pu répondre la veille de la clôture par des conclusions dont la recevabilité n'est pas discutée par les intimés et qui doivent donc être accueillies dans le champ du débat contradictoire.

II. Sur les demandes au fond de la société XXX

De même qu'en première instance, l'appelante se prévaut, au soutien de ses prétentions, à la fois de l'article L. 420-1 du Code de commerce et des règles de la concurrence déloyale fondées sur l'article 1382 ancien devenu 1240 du Code civil.

Or, comme le relèvent les intimés, il résulte des dispositions combinées des articles L. 420-7, R. 420-3 et de l'annexe 4-2 du Code de commerce que les demandes fondées sur les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ne peuvent être soumises qu'à des juridictions spécifiques, dont ne fait pas partie le Tribunal de grande instance de Nîmes.

Dès lors, seule est recevable l'action en concurrence déloyale qui, au demeurant, est la seule soutenue par la société XXX puisque, en fait, elle ne se réfère pas aux pratiques restrictives de concurrence incriminées par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

L'appelante doit donc rapporter la preuve d'une faute de chacun de ceux qu'elle met en cause, constituée d'actes déloyaux rompant l'équilibre qui doit exister entre acteurs économiques dans un système fondamentalement régi par le principe de la liberté du commerce et de la concurrence ; le préjudice qu'elle déplore doit ensuite être en lien de causalité avec les faits dommageables qu'elle incrimine.

- Sur les faits de concurrence déloyale

1. La société Maison X a réalisé un chiffre d'affaires régulier au cours des exercices 2000/2001, 2001/2002, 2002/2003 : 8 223 979 euros, 8 613 005 euros, 8 078 359 euros, pour une moyenne annuelle de 8 305 114 euros. Sa répartition entre les différents produits et secteurs d'activité présente sur ces exercices successifs une cohérence identique, ainsi notamment pour le domaine essentiel des ventes de greffés-soudés en France (2 967 032 euros, 2 845 282 euros, 2 787 282 euros, pour une moyenne de 2866 477 euros) et en Europe (3 044 907 euros, 3 475 785 euros, 2657 674 euros, pour une moyenne de 3 059 455 euros).

Ce chiffre d'affaires s'est effondré au cours de l'exercice 2003/2004 à 2 495 024 euros, soit une baisse de 70 %, impactant l'essentiel des secteurs d'activités et produits, dont les principaux, les ventes de greffés-soudés, sont passés à 1 153 296 euros pour la France (baisse de 60 %) et à 272 398 euros pour l'Europe (baisse de 91 %).

Cet affaissement considérable et soudain du volume d'activité de la société Maison X correspond exactement à l'arrivée de la société VCR France sur le marché sur lequel opérait la société Maison X et dont elle est devenue une concurrente directe.

Celle-ci a en effet été constituée suivant statuts du 12 septembre 2003 et immatriculée au registre du commerce et des sociétés de Nîmes le 17 septembre 2003 ; la société de droit italien Vivai Cooperativi di Rauscedo y détient directement 49 % du capital et indirectement 31 % ; M. X 10 %, M. Gilbert D'A. et M. B chacun 5 %.

Son siège social a été situé [...] qui, ainsi qu'il ressort du procès-verbal de constat de Maître Geneviève C.-C., huissier de justice, était en réalité une simple adresse postale, sans bureau, personnel ni activité.

Elle a conclu un bail commercial avec la SCA La Courme pour la location d'un hangar comprenant deux chambres froides situé à Gajan le 26 septembre 2003, qui a été signé par M. B., en qualité de représentant de la société VCR France. Elle était encore à la recherche de terres pour installer des vignes-mères, ainsi qu'il ressort des déclarations de son actionnaire principal au journal Paysan du midi, dans son édition du 11 décembre 2003.

En dépit de sa création toute récente et de structures émergentes, la société VCR France a réalisé, dès son premier exercice 2003/2004, un chiffre d'affaires de 3 105 888 euros, équivalent à presque 40 % de celui réalisé au cours des exercices antérieurs par la société Maison X, ancienne et réputée, et dans un secteur d'activité dont le cycle de production est d'aux moins deux années.

2. Lors de sa constitution, la société VCR France a intégré parmi ses membres fondateurs, M. X, qui avait été le créateur de la société Maison X.

Titulaires à eux deux de l'intégralité du capital social du Y, M. X et Mme G. avaient antérieurement cédé à la société Sefa 2 122 parts sociales du Y, sur 2 845, avec promesse d'achat et de vente des 723 parts restantes, par un premier protocole d'accord daté du 2 février 1997.

Aux termes d'un second protocole d'accord, celui-là non daté, M. X et Mme X avaient également vendu 4 488 actions de la SA G., sur les 5 983 qu'ils détenaient, de la façon suivante : cession par M. X de 1 496 actions à la société La Languedocienne, 1 496 actions à Groupama, 921 actions à la société Sofilaro, cession par Mme G. de 575 actions à la société Sofilaro. S'agissant des actions restantes, il avait aussi été convenu d'une promesse d'achat et de vente entre les parties, assorties de conditions.

M. X s'y est en outre, dans un paragraphe III spécifique, formellement interdit, 'dès la signature des présentes, toute activité concurrentielle à celles du groupe G., en Europe, directement ou indirectement, pendant une durée de 5 années'.

Quoique la date n'ait pas été portée formellement sur l'acte, il renvoie expressément au protocole de cession des parts du GFA 'du même jour' qui est joint en annexe 2 ; il doit donc être considéré que le protocole de cession des actions de la société Maison X est aussi du 2 février 1997.

Les premières cessions ont été finalisées le 8 septembre 1997 et les options d'achat ont été levées par M. X les 24 et 26 février 2003, pour les deux structures. De la sorte, au 26 février 2003, M. X n'avait plus aucune participation dans la société Maison X ou les entreprises qui lui étaient rattachées, et était délié de toute obligation de non-concurrence puisque la clause d'interdiction avait cessé de produire ses effets le 2 février 2002 et en tout état de cause au plus tard le 8 septembre 2002.

Il était donc libre de souscrire au capital d'une autre société, fut-elle concurrente de celle dont il avait été le fondateur et le dirigeant et dont il n'était plus membre du directoire depuis le 23 mars 1998. Ses fonctions au conseil de surveillance de la société Maison X auxquelles il avait accédé le 23 mars 1999 ne lui interdisaient pas davantage un tel investissement qui s'est limité à un apport de 15 000 euros, d'autant qu'il les a quittées quelques mois plus tard, le 30 mars 2004.

La société VCR France n'a quant à elle reçu de M. X qu'un apport financier marginal, à l'exclusion de toute autre participation de celui-ci, alors âgé de 91 ans, à son fonctionnement ; en revanche, son seul nom lui a donné une caution particulièrement utile pour son apparition sur le marché grâce à l'image de prestige et d'expérience qui lui était associée.

3. A compter du 1er octobre 2003, la société VCR France a également embauché M. B., qui avait été le directeur commercial de la société Maison X du 14 mars 1988 jusqu'à son licenciement intervenu le 25 septembre 2003, sans préavis ni clause de non-concurrence.

Ce licenciement s'est clairement inscrit dans les suites du recrutement par la société Maison X, suivant contrat de travail du 8 juillet 2003, de M. Philippe B. pour exercer les fonctions de directeur avec comme attributions d'assurer notamment la direction administrative, comptable, sociale et commerciale de l'entreprise.

En effet, dès le 2 juillet 2003, M. B. a formellement déploré le recrutement de ce directeur général, considérant qu'il bouleversait l'économie de sa propre mission de directeur commercial et équivalait à une rétrogradation en interne comme auprès des clients et fournisseurs. Bien qu'il lui ait été apporté une réponse rassurante le 8 juillet 2003 par le président du directoire, M. Jean-Marc F., précisant que M. B. venait en remplacement de M. B. qui avait quitté l'entreprise et que l'organigramme était inchangé, il a, le 21 juillet 2003, informé son employeur de sa volonté de quitter rapidement l'entreprise ; cette information a été donnée au cours d'une réunion du directoire, à laquelle il a donné lecture d'une lettre exposant ses divergences de vue concernant la gestion de l'entreprise.

En référence à ces courriers, et au désaccord persistant entre M. B. et l'employeur, et après la notification de son licenciement le 25 septembre 2003, les parties ont convenu d'un protocole transactionnel comportant notamment une dispense de préavis portant le terme du contrat au 30 septembre 2003, et une indemnité à verser au salarié, calculée pour partie sur les encaissements des créances à recouvrer auprès des clients italiens de la société. La société Maison X sera condamnée en référé le 9 juin 2004 puis au fond le 18 novembre 2005 au paiement du solde de l'indemnité due à M. B., le conseil de prud'hommes de Nîmes estimant que le protocole devait recevoir son entière exécution.

Dans le même temps, par un écrit daté du 30 septembre 2003, il a présenté sa démission de ses fonctions de membre du directoire de la société Maison X, dont il avait été investi le 8 septembre 1997.

Ainsi, il n'existait pas en soi d'empêchement à ce que M. B. soit embauché à compter du 1er octobre 2003 par la société VCR France, dont il n'est pas devenu actionnaire quoique sa participation à hauteur de 2 % ait été envisagée lors d'une séance du conseil d'administration de la société Vivai Cooperativi di Rauscedo du 11 juillet 2003.

4. La société XXX fait grief aux intimés d'avoir détourné sa clientèle et préparé son effondrement bien avant le départ de M. B. et de l'avoir développé et accentué dès son arrivée au service de la société VCR France.

S'agissant de la politique commerciale conduite par la société Maison X au cours de l'exercice 2002/2003, lorsque M. B. était encore son directeur commercial, il est exact, et factuellement non contesté, que la société Maison X a concédé à ses clients des livraisons de plants gratuits en forte augmentation (257 429 contre 157 580 l'année précédente) et a acquis auprès de la société VCR Italie davantage de greffés-soudés (712 427 contre 117 945 l'année précédente).

L'expert L. qualifie ces actions de fautes de gestion manifestes, sans toutefois en avoir fait une analyse circonstanciée, alors que les stratégies ainsi mises en œuvre, même à risque et finalement dommageables à l'entreprise, ne présentent pas nécessairement un caractère fautif, que les explications apportées par les intimés ne sont pas sérieusement contredites par la société appelante, et que l'expert lui-même souligne les mouvements et errements au sein de la gouvernance de l'entreprise avec la succession de plusieurs directeurs. Il n'est par ailleurs nullement établi que la tarification des achats à la société VCR Italie ait été anormalement élevée en défaveur de la société Maison X au regard des cours du marché et des circonstances particulières de la transaction commerciale. Quant aux litiges commerciaux survenus entre la société Maison X et la société B., relatifs aussi bien au travail de plants dans les pépinières de cette dernière situées en Espagne qu'à l'expédition de plants en Turquie par son intermédiaire, que l'expert judiciaire n'a pas davantage examinée dans le détail, il ne peut être relevé aucune implication personnelle, encore moins fautive, de M. B. à leur sujet.

De plus, non seulement toutes ces orientations commerciales procèdent de décisions collégiales que rien ne permet d'imputer en particulier à M. B., mais encore, même imprudentes, elles apparaissent prises a priori dans l'intérêt de la société et en tous les cas dénués de liens avec le départ de ce dernier et la création de la société VCR France, dont rien ne laisse supposer qu'ils aient été envisagés à l'époque où elles ont été prises.

Il en va autrement en ce qui concerne l'absence de commandes enregistrées par la société Maison X entre le 1er juin et le 31 septembre 2003. En effet, si comme l'admet l'appelante c'est d'octobre à décembre que se prend le maximum d'ordres, les premières commandes sont habituellement enregistrées à compter à partir du mois de juin. Or, il ressort du rapport de l'expert judiciaire qu'ont été commandés 695 115 plants au cours de l'été 2000 en vue de la campagne 2000/2001, 171 129 plants au cours de l'été 2001 en vue de la campagne 2001/2002, 330 441 plants au cours de l'été 2002 en vue de la campagne 2002/2003, tandis qu'aucune commande n'a été reçue au cours de l'été 2003 en vue de la campagne 2003/2004.

A cette époque, M. B. était toujours salarié de la société Maison X qu'il avait assurée de son concours jusqu'à son départ lors de la réunion du directoire du 21 juillet 2003. Il devait donc, suivant ce que montrent les bordereaux relatifs aux années antérieures communiqués à l'expert, soit recevoir lui-même les commandes en sa qualité de directeur commercial, soit collationner celles prises par son équipe commerciale, qui n'avait encore connu aucune défection et était toujours au complet. Signe du différent existant au sein de l'équipe dirigeante ayant motivé le départ de M. B., l'arrivée récente de M. B. a SAns doute affecté son rôle au sein de la direction de l'entreprise, mais n'a pu avoir pour effet de lui retirer sa responsabilité opérationnelle du secteur commercial ni de le décharger de sa mission de collecte des commandes sur le terrain.

Or, dans le même temps, le projet de constitution de la société VCR France était déjà bien avancé puisqu'il en est fait état dans le procès-verbal du conseil d'administration de la société Vivai Cooperativi Rauscedo du 11 juillet 2003 et incluait la participation de M. B., nécessairement avec son accord, même si elle s'est finalement concrétisée par une simple embauche sans l'apport en capital, au demeurant marginal, initialement envisagé ; M. B. était donc dès le début de l'été 2003 dans la perspective concrète d'un prochain engagement avec une société concurrente de la société Maison X, à l'insu de celle-ci, et qui va directement et objectivement profiter, pour son lancement, du retard ainsi pris par la société Maison X dans l'enregistrement de ses commandes.

La société appelante fait encore valoir que les opérations de développement de la société VCR France n'étaient possibles que dès lors que cette société disposait de plants à vendre dans la mesure où, démarrant son activité sans production propre, elle a dû s'assurer de sources d'approvisionnement tierces pour pouvoir livrer les clients dont elle a, sans tarder, pris les commandes. Il est donc certain que la société VCR France a très tôt préparé son arrivée sur le marché français ce qui, toutefois, constitue un acte de gestion normal et avisé. Par ailleurs, ainsi qu'il résulte de l'attestation de son expert-comptable, elle a, au cours de l'année 2003/2004, vendu un total de 2 639 054 plants, sur lesquels seuls 27,07 % (714 476) proviennent de la société VCR Italie, le rapport étant passé à 44,08 % l'année suivante (1 443 642/3 275 168) ; ces chiffres ne révèlent pas une 'complicité totale' de VCR France avec sa maison-mère dont fait état la société appelante.

5. L'enquête de police comme l'expertise judiciaire ont mis en évidence un transfert important de clientèle et de volume d'affaires réalisé, après la création de la société VCR France au détriment de la société Maison X, ainsi que le recrutement, par la société VCR France, de personnels issus des effectifs de la société Maison X.

5.1. Selon l'enquête de police, après examen de la balance des clients concernant la période octobre 2002/septembre 2003 de la société Maison X et de la balance des tiers ainsi que du grand livre des tiers concernant la période du 12 septembre 2003 au 30 septembre 2004 de la société VCR France, la liste des clients communs à la société Maison X (1 200) et à la société VCR France (342) est de 121, de sorte que 10 % de la clientèle de la société Maison X est passée à la société VCR au cours de la première année d'existence de celle-ci, représentant 18,48 % de ses achats ; corrélativement les anciens clients Maison X représentent 35 % des clients de VCR France qui s'est donc a contrario constitué une clientèle propre de 65 %.

Au terme d'une analyse affinée, l'expert judiciaire parvient à des résultats comparables : il retrouve 95 clients de la société Maison X parmi ceux de la société VCR France pour l'exercice 2003/2004, soit 28 % de la clientèle de Maison X, et 36,53 % en valeur, après retraitement des activités réalisées avec la société VCR Italie ; du point de vue de VCR France et sur le même exercice, le chiffre d'affaire hors taxes réalisé avec d'anciens clients de Maison X (1 379 920 euros) représente 44,43 % de son chiffre d'affaires annuel total (3 105 888 euros).

Les intimés critiquent à tort ce ratio, qu'ils ramènent à 9 %, aux motifs qu'il inclurait des clients communs qui n'en sont pas s'agissant de confrères avec qui il est pratiqué des échanges sans marge et des clients abandonnés, alors d'une part qu'ils ne justifient pas leurs affirmations et que l'expert a bien pris en considération les chiffres d'affaires effectifs des deux entreprises.

L'expert peut donc valablement conclure que 'plus du tiers de la clientèle de VCR France provient de la société Maison X, ce qui est considérable et tout à fait exceptionnel dans le monde du commerce et plus encore dans le monde agricole où l'on observe un plus grand attachement aux fournisseurs'.

S'il a constaté, par la lecture des tableaux de clients, une perte massive de clients de la société Maison X sur une période resserrée, il relève en outre qu'il s'agit d'une 'migration d'une clientèle non ciblée, disparate ... qui ne permet pas a priori, compte tenu de leur diversité de profil, de déterminer une stratégie commerciale de VCR France tendant à nuire à un concurrent d'une manière ciblée'.

Ni le rapport d'expertise, ni les pièces de l'appelante ne caractérisent un démarchage systématique de la clientèle de la société Maison X en particulier à l'aide de ses fichiers qui auraient été conservés par ses anciens membres. Il n'est pas non plus trouvé de trace de courriers comminatoires ou de dénonciations d'une situation préjudiciable qui soient préjudiciables aux intérêts de la société Maison X ou plus généralement d'une politique agressive de VCR France à l'égard des clients de celle-ci.

Le 15 novembre 2003, M. B. s'est certes adressé à d'anciens clients de la société Maison X par un courrier à l'en-tête de la société VCR France les informant de son départ de la société Maison X ainsi que de la création de la société VCR France, en collaboration avec M. X mais aussi des producteurs français de bois et plants de vigne, et avec la participation active de VCR Italie ; il les convie également au prochain SITEVI de Montpellier pour leur faire découvrir leur nouvelle structure.

Ce courrier n'apparaît cependant pas critiquable : d'une part il n'était pas défendu à la société VCR France de se faire connaître, en ces termes clairs, purement informatifs et non dénigrants pour la société Maison X, auprès des clients de celle-ci que M. B. connaissait personnellement sans avoir besoin de recourir à un fichier ; d'autre part, il fait suite à un précédent courrier du 15 octobre 2003, émanant de la société Maison X elle-même, qui avait entendu présenter le successeur de M. B. à ses clients, en les invitant de la même façon sur son stand du SITEVI de Montpellier et débutant ainsi : 'Après de nombreuses années à la Maison X, M. Z a choisi de nous quitter pour collaborer avec un pépiniériste italien...'.

Il est en revanche certain que des clients de la société Maison X avaient été sollicités beaucoup plus précocement, et de façon plus équivoque par M. B. pour le compte de la société VCR France, qui n'était constituée que depuis le 12 septembre 2003 ; ainsi :

- M. A., client suisse de la société Maison X, expliquant maintenir ses relations avec Maison X, écrit, le 1er décembre 2003, qu'il compte à 100 % sur sa livraison en quantité, qualité et prix comme souhaité et confirmé " parce que j'ai annulé notre commande faite par fax du 26 juillet 2003 à M. G B. et celui-ci nous avais proposé de nous livrer par VCR-France " ;

- alors que les pépiniéristes du Valais étaient liés à la société Maison X par une convention du 10 septembre 1999 toujours en vigueur, l'un de ses membres, M. B., écrit à la société Maison X, le 24 octobre 2003, qu'il confirme qu'il ne commandera pas de bois Américain chez elle cette année, " car les responsables de notre groupement d'achat ont déjà commandé la marchandise nécessaire auprès de Messieurs Louis B. et G. " ;

- M. P. a annulé une confirmation de commande du 12 octobre 2003 auprès de Maison X et confirmé une commande du 27 octobre 2003 auprès de VCR France.

Ancien partenaire de la société Maison X, M. X indique, dans son audition par les services de police, avoir été contacté 'avant la campagne 2003" par M. B. qui quittait Maison X mais continuait son activité avec M. X et lui proposait de continuer " comme avant " avec leur nouvelle société pour avoir des plants.

Les témoignages, annulations de commande, courriers reçus par la société Maison X, montrent qu'il a en outre, au cours de cette période transitoire, existé une certaine confusion concernant le commanditaire réel de l'activité déployée par M. B..

5.2. L'expert L. a comparé les mouvements de salariés entre la société Maison X et la société VCR France au cours de l'exercice 2003/2004. Quoiqu'il ne fournisse la source de son étude que de façon incomplète, car, comme l'indiquent à juste titre les intimés, l'annexe 9 de son rapport censée constituer le registre du personnel de la société Maison X est en fait celui de la société VCR France (par ex. M. B. y figure comme embauché au 1er octobre 2003 ...), les données qu'il utilise ne sont en fait pas réellement contestées.

Il observe ainsi que, au 30 septembre 2003, la société Maison X comptait 139 salariés, dont 32 permanents et 107 saisonniers.

Le registre du personnel de la société VCR France au 30 mars 2004 mentionne quant à lui 16 salariés : sur les 3 permanents, deux viennent de chez Maison X (M. B. et M. V., chauffeur arrivé en mars 2004), sur les 13 saisonniers, 10 viennent de chez Maison X.

L'expert en déduit exactement que l'essentiel de l'effectif recruté par la société VCR France provient de celui de la société Maison X, mais cette dernière n'a perdu que 6 % de ses permanents et 9 % de ses saisonniers au profit de VCR ; sur la fin de l'exercice 2003/2004, seuls trois nouveaux saisonniers venant de Maison X s'ajouteront à l'effectif de VCR France, dont les besoins étaient limités au regard du démarrage tardif de son activité de production.

S'agissant du réseau commercial, il a été examiné tant par le SRPJ que par l'expert judiciaire. Il était constitué de quelques salariés, mais surtout d'agents commerciaux. Le rapport de police en souligne la particularité : dans le domaine de la vente de plants de vigne, les agents commerciaux, exclusifs ou non, sont des viticulteurs, en activité ou à la retraite, ou des professionnels de la production de plants, qui collectent les commandes venues de viticulteurs du cru avec des rapports fondés sur la confiance, la compétence et la disponibilité. Leur activité est donc déterminante pour le bon fonctionnement de la société.

L'expert note que ce réseau commercial de la société Maison X a été totalement démantelé au départ de M. B. et que la plupart des agents n'ont opéré aucune prise de commande en 2004.

De l'organigramme figurant en annexe du rapport d'expertise, il ressort que le réseau commercial de la société Maison X, à la tête duquel se trouvait M. B., était constitué comme suit à la date du 30 septembre 2003 :

- 2 cadres commerciaux et une VRP multicartes, salariés,

- 8 agents commerciaux,

- 1 agent commercial chargé des achats (M. C.),

- 17 VRP exclusifs,

soit 29 personnes en plus de M. B. qui, à l'exception de trois agents commerciaux, ont tous quitté l'entreprise au cours de l'exercice 2003/2004.

La société VCR France avait quant à elle, fin juin 2014, 13 agents commerciaux, selon les informations collectées lors de l'enquête de police, sur lesquels elle admet que 11 étaient d'anciens commerciaux de Maison X.

La majorité de l'effectif commercial (15/29 = 51 %) de la société Maison X a donc quitté l'entreprise sans rejoindre la société VCR France, qui a toutefois recueilli (11/29) 39 % de celui-ci représentant (11/13) 84 % de sa force commerciale.

C'est donc à tort que la société Maison X évoque un exode massif de son personnel vers VCR France puisque ces mouvements s'avèrent modestes à la fois quantitativement et qualitativement, seul le cas de M. B. étant réellement significatif. A l'inverse cependant, celui de la société VCR France a été composé essentiellement d'anciens de la société Maison X.

Au sein de celui-ci figure M. C., qui avait principalement en charge les achats pour la société Maison X, et qui a travaillé pour la société VCR France au cours de la SAison 2003/2004. Retraité agricole, il explique, dans son audition par les services de police, qu'au cours de l'été 2003, les cadres de la société Maison X ont visité directement les fournisseurs sans passer par son intermédiaire, qu'il a été ignoré par ceux-ci lors de la foire de la SAint-Siffrein qui marque le démarrage officiel de la campagne des bois et plants de vignes et n'a plus été sollicité par la suite ; qu'il n'a été sollicité qu'en décembre 2003 par M. B. et a accepté de travailler pour la nouvelle structure de celui-ci car il estimait que Maison X n'avait plus besoin de ses services. Il en résulte d'une part que le départ de M. C. n'a pas été la cause d'une perturbation de la société Maison X qui avait au contraire déjà modifié son organisation des achats, d'autre part qu'il a rejoint VCR France après avoir été évincé de Maison X et sans pression de la part de M. B., enfin que son départ est sans lien avec la chute des ventes de Maison X car il s'occupait des approvisionnements.

De plus, bien que l'expert note que "... aucun des éléments consultables dans le dossier ne permet de déterminer ce qui a pu provoquer l'effondrement soudain de cette structure ", des auditions et attestations recueillis au cours de l'enquête de police, tant auprès de ceux qui ont transféré leurs prestations de Maison X à VCR France que d'autres qui ont arrêté leur activité, il ressort qu'ils ont d'abord été motivés par la désorganisation interne de la société Maison X, par leur fidélité à M. B. et qu'ils n'ont reçu aucun démarchage de la part de celui-ci.

S'agissant de M. M., celui-ci était, depuis 1981, en charge des cultures et de la coordination des moyens de production au sein de la société Maison X. Evoquant un désaccord salarial avec son employeur, il a, le 3 janvier 2004, pris acte de la rupture de son contrat, dont, par arrêt infirmatif du 13 juin 2007, la cour d'appel de Nîmes a dit qu'il produisait les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Il a certes, dès le 5 janvier 2004, rejoint la société B. qui était en litige avec la société Maison X et est entrée en relation commerciale avec la société VCR France ; cependant, ces seuls éléments n'établissent aucune collusion entre M. M. et M. B. ou la société VCR France, qui ne l'ont pas débauché et à qui la désorganisation durable de la société Maison X résultant de son départ ne peut être imputée. C'est donc à tort que l'appelante y voit une initiative fautive de la part de l'un ou l'autre des intimés.

- Sur les responsabilités encourues et les préjudices subis

1. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que, si la société VCR France a pu connaître un tel démarrage et une croissance immédiate aussi forte, c'est parce que, d'une part elle a profité durant sa phase de formation de l'absence de commandes de la société Maison X et de l'impréparation totale de celle-ci pour la SAison 2002/2003 alors que M. B. avait encore en charge sa direction commerciale, d'autre part, grâce notamment à la réputation de MM. X et B., à l'effet d'image et d'annonce donné à leur association faite sur des modes différents, et aux initiatives de ce dernier, elle a pu capter de nombreux clients parfois indécis ou désorientés de la société Maison X alors qu'elle était encore faiblement structurée, puis constituer son équipe commerciale essentiellement à partir de transfuges du réseau de prospection et vente de Maison X, délestée ainsi en même temps d'une partie de sa force commerciale et, dans son sillage, de clients supplémentaires.

Une telle méthode ne peut être considérée comme procédant d'une concurrence loyale entre deux entreprises faisant chacune usage de ses propres forces, dès lors que pour se lancer la société VCR France a amplement puisé dans celles qu'avait développé depuis longtemps la société Maison X.

M. B. et la société VCR France ont l'un et l'autre concouru au développement de cette méthode et doivent par suite répondre de ses conséquences dommageables pour la société Maison X.

2. Pour autant, au-delà de la période critique de son arrivée sur le marché, la société VCR France a pu légitimement, sans procédé frauduleux ou irrégulier, attirer à elle d'autres clients de la société Maison X tout en se constituant une clientèle propre en majorité. Il n'était pas interdit à M. B. de rompre ses relations avec la société Maison X, à qui il incombait de combler son départ, puis de travailler pour la société VCR France et de la faire bénéficier de ses compétences et de sa réputation, à condition que cela soit en toute transparence. La société VCR France n'a attiré qu'une petite fraction du personnel qui a quitté la société Maison X et n'est pas à l'origine des départs majeurs de M. C. et de M. M., ce dernier ayant rejoint une société tierce. Ni M. B., ni la société VCR France ne peuvent donc être tenus pour responsables des difficultés d'administration et de réorganisation de ses activités dans les domaines de la production, de l'approvisionnement et des ventes de plants, rencontrées par la société Maison X à partir de la SAison 2003/2004. Quant à la clientèle et au chiffre d'affaires perdus par la société Maison X, ils ne se retrouvent qu'en partie à l'actif de la société VCR France, l'essentiel ayant profité à des entreprises tierces, et sont aussi les effets du jeu normal de la concurrence.

3. Il ne peut par ailleurs être directement imputé aucun comportement déloyal à la société VCR Italie, du seul fait qu'elle a licitement fondé la société VCR France dont elle a le contrôle. Elle n'avait pas spécialement anticipé le démarrage de sa filiale dont elle n'a assuré que très partiellement l'approvisionnement au cours de l'exercice 2003/2004 et, si selon l'expert judiciaire elle a récupéré l'essentiel de la clientèle de la société Maison X, ce que sa notoriété peut suffire à expliquer, aucune manœuvre à cet effet n'est évoquée. Les demandes dirigées à son encontre ne sont donc pas fondées.

4. Il en va de même en ce qui concerne M. X, qui s'est contenté de devenir actionnaire très minoritaire de la société VCR France après l'expiration de son obligation de non-concurrence et sans lui-même donner la moindre publicité à son investissement. Son maintien temporaire au conseil de surveillance, qui a cessé le 30 mars 2004, n'était pas incompatible avec cet actionnariat et n'a pas eu d'incidence particulière. Il n'encourt donc aucune responsabilité.

5. S'agissant des dommages subis par la société Maison X, ils ne consistent qu'en un détournement partiel de clientèle pour la période correspondant aux débuts de la création de la société VCR France et la précipitation avec laquelle elle a été contrainte d'y faire face. La chute de son activité résulte très largement, au moins pour la suite, du jeu de la libre concurrence mais aussi de ses propres défaillances internes qui sont à l'origine du départ de nombre de ses collaborateurs et clients. Les incidents commerciaux enregistrés par la société Maison X avant le départ de M. B., tout comme les difficultés structurelles qu'elle a ensuite connues et l'essentiel des pertes, les surcoûts et la dévalorisation de son actif, ne sont pas la conséquence des agissements des intimés. En considérant que sur l'exercice 2003/2004, la société VCR France réalisé un chiffre d'affaires de 1 379 320 euros avec d'anciens clients de la société Maison X, elle sera in solidum avec M. B., au titre de la part qui leur est imputable, condamné à payer à la société appelante la somme de 300 000 euros en réparation de son préjudice, et le jugement déféré sera réformé dans cette mesure.

III. Sur les demandes des intimés

1. La société VCR France et M. B. sollicitent à l'encontre de la société XXX des dommages et intérêts en raison d'actes de concurrence déloyale et de dénigrement qu'elle aurait commis à leur détriment.

Ils se fondent pour cela sur les attestations de trois personnes rapportant des propos privés que leur auraient tenus M. P., M. B. ou M. X, tous dirigeants de la société Maison X, présentant M. B. comme coupable de faits délictueux.

Toutefois, de tels discours ne concernent pas la société VCR France et, à l'égard de M. B., relèvent de la diffamation, comme il en convient implicitement en évoquant l'atteinte à son honneur et à sa considération, et des règles spécifiques qui s'y attachent ; de plus, il n'est pas établi qu'ils engagent la société Maison X au-delà des personnes qui les ont tenus individuellement.

Par suite, il y a lieu à réformation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la société XXX pour des propos constitutifs de dénigrement.

2. Dans la mesure où il est fait droit, même pour partie, aux prétentions de la société XXX, la présente procédure ne saurait être considérée comme abusive. Un tel abus ne saurait non plus résulter de son cumul avec les différents litiges qui l'ont opposée, individuellement, aux différentes parties intimées en la cause présente, en raison du sérieux des moyens et arguments développés et en dépit de leur insuccès. Le jugement déféré sera donc également réformé en ce qu'il a fait droit à la demande de dommages et intérêts des défendeurs pour procédure abusive.

IV. Sur les frais

La société VCR France et M. B. supporteront les dépens, chacune des parties conservant la charge des frais irrépétibles qu'elle a exposés.

Par ces motifs : LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi ; Statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort ; Rejette la demande de la société XXX aux fins de voir déclarer irrecevables les conclusions et pièces des intimés du 17 décembre 2019 et déclare recevables ces conclusions et pièces, ainsi que les conclusions de la société appelante du 18 décembre 2019 ; Vu l'arrêt de cette cour du 19 avril 2018 ; Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il annulé le rapport d'expertise déposé par M. Jean-Paul R. le 7 février 2008 ; Statuant à nouveau, Déclare irrecevables les demandes de la SARL XXX en ce qu'elles sont fondées sur les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; Condamne in solidum M. Z et la SAS VCR France à payer à la SARL XXX la somme de trois cent mille euros (300 000 euros) à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme ; Rejette le surplus des demandes de la SARL XXX ainsi que celles dirigées contre Mme X, venant aux droits de M. X, et de la société Vivai Cooperativi Rauscedo ; Rejette les demandes de M. Z, de la société VCR France, de Mme X, venant aux droits de M. X, et de la société Vivai Cooperativi Rauscedo, en dommages et intérêts pour concurrence déloyale et dénigrement et pour procédure abusive ; Dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. Z et la SAS VCR France aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.