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Décisions

CA Paris, Pôle 2 ch. 2, 18 juin 2020, n° 18-19754

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Compagnie de Recouvrements de Créances Européennes (SARL)

Défendeur :

Office Auxerrois de l'Habitat (EPIC), Val d'Yonne Habitat (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cesaro Pautrot

Conseillers :

Mmes Lefèvre, Chaintron

T. com. Auxerre, du 16 juill. 2018

16 juillet 2018

EXPOSE DU LITIGE

A compter de l'année 2008, la société anonyme d'habitations à loyer modéré - Val d'Yonne Habitat a confié à la société Compagnie de recouvrement de créances européennes (C.R.C.E), spécialisée dans le recouvrement amiable de créances, ses dossiers de recouvrement amiable et en cas d'échec, de recouvrement judiciaire des créances qu'elle détenait à l'encontre de ses locataires. Des mandats de recouvrement ont été établis pour chaque dossier confié.

Par courrier du 30 novembre 2015, la société Val d'Yonne Habitat a notifié à la société C.R.C.E sa décision de mettre fin aux mandats, considérant que le montant des impayés avait considérablement augmenté. A cette date, la société C.R.C.E détenait 23 dossiers de locataires ayant quitté les lieux et 27 dossiers de locataires encore présents. Un tableau récapitulatif des mandats a été joint à ce courrier.

Par courrier du 12 décembre 2015, la société C.R.C.E a contesté le motif de rupture allégué et fait valoir que cette décision de la 'remercier gratuitement' était 'irrecevable' et non conforme aux engagements conclus entre les parties. Elle a proposé, soit de terminer l'ensemble des dossiers en cours aux conditions habituelles, soit de les restituer moyennant la facturation totale de ses honoraires sur tous les échéanciers en cours et une réduction de 50 % de ses honoraires sur tous les autres dossiers (amiables et judiciaires), soit d'agir en justice.

Par courrier du 23 décembre 2015, la société Val d'Yonne Habitat a indiqué à la société C.R.C.E qu'elle regrettait la dégradation de leurs relations professionnelles et qu'elle retenait sa deuxième proposition et attendait le décompte de ses honoraires et le solde des sommes à lui revenir.

Par courrier du 31 décembre 2015, la société C.R.C.E lui a adressé un 'relevé financier - facture 5066/2015", comportant une liste de 51 dossiers et indiquant pour chacun d'entre eux, le montant des sommes dues à la bailleresse et des honoraires calculés à des taux variant entre 0 % et 12 % (sur des sommes non encaissées) pour la somme totale de 18 379,58 euros.

C'est dans ce contexte que par exploit d'huissier du 5 octobre 2017, la société d'habitations à loyer modéré - Val d'Yonne Habitat a fait assigner la société C.R.C.E devant le tribunal de commerce d'Auxerre afin de voir dire et juger que le mandat de recouvrement consenti par elle avait été régulièrement révoqué avec effet au 31 décembre 2015 et de la voir condamner à lui payer les sommes de 12 643,91 euros pour compte arrêté au 8 septembre 2017, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 4 septembre 2017, 2 000 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, le tout au bénéfice de l'exécution provisoire.

Par décision du 4 janvier 2018, la société d'habitations à loyer modéré - Val d'Yonne Habitat a fait l'objet d'une transmission universelle de son patrimoine au profit de son associé unique l'Office Auxerrois de l'Habitat (OAH). Elle a été radiée du registre du commerce et des sociétés d'Auxerre le 6 avril 2018.

Par jugement rendu le 16 juillet 2018, le tribunal de commerce d'Auxerre a :

- condamné la SARL Compagnie de recouvrement de créances européennes (C.R.C.E) a payer à la SAHL société anonyme d'habitations à loyer modéré - Val d'Yonne Habitat la somme de 12 643,91 euros,

- débouté la SAHL société anonyme d'habitations à loyer modéré - Val d'Yonne Habitat de sa demande de dommages et intérêts,

- condamné la SARL Compagnie de recouvrement de créances européennes (C.R.C.E) à payer à la SAHL société anonyme d'habitations à loyer modéré - Val d'Yonne Habitat la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la SARL Compagnie de recouvrement de créances européennes (C.R.C.E) aux entiers dépens,

- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire.

Par déclaration du 6 août 2018, la société C.R.C.E, qui n'avait ni comparu ni été représentée en première instance, a relevé appel de ce jugement afin d'en obtenir l'annulation et, subsidiairement, l'infirmation des chefs lui faisant grief.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 1er avril 2019, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé détaillé de ses moyens et prétentions, la société C.R.C.E demande à la cour de :

- annuler le jugement entrepris,

Subsidiairement,

- réformer le jugement entrepris, en ce qu'il l'a condamnée à payer à la SAHL société anonyme d'habitations à loyer modéré - Val d'Yonne Habitat :

- la somme de 12 643,91 euros,

- la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- les entiers dépens,

Et statuant à nouveau,

- dire et juger que la société Val d'Yonne Habitat a commis une faute engageant sa responsabilité en rompant brutalement la relation commerciale établie avec elle,

- condamner l'Office Auxerrois de l'Habitat - OPH de la communauté auxerroise, venant aux droits de la société Val d'Yonne Habitat à lui payer :

- 5 735,67 euros, au titre du solde de sa facture n°5066/2015 du 31 décembre 2015, avec intérêts au taux de 1,5 fois le taux légal, à compter du 10 janvier 2016, date d'échéance de ladite facture et anatocisme,

- 40 euros à titre d'indemnité forfaire de recouvrement,

- 3 600 euros à titre d'indemnité complémentaire de recouvrement et subsidiairement, au titre des frais irrépétibles prévus par l'article 700 du Code de procédure civile,

- 2 756,94 euros, au titre de la clause pénale,

- 110 000 euros, à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale de relation commerciale établie,

- condamner l'Office Auxerrois de l'Habitat - OPH de la communauté auxerroise, venant aux droits de la société Val d'Yonne Habitat aux entiers dépens de l'instance, dont distraction, au profit de Me Thomas L., avocat, dans les termes de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 3 janvier 2019, auxquelles il convient de se référer pour l'exposé détaillé de ses moyens et prétentions, l'EPIC Office Auxerrois de l'Habitat demande à la cour de :

Statuant sur l'appel de la société C.R.C.E contre le jugement du tribunal de commerce d'Auxerre du 16 juillet 2018,

Sur la demande de nullité du jugement

Vu la transmission universelle de patrimoine de la société Val d'Yonne Habitat à son profit, intervenue le 6 avril 2018,

Vu les dispositions de l'article L. 236-3 du Code de commerce,

- dire et juger que les dispositions de l'article 370 du Code de procédure civile ne sont pas applicables à un tel acte juridique entre deux personnes morales et qui n'a donc pas emporté l'interruption de l'instance,

- dire et juger qu'il n'a pas été porté atteinte aux droits de la défense, le tribunal ayant été saisi dans les strictes limites de l'exploit introductif d'instance,

- rejeter en tout cas la demande de nullité du jugement, dépourvue de fondement juridique,

- dire et juger que la révocation du mandat consenti par la société Val d'Yonne Habitat en faveur de la société C.R.C.E n'a pas été brutale au sens des dispositions de l'article L. 442-6 I 5 du Code de commerce,

Vu les articles 1984 et 2004 du Code civil et L. 442-5 I 5 du Code de commerce,

- dire et juger que la société Val d'Yonne Habitat, aux droits de laquelle il se trouve aujourd'hui, a régulièrement révoqué ledit mandat,

- dire n'y avoir lieu à dommages intérêts pour révocation ou résiliation abusive et rejeter toute prétention de la société C.R.C.E à ce titre,

Statuant sur le compte entre les parties, dire injustifiée la facturation par la société C.R.C.E d'honoraires sur les sommes non recouvrées au moment de la révocation de son mandat et débouter la société C.R.C.E de toute prétention à ce titre, comme au titre des pénalités de retard et autres pénalités alléguées ; au besoin, priver d'effet lesdites clauses au regard des manquements contractuels de la société C.R.C.E, et de l'absence de contrepartie légitime,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société C.R.C.E à lui payer la somme de 12 643,91 euros pour compte arrêté au 8 septembre 2017, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 4 septembre 2017,

- condamner également la société C.R.C.E à lui verser 2 000 euros de dommages intérêts pour résistance abusive et 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la nullité du jugement

La société C.R.C.E entend, à titre principal, voir prononcée la nullité du jugement déféré. Elle fait valoir, en premier lieu, qu'à compter de la radiation du registre du commerce et des sociétés de la société Val d'Yonne Habitat le 6 avril 2018, à la suite de la transmission universelle de son patrimoine au profit de l'intimé, la société Val d'Yonne Habitat, demanderesse en première instance, n'avait plus la personnalité morale et la capacité d'ester en justice, ce qui constituait une irrégularité de fond et aurait dû justifier une interruption de l'instance pour permettre la régularisation de la procédure par l'intervention de la société absorbante et sa dénonciation à son égard. Elle en déduit que le jugement rendu est affecté de nullité du fait de l'irrégularité de la procédure suivie. Elle soutient, en second lieu, que ce jugement doit être annulé au motif que le tribunal a violé le principe du contradictoire compte tenu du dépôt par la société Val d'Yonne Habitat de conclusions formulant des demandes additionnelles qui ne lui ont pas été dénoncées.

En réplique, l'Office Auxerrois de l'Habitat soutient que la saisine du tribunal de commerce par la société Val d'Yonne Habitat par acte d'huissier du 5 octobre 2017 est régulière pour avoir été effectuée avant la dissolution de cette société selon décision de son associé unique du 4 janvier 2018. Il expose qu'il a fait mentionner dans l'acte de signification du jugement du 20 juillet 2018 qu'il venait aux droits de la société Val d'Yonne Habitat. Il allègue, notamment, que le jugement n'est affecté d'aucune cause de nullité car la société absorbante, en l'espèce lui-même, acquiert de plein droit à la date d'effet de la fusion, la qualité de partie aux instances antérieurement engagées par la société absorbée. En second lieu, il soutient qu'il n'a formulé aucune prétention additionnelle entre l'assignation et l'audience de plaidoirie.

S'agissant du premier moyen de nullité, la dissolution sans liquidation de la société absorbée entraîne la transmission universelle de son patrimoine à la société absorbante et n'interrompt pas les instances en cours. La société absorbante acquiert de plein droit, à la date d'effet de la fusion, la qualité de partie aux instances antérieurement engagées par la société absorbée et peut se prévaloir des condamnations prononcées au profit de celle-ci.

En l'espèce, l'Office Auxerrois de l'Habitat justifie de la décision prise par son directeur général, le 4 janvier 2018, de procéder à la dissolution sans liquidation de la société Val d'Yonne Habitat dont il était associé unique et du constat en date du 6 avril 2018 par Me Hervé C., notaire à Appoigny, de la transmission universelle de son patrimoine à son profit postérieurement à l'introduction de l'instance par la société Val d'Yonne Habitat devant le tribunal de commerce d'Auxerre par exploit d'huissier du 5 octobre 2017.

Ainsi qu'indiqué, la procédure initiée par la société Val d'Yonne Habitat s'est régulièrement poursuivie, l'Office Auxerrois de l'Habitat ayant acquis dès la réalisation de la fusion-absorption de la société Val d'Yonne Habitat, la qualité de partie à l'instance et le jugement rendu le 16 juillet 2018 par le tribunal de commerce d'Auxerre n'est donc affecté d'aucune cause de nullité de ce chef.

S'agissant du second moyen de nullité tiré du non-respect du principe du contradictoire, la société C.R.C.E ne justifie pas que la société Val d'Yonne Habitat a formé devant le tribunal une demande additionnelle de dommages et intérêts par voie de conclusions qui ne lui auraient pas été dénoncées. L'assignation introductive d'instance, rappelée dans le jugement, mentionne les demandes, y compris celle de dommages et intérêts, et la société C.R.C.E ne conteste pas qu'elle lui ait été régulièrement signifiée. La juridiction ne développe pas d'autres écritures. Il s'ensuit que la prétendue violation du principe du contradictoire n'est pas caractérisée.

Le jugement déféré n'est donc affecté d'aucune cause de nullité et la société C.R.C.E sera, en conséquence, déboutée de sa demande de ce chef.

Sur la demande en paiement du solde de la facture du 31 décembre 2015

La société C.R.C.E fait valoir que lors de la rupture de leurs relations contractuelles, la société Val d'Yonne Habitat a accepté par correspondance du 23 décembre 2015, la proposition n°2 qu'elle lui avait faite le 12 décembre 2015, qui consistait à lui facturer la totalité de ses honoraires sur tous les échéanciers en cours et à réduire de 50 % ses honoraires sur tous les autres dossiers. Elle soutient qu'elle a émis, le 31 décembre 2015, une facture finale d'honoraires d'un montant de 18 379,58 euros sur la base de cette proposition. Compte tenu du montant de la somme recouvrée pour le compte de la société Val d'Yonne Habitat de 12 643,91 euros et de la compensation opérée entre les créances respectives des parties, elle estime que l'Office Auxerrois de l'Habitat reste redevable à son égard d'une somme de 5 735,67 euros TTC. Elle sollicite également le paiement de la somme de 2 756,94 euros au titre de la clause pénale prévue au mandat, et des sommes de 40 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement et 3 600 euros au titre de l'indemnité complémentaire de recouvrement prévues à l'article L. 441-6 du Code de commerce.

L'Office Auxerrois de l'Habitat soutient que la société Val d'Yonne Habitat n'a jamais accepté la proposition n°2 formulée par la société C.R.C.E. consistant à régler des honoraires sur des sommes non recouvrées, mais seulement sur les sommes encaissées et au taux convenu à l'origine (18 %). Il expose que la société Val d'Yonne Habitat avait précisé de manière claire sa position dans son courrier de résiliation du 30 novembre 2015 et que la réclamation de l'appelante ne repose sur aucun fondement. Il estime que la production de deux mandats amiables ne peut servir de support ou de justification du compte définitif résultant de la résiliation et que les clauses pénales invoquées doivent être privées d'effet ou anéanties faute de justification.

Le tribunal a retenu l'existence d'une convention entre les parties née de l'acceptation de la 'proposition' de la société C.R.C.E acceptée par la société Val d'Yonne Habitat qui précise 'vous n'avez aucun contrat, donc aucune obligation en durée ou en nombre de dossiers... Nos honoraires sont calculés uniquement sur les sommes recouvrées au taux fixe de 18 %' et a considéré que ce document s'analysait 'comme un mandat et pouvait être révoqué à tout instant par les parties selon les articles 1984 et suivants et notamment l'article 2004 du Code civil'.

Cependant, comme le relève l'Office Auxerrois de l'Habitat, ce document intitulé 'proposition de partenariat' est une simple publicité.

En revanche, la société C.R.C.E verse aux débats deux mandats de recouvrement amiable (qualifiés d'exemples) signés en décembre 2012 entre elle-même et la société Val d'Yonne Habitat portant sur deux dossiers de recouvrement de créances sur ses locataires, dont il n'est pas soutenu qu'ils ne seraient pas représentatifs des relations contractuelles entre les parties. L'existence des mandats de recouvrement n'est pas, du reste, contestée par l'intimé lequel discute le compte définitif résultant de la résiliation.

Il était convenu aux termes de ces mandats que le mandataire, la société C.R.C.E, était autorisée par le mandant, la société Val d'Yonne Habitat, à 'encaisser et recevoir toutes sommes, en donner quittance, tirer des effets de commerce, les endosser, les acquitter et les encaisser, concilier si faire se peut, accorder tous délais, transiger, compromettre, remettre et retirer toutes pièces ou documents, accepter toute délégation de créance et transports, accorder termes et délais, substituer dans tout ou partie des partie des présentes.'

Il était également précisé que les honoraires de la société C.R.C.E., payables comptant, étaient fixés à 18 % 'uniquement sur les sommes recouvrées' et que les sommes encaissées disponibles, après compensation des honoraires et frais seraient reversées à la fin du mois suivant l'encaissement effectif, les parties 'acceptant expressément le principe de compensation.'

Le mandat prévoyait l'application d'une clause pénale fixée à 15 % en cas de non paiement des honoraires ainsi que des intérêts de retard exigibles sans obligation d'un recommandé et à partir du lendemain de la date d'échéance.

Contrairement à ce que soutient l'intimé, la société Val d'Yonne Habitat a accepté, par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 décembre 2015, la proposition n°2 de la société C.R.C.E en date du 12 décembre 2015 dans les termes suivants : 'Je retiens votre deuxième proposition et j'attends donc le décompte de vos honoraires et le solde des sommes à nous revenir.'

La deuxième proposition formulée par la société C.R.C.E par courrier recommandé avec accusé de réception était la suivante : 'Vous préférez reprendre immédiatement la totalité de vos dossiers pour cesser toute relation avec moi, dans ce cas, vous acceptez la facturation totale de nos honoraires sur tous les échéanciers en cours. Et j'accepte de réduire mes honoraires de 50 % sur tous les autres dossiers (amiables et judiciaires).'

La société Val d'Yonne Habitat a donc accepté que des honoraires lui soient facturés sur des sommes non encore encaissées dans le cadre des mandats en cours.

Il n'est pas contesté que la facture globale n° 5066/2015 du 31 décembre 2015 d'un montant total de 18 379,58 euros, dont la société C.R.C.E réclame le paiement, a été émise sur la base de sa deuxième proposition, les honoraires ayant été calculés sur les sommes non encaissées à des taux compris entre 0 et 12 %. Cette facture comporte en annexe la liste détaillée des dossiers confiés en cours, et repris, ainsi que le détail des honoraires.

Les parties s'accordent par ailleurs sur le montant des sommes recouvrées par la société C.R.C.E devant revenir à l'Office Auxerrois de l'Habitat, dont le détail est justifié dans un tableau récapitulatif établi par la société Val d'Yonne Habitat le 8 septembre 2017, à hauteur de la somme totale de 12 643,91 euros.

Compte tenu de l'accord des parties sur le principe de compensation entre les honoraires et les sommes encaissées, conventionnellement prévu aux mandats de recouvrement précités, l'Office Auxerrois de l'Habitat reste redevable envers la société C.R.C.E de la somme de 5 735,67 euros (18 379,58 euros - 12 643,91 euros) au titre du solde de la facture d'honoraires du 31 décembre 2015.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement déféré de ce chef et de condamner l'Office Auxerrois de l'Habitat à payer à la société C.R.C.E la somme de 5 735,67 euros avec intérêts au taux de 1,5 fois le taux d'intérêt légal conformément aux termes des mandats à compter de la présente décision en application des dispositions de l'article 1153 du Code civil en vigueur dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 et avec capitalisation des intérêts.

En revanche, la société C.R.C.E sera déboutée, d'une part, de sa demande au titre de la clause pénale au regard de l'accord des parties sur les conditions de la résiliation et de sa base de calcul qui la rend manifestement excessive, et d'autre part, de ses demandes tant au titre de l'indemnité forfaitaire de recouvrement que de l'indemnité complémentaire de recouvrement sur le fondement de l'article L. 441-6 du Code de commerce dont le principe n'a pas été contractuellement prévu entre les parties.

Sur la rupture des relations contractuelles

La société C.R.C.E fait valoir, sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, que la société Val d'Yonne Habitat a rompu de manière brutale la relation commerciale établie entre elles depuis sept ans. Elle allègue que l'intimé ne justifie ni de l'envoi, ni de la réception de la lettre du 4 mai 2015 produite en cause d'appel par laquelle la société Val d'Yonne Habitat lui aurait demandé des explications sur les dossiers en souffrance. Elle évalue son préjudice à la somme de 110 000 euros qui correspond à 24 mois de préavis sur la base d'un encours d'impayés, à la date de la rupture, d'environ 300 000 euros générant 53 000 euros d'honoraires de recouvrement. Elle fait valoir que les griefs de l'Office Auxerrois de l'Habitat relatifs au non-respect de ses obligations réglementaires, qui n'ont pas été évoqués lors de la rupture du contrat, n'ont aucune incidence sur son caractère brutal et qu'elle justifie du respect de ses obligations.

L'Office Auxerrois de l'Habitat soutient, sur le fondement des dispositions des articles 1984 et 2004 du Code civil, que la société Val d'Yonne Habitat pouvait révoquer librement le contrat de mandat consenti à la société C.R.C.E. Il allègue également que la société Val d'Yonne Habitat a respecté les dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. Selon lui, la rupture était légitime pour être intervenue avec des modalités de sortie équilibrées et après avoir rappelé en vain ses obligations contractuelles à la société C.R.C.E. Il rappelle qu'aucun délai de préavis n'a été convenu entre les parties. Enfin, il souligne que l'appelante n'a jamais justifié être en conformité avec les obligations réglementaires auxquelles elle est assujettie en application des dispositions de l'article R. 124-2 du Code des procédures civiles d'exécution.

Les contrats de mandat de recouvrement amiable conclus entre les parties sont à durée indéterminée. Ils ne stipulent aucune condition de révocation et ni délai de préavis.

En l'espèce, la société C.R.C.E ne retient nullement une rupture abusive au sens d'un abus de droit, et ne soutient pour sa demande de dommages et intérêts que la rupture brutale de relation commerciale établie.

Selon l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa version applicable au litige, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.

Ces dispositions, qui ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure, ont donc vocation à sanctionner la rupture brutale de relations commerciales établies intervenue sans motif légitime de la part de son auteur, qui engage ainsi sa responsabilité civile délictuelle.

La juridiction de première instance a estimé que la relation contractuelle entre les parties s'analyse comme un mandat qui pouvait être révoqué à tout instant par chacune des parties.

L'appelante indique dans ses écritures que la société Val d'Yonne Habitat avait subtilement déjà commencé à la priver de dossiers de recouvrement et même tenté de récupérer directement la gestion de dossiers confiés à elle, ce qui tend à corroborer la dégradation des relations commerciales entre les parties avant le courrier du 30 novembre 2015. Dans les jours qui ont suivi celui-ci, elle a formulé le 12 décembre 2015 trois propositions à sa mandante et a établi le 31 décembre 2015 la facture finale de ses honoraires, acceptant le principe de la révocation de son mandat. Dans ces conditions, la démonstration du caractère brutal de la rupture fait défaut.

Par ailleurs, la société C.R.C.E ne démontre pas que sa proposition n°2 formulée par correspondance du 12 décembre 2015 et acceptée par la société Val d'Yonne Habitat le 23 décembre 2015 ne prendrait pas en compte la perte subie et ne compenserait pas l'absence de préavis, alors que cette proposition, qui consistait dans le paiement de la totalité de ses honoraires sur l'ensemble des dossiers en cours et non sur les seules sommes recouvrées comme prévu aux contrats de mandat, avait pour objet de régler les conditions de la rupture selon des modalités beaucoup plus avantageuses pour l'appelante que celles résultant de l'application des dispositions contractuelles et de mettre ainsi fin au litige.

Au regard de l'ensemble de ces éléments, la société C.R.C.E échoue à rapporter la preuve du préjudice allégué.

En conséquence, elle sera déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie.

Sur les autres demandes

Compte tenu du sens de la présente décision, l'Office Auxerrois de l'Habitat sera débouté de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, le jugement déféré étant confirmé de ce chef.

L'équité commande d'infirmer la décision déférée au titre des frais irrépétibles de première instance et d'allouer à l'appelante la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

L'Office Auxerrois de l'Habitat, partie perdante, sera condamné aux dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant en dernier ressort, publiquement et contradictoirement, par mise à disposition de la décision au greffe, Déboute la société Compagnie de recouvrement de créances européennes (C.R.C.E) de sa demande tendant à voir prononcée la nullité du jugement du tribunal de commerce d'Auxerre du 16 juillet 2018, Infirme le jugement déféré, sauf en ses dispositions relatives au rejet de la demande de dommages et intérêts pour résistance abusive, Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant, Condamne l'Office Auxerrois de l'Habitat à payer à la société Compagnie de recouvrement de créances européennes (C.R.C.E) la somme de 5 735,67 euros au titre du solde de la facture d'honoraires n° 5066/2015 du 31 décembre 2015 avec intérêts au taux de 1,5 fois le taux d'intérêt légal à compter de la présente décision et capitalisation des intérêts ; Déboute la société Compagnie de recouvrement de créances européennes (C.R.C.E) de ses demandes au titre de la clause pénale, de l'indemnité forfaitaire de recouvrement, de l'indemnité complémentaire de recouvrement, et de dommages et intérêts pour rupture brutale de la relation commerciale établie ; Condamne l'Office Auxerrois de l'Habitat à payer à la société Compagnie de recouvrement de créances européennes (C.R.C.E) la somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toute autre demande ; Condamne l'Office Auxerrois de l'Habitat aux entiers dépens de première instance et d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.