CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 17 juin 2020, n° 18/06009
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Bourgey Montreuil Normandie (Sasu)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Bodard-Hermant, M. Gilles
FAITS ET PROCÉDURE
Vu le jugement rendu le 15 février 2018 par le tribunal de commerce de Paris qui :
- dit irrecevable car prescrite la demande de paiement au titre de l'indexation du prix du gazole ;
- déboute la société X de ses autres demandes ;
- condamne la société X à payer à la société Y - aux droits de la laquelle vient la société Bourgey Montreuil Normandie, bénéficiaire d'une transmission universelle de son patrimoine - une indemnité de 5 000 euros au titre de l'article 700 du CPC et aux dépens.
Vu les conclusions de la société X, appelante, transmises par RPVA le 23 mars 2020 qui demande à la cour :
Sur le fondement de l'article 23 de la loi du 5 janvier 2006 et des articles L. 3222-1 du Code des transports et L. 442-6 I 5 du Code de commerce,
- infirmer le jugement entrepris en sa totalité,
- débouter la société Bourgey Montreuil Normandie de son appel incident et de ses demandes
Statuant de nouveau,
- condamner la société Bourgey Montreuil Normandie venant aux droits de la société Y prise en la personne de son représentant légal à lui payer :
- la somme de 73 662,81 € avec intérêt au taux légal à compter du 25 juin 2009,
- la somme de 192 000 €, subsidiairement 83 520 euros, à titre de préavis,
- une indemnité de procédure de 8 000 euros.
Plus subsidiairement,
- surseoir à statuer sur les indemnisations et désigner tel expert-comptable pour donner son avis et chiffrer ses préjudices ;
Infiniment subsidiairement,
- infirmer le jugement entrepris du chef de l'indemnité de procédure et des dépens et débouter la société Bourgey Montreuil Normandie de ses demandes à ce titre.
Vu les conclusions de la société Bourgey Montreuil Normandie, intimée, transmises par RPVA le 11 septembre 2018 qui demande à la cour :
Vu les dispositions de l'article 32-III de la loi du 5 janvier 2006
Vu les dispositions des articles L. 133-6, L. 133-8 et l'article L. 442-6-5 du Code de commerce
A titre principal :
- confirmer le jugement entrepris,
Statuant à nouveau :
- dire recevable et bien fondée la société Y en ses demandes
En conséquence
- dire et juger la société X prescrite en sa demande d'indexation gazole pour les transports accomplis au titre des années 2006, 2007 et 2008,
- débouter la société M. de l'ensemble de ses demandes comme mal fondée
A titre subsidiaire,
- ordonner que la charge des frais résultant de la désignation d'un Expert-comptable incombe à la société X
En tout état de cause,
- condamner la société X à payer à la société Y la somme de 7500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens dont distraction.
Les parties ne se sont pas opposées à la procédure sans audience qui leur a été proposée, par mail de Mme la présidente de cette chambre du 29 avril 2020, au visa de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 et de l'ordonnance du premier président de cette Cour du 23 avril 2020.
La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.
SUR CE LA COUR
La société X était liée à la société Bourgey Montreuil Normandie - venant aux droits de la société Y suite à la transmission universelle à son profit du patrimoine de celle-ci - par deux contrats de tractionnariat des 29 août et 18 novembre 2005.
Elle soutient qu'après lui avoir imposé des conditions commerciales déficitaires et abusives, la société Y a procédé à une résiliation abusive et brutale, par lettre du 27 février 2009 de leurs contrats qui correspondaient à six tournées nécessitant des charges fixes pour six salariés outre la location de tracteurs pour 3 192 euros par mois et qui représentaient 20 % de son chiffre d'affaires total.
Elle déduit de ces circonstances que la société Bourgey Montreuil Normandie, qui a délibérément éludé l'application de l'article 23 de la loi du 5 janvier 2006 doit lui payer l'indexation correspondant à la surcharge carburant 2006-2009, telle que prévue par cette loi et indemniser son préjudice issu de la rupture brutale, qui correspond à son chiffre d'affaires perdu dès lors qu'elle fonctionnait à perte, subsidiairement à ses pertes relatives aux contrats résiliés, pendant le préavis de six mois revendiqué.
Toutefois, le jugement entrepris retient exactement,
- d'une part, au visa de l'article 133-6 du Code des transports instituant une prescription annale des actions qui naissent de l'exécution d'un contrat de transport, que sa demande d'indexation est prescrite faute de preuve d'une fixation sans négociation du prix des transports, objet des contrats litigieux comme de refus de discussion de l'application de la surcharge,
- d'autre part, au visa de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, que le préavis de deux mois accordé au vu de la lettre de résiliation du 27 février 2009 est suffisant compte tenu de la durée de trois ans et demi à cette date de la relation contractuelle, en l'état de l'absence d'exclusivité comme de dépendance économique.
La société X n'apporte aucun élément nouveau en appel susceptible de remettre en cause ces motifs.
Il suffira d'ajouter ce qui suit.
1- Sur l'indexation des charges de carburant
La société X ne peut affirmer sans verser aucune pièce à l'appui de cette affirmation que, compte tenu d'obligations de maintenance, la qualification des contrats en contrat de transport était contestée devant les premiers juges qui retiennent le contraire. En tout état de cause, cette maintenance qui constitue au vu des pièces produites (pièces appelante 18, 21 et 22) l'accessoire de l'obligation principale de transport qu'elle est destinée à faciliter, n'est pas de nature à remettre en cause la qualification retenue de contrat de transport.
Par ailleurs, si les pièces 4 et 5 sur lesquelles le jugement fonde sa décision sur l'indexation concerne effectivement une tournée sur Lyon dont les négociations sur le prix de ce transport n'ont pas abouties, il n'en reste pas moins qu'elles attestent de l'existence de négociations du prix. En outre, le silence gardé par la société Y aux demandes d'information de la société X relative au dispositif d'indexation prévue par l'article 23 de la loi du 5 janvier 2006, telles que formulées par mail des 16 et 21 avril 2008 reproduit en page 9 des ses conclusions ne suffit pas à établir l'intention de la société Y d'éluder cette loi.
En effet, cet article prévoit expressément que, "si les parties n'ont rien prévu", ce qui correspond à l'espèce dans laquelle les contrats sont antérieurs à cette loi et ne comportent pas d'avenant, "la facture du transporteur [doit ] faire apparaître les charges de carburant supportées". Or, tel n'a pas été le cas alors qu'aucun mécanisme juridique n'a empêché la société X de se conformer à cette disposition, en l'état de l'article 2 des contrats qu'elle reproduit ainsi (ses conclusions p. 3) :
"TARIF - le prix du transport est fixé à : selon courrier du 29 août 2005 / jour travaillé incluant le kilométrage en charge et à vide ainsi que les coûts d'autoroute depuis le point de prise de service désigné par Y.
Le tractionnaire déclare et reconnaît que la rémunération ci-dessus fixée correspond à ses tarifs commerciaux en vigueur et lui permet de couvrir ses frais de personnel (salaires et charges) ainsi que toutes charges d'exploitation carburants, entretien, assurances, location financière et/ou amortissement de véhicules (en mode et durée généralement reconnus).
Il établit chaque fin de mois une facture à la société Y".
2 - Sur la rupture brutale
L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, applicable en l'espèce, dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale.
Une relation commerciale " établie " présente un caractère " suivi, stable et habituel " et permet raisonnablement d'anticiper pour l'avenir une certaine continuité du flux d'affaires entre les partenaires commerciaux, ce qui implique, notamment qu'elle ne soit pas entachée par des incidents susceptibles de remettre en cause sa stabilité, voire sa régularité.
Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité ou de trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture.
La société X ne justifie pas d'une relation commerciale établie au sens du texte susvisé, antérieure à la signature du contrat du 29 août 2005. Le renvoi à ses pièces 2 à 10 ne suffit pas à l'établir.
Le préavis de deux mois résultant de la lettre de résiliation précitée du 27 février 2009 fixant le terme de la relation commerciale au 23 avril 2009 est conforme à l'article 11 des contrats qui prévoit un préavis d'un mois en cas de modification des conditions économiques, en ce qu'elle précise que la société Y n'avait pas d'autre choix en raison du contexte économique particulièrement difficile. A l'époque, la société X n'en a pas disconvenu totalement s'agissant de l'industrie automobile (pièce intimée 3), connue du grand public pour avoir été fortement affectée par cette crise et la presse s'est fait l'écho de la baisse d'activité du transport routier de marchandises du pavillon français (pièce intimée 2).
En tout état de cause, et au vu de la durée de la relation commerciale comme de ses circonstances, relevées par le jugement entrepris comme indiquée ci-dessus, ce préavis est conforme aux usages de la profession tels qu'ils résultent de la jurisprudence versée aux débats (conclusions d'intimée p. 11-12). En outre, la société X, qui se bornait à soutenir en première instance que le préavis d'un mois accordé était insuffisant (jugement p. 2 in fine) ne soutient pas utilement en appel l'absence de respect du préavis accordé, ce qu'elle n'étaye d'aucune explication ni pièce comptable autre que son affirmation.
Vu les articles 696 et 700 du Code de procédure civile, la société X, partie perdante, doit supporter la charge des dépens de première instance et d'appel et l'équité commande de la condamner à payer l'indemnité de procédure complémentaire en appel comme indiqué ci-dessous.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en toutes ses dispositions.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne la société X aux dépens distraits conformément à l'article 699 du Code de procédure civile. Condamne la société X à payer à la société Bourgey Montreuil Normandie une indemnité de procédure de 1 000 euros.