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Décisions

CE, 10e et 9e ch. réunies, 4 octobre 2019, n° 418817

CONSEIL D'ÉTAT

Arrêt

Rejet

PARTIES

Demandeur :

Piaggio France (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Rapporteur :

M. Roulaud

Rapporteur public :

M. Lallet

Avocat :

Cabinet Briard

CAA Versailles, du 30 janv. 2018

30 janvier 2018

Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Piaggio France a demandé au tribunal administratif de Montreuil la décharge des cotisations supplémentaires de retenue à la source auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2007 qui ont résulté de cette rectification impôt d'un montant de 7 969 529 euros et l'a déchargée des impositions correspondantes. Par un jugement n° 1309996 du 7 juillet 2015, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.

La SAS Piaggio France a également demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et de contribution sociale assise sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2007. Par un jugement n° 1307898 du 4 mai 2016, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15VE02906, 16VE02158 du 30 janvier 2018, la cour administrative d'appel de Versailles, sur appel de la SAS Piaggio France, a réformé ces deux jugements, a réduit ses bases imposables à la retenue à ... qui ont résulté de cette rectification impôt d'un montant de 7 969 529 euros et l'a déchargée des impositions correspondantes (sic).

Par un pourvoi et deux mémoires en réplique enregistrés respectivement les 6 mars et 15 novembre 2018 et le 4 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'Action et des Comptes publics demande au Conseil d'Etat d'annuler cet arrêt en tant qu'il réduit les bases imposables à la retenue à ... qui ont résulté de cette rectification impôt d'un montant de 7 969 529 euros et l'a déchargée des impositions correspondantes d'un montant de 7 969 529 euros (sic).

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Roulaud, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, au Cabinet Briard, avocat de la société Piaggio france ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à la suite d'une restructuration du groupe auquel elle appartient, la SAS Piaggio France, détenue indirectement, pour l'intégralité de son capital, par la société de droit italien Piaggio et C SpA, est passée, par un contrat en date du 2 janvier 2007, du statut de distributeur exclusif de véhicules de la marque " Piaggio " en France à celui d'agent commercial de sa société mère italienne. A l'issue d'une vérification de comptabilité, l'administration fiscale, estimant notamment que ce changement de statut avait entraîné un transfert sans contrepartie de la clientèle de la SAS Piaggio France à la société Piaggio et C SpA, a fait application des dispositions de l'article 57 du code général des impôts et procédé à la réintégration de l'indemnité de cession de clientèle à laquelle la SAS Piaggio France devait être regardée comme ayant renoncé au titre de l'exercice clos en 2007. Par deux jugements des 7 juillet 2015 et 4 mai 2016, les tribunaux administratifs de Montreuil et de Cergy-Pontoise ont respectivement rejeté les demandes de la SAS Piaggio France en décharge des cotisations supplémentaires de retenue à ... qui ont résulté de cette rectification impôt d'un montant de 7 969 529 euros et l'a déchargée des impositions correspondantes. (sic) Par un arrêt du 30 janvier 2018, la cour administrative d'appel de Versailles a partiellement fait droit à l'appel formé par la SAS Piaggio France contre ces deux jugements et réduit ses bases imposables à hauteur de l'indemnité de cession de clientèle réintégrée par l'administration. Le ministre de l'Action et des Comptes publics se pourvoit en cassation contre cet arrêt en tant qu'il réforme ces deux jugements.

2. L'article 57 du code général des impôts dispose que : " Pour l'établissement de l'impôt sur le revenu dû par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France, les bénéfices indirectement transférés à ces dernières, soit par voie de majoration ou de diminution des prix d'achat ou de vente, soit par tout autre moyen, sont incorporés aux résultats accusés par les comptabilités (...) ". Ces dispositions instituent, dès lors que l'administration établit l'existence d'un lien de dépendance et d'une pratique entrant dans leurs prévisions, une présomption de transfert indirect de bénéfices par les entreprises qui sont sous la dépendance ou qui possèdent le contrôle d'entreprises situées hors de France au profit de ces dernières, qui ne peut être utilement combattue par les entreprises imposables en France qu'à charge, pour elles, d'apporter la preuve que les avantages qu'elles ont consentis ont été justifiés par l'obtention de contreparties favorables à leur propre exploitation.

3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SAS Piaggio France, créée en 1977, a exercé jusqu'en 2007 une activité de distribution exclusive sur le territoire français des véhicules à moteur de la marque " Piaggio ", qu'elle achetait, importait puis revendait elle-même en son nom propre à des concessionnaires. En vue de cette activité, la SAS Piaggio France, qui disposait du droit exclusif d'utiliser et d'exploiter la marque " Piaggio " dont la société Piaggio et C SpA est propriétaire, a développé une stratégie autonome d'implantation des produits du groupe Piaggio et de pénétration du marché français. Pour ce faire, elle a, d'une part, constitué et animé un vaste réseau de concessionnaires à l'égard desquels elle déterminait elle-même les volumes et modèles à acheter ainsi que sa propre politique commerciale en matière de fixation des prix et de service après-vente et, d'autre part, assumé seule les risques de gestion du stock dont elle était propriétaire ainsi que les risques commerciaux résultant d'éventuels impayés ou invendus. Dans ces conditions, la SAS Piaggio France doit être regardée comme ayant créé, d'une part, sa propre clientèle constituée, indépendamment de la forte notoriété dont jouit la marque " Piaggio " en France, par le réseau des concessionnaires et, d'autre part, le fonds de commerce correspondant. Il s'ensuit qu'en jugeant que la transformation de la SAS Piaggio France de distributeur exclusif en simple agent commercial de la société Piaggio et C SpA n'avait pas révélé de transfert de clientèle à titre gratuit au bénéfice de cette dernière, la cour administrative d'appel a entaché son arrêt d'inexacte qualification juridique des faits.

4. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'Action et des Comptes publics est fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque en tant qu'il a réduit les bases imposables à la retenue à ... qui ont résulté de cette rectification impôt d'un montant de 7 969 529 euros et l'a déchargée des impositions correspondantes au titre de l'exercice clos en 2007 'sic).

5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la SAS Piaggio France demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :
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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Versailles du 30 janvier 2018 est annulé en tant qu'il a réduit les bases imposables à la retenue à ... qui ont résulté de cette rectification impôt d'un montant de 7 969 529 euros et l'a déchargée des impositions correspondantes au titre de l'exercice clos en 2007 d'un montant de 7 969 529 euros (sic).

Article 2 : L'affaire est renvoyée, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Versailles.

Article 3 : Les conclusions de la SAS Piaggio France présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'Action et des Comptes publics et à la SAS Piaggio France.