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Décisions

CA Toulouse, 3e ch., 18 avril 2019, n° 17-04678

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Renault (SAS)

Défendeur :

CPAM de la Haute-Garonne

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Beneix Bacher

Conseillers :

M. Beauclair , Mme Blanque Jean

TGI Toulouse, du 25 juill. 2017

25 juillet 2017

Monsieur Francis F., père de Mademoiselle Frédérique F., a acquis courant mai 2010 auprès de la société Renault Retail Group Mirail à Toulouse un véhicule d'occasion de marque Renault type Twingo, immatriculé AB 667 WD et mis en circulation le 8 juillet 2009.

Ce véhicule était conduit par Mademoiselle Frédérique F. le 4 novembre 2013, lorsque à hauteur de l'échangeur de Purpan sur la rocade de Toulouse, à la jonction de l'A 624 et de l'A 620, il a glissé sur la chaussée mouillée et a percuté le séparateur en béton situé à gauche de la chaussée par rapport à son sens de circulation.

Mademoiselle F. a pu se détacher et sortir seule de son véhicule, mais elle présentait une plaie ouverte à la gorge et crachait du sang. Victime d'une hémorragie interne, d'un arrêt cardiaque et d'un arrêt respiratoire la plongeant dans le coma, elle a été transportée à l'hôpital de Rangueil où elle a été prise en charge en déchocage puis en réanimation jusqu'au 8 novembre 2013. Elle a ensuite été transférée en service ORL à l'hôpital Larrey où il a été procédé le 8 novembre 2013 à une cervicotomie médiane pour trachéotomie. Elle est restée hospitalisée jusqu'au 13 décembre 2013, et a subi plusieurs interventions chirurgicales.

Par ordonnance en date du 23 avril 2014, le juge des référés a ordonné une expertise afin de déterminer les causes techniques des préjudices corporels subis suite à l'accident du 4 novembre 2013, et désigné Monsieur M. pour y procéder. L'expert a déposé son rapport le 16 mars 2015.

Par actes d'huissier en date du 5 janvier 2016, Mademoiselle Frédérique F. a assigné la SAS Renault et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute-Garonne, aux fins de voir, avec exécution provisoire :

- dire que la SAS Renault est entièrement responsable des conséquences dommageables dont elle est victime à la suite de l'accident du 4 novembre 2013 ;

- condamner la SAS Renault à indemniser son préjudice qui se décompose comme suit :

perte de gains professionnels actuels : 1 744,20 euros ;

coût du différentiel véhicule : 51 525,72 euros ;

incidence professionnelle : 100 000,00 euros ;

déficit fonctionnel temporaire global : 3 692,00 euros ;

souffrances endurées : 12 000,00 euros ;

préjudice esthétique temporaire : 4 000,00 euros ;

déficit fonctionnel permanent : 126 000,00 euros ;

préjudice esthétique permanent : 10 000,00 euros ;

préjudice d'agrément : 10 000,00 euros ;

soit un montant total de 318 961,92 euros ;

- subsidiairement, ordonner une mesure d'expertise afin de déterminer sur la base de la nomenclature Dintilhac le préjudice qu'elle a subi ;

- dans cette hypothèse, condamner la SAS Renault au paiement d'une provision a valoir sur son indemnisation d'un montant de 100 000,00 euros,

- condamner la SAS. Renault en toutes hypothèses au paiement d'une somme de 10 000,00 euros à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et de la somme de 4 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Devant le premier juge, la SAS Renault conclut au débouter de Mademoiselle F. et toute autre partie de toutes leurs demandes, et réclame la somme de 3 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; subsidiairement, avant dire droit, au visa des articles 143 et 144 du Code de procédure civile, ordonner une contre-expertise confiée à un nouvel expert en accidentologie spécialisé en médecine et biomécanique ; en tout état de cause, ordonner une expertise médicale aux frais avancés de Mlle F. afin de chiffrer le préjudice.

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne réclame devant le premier juge :

- à titre principal, de condamner la SAS Renault à lui payer les sommes de :

60 363,20 euros au titre de sa créance définitive, avec intérêts de droit à compter du jour de la demande ou du jour de paiement des prestations à la victime si celui-ci est postérieur à celui-là (79 337,20 euros au titre des dépenses de santé actuelles et 1 026,00 euros au titre des dépenses de santé futures) ;

1 047,00 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour frais de gestion ;

- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où il serait désigné un expert judiciaire, condamner la SAS Renault à lui payer la somme provisionnelle de 80 363,20 euros ;

- réserver ses droits pour le surplus de sa créance dans l'attente du dépôt du rapport d'expertise ;

- en tout état de cause, condamner la SAS Renault à lui payer la somme de 800,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- ordonner l'exécution provisoire.

Par jugement en date du 25 juillet 2017, le tribunal de grande instance de Toulouse a :

- dit que la SAS Renault est entièrement responsable du préjudice subi par Mademoiselle Frédérique F. lors de l'accident du 4 novembre 2013 ;

- débouté la SAS Renault de se demande de contre-expertise :

- condamné la SAS Renault à payer à :

Mademoiselle Frédérique F. la somme de 100 000,00 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel ;

Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne la somme de 80 363,20 euros à valoir sur sa créance au titre des prestations servies à Mademoiselle Frédérique F. ;

- et statuant avant dire droit sur la réparation du préjudice corporel de Mademoiselle Frédérique F., ordonné une expertise médicale, et désigné pour y précéder le Docteur B. et à défaut le Docteur DE B. J. avec la mission habituelle en matière de réparation du préjudice corporel ;

- réservé les autres demandes et les dépens ;

- ordonné l'exécution provisoire.

Tous les chefs du jugement sont expressément critiqués dans la déclaration d'appel.

Un pré rapport a été déposé par l'expert désigné par le tribunal, le 2 décembre 2017, sans qu'aucun dire ne soit formulé par les parties.

La SAS Renault demande à la cour de :

- à titre principal :

- constater que Madame F. ne rapporte pas la preuve d'un défaut imputable au constructeur à l'origine de l'accident et de ses dommages ;

- constater que Madame F. ne rapporte pas la preuve d'un lien de causalité entre le prétendu défaut de la ceinture de sécurité alléguée et ses blessures ;

- constater que la demande d'évocation est mal fondée et que les demandes nouvelles d'un montant de 646 000,00 euros présentées par Madame F. sont irrecevables et mal fondées ;

- par conséquent :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la société Renault entièrement responsable du préjudice subi par Madame F. et l'a tenue d'indemniser totalement le préjudice subi par cette dernière lors de l'accident du 4 novembre 2013 ;

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Renault à payer à :

Mademoiselle Frédérique F. la somme de 100 000,00 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel ;

la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne la somme de 80 363,20 euros à valoir sur sa créance au titre des prestations servies à Mademoiselle Frédérique F. ;

- statuant à nouveau, débouter Madame F. de toutes ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Renault SAS ;

- condamner Madame F. à payer à la société Renault SAS une somme de 5 000,00 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,

- à titre subsidiaire, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté la SAS Renault de sa demande de contre-expertise ;

- statuant à nouveau, ordonner une contre-expertise et désigner un nouvel expert en accidentologie spécialisé en médecine et biomécanique avec pour mission, pour l'essentiel, de déterminer les causes techniques des préjudices corporels subis par Mademoiselle F. suite à l'accident du 4 novembre 2013 ;

-rejeter toutes demandes plus amples.

Elle fait valoir que :

- elle produit de nouveaux éléments relatifs tant aux blessures de la victime que sur l'implication de la ceinture de sécurité dans des accidents de la circulation et elle estime que la preuve d'un défaut de la ceinture n'est pas rapportée, ou tout du moins il est justifié que soit ordonnée une contre-expertise ;

- elle reproche à l'expert automobile de ne pas s'être prononcé sur la réalité des blessures subies ; elle estime que les blessures, sans coupure, résultent d'un écrasement provoqué par un coup violent au larynx, endommagé sur sa partie droite alors que la ceinture passe du côté gauche ; aucune trace de sang n'a été relevée sur la sangle ; le retrait de la ceinture par le prétentionneur est de 15 mm sur l'ensemble de son parcours et ne peut avoir l'effet de scie invoqué ; le choc a eu lieu à l'avant droit, le corps a été projeté vers l'avant droit s'écartant de la sangle qui ne peut appuyer sur la thyroïde ;

- elle estime que le téléphone de Mademoiselle F. est à l'origine des lésions : ce téléphone a été déclaré égaré, puis est réapparu entre le jugement et l'audience devant la cour et a été soumis à un examen non contradictoire. Elle défend la thèse suivante : la conductrice tenant le téléphone en main, opère lors de la perte du contrôle de son véhicule une manœuvre réflexe de contre-braquage, en gardant le téléphone en main en appui sur le volant (ce qui lui aurait donné la déformation observée sur les photographies), de sorte que lors du choc, le téléphone est projeté par le déploiement de l'airbag sur son cou. Le téléphone a été retrouvé aux pieds de la conductrice côté gauche de la voiture, il aurait été projeté à droite et retenu par l'airbag s'il avait été sur le siège du passager. La déformation du pare-brise résulte de l'impact du sac de l'airbag et ne peut résulter d'un choc causé par le téléphone ;

- l'usage du téléphone est établi par l'envoi d'un SMS à un temps proche de l'accident, et le manque de concentration qui en résulte explique la perte de contrôle lors de l'aqua planning à une vitesse de 10 km/heures ;

- les bases de données accidentologiques n'ont pas révélé dans des accidents similaires les lésions du type de celles subies par la victime ;

- il n'existe aucun lien de causalité entre le défaut allégué et les dommages subis, en particulier en l'absence de toute trace de sang sur la ceinture. La perte de contrôle résulte d'un excès de vitesse sur une chaussée mouillée ;

- la demande d'évocation de la liquidation du préjudice corporel est nouvelle devant la cour. En outre la cour n'étant pas saisie d'un recours contre la disposition ordonnant l'expertise ne peut évoquer la liquidation du préjudice corporel.

Mademoiselle Frédérique F. demande à la cour de :

- confirmer les dispositions du jugement rendu le 25 juillet 2017 en ce qu'il a dit que la SAS Renault est entièrement responsable du préjudice subi par Mademoiselle Frédérique F. lors de l'accident du 4 novembre 2013 ;

- y ajoutant condamner la SAS Renault, au principal, vu les articles 1386-1 à 1386-18 du Code civil ; subsidiairement les articles 1641 et suivants du même Code ; plus subsidiairement, l'article 1383 ; encore bien plus subsidiairement : les articles 1382 et 1384 ; infiniment plus subsidiairement, au titre de la perte de chance ;

- dire que la SAS Renault est entièrement responsable des conséquences dommageables dont elle est victime à la suite de l'accident du 4 novembre 2013 ;

- vu l'article 568 du Code de procédure civile et usant de son droit d'évocation de la cour, condamner la SAS Renault à indemniser son préjudice à hauteur de 646 580,00 euros qui se décompose comme suit :

remplacement du véhicule 7 614 € ;

déficit fonctionnel temporaire 8 362 € ;

aides humaines au déficit fonctionnel temporaire 11 540 € ;

perte de gains professionnels 1 744 € ;

préjudice esthétique temporaire 10 000 € ;

préjudice esthétique définitif 15 000 € ;

souffrances endurées 30 000 € ;

AIPP 112 200 € ;

préjudice d'agrément 10 000 € ;

préjudice sexuel 61 000 € ;

soins médicaux post-consolidation 4 260 € ;

préjudice moral spécifique 100 000 € ;

incidence professionnelle 259 439 € ;

frais de procédure 17 195,20 € ;

total : 648 354, 20 euros ;

soit un préjudice à hauteur de 648 354,20 € ;

- condamner la SAS Renault en toutes hypothèses au paiement d'une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive ;

- outre les intérêts au taux légal doublé dus sur l'insuffisance de provision soit 6 440,00 euros sur le manque de provision de 81 729,00 euros confisquée par la SAS Renault du 25 juillet 2017 à ce jour ;

- condamner la SAS Renault à la somme de 4 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la SAS Renault aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Elle fait valoir que :

- elle roulait à une vitesse de moins de 40 km/heures lorsque le véhicule a glissé. Elle effectuait un virage à droite, son corps étant poussé vers la gauche contre la sangle. Elle s'est cramponnée au volant, a contre braqué ce qui a aggravé la compression sur la sangle, et le ballottement du cou sur le tranchant de la sangle a causé la plaie ouverte qu'elle a présentée sur le coté gauche du cou ainsi qu'il ressort des photographies ; lors du choc la contrainte d'opposition évaluée entre 2 et 7 tonnes s'est exercée près du cou avant que le corps soit projeté en direction du point d'impact à droite ;

- l'heure de l'accident ne peut être révélée que par le constructeur ; le mode d'emploi de la ceinture prescrit un positionnement au plus près du cou de la ceinture. Aucun élément ne permet d'impliquer le téléphone dans la cause des lésions, la rétractation de la ceinture lors du choc est à l'origine de la blessure au larynx, la tête n'est pas venue heurter l'airbag ;

- le téléphone ne peut être à l'origine de la blessure, elle l'avait nécessairement lâché lors du contrebracage, il ne présente aucune arrête coupante, il n'a été retrouvé aucun éclat de verre dans la plaie ;

- la déformation du pare-brise ne peut résulter du sac de l'airbag passager, la déformation du téléphone ne peut résulter de sa projection sur la base du cou de la conductrice ;

- elle fonde sa demande sur la défectuosité de la sangle (articles 1386-1 et s.) ; le vice caché de la sangle (articles 1641 et s.) ; l'imprudence ou négligence de la SAS Renault (art 1383) ; le fait de la structure de la sangle (Art 1384-1) ; une faute de la SAS Renault (art 1382) ; ou une perte de chance pour elle (art 1382 ) ;

- elle sollicite devant la cour la liquidation de son préjudice tel que chiffré par l'expert désigné par le tribunal qui a déposé un pré rapport le 2 décembre 2017 sans qu'aucun dire ne soit formulé ;

- la SAS Renault n'a pas payé la provision mise à sa charge, les moyens qu'elle invoque sont dilatoires.

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la SAS Renault est entièrement responsable du préjudice subi par Mme F. lors de l'accident du 4 novembre 2013 ;

- statuer ce que de droit sur la demande d'évocation ;

- si la cour devait faire usage de son pouvoir d'évocation : constater qu'à la date du 13 novembre 2018, la créance définitive de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie au titre des prestations servies à Madame Frédérique F. ressort à la somme de 86 433,33 euros ;

- condamner la SAS Renault à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie la somme provisionnelle de 86 433,33 euros au titre de sa créance définitive avec intérêts de droit à compter du jour de la demande ou du jour de paiement des prestations à la victime si celui-ci est postérieur à celui-là décomposée comme suit :

- dépenses de Santé Actuelles : 85 281,33 euros. ;

- dépenses de santé futures : 1 152,00 euros ;

- condamner la SAS Renault à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie l'indemnité forfaitaire pour frais de gestion qu'elle est en droit de recouvrer et dont le montant, en application des dispositions des alinéas 9 et 10 de l'article L. 376-1 du Code de la Sécurité Sociale, est égal au tiers des sommes dont le remboursement a été obtenu dans les limites d'un montant maximum de 1 066€ et d'un montant minimum de 106 € soit en l'espèce 1 066 € ;

- si la cour devait considérer qu'il n'y a pas lieu d'évoquer, confirmer les termes du jugement et ce faisant :

- constater qu'à la date du 5 avril 2016, la créance de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie au titre des prestations servies à Madame Frédérique F. ressort à la somme de 80 363,20 € ;

- condamner la SAS Renault à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie la somme provisionnelle de 80 363,20 euros au titre de sa créance avec intérêts de droit à compter du jour de la demande ou du jour de paiement des prestations à la victime si celui-ci est postérieur à celui-là décomposée comme suit :

- dépenses de Santé Actuelles : 79 337,20 euros ;

- dépenses de santé futures : 1 026,00 euros ;

- réserver les droits de la CPAM de la Haute Garonne pour le surplus de ses créances en ce compris celle sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- en tout état de cause condamner la partie succombante en cause d'appel à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie la somme de 1 000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens d'appel, dont distraction au profit de la SELARL T. & ASSOCIES sur affirmation de son droit conformément aux dispositions de l'article 699 du CPC.

MOTIFS DE LA DÉCISION.

Aux termes de l'article 1386-4 ancien du Code civil, applicable au présent litige, un produit est défectueux au sens du présent titre lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre.

Dans l'appréciation de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, il doit être tenu compte de toutes les circonstances et notamment de la présentation du produit, de l'usage qui peut en être raisonnablement attendu et du moment de sa mise en circulation.

Un produit ne peut être considéré comme défectueux par le seul fait qu'un autre, plus perfectionné, a été mis postérieurement en circulation.

Aux termes de l'article 1386-4 ancien du même code, le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.

Aux termes de l'article 1386-11 ancien du même code, le producteur est responsable de plein droit à moins qu'il ne prouve :

1° Qu'il n'avait pas mis le produit en circulation ;

2° Que, compte tenu des circonstances, il y a lieu d'estimer que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où le produit a été mis en circulation par lui ou que ce défaut est né postérieurement ;

3° Que le produit n'a pas été destiné à la vente ou à toute autre forme de distribution ;

4° Que l'état des connaissances scientifiques et techniques, au moment où il a mis le produit en circulation, n'a pas permis de déceler l'existence du défaut ;

5° Ou que le défaut est dû à la conformité du produit avec des règles impératives d'ordre législatif ou réglementaire.

Le producteur de la partie composante n'est pas non plus responsable s'il établit que le défaut est imputable à la conception du produit dans lequel cette partie a été incorporée ou aux instructions données par le producteur de ce produit.

Aux termes de l'article 1386-13 ancien du même code, la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable.

Il ressort du rapport d'expertise judiciaire Mailhe déposé le 16 mars 2015 que :

- le véhicule était en parfait état général ;

- le choc s'est produit en partie inférieure de l'avant droit du véhicule : on observe un léger impact en partie inférieure du bouclier avant droit ; après dépose du bouclier, on observe une très légère déformation de la traverse de l'armature avant, déformation de la tôle support et du support avant droit boulonné au niveau du berceau moteur, le berceau et le train avant droit ne présentant aucun dommage. Le sens de la déformation va de l'avant vers l'arrière, dans une amplitude oblique de 45 degrés, provoquée contre le séparateur béton de forme trapézoïdale. Il n'y a pas de déformation des éléments de liaison au sol, ni de dommage sur le capot moteur, ni l'aile avant droit ;

- l'examen de la position de conduite de Mademoiselle F. permet de relever que l'assise du siège est placée au niveau 2/4 et les distances entre la conductrice et les éléments de conduite du véhicule ne laisse apparaître aucun défaut de position de conduite ;

- il n'existe pas de réglage en hauteur de la ceinture de sécurité sur le pied de caisse en fonction de la position du siège et de la taille du conducteur, seulement un renvoi par point fixe. La sangle baudrier est très proche de la blessure sur la base du cou de la conductrice, la sangle de bassin est bien portée à plat sur les cuisses et contre le bassin, selon les préconisations du constructeur. Le prétentionneur de ceinture a opéré un retrait de 15 mm ;

- les données informatiques relevées au niveau de l'airbag, les déformations relevées sur le véhicule permettent d'établir que sa vitesse au moment du choc était de l'ordre de 10 ou 18 km/h et en tout cas largement inférieure à 30 km/h.

Les déclarations de la conductrice permettent de retenir que le véhicule circulait sous la pluie, qu'alors qu'elle aborde le virage prononcé à droite de la bretelle d'accès à la rocade extérieure, elle a perdu le contrôle du véhicule qui a glissé sur la chaussée, elle a procédé à un contre braquage, le véhicule a amorcé une rotation dans le sens inverse des aiguilles d'une montre et a percuté le séparateur en béton situé à gauche par rapport à son sens de circulation, avec la partie avant droit du véhicule, et s'est trouvé dans une position finale inverse au sens initial de circulation, le véhicule poursuivant sa rotation après le choc.

Ce choc produit à faible vitesse présente la particularité de s'être produit contre un obstacle indéformable, le point d'impact sur le véhicule se trouvant sur une zone peu déformable du véhicule, au niveau de la liaison de la traverse avant droite et de l'embout du longeron avant droit, zone de déformation très limitée par rapport aux autres zones du véhicule. Il en résulte une décélération plus importante et plus brutale que sur les zones à déformation programmée. Compte tenu de cette particularité de l'espèce, les comptes rendus de crash tests avancés par le constructeur ne sont pas opérants en ce qu'ils sont relatifs à des chocs frontaux.

Le choc a déclenché les éléments de sécurité, airbag et prétentionneur de ceinture de sécurité. L'opercule du sac de l'airbag est intact, l'expert en déduit que la contrainte d'opposition s'est trouvée captée par la ceinture de sécurité notamment au niveau de la sangle de baudrier passant près du cou, ainsi que latéralement à gauche et droite du bassin.

Les préconisations du constructeur quant à l'emploi de la ceinture sont claires : « ajustement des ceintures de sécurité : tenez-vous bien appuyé contre le dossier. La sangle de baudrier 1 doit être rapprochée le plus possible de la base du cou. La sangle de bassin 2 doit être portée à plat sur les cuisses et contre le bassin. La ceinture doit porter le plus directement possible sur le corps... »

Mademoiselle F. s'est installée au volant devant l'expert qui a constaté qu'elle respectait les règles d'utilisation de la ceinture. Il apparaît alors que la sangle baudrier passe à proximité immédiate de la cicatrice de la blessure causée par l'accident. La taille de la conductrice, 1,62m et sa morphologie ont permis de constater que sa tête lors du choc n'a pas pu heurter le sac de l'airbag déployé, ce qui aurait entraîné son dégonflement.

Concernant le téléphone portable, les constatations de l'expert ne permettent pas de considérer que la conductrice était en communication avec le téléphone positionné sur le côté gauche entre l'épaule et le cou, compte tenu de la déformation du téléphone - incurvé dans le sens de la longueur - de l'absence d'élément tranchant sur le téléphone retrouvé, et en l'absence de toute esquille en provenance de cet appareil dans la plaie. La déformation du pare-brise n'est pas en lien avec une déformation de la caisse du véhicule, ni avec le déclenchement de l'airbag passager, elle résulte de la projection d'un objet sur le pare-brise.

L'expert conclut que les causes de l'accident du 4 novembre 2013 résultent de la conjugaison des paramètres suivants :

- le pied latéral gauche de la caisse ne comporte pas de réglage en hauteur du point de renvoi fixe de la ceinture de sécurité ;

- le réglage de la hauteur de l'assise du siège ne permet pas à une conductrice de petite taille de pouvoir compenser l'impossibilité de régler la hauteur de renvoi de la sangle inadaptée, afin de permettre un positionnement adéquat lors d'un accident, quand le prétentionneur actionne la sangle pour supprimer le 'jeu' et 'plaquer' la conductrice sur son siège ;

- la configuration et la position du siège de la conductrice, eu égard à l'ancrage non réglable du renvoi de la sangle, sont des facteurs suffisants, lors de la mise à feu du prétentionneur, pour que la sangle de la ceinture provoque, lorsque celle-ci se rétracte, une compression importante au niveau du cou et de la gorge, et génère les lésions, telles que subies par Mademoiselle F. selon les constatations des médecins.

La SAS Renault fait valoir qu'elle produit des éléments nouveaux qui permettent de contester les conclusions de l'expert judiciaire et de justifier l'organisation d'une contre-expertise.

Sur les blessures : les éléments relevés par l'expert sont confirmés par les déclarations du témoin, de la victime et les constatations médicales corroborées par les photographies produites, l'entaille du cou est sur le côté gauche. Le choc sur le cou a été d'une violence suffisante pour entraîner un écrasement laryngé, et une dégradation de l'ensemble des organes situés à proximité du cou de sorte que la compression sur la gauche du cou n'est pas incompatible avec la formation d'un hématome de la loge thyroïdienne à droite associé au 'fracas laryngé'. Il ne peut être considéré que le siège des lésions à droite du cou est étranger à un écrasement du cou par la gauche.

L'absence de sang sur la sangle s'explique par le fait que l'hémorragie s'est produite après la descente de voiture.

Sur les nouveaux éléments techniques relatifs à l'analyse des accidents :

- la vitesse a été établie par les données enregistrées par le calculateur installé sur le véhicule, elle est compatible avec les dommages causés au véhicule. Cependant, compte tenu de la résistance des points en contact, béton du séparateur et longeron du véhicule, cette faible vitesse n'en a pas moins causé une forte décélération ;

- les éléments nouveaux relatifs à des accidents du même type visent des chocs frontaux qui ne présentent pas la particularité du choc objet du présent litige entre deux points indéformables, et ne sont produits que pour l'analyse des déformations du pare-brise suite au déclenchement des airbags.

Sur l'hypothèse de lésions causées par la ceinture, il n'existe pas de contradiction dans les conclusions de l'expert, qui relève une forte décélération due au choc entre deux points non déformables, les mouvements du corps de la conductrice résultant d'une première part du déclenchement du prétentionneur plaquant le thorax sur le siège et prévenant sa projection vers la droite, puis d'une seconde part de la projection du corps vers l'avant, étant précisé que la ceinture doit être positionnée selon les préconisations du constructeur au plus près du cou et au contact du corps.

Sur l'hypothèse de lésions causées par le téléphone, l'hypothèse d'une blessure de la conductrice par son téléphone portable a bien été soumise à l'expert qui, bien que le téléphone ne lui soit pas présenté, a envisagé pour l'écarter l'hypothèse d'une projection du téléphone sur le cou de la victime. Le téléphone est réapparu après l'expertise, il apparaît que la conductrice a émis un SMS à 13h42mn9s soit moins de 3mn avant l'heure supposée de l'accident, estimée à 13h45. La conductrice a indiqué avoir adressé ce message d'un parking d'un centre commercial. La SAS Renault a fait mesurer les temps de parcours entre ledit parking et le point d'impact, temps compris entre 2 minutes 39 et 5 minutes 13 selon les trajets, par temps sec. Les écarts relevés ne sont pas assez significatifs pour considérer que l'envoi du SMS depuis le parking est erroné.

Compte tenu de la vitesse établie lors du choc, il ne peut être considéré que l'aquaplaning à l'origine de la perte de contrôle résulte d'une distraction de la conductrice qui serait en train de téléphoner, alors qu'elle avait raccroché depuis plus de trois minutes.

Le téléphone retrouvé présente un écran faïencé et une déformation, il serait incurvé, il n'est pas relevé qu'il présente une section coupante, et aucun élément et provenance de l'écran ou du corps de l'appareil n'a été retrouvé dans la plaie de la victime.

En outre l'envoi d'un SMS ne nécessite pas de porter le téléphone à proximité de son visage et rien ne permet de considérer que la conductrice tenait en main ledit téléphone trois minutes après l'envoi dudit message.

Enfin si la SAS Renault a fait établir devant la cour que le téléphone ne peut être à l'origine du choc particulier relevé sur le pare-brise et dont l'origine n'est pas déterminée, elle n'établit pas que le téléphone a été projeté sur la gauche du cou de la conductrice, le long de la ceinture.

Au vu de ces éléments, il n'apparaît pas que les conclusions de l'expert judiciaire soient sérieusement contestées. Il n'y a donc pas lieu d'ordonner une contre-expertise, et il convient de retenir que la cause de l'accident résulte du fonctionnement de la ceinture de sécurité du véhicule Twingo.

Le premier juge en a justement déduit qu'est nécessairement dépourvue de la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre une ceinture de sécurité qui, au lieu de protéger le conducteur lors d'un accident, lui cause, par l'effet du frottement, des lésions corporelles graves, même en cas de choc initial de faible intensité.

Il n'est pas justifié que la cause d'exonération de l'article 1386-11 ancien ci-dessus rappelé était établit et que le défaut ayant causé le dommage n'existait pas au moment où ce type de ceinture de sécurité a été mis en circulation sur ce modèle de véhicule.

Le jugement est confirmé en ce qu'il retient que la responsabilité de plein droit de la SAS Renault, qui ne conteste pas sa qualité de producteur ou de fournisseur et ne rapporte pas la preuve d'une cause exonératoire ou limitative de responsabilité, est donc engagée, de sorte que la SAS Renault est tenue d'indemniser totalement le préjudice subi par Mademoiselle F. lors de l'accident du 4 novembre 2013.

Sur la liquidation du préjudice, il n'apparaît pas de bonne justice d'évoquer sur ce point et de priver les parties du double degré de juridiction.

La cour constate que Mademoiselle F. ne réclame pas la confirmation du jugement sur la provision, à titre subsidiaire au cas où la cour n'évoquerait pas sur la liquidation de son préjudice.

Le jugement est confirmé sur la demande de la caisse, justifiée et dont le montant n'est pas sérieusement contesté.

La SAS Renault succombe, elle supporte les dépens d'appel augmentés d'une somme de 3 000,00 euros au bénéfice de Mademoiselle F. et de 1 000,00 euros au bénéfice de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne, sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a : - dit que la SAS Renault est entièrement responsable du préjudice subi par Mademoiselle Frédérique F. lors de l'accident du 4 novembre 2013, - débouté la SAS. Renault de se demande de contre-expertise, - condamné la SAS, Renault à payer à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne la somme de 80 363,20 euros à valoir sur sa créance au titre des prestations servies à Mademoiselle Frédérique F., - ordonné une expertise médicale, et désigné un expert avec la mission habituelle en matière de réparation du préjudice corporel, - réservé les autres demandes et les dépens, - ordonné l'exécution provisoire, Dit n'y avoir lieu à évocation sur la liquidation du préjudice corporel de Mademoiselle F., Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la SAS Renault à payer à Mademoiselle Frédérique F. la somme de 100 000,00 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice corporel et statuant à nouveau sur ce point, Constatant que la demande de provision n'est pas maintenue devant la cour, Y ajoutant, Condamne la SAS Renault à payer à Mademoiselle Frédérique F. la somme de 3 000,00 euros et à la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute Garonne la somme de 1 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SAS Renault aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la SELARL T. & Associés.