CA Lyon, 6e ch., 25 juin 2020, n° 19-02498
LYON
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Défendeur :
Merck Santé (SAS) , Merck Serono (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Boisselet
Conseillers :
Mmes Clerc , Stella
Avocat :
Simmons & Simmons LLP
FAITS, PROCÉDURE ET DEMANDES DES PARTIES
Le Levothyrox est une spécialité médicamenteuse prescrite dans le traitement de I'hypothyroïdie, délivrée sur ordonnance médicale. Sa posologie s'adapte en fonction des résultats du dosage de l'hormone thyrotropine ou TSH (Thyroïd Stimulating Hormon). C'est un médicament à marge thérapeutique étroite, le dosage efficient du principe actif Levothyroxine pouvant s'effectuer avec un écart de 12,5 µg (12,5 millionièmes de gramme).
Les SAS Merck Santé et Merck Serono sont respectivement le titulaire-fabricant et l'exploitant de l'autorisation de mise sur le marché du Levothyrox, consommé sous forme de comprimés et contenant pour principe actif de la levothyroxine sodique, autorisée en France depuis plus de 30 ans.
Au début de l'année 2017, après retrait des génériques Ratiopharm (2013) et Biogaran (2016), le Levothyrox était le seul médicament de cette nature sur le marché français et était prescrit à une population estimée de 2,2 à 2,3 millions de personnes.
Etant précisé qu'il existait un autre médicament, le L-Thyroxine (laboratoires Serb) en gouttes, utilisant le même principe actif mais réservé à des pathologies très particulières.
Le 27 mars 2017, une nouvelle formule de Levothyrox a été mise sur le marché, conservant le même principe actif avec changement de l'un des excipients, le mannitol et l'acide citrique anhydre remplaçant le lactose monohydraté.
De nombreux malades traités par Levothyrox nouvelle formule se sont plaints de l'apparition d'effets secondaires indésirables, le nombre de signalements atteignant un pic en août/septembre 2017.
Au total, dans son rapport du 4 juillet 2018, l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) a enregistré plus de 31 400 signalements pour la période allant d'avril 2017 à juin 2018, soit 1,43 % des patients exposés. Cette situation est inédite pour un médicament qui ne donnait lieu précédemment qu'à quelques dizaines de signalements par an.
A partir de la fin septembre 2017, à la demande du ministère de la Santé, le groupe Merck a importé d'Allemagne l'Euthyrox, correspondant au Levothyrox ancienne formule. Un produit concurrent, le L-Thyroxin Henning (laboratoires Sanofi) est apparu sur le marché en octobre 2017.
Par le biais d'une plate-forme internet fédérant les actions individuelles de malades de la thyroïde soignés par Levothyrox et se plaignant d'effets secondaires indésirables qu'ils estimaient liés à la nouvelle formule, un cabinet d'avocats a saisi le tribunal d'instance de Lyon de deux assignations initiales délivrées les 25 octobre et 4 décembre 2017, au nom de 108 personnes chacune, pour :
au visa des articles L. 211-4 du Code de l'organisation judiciaire, 42 du Code de procédure civile, de divers articles réglementaires du Code de la santé publique, 16 et 16-3, 1245 et suivants du Code civil, entendre juger que les sociétés Merck ont manqué à leurs obligations d'information et de sécurité de résultat.
Il était réclamé en principal la condamnation in solidum des sociétés Merck à indemniser chacun des demandeurs à hauteur de 5 000 euros au titre du défaut d'information et de 5 000 euros au titre du préjudice d'angoisse.
Un calendrier de procédure a été mis en œuvre le 14 décembre 2017 à l'issue d'une réunion contradictoire avec les avocats intéressés, dont il est ressorti qu'en I'état de la volumétrie des saisines annoncées, celles-ci s'effectueraient par voie de présentations volontaires des parties.
Ainsi, le tribunal a-t-il été saisi par plusieurs procès-verbaux de présentation volontaire des parties délivrés à compter des 30 janvier et 16 février 2018, portant chacun saisine pour une centaine de demandeurs, le tout représentant 42 dossiers et plus de 4 100 personnes.
Un calendrier de procédure modificatif a été arrêté ultérieurement pour modifier les dates de conclusions et la date de plaidoiries, fixée le 3 décembre 2018.
A cette date, chaque demandeur a formulé les demandes suivantes, au visa de l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 et des articles 2-1 de la convention européenne des droits de l'Homme, L. 211-4 du Code de l'organisation judiciaire, 42, 75 et suivants et 700 du Code de procédure civile, L. 1101-5, L. 1111-2, R. 5121-23, R. 5121-149-5, R. 5128-2, R. 5129-137 et suivants, R. 5143 du Code de la santé publique et 16 et 16-3, 1240, 1244 et suivants du Code civil :
1/ In limine litis,
1.1 / à titre principal,
constater que, pour les trois premières assignations, une première audience de procédure est intervenue le 19 décembre 2017 et que, pour les saisines ultérieures, le tribunal a été saisi par la procédure de la comparution volontaire des parties sans que Merck Santé et Merck Serono n'aient contesté la compétence d'attribution du tribunal d'instance ;
en conséquence, rejeter leur exception qui est irrecevable en raison de sa tardiveté et du mode de saisine de la juridiction ;
1.2 / à titre subsidiaire,
constater que les requérants n'entendent pas obtenir réparation d'un dommage corporel mais d'un dommage incorporel constitué d'une atteinte à leur droit subjectif à l'information et à un pur préjudice moral résultant, notamment, d'une atteinte à leur droit à une protection de leur santé, à une communication tardive d'informations au changement de formule du Levothyrox et à ses conséquences connues et à l'impossibilité ou la grande difficulté dans laquelle les décisions de Merck les ont placés pour se procurer l'ancienne formule qu'ils supportaient mieux que la nouvelle;
en conséquence, déclarer le tribunal d'instance compétent pour statuer sur l'existence et la consistance de ces dommages et préjudices incorporels ;
2/ au fond,
2.1 à titre principal,
sur le fondement de la responsabilité de droit commun (article 1240) et des droits subjectifs résultant du respect dû à la personne humaine (articles 16 et 16-3 du Code civil)
- juger que les droits subjectifs de chaque demandeur, notamment ceux relatifs au respect de la dignité humaine, ont été atteints et durablement affectés par le comportement désinvolte, cynique et méprisant des sociétés Merck Santé et Merck Serono ;
- juger que chaque demandeur a subi un préjudice moral pur résultant notamment de l'absence d'information portée à leur connaissance après le 1er juillet 2017, les laissant pendant 2 mois avec un traitement vital mais qui les rendait malades ;
- juger que les sociétés Merck Santé et Merck Serono ont manqué à leur obligation d'information à l'égard de chaque demandeur :
en ne fournissant pas une notice présentant les effets secondaires ou indésirables pouvant résulter de la consommation de la spécialité Levothyrox (ancienne ou nouvelle formule) ;
en n'informant pas les malades des conséquences connues par Merck Santé et Merck Serono et pouvant résulter des changements d'excipient ou de toute modification de la formule du Levothyrox ;
en ne prenant aucune mesure corrective d'informations à partir du moment où il est apparu, de manière inédite, qu'un grand nombre de malades se plaignaient de la nouvelle formule et étaient des milliers à réclamer le retour à l'ancienne formule, soit dès le mois de juin 2017 ;
2.2 à titre subsidiaire,
- juger qu'en raison de ce défaut d'information des sociétés Merck Santé et Merck Serono, les comprimés de Levothyrox « nouvelle formule » doivent être considérés comme des produits défectueux car ils n'ont pas offert la sécurité à laquelle les malades pouvaient légitimement s'attendre ;
en conséquence,
- condamner in solidum les sociétés Merck Santé et Merck Serono à payer à chaque demandeur :
la somme de 5 000 euros au titre du préjudice résultant du défaut d'information,
la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral pur ;
la somme de 480 euros ttc au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
les entiers dépens de la procédure.
ordonner l'exécution provisoire nonobstant appel ou constitution de garantie.
Les SAS Merck Serono et Merck Santé ont demandé au tribunal, au visa des articles L. 211-4-1 du Code de l'organisation judiciaire, 1240 et 1245 et suivants du Code civil et de la directive 85/374/CEE du 25 juillet 1985 relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, de :
In limine litis,
- se déclarer incompétent au profit du tribunal de grande instance de Lyon compte tenu, notamment, de la nécessaire composante corporelle des demandes formulées et de l'insécabilité des chefs de demandes ;
à titre principal,
- débouter l'ensemble des demandeurs de toutes leurs demandes ;
à titre subsidiaire,
- ordonner avant dire droit une expertise médicale afin d'établir la réalité d'un risque réalisé et son lien direct et certain avec la prise de Levothyrox nouvelle formule, pour les seuls demandeurs et intervenants volontaires justifiant de critères minimums permettant de mettre en évidence un intérêt légitime à cette mesure, à savoir 847 demandeurs ou intervenants (dont les noms suivaient dans les conclusions des défenderesses)
désigner, aux frais des demandeurs, un expert endocrinologue le cas échéant (avec mission précisée dans les conclusions des défenderesses).
à titre plus subsidiaire,
- ramener à de plus justes proportions la demande indemnitaire qui au regard des faits de l'espèce et de la jurisprudence serait nécessairement inférieure à la somme de 100 euros ;
en tout état de cause,
- rejeter la demande d'exécution provisoire de la décision à intervenir ;
- à défaut, dire que le versement de cette indemnité sera subordonné à la production d'une garantie bancaire d'un montant égal à celui de la condamnation ordonnée, conformément à l'article 517 du Code de procédure civile ;
- condamner chacun des demandeurs au paiement de la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par jugement en date du 5 mars 2019, le tribunal d'instance de Lyon :
- s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande principale tendant à établir l'existence d'une faute délictuelle des sociétés Merck,
- a débouté chaque partie demanderesse de I'ensembIe de ses fins, demandes et prétentions sur ce fondement,
- sur la demande subsidiaire en recherche de responsabilité des sociétés Merck sur le fondement de la responsabilité des produits défectueux, s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance de Lyon,
- a dit que le dossier de l'affaire lui sera transmis par le greffe à défaut d'appeI,
- a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- a condamné in solidum les demandeurs aux dépens de I'instance.
Le tribunal a retenu qu'il n'apparaissait pas que Merck ait commis la moindre faute normative ou de négligence dans l'introduction de la nouvelle formulation du Levothyrox. Il a aussi estimé qu'il n'était établi aucun comportement caractérisant une atteinte à la dignité des malades.
Les demandeurs dont les noms figurent en tête du présent arrêt, à l'exception de Nancy M., ont relevé appel de cette décision par déclaration reçue au greffe de la Cour le 4 avril 2019.
L'appel a été limité aux dispositions du jugement par lesquelles le tribunal a :
- débouté chaque partie demanderesse de I'ensembIe de ses fins, demandes et prétentions sur le fondement d'une faute délictuelle des sociétés Merck ;
- condamné in solidum les demandeurs aux dépens de l'instance.
Par ordonnance du 28 mai 2019, le conseiller de la mise en état a fixé le calendrier de procédure comme suit :
- conclusions de l'avocat des intimées au plus tard le 16 août 2019 ;
- conclusions récapitulatives éventuelles de l'avocat des appelants au plus tard le 16 octobre 2019 ;
- conclusions récapitulatives éventuelles de l'avocat des intimées au plus tard le 16 décembre 2019 ;
- clôture le 19 décembre 2019 ;
- audience de plaidoiries le 7 janvier 2020 à 13h30.
Nancy M. a relevé appel du jugement par déclaration reçue au greffe de la Cour le 18 septembre 2019. La procédure, enrôlée sous le N° RG 19/6440, a été jointe à la première par le conseiller de la mise en état le 26 septembre 2019.
Par ailleurs, des appels ont été également formés à l'encontre des jugements rendus dans les 41 autres dossiers, le nombre d'appelants totalisant plus de 3 800 personnes.
En leurs dernières conclusions du 17 octobre 2019, les appelants demandent à la Cour ce qui suit :
vu l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946,
vu l'article 2-1 de la convention européenne des droits de l'Homme,
vu la Convention d'Oviedo,
vu le préambule et les articles 25, 54 g, 59, 61, 63 alinéa 2 et 89 du Code européen des médicaments [Directive 2001/83 du Parlement et du Conseil du 6 novembre 2003],
vu l'article L. 211-4 du Code de l'organisation judiciaire,
vu les articles 42, 75 et suivants et 700 du Code de procédure civile,
vu les dispositions du Code de la santé publique et notamment les articles L. 1110-5, L. 1111-2, L. 5121-8, L. 5121-20 (13°), L. 5121-22, R. 5121-8, R. 5121-21 (§ 4.3), R. 5121-22, R. 5121-23, R. 5121-25, R. 5121-41, R. 5121-41-1, R. 5121-79, R. 5127-79, R. 5121-138-7 e), R. 5121-139, R. 5121-147, R. 5121-148, R. 5121-149-5 e), R. 5128-2, R. 5129-137 et suivants, R. 5143,
vu les articles 16 et 16-3, 1240 et suivants et 1231-1 du Code civil,
vu l'arrêté du 28 avril 2005 relatif aux bonnes pratiques de pharmacovigilance,
1- sur la recevabilité
juger que les requérants sont recevables en leur appel ;
2 - prendre acte du désistement d'instance des personnes suivantes : Danielle B., Sandra C., Claire J., Danièle L., Hélène M. B. et Rizllane T. ;
3 - au fond
réformer en toutes ses dispositions déférées à la Cour le jugement du tribunal d'instance du 5 mars 2019 ;
le réformant et statuant à nouveau sur le fondement de la responsabilité de droit commun (article 1240) et des droits subjectifs résultant du respect dû à la personne humaine (articles 16 et 16-3 du Code civil) :
- juger que les droits subjectifs de chaque demandeur, notamment ceux relatifs au respect de la dignité humaine, ont été atteints et durablement affectés par le comportement désinvolte, cynique et méprisant des sociétés Merck Santé et Merck Serono ;
- juger que chaque demandeur a subi un préjudice moral pur résultant notamment de l'absence d'information portée à leur connaissance après le 1er juillet 2017, les laissant pendant deux mois avec un traitement vital mais qui les rendait malades, risque qui aurait pu être évité par une information adéquate et en temps utile ;
- juger que les sociétés Merck Santé et Merck Serono ont manqué à leur obligation d'information à l'égard de chaque demandeur ;
- en ne fournissant pas une notice présentant les effets secondaires ou indésirables pouvant résulter de la consommation de la spécialité Levothyrox après le changement de formule et en ne prévoyant aucune mise en garde particulière compte tenu des risques connus et prévisibles en résultant ;
- en n'informant pas avec un délai de préavis suffisant directement les malades des conséquences connues par Merck Santé et Merck Serono et pouvant résulter des changements d'excipient ou de toute modification de la formule du Levothyrox ;
- en ne prenant aucune mesure corrective d'informations notamment en demandant aux visiteurs médicaux d'intervenir auprès des professionnels de santé et en informant directement les malades à partir du moment où il est apparu, de manière inédite, qu'un grand nombre de malades se plaignaient de la nouvelle formule et étaient des milliers à réclamer le retour à l'ancienne formule, soit dès le mois de juin 2017 ;
4 - en conséquence,
- condamner Merck à publier à ses frais une pleine page dans au moins un journal de la PQR dans chaque région administrative française plus dans les journaux nationaux suivants : '20 Minutes, Le Monde, Le Figaro, Libération, Le Parisien, La Croix et L'Humanité' une insertion couvrant une pleine page reprenant le texte suivant :
« Par arrêt en date du [-] 2019, la cour d'appel de Lyon a reconnu que les sociétés Merck Santé et Merck Serono (ci-après « Merck »), qui commercialisent sur le marché français le médicament Levothyrox ont commis des fautes lors du changement de formule opérée au printemps 2017.
En connaissance des dangers liés à la moindre modification de la formule, Merck a omis d'informer directement les malades du changement intervenu les plaçant devant le fait accompli et en omettant de leur apporter aide, secours et assistance lorsqu'il est apparu qu'un grand nombre de malades ne supportaient pas la nouvelle fortune [sic].
Par ailleurs, la Cour d'appel de Lyon a considéré que le traitement de la crise sanitaire a été d'une telle désinvolture à l'égard des malades et de leurs souffrances que Merck a manqué au respect de la dignité de ces personnes.
C'est la raison pour laquelle, la Cour a condamné Merck à indemniser les malades à hauteur de [-] euros par demandeur. »
- condamner in solidum les sociétés Merck Santé et Merck Serono à payer à chaque demandeur :
- la somme de 5 000 euros au titre du préjudice résultant du défaut d'information ;
- la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral pur ;
- la somme de 960 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- les entiers dépens de la procédure de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions du 13 décembre 2019, les SAS Merck Santé et Merck Serono demandent à la Cour ce qui suit, au visa des articles 394 et 395 du Code de procédure civile et 16, 16-3 et 1240 du Code civil :
à titre principal,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal d'instance de Lyon le 5 mars 2019 ayant débouté l'ensemble des demandeurs de leurs fins et prétentions ;
à titre subsidiaire,
- débouter l'ensemble des appelants de toutes leurs demandes ;
- ordonner avant dire droit une expertise médicale afin d'étabIir la réalité d'un risque réalisé et son lien direct et certain avec la prise de Levothyrox nouvelle formule, pour les seuls appelants et intervenants volontaires justifiant de critères minimum permettant de mettre en évidence un intérêt légitime à cette mesure, à savoir 22 appelants : B. Yamina, B. Monique, B. Mouna, B. Nathalie, B. Anne-Sophie, C. Annick, El O. Mostafa, G. Conception, G. Renée, G. Tatiana, G. O. Carmen, G. Andrée, H. Khadija, H. Zara, J. Françoise, K. Karina, L. Isabelle, M. Nabila, P. du C. Charlette, Q. Virginie, S. Gabrielle et Z. H. Léonida ;
- désigner, aux frais des appelants, un expert endocrinologue le cas échéant, avec la mission suivante :
« Fait injonction aux parties de communiquer à l'expert toutes les pièces médicales et de toute autre nature, qu'elles estiment propres à établir le bien fondé de leurs prétentions, ainsi que toutes celles que leur réclamera l'expert dans le cadre de sa mission, et l'ensemble des pièces médicales relatives à la période antérieure à la date d'introduction du médicament Levothyrox nouvelle formule et antérieure à la date des troubles du demandeur ;
Dit qu'en cas de besoin ou à la demande d'une des parties, et sans que le bénéfice du secret professionnel puisse leur être opposé, l'expert pourra se faire directement communiquer par tous les tiers concernés (médecins, établissements hospitaliers, établissements de soins, praticiens ayant prodigué des soins au demandeur) toutes les pièces médicales qui ne leur auront pas été produites par les parties, à charge pour eux de communiquer aux parties les pièces ainsi directement obtenues, afin qu'elles en aient contradictoirement connaissance ;
Donne à l'expert la mission suivante, en l'invitant à répondre à chacun des points visés :
1 - prendre connaissance de la présente ordonnance dans son intégralité,
2 - convoquer toutes les parties bénéficiant de la mesure d'expertise par lettre recommandée avec demande d'avis de réception et leur conseil respectif par lettre simple,
3 - procéder à l'audition contradictoire des parties et consigner leurs déclarations respectives,
4 - procéder à l'examen clinique contradictoire du demandeur, noter ses doléances et les constatations effectuées, consigner les déclarations éventuelles des défendeurs,
5 - déterminer les troubles dont le demandeur est atteint au jour de l'examen,
6 - déterminer précisément l'identité des produits prescrits au demandeur, leurs dosages, ainsi que leurs périodes d'exposition,
7 - déterminer, de manière précise, si la prise de Levothyrox nouvelle formule a eu, avec certitude, individuellement ou du fait de son interaction avec d'autres éléments, un rôle dans la survenue des troubles allégués par le demandeur et sur quelle période,
8 - déterminer les dates de prise des différents traitements Levothyrox par le demandeur ainsi que les chronologies précises des dosages de TSH ;
9 - déterminer si le passage à la nouvelle formule de Levothyrox a induit un déséquilibre thyroidien,
10 - déterminer après les avoir listés si les symptômes identifiés et démontrés dans le cadre de l'expertise sont en lien de causalité direct et certain avec la prise de Levothyrox nouvelle formule,
Dit qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert d'accomplir sa mission, il sera procédé à son remplacement par ordonnance rendue sur simple requête,
Dit que pour une bonne administration de la justice et pour assurer le respect du contradictoire, il sera établi un pré-rapport d'expertise qui devra être communiqué à l'ensemble des parties sur lequel elles pourront faire valoir leurs observations ;
Dit qu'en cas de difficultés, il devra en être fait rapport au magistrat chargé du contrôle des expertises. »
à titre infiniment subsidiaire,
- ramener à plus juste proportion la demande indemnitaire qui, au regard des faits de l'espèce et de la jurisprudence, serait nécessairement inférieure à la somme de 100 euros par appelant ;
en tout état de cause,
- prendre acte du désistement d'instance des personnes listées ci-après : Danielle B., Sandra C., Claire J., Danièle L., Hélène M. B. et Rizllane T. ;
- prendre acte de l'acceptation des sociétés Merck Santé et Merck Serono quant à ces désistements ;
- constater l'extinction de l'instance à leur égard ;
- dire que chacun d'eux conservera à sa charge les dépens, frais et honoraires dont il a fait l'avance ;
- rejeter la demande de publication informative ;
- condamner chacun des appelants au paiement de la somme de 200 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 19 décembre 2019.
Il est expressément renvoyé aux dernières conclusions des parties pour l'exposé exhaustif de leurs moyens et prétentions.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre préliminaire, la Cour observe que la recevabilité des appels formés les 4 avril et 18 septembre 2019 ne fait pas débat et qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce point.
I - Sur la compétence de la juridiction
La compétence du tribunal d'instance pour connaître de la demande fondée sur la responsabilité pour faute n'est plus contestée par les sociétés Merck.
Par ailleurs, la décision d'incompétence rendue par le premier juge, sur la demande subsidiaire fondée sur la responsabilité du fabricant de produits défectueux, n'est pas non plus remise en cause. Cette 'singularité procédurale qui a laissé les demandeurs perplexes' est l'exacte application par le premier juge des dispositions combinées de l'article 1245-1 al.1er du Code civil et de l'article L. 211-4-1 du Code de l'organisation judiciaire, dans sa rédaction issue de la loi n°2016-1547 du 18 novembre 2016 en vigueur à la date du jugement.
La saisine de la Cour est ainsi limitée aux demandes indemnitaires pour préjudices moraux, fondées sur la responsabilité de droit commun et l'atteinte aux droits subjectifs résultant du respect dû à la personne humaine.
II - Sur les désistements d'appel
Il résulte des dispositions des articles 400 et 401 du Code de procédure civile que le désistement de l'appel n'a besoin d'être accepté que s'il contient des réserves ou si la partie à l'égard de laquelle il est fait a préalablement formé appel incident ou une demande incidente. En l'espèce, les désistements sont parfaits à défaut de demande incidente des sociétés Merck, parties intimées.
III - Sur la responsabilité du fabricant
Les demandeurs soutiennent que les sociétés Merck, mettant sur le marché un produit dont la dangerosité était connue par sa biodisponibilité individuelle incertaine, avaient, à leur égard, une obligation d'information à laquelle elles n'ont pas satisfait, quant aux risques de survenance d'effets indésirables chez certains malades après le changement de formule du médicament Levothyrox.
Les sociétés Merck répondent qu'elles ont satisfait à toutes leurs obligations légales et réglementaires pour la mise sur le marché de la nouvelle formule médicamenteuse bioéquivalente à la précédente et n'avaient pas pouvoir de développer une information directe auprès des usagers.
Liminairement, la Cour relève que le litige est développé dans les mêmes termes par les parties en ce qui concerne la SAS Merck Santé et la SAS Merck Serono, sans distinction de leurs rôles respectifs dans l'élaboration et la diffusion de la formule médicamenteuse modifiée. Par simplification, elles seront ensemble désignées ci-après sous l'unique vocable de 'Merck'.
Sur les causes du changement de formule
Il est démontré que, par courrier du 21 février 2012, l'Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé (AFSSAPS), aujourd'hui remplacée par l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM), a demandé à la société Merck Santé d'harmoniser les teneurs en lévothyroxine sodique pendant la durée de vie du produit, afin qu'elles ne varient pas de + ou - 5 %, soit de 95 % à 105 %.
Cette demande peut être qualifiée d'injonction puisque l'autorité administrative annonçait le retrait des autorisations de mise sur le marché du Levothyrox dans ses divers dosages à défaut de dépôt d'un projet modificatif dans les 18 mois.
On peut certes relativiser cette menace dans la mesure où il n'était pas possible de priver subitement les malades d'un médicament indispensable mais elle créait la possibilité de laisser le marché à d'autres laboratoires. Selon les intimées, ce sont les concurrents de Merck, destinataires de la même injonction, qui ont été amenés à se retirer du marché français, le laissant de fait en situation de monopole.
La Cour n'a pas à apprécier la pertinence de la demande de l'AFSSAPS qui a étonné les associations d'usagers, au regard du très faible nombre d'incidents signalés (18 cas recensés entre novembre 2009 et juin 2011).
Il est cependant avéré que la FDA (Food Drug Administration), autorité de santé américaine présentée comme l'administration étatique la plus en pointe sur la sécurité des médicaments, a elle-même exigé dès l'année 2009 une stabilisation similaire des médicaments à base de Levothyroxine commercialisés aux Etats-Unis, les conditions de commercialisation étant toutefois différentes de la France à raison d'une pratique courante de substitution de génériques.
Par ailleurs, sans qu'il y ait lieu de débattre de leur véracité, sont de peu de poids dans le présent litige les allégations des demandeurs quant à la motivation de l'opération par l'expiration du brevet de l'ancienne formule ou par des nécessités industrielles d'harmonisation des procédés de fabrication de Merck au niveau mondial. Le premier juge a écarté avec justesse ces causes hypothétiques quand bien même il y a eu un effet d'aubaine pour Merck à suivre la demande de l'AFSSAPS.
Sur le lien entre la prise de la nouvelle formule et les troubles signalés
Les rapports du comité technique de pharmaco-vigilance de l'ANSM des 10 octobre 2017 et 25 janvier 2018 donnent des éléments significatifs quant au lien entre la prise de la nouvelle formule de Levothyrox et l'apparition des troubles chez les usagers (à 90 % des femmes), nonobstant la disparité des situations.
En premier lieu, on observe la concomitance entre le signalement massif de troubles apparus chez les usagers du Levothyrox et la prise de la nouvelle formule.
Le pic de survenue des effets (et non des signalements) se situe en juin-juillet 2017, période au cours de laquelle les patients se sont massivement fait délivrer la nouvelle formule après épuisement des stocks de l'ancienne. L'ANSM en déduit que, pour les patients présentant des effets indésirables sous la nouvelle formule, ceux-ci se manifestent rapidement après le passage de l'ancienne à la nouvelle formule. (2ème rapport p.37/38).
En second lieu, sont mises en évidence les disparités des troubles selon les personnes :
- Les troubles signalés correspondent aux effets indésirables déjà connus avec l'ancienne formule mais avec une fréquence de signalements totalement inattendue.
- Les troubles décrits sont similaires, que les personnes aient ou non connu une évolution favorable de leur état.
- Après la prise de la nouvelle formule, il a été aussi observé des cas d'hypothyroïdie (10 %) et d'hyperthyroïdie (23 %) confirmés par des valeurs TSH en dehors des normes attendues. L'ANSM considère qu'il s'agit d'effets attendus chez les personnes sensibles aux très faibles variations de doses, sans toutefois que des facteurs puissent permettre la prédiction du risque individuel.
- D'autres cas ont une symptomatologie aspécifique chez des patients à TSH dans les normes attendues, ce qui, selon l'ANSM, pose l'hypothèse d'effets indésirables expliqués par d'autres facteurs qu'une dysthyroïdie.
- Contrairement à ce que soutient Merck, il ne s'agit pas dans tous les cas de troubles liés à la maladie. Certains effets indésirables connus avec l'ancienne formule ne rentraient pas dans le tableau d'hypothyroïdie ou hyperthyroïdie.
Cela étant, la discussion sur la nature des troubles ressentis est sans incidence dans le présent litige dès lors que, comme le rappellent les appelants, le propre d'un médicament est de soigner. On attend du médicament aussi bien qu'il empêche l'expression des symptômes de la maladie et qu'il ne provoque pas d'effets indésirables.
En troisième lieu, l'ANSM reconnaît l'impuissance du monde médical et scientifique à donner une explication de ces événements et, partant, à prévoir quelles personnes devaient être touchées : 'L'analyse des données ne permet pas d'identifier d'éventuels patients à risque et ne permet pas de proposer d'hypothèse satisfaisante à la survenue de ces effets. Le lien direct avec la composition de la nouvelle formulation de Levothyrox reste difficile à expliquer avec les données disponibles.' (2ème rapport p.39).
Enfin, les situations variables selon les patients ont une caractéristique commune relevée par l'ANSM dès son premier rapport (p.38), à savoir que 'dans les signalements où les patients reviennent à Levothyrox ancienne formule ou switchent vers une alternative, les symptômes régressent en général dans un délai très court'.
Dans son second rapport (p.37), l'ANSM ajoute ceci : « une diminution très importante du nombre de signalements s'est amorcée depuis octobre 2017, peut être expliquée par la mise à disposition des alternatives thérapeutiques (Levothyrox ancienne formule sous le nom d'Euthyrox depuis le 02/10/2017 et L-Thyroxin-Henning depuis le 16/10/2017). »
De ces éléments, on peut, sans méconnaître l'existence de cas particuliers, tirer l'affirmation que la grande majorité des signalements de troubles est en corrélation avec la prise du Levothyrox nouvelle formule.
Sur le régime de la responsabilité du fabricant
En appel, les demandeurs excipent d'un moyen nouveau fondé sur la responsabilité contractuelle du fabricant en visant l'article 1231-1 du Code civil, dont il résulte notamment que le débiteur d'une obligation contractuelle peut être condamné au paiement de dommages et intérêts à raison de l'inexécution ou de la mauvaise exécution de cette obligation.
Cependant, il n'existe aucun lien contractuel entre le laboratoire et le patient, la commercialisation du produit se réalisant à travers au moins deux intermédiaires que sont le grossiste-répartiteur et le pharmacien.
Les appelants soutiennent vainement qu'il existerait sur ce point un débat doctrinal et jurisprudentiel en se référant à la situation antérieure à la transposition par la loi n° 98-389 du 19 mai 1998 de la directive européenne 85/374 du 25 juillet 1985, relative à la responsabilité sans faute du fabricant de produits défectueux.
L'obligation de sécurité-résultat alléguée par les appelants, c'est à dire l'obligation de préserver la sécurité et l'intégrité d'autrui, est aujourd'hui prise en compte par les articles 1245 et suivants du Code civil qui édictent un régime de responsabilité du fait des produits défectueux. Ainsi que le rappellent les intimées, la jurisprudence ne sanctionne pas la seule dangerosité potentielle et ponctuelle d'un produit médicamenteux mais exige la démonstration de sa défectuosité au regard notamment de sa présentation, son usage et des effets nocifs constatés. Or, il est rappelé que la Cour n'est pas saisie de l'action fondée sur la responsabilité du fabricant pour produits défectueux prévue par ces textes, dont le tribunal d'instance s'est déclaré incompétent à connaître.
De ce fait, il n'y a pas lieu d'entrer dans un inutile débat sur les qualités intrinsèques du produit et une éventuelle impropriété à sa destination. Il importe notamment peu de rechercher si le nouvel excipient a été à l'origine des troubles constatés du fait que la saisine de la Cour, dans la présente procédure, est limitée au défaut d'information des patients et ne porte pas sur les conséquences de la prise du Levothyrox dans sa nouvelle formule.
En outre, les appelants développent une argumentation inopérante quant à la jurisprudence permettant au tiers à un contrat de faire valoir un manquement contractuel dès lors qu'il lui a causé un dommage. On cherche vainement dans leurs écritures la démonstration d'un manquement de Merck à ses obligations à l'égard de ses contractants que sont les grossistes-répartiteurs. Ces derniers n'ayant pas pouvoir d'intervenir dans la prescription du médicament qui ressort de l'acte médical, le fabricant n'est pas débiteur à leur égard d'une obligation particulière d'information quant au changement de formule de son produit ou aux effets indésirables qui peuvent en découler.
Il s'en suit, dans le cas présent, que la responsabilité du fabricant ne peut être utilement recherchée que dans le cadre d'une faute démontrée, en application de l'article 1240 du Code civil qui dispose que tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
En l'espèce, les appelants distinguent deux fautes, l'une tenant au manquement de Merck à son devoir d'information des patients quant au changement de formule et aux risques encourus, l'autre fondée sur l'atteinte au respect de leurs droits attachés à la personne humaine.
IV / Sur le défaut d'information
1/ Sur la connaissance du risque au regard des tests de la nouvelle formule
L'article R. 5121-1 du Code de la santé publique définit la biodisponibilité et la bioéquivalence. La première correspond à « la vitesse et l'intensité de l'absorption dans l'organisme, à partir d'une forme pharmaceutique, de la substance active ou de sa fraction thérapeutique destinée à devenir disponible au niveau des sites d'action », la seconde étant l'équivalence des biodisponibilités.
Les appelants soutiennent que Merck a procédé en 2014 à des tests basés sur une bioéquivalence moyenne inadaptée à un médicament à marge thérapeutique étroite, test de surcroît faussé par le recours à un nombre élevé de sujets.
Bien qu'il n'y ait pas lieu de débattre de la qualité du produit et, par conséquent, de la validité scientifique des tests, les allégations des appelants doivent être examinées pour déterminer s'ils étaient de nature à renseigner le fabricant sur les risques encourus du fait du changement de l'excipient.
- Les appelants se prévalent d'un projet de recommandation de la FDA intitulé « Draft guidance on Levothyroxine Sodium » , publié en 2014. Mais ces recommandations de la FDA, qui sont sans portée contraignante en France (et même aux Etats-Unis) s'avèrent avoir été publiées après l'élaboration en 2012 et le démarrage des essais de la nouvelle formule en novembre 2013.
A tout le moins, les appelants ne font pas échec à l'affirmation de l'ANSM selon laquelle, dans le cadre du changement de formule du Levothyrox, elle a appliqué et respecté les mêmes règles concernant la bioéquivalence que celles édictées par la FDA, ainsi que par l'autorité de santé britannique MHRA (Medicines and Healthcare products Regulatory Agency).
- La méthodologie des essais pratiqués par Merck est conforme aux recommandations de l'Agence Européenne du médicament (EMA) dans ses guidelines du 20 janvier 2010, mais fait l'objet de critiques d'une partie de la communauté scientifique (cf notamment des articles publiés dans « Clinical Pharmacokinetics » versés aux débats) quant à son application à un médicament à marge thérapeutique étroite et à son utilisation pour justifier le remplacement obligatoire de l'ancienne formule par la nouvelle.
Les critiques portent sur l'absence de prise en compte de la bioéquivalence individuelle sans que, pour autant, il soit clairement exprimé quelle démarche aurait dû être celle de Merck dès lors que les tests sur malades ne sont pas autorisés.
- Les appelants font aussi valoir que les résultats du test seraient par eux-mêmes démonstratifs de l'absence de bioéquivalence, puisque près de 70 % des 204 volontaires sains inclus auraient été en dehors de la zone de bioéquivalence alors que l'essai a été considéré comme un succès en termes d'équivalence moyenne.
Merck répond que le concept de borne d'équivalence établie pour une bioéquivalence individuelle n'est pas reconnu scientifiquement et n'est retenu par aucune autorité de santé. La comparaison de données individuelles à des normes établies pour des moyennes est scientifiquement non fondée et aucune norme en vigueur ne permet de juger d'une bioéquivalence au niveau individuel.
- Les appelants critiquent encore le recours à un panel de 216 (204 ') volontaires sains, nombre considérablement supérieur aux recommandations de l'EMA et de la FDA qui seraient de 12 à 48 sujets, ce qui aurait permis d'augmenter la probabilité de conclure à la bioéquivalence.
Sur ce point, Merck expose, sans être démentie, des justifications statistiques pertinentes quant au moyen de pallier le risque de 'faux positif', c'est à dire le risque de considérer comme non bioéquivalente une formule qui le serait réellement.
Elle précise que la taille de l'échantillon, comme le reste du protocole, a été approuvée par un comité d'éthique indépendant et par l'autorité de tutelle et les auteurs auxquels se réfèrent les appelants ont reconnu le sérieux des tests.
Merck ajoute que son protocole est conforme aux recommandations de la MHRA britannique 2013 spécialement dédiées à la molécule Levothyroxine : étude sur volontaires sains avec dose unique de 600 microgrammes, dosage de la thyroxine et non du TSH et administration de l'ancienne et de la nouvelle formule en cross over.
Sa méthodologie est également validée par l'agence de santé allemande BfArM.
Apparaissent donc inexactes les affirmations des appelants selon lesquelles « Merck a abusé les pouvoirs publics avec un produit présentant une biodisponibilité imparfaite » ou « Le test de Merck a été conçu pour cacher l'absence de bioéquivalence » puisque les tests sont conformes aux exigences des autorités de santé.
Il est vrai que ces dernières n'échappent pas à la critique parfois outrancière des appelants qui parlent de « règles truquées de l'EMA » ou imputent à l'ANSM une absence de vérification des données communiquées, le non-exercice de son esprit critique, un défaut d'indépendance et une carence manifeste dans sa mission de protection des malades, les différentes autorisations étant obtenues « par ruse et en fraude ».
De ces éléments, la Cour retient que les tests ont été pratiqués selon les règles et la méthodologie recommandées par les principales autorités nationales de santé mais que Merck n'ignorait évidemment pas les limites probatoires de ces tests et, à tout le moins, n'en tirait pas la certitude d'une bioéquivalence individuelle des formules.
Merck admet d'ailleurs explicitement que l'établissement d'une bioéquivalence minimise les risques de différences de signes cliniques dans la population générale entre une formule et une autre mais ne garantit pas l'interchangeabilité pour 100 % des patients.
Qui plus est, au-delà des effets secondaires, Merck envisageait un dérèglement possible du TSH puisqu'il recommandait, dans sa lettre du 27 février 2017 aux professionnels de santé, de 'surveiller l'équilibre thérapeutique chez certains patients à risque dans les catégories suivantes : « les patients qui reçoivent un traitement pour le cancer de la thyroïde mais qui présentent aussi une maladie cardiovasculaire (insuffisance cardiaque ou coronarienne et/ou des troubles du rythme), les femmes enceintes, les enfants et les personnes âgées ; et dans certaines situations pour lesquelles l'équilibre thérapeutique a été particulièrement difficile à atteindre. »
Comme l'observent les appelants, eu égard à la forte proportion de personnes âgées de plus de 65 ans parmi les consommateurs du Levothyrox, ces catégories permettaient à elles seules d'envisager un nombre important de personnes à risque et, par conséquent, un nombre non négligeable de personnes sujettes à un déséquilibre thérapeutique.
2/ Sur la connaissance historique du risque
Les appelants exposent qu'à l'occasion de l'arrivée du premier générique sur le marché français (Biogaran en mars 2009), Merck, s'appuyant sur des études internationales, avait alerté l'AFSSAPS en la mettant en garde sur les risques liés à la substitution en pharmacie du Levothyrox par un générique sans surveillance du prescripteur, en raison du risque de déséquilibre thyroïdien généré par le changement de produit pour le patient.
Sur ce point, les appelants ne fournissent aucun justificatif de cette affirmation. Ils produisent certes un courrier de Merck adressé aux pharmaciens le 16 novembre 2009, mais ce document ne fait qu'attirer leur attention sur l'impossibilité réglementaire de substitution entre le Levothyrox et le générique, à l'époque du fait de l'absence de création d'un groupe générique levothyroxine sodique.
Par ailleurs, ils recensent diverses publications mettant en exergue l'absence de bioéquivalence entre médicaments utilisant le même principe actif avec des excipients distincts et la nécessité d'une adaptation individuelle du traitement de chaque patient.
Ils rappellent la très vive réaction de certains patients à l'occasion de certains évènements : rupture de stock d'Euthyral en 2006, à l'arrivée du générique de Biogaran en 2009/2010 ou lors d'une rupture de stock de Levothyrox en 2013 après retrait du marché du générique Ratiopharm.
Les appelants rappellent aussi plusieurs précédents mondialement connus :
- En Nouvelle Zélande en 2007, le changement d'excipient du médicament Eltroxin, produit par le laboratoire GSK (GlaxoSmithKline) a donné lieu à 18 000 signalements d'effets secondaires en 18 mois, au lieu d'une vingtaine par an précédemment.
Merck objecte que ce changement d'excipient était accompagné de modifications quant à la gravure, la taille, la couleur et le goût des comprimés, ce qui a pu jouer un rôle dans la perception du traitement et, surtout, qu'une corrélation a été établie entre les taux de signalements et la couverture médiatique négative selon les régions, conduisant les scientifiques a donné à cette crise une origine multifactorielle.
La MHRA britannique, sollicitée par le ministère de la santé néo-zélandais, a mis en cause la validité du protocole de bioéquivalence employé par GSK.
Il n'en demeure pas moins que l'analyse de cette crise par le SNDS (Système National des Données de Santé) dans une étude de pharmaco-épidémiologie commandée par l'ANSM et publiée le 16 juin 2019 fait écho à la crise française du changement de formule du Levothyrox en retenant que 'la composition du nouveau médicament lui-même et sa qualité pharmaceutique n'ont probablement pas été à l'origine de la plupart des effets indésirables rapportés, mais que ceux-ci ont plutôt résulté de la conjonction de plusieurs éléments , notamment un manque d'information des patients sur le changement de formulation, une forte médiatisation autour des effets indésirables signalés et l'absence sur le marché national d'alternative à l'Eltroxin pour le traitement des troubles thyroïdiens.'
On ne saurait mieux suggérer la corrélation entre le défaut d'information des patients et le sentiment qu'ils ont eu, pendant un temps et avec le développement médiatique de l'affaire, de subir le fait accompli et l'impossibilité de revenir à leur état antérieur.
- Au Danemark en 2009, la même modification d'excipient par GSK a donné lieu à de nombreuses déclarations d'effets secondaires pendant plusieurs mois.
Sur cet événement, Merck fait valoir que l'agence danoise du médicament a estimé qu'outre la médiatisation de l'affaire, une majorité des effets indésirables rapportés s'expliquaient par une biodisponibilité de la levothyroxine différente pour certains patients. Ce qui ne contredit pas l'affirmation des appelants quant à la réalité d'une bioéquivalence incomplète affectant 5 à 7 % des patients.
- En Israël en 2011, le changement d'excipient par GSK est intervenu sans que les autorités sanitaires, professionnels de santé et patients n'aient été prévenus, suscitant de nombreuses plaintes dont 800 jugées recevables.
Tout en prétendant que ce cas ne peut pas être transposé à la France puisqu'aucune information n'avait été donnée aux médecins et aux patients, Merck admet que, comme pour les autres pays, il démontre que le changement de formule peut créer des déséquilibres thyroïdiens.
- A l'opposé, durant l'année 2005, le changement de formule du médicament
L-Thyroxine Christiaens produit par la firme Takeda, s'est effectué en Belgique sans problème alors qu'il était spécifié sur les boîtes.
Merck répond que le cas est différent du sien, le fabricant avait l'obligation de signaler la nouvelle formule car son produit n'était pas bioéquivalent au précédent. Elle ajoute que, contrairement à ce qu'indiquent les appelants, le passage à la nouvelle formule, moins médiatisé, ne s'est pas fait sans difficulté, nécessitant des ajustements de traitement pendant deux ans chez certains patients.
A tout le moins, Merck reconnaît que cet exemple, comme les précédents, démontre qu'un changement de formule peut nécessiter un ajustement du dosage de traitement. On peut ajouter, au vu de ces expériences, que rien ne permet d'affirmer que l'ajustement concerne spécifiquement des patients à risques.
Enfin, les appelants soutiennent que l'introduction du Levothyrox nouvelle formule dans plusieurs pays voisins de la France s'est faite sans le même problème sanitaire quand Merck et les autorités sanitaires de ces pays ont tiré les conséquences de la crise française :
En Suisse (2018), Merck a mis à disposition des patients un site internet exclusif d'information des usagers de l'Euthyrox.
En Belgique (2018) et en Allemagne (2019), l'information des professionnels de santé s'est faite par un courrier beaucoup plus explicite quant à la surveillance rigoureuse des patients changeant de formule et celle des utilisateurs par une fiche informative, outre, en Belgique, une mention 'nouvelle formule' sur l'emballage.
A défaut de données particulières sur les difficultés rencontrées par les patients de ces pays avec le changement de formule, on ne saurait spéculer sur les effets de cette information développée dans l'apparition ou la non-apparition d'effets secondaires. Les affirmations des appelants selon lesquelles 'l'absence d'information est l'origine première de l'effet nocebo' ou 'les troubles recensés auraient pu être évités avec une information adaptée' relèvent de postulats non scientifiquement vérifiés.
Il résulte néanmoins de ce qui précède que Merck ne pouvait que tirer des expériences antérieures la connaissance d'un risque important de réactions négatives au changement de formule chez une fraction de patients non spécifiquement identifiables.
3/ L'obligation d'informer le patient
A titre préliminaire, la Cour constate que les considérations contenues dans les écritures des appelants quant au non-respect de la norme ISO 9001, en ce qu'elle contient l'engagement de la qualité du produit et de l'écoute du client, sont inopérantes dès lors qu'il est démontré que les deux sociétés en la cause ne revendiquent pas cette norme non contraignante, l'argumentaire des appelants procédant d'une confusion avec une autre société du groupe Merck.
La Cour relève également que les écritures de Merck et les documents versés aux débats ne font état d'aucune réflexion du laboratoire, en interne ou avec les autorités et personnels de santé, quant à l'opportunité d'une information directe des patients du changement de formule du Levothyrox, sans passer par les professionnels de santé. Si une telle réflexion a eu lieu, aucune justification n'est donnée au choix de ne pas informer directement les patients du changement de formule par des moyens admissibles au regard de la législation en vigueur.
Cette omission est pour le moins surprenante si l'on considère que le risque connu de troubles chez une fraction des patients devait être considéré au regard du nombre d'usagers estimé à 2,2 ou 2,3 millions, ce qui pouvait faire envisager un comptage des effets indésirables par centaines, voire par milliers ou dizaines de milliers comme cela a été le cas (plus de 31 000 signalements répertoriés jusqu'en juin 2018).
On ne saurait pour autant en déduire une volonté de dissimuler le changement de formule puisque l'information a été donnée aux professionnels de santé ainsi qu'aux associations de malades, de manière plus succincte. Il est possible qu'elle reflète la crainte d'un 'effet nocebo' non explicité ni démontré. Les appelants observent avec pertinence qu'il n'y a pas de corrélation entre l'apparition des signalements au printemps 2017 et le traitement médiatique de l'affaire plus tardif.
Si, comme il a été dit, on ne peut affirmer que l'information du patient participe de la prévention du risque de dérèglements et effets secondaires, elle lui donne la possibilité, à la survenance éventuelle de troubles, d'appréhender leur origine et mieux envisager la suite à donner avec son médecin traitant. En cela, l'information du patient est une nécessité, la question étant de savoir s'il s'agit d'une obligation légale ou réglementaire à la charge du fabricant.
Les appelants soutiennent que le laboratoire, qui emploie des pharmaciens diplômés, est un professionnel de la santé tenu d'informer le patient en vertu des dispositions de l'article L. 1111-2 du Code de la santé publique.
Il résulte notamment de ce texte que toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. Elle incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables.
Merck répond avec justesse que l'argumentaire des appelants est incompatible avec la lettre du texte qui prévoit que l'information est délivrée au cours d'un entretien individuel, impossible entre le laboratoire et les millions d'usagers du médicament. De surcroît, l'annexe 1 des recommandations de bonnes pratiques visées par le même article liste les professionnels de santé dont les laboratoires pharmaceutiques ne font pas partie.
L'article L. 1111-2 du Code de la santé publique n'est pas applicable au laboratoire diffusant un médicament et les appelants prétendent sans fondement à une application extensive de ce texte 'par ricochet', au motif que la qualité de l'information affecte toute la chaîne du médicament.
Les appelants font aussi valoir que l'information donnée aux professionnels de santé n'exclut pas les dispositions légales et réglementaires qui édictent un devoir de mise en garde spéciale si elle s'impose pour le médicament.
Le Code européen des médicaments à usage humain, issu de la Directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 prévoit notamment en son article 54g) que l'emballage extérieur doit comporter une mise en garde spéciale, si elle s'impose pour le médicament.
Cette obligation est reprise dans les mêmes termes dans l'article R. 5121-138.7° du Code de la santé publique.
Le Code européen prévoit aussi en son article 59 c-IV) que la notice doit comporter une énumération des informations nécessaires avant la prise du médicament, dont les mises en garde spéciales.
Cette disposition n'est pas reprise à l'identique dans le Code de la santé publique mais son article R. 5121-149 dernier alinéa prévoit l'indication d'informations compatibles avec le résumé des caractéristiques du produit dont font partie les mises en garde spéciales.
Non seulement, a posteriori, eu égard au nombre élevé de signalements, il est aisé de considérer que le changement de composition impliquait une mise en garde, mais, au regard de ce qui précède, il est démontré que la connaissance qu'avait Merck d'un risque d'effets indésirables chez une fraction conséquente d'usagers du médicament devait conduire à une mise en garde initiale dans le cadre de la diffusion du médicament.
Au-delà de l'exigence légale, la Cour ajoute que, s'il n'y a pas de lien contractuel direct entre le fabricant et le patient, il ne peut être méconnu que le médicament est un produit spécifique consommé dans une démarche contrainte, de surcroît, dans le cas d'espèce, avec l'impossibilité de substitution du produit. Cette situation particulière devait conduire Merck à prêter une particulière attention, dans le cadre de la diffusion du médicament, à l'information individuelle du patient comme à la pharmaco-vigilance.
4/ L'insuffisante information du patient
Le jugement attaqué rappelle que la notice comprend une recommandation générale ainsi libellée : 'si vous ressentez un quelconque effet indésirable, parlez-en avec votre médecin ou à votre pharmacien ; ceci s'applique aussi à tout effet indésirable qui ne serait pas mentionné sur la notice.'
Le tribunal a considéré que cette information est suffisamment précise et pertinente pour qu'un patient moyen, en référence à la notion du bon père de famille normalement diligent, comprenne sans délai que l'apparition d'un effet indésirable inattendu et inhabituel nécessite de prendre attache avec son professionnel de santé référent.
Contrairement à ce que soutiennent les appelants, le tribunal, se référant à la notion de bon père de famille, ne critique pas l'attitude des malades et n'inverse pas la charge de la preuve : Il leur appartient de démontrer la faute qu'ils allèguent, à savoir le manquement à l'obligation de les informer et, par conséquent, de démontrer en quoi le conseil de parler avec un médecin ou un pharmacien en cas d'apparition de troubles n'est pas suffisant.
Cette démonstration est faite si l'on considère d'une part les limites de l'information des professionnels de santé, d'autre part l'absence d'information directe des patients.
A / L'information des professionnels de santé
Sur ce point, les démarches de Merck antérieures à la mise en place de la nouvelle formule sur le marché, rappelées par le tribunal dans son jugement, ont été effectives et importantes en volume, sinon en qualité. Pour autant, elles connaissaient leurs limites par l'attention qui leur était prêtée par les destinataires recevant de nombreux courriers et messages informatifs et/ou publicitaires de la part des fabricants et diffuseurs de médicaments.
Surtout, l'information donnée aux professionnels de santé n'était pas de nature à assurer celle du patient :
d'une part, la fréquence du suivi médical des patients dépend de leur pathologie et, par conséquent, ils pouvaient dans de nombreux cas prendre la nouvelle formule sans avoir vu préalablement leurs médecins traitants ;
de surcroît, l'attention des praticiens n'était attirée que sur les personnes à risques et la communication se voulait rassurante ;
d'autre part, en délivrant le médicament nouvelle formule, les pharmaciens n'avaient pas de raison d'attirer l'attention des clients sur le changement d'excipent, ce d'autant plus que la communication de Merck à leur adresse était plutôt lénifiante, mettant en exergue la continuité de la gamme et le changement de couleurs des boîtes.
Dans ces conditions, les professionnels de santé n'étaient pas le vecteur d'information suffisant pour l'information préalable de l'ensemble des patients du passage de l'ancienne à la nouvelle formule.
B / La notice et l'emballage
Vainement, Merck argumente sur l'interdiction faite aux laboratoires de se livrer à de la publicité pour des médicaments soumis à prescription médicale auprès des usagers par l'article 88 du Code européen de la directive européenne 2001/83/CE déjà citée et l'article L. 5122-6 du Code de la santé publique.
L'article L. 5122-1 du même codeexclut notamment de la définition de la publicité 'les informations concrètes et les documents de référence relatifs, par exemple, aux changements d'emballage, aux mises en garde concernant les effets indésirables dans le cadre de la pharmacovigilance [...]'. Ces dispositions autorisaient Merck à une communication sur l'information concrète du changement d'excipient.
Au surplus, les appelants rappellent avec pertinence que l'arrêté du 28 avril 2005 alors en vigueur, fixant les règles relatives aux bonnes pratiques de pharmacovigilance, prévoyait en son article 6 § 8 la possibilité de communication auprès du public en sus des professionnels de santé.
Merck pouvait ainsi valablement signaler le changement de formule sur la boîte et dans la notice ou un document supplémentaire joint à celle-ci. On ajoutera que la mise en garde du patient par ce biais n'était pas forcément insécurisante puisque le changement d'excipient pouvait aussi valablement être présenté de manière positive au regard de sa finalité de stabilisation du principe actif.
En l'espèce, il est constant que la notice ne contenait pas de mention significative du changement de formule mais un simple remplacement (manitol au lieu de lactose) et ajout (acide citrique) de termes dans un texte dense et imprimé en petits caractères.
Merck ne pouvait pas ignorer que son obligation d'information du patient n'était pas satisfaite par la notice qui, si elle répondait aux exigences réglementaires, supposait que l'usager du Levothyrox se livre à une lecture comparative approfondie des notices de l'ancienne et de la nouvelle formule pour déceler le changement d'excipients. Dans la routine de la prise habituelle du même médicament renouvelée au fil des mois ou des années, le patient n'avait aucune raison de se livrer à cette opération à défaut du signalement du changement de formule.
Etant rappelé que la modification des boîtes, réduite à des changements de design et de couleurs, était inapte à informer l'usager du changement de formule non signalé expressément sur celles-ci.
En définitive, l'information du changement de formule pouvait se faire valablement et efficacement par son signalement clair sur les boîtes et des mentions apparentes dans la notice, toute autre démarche étant nécessairement réduite quant à ses effets, qu'il s'agisse de l'action des visiteurs médicaux, de la mise en place d'un site internet dédié ou de conférences de presse suggérées par les appelants, ou encore de l'information des associations de malades essentiellement limitée à leurs adhérents.
Le choix de Merck de ne pas mentionner, par un message d'alerte, le changement de formule sur la boîte et de ne pas le faire ressortir dans la notice est une faute qui engage sa responsabilité au regard des obligations qui lui sont faites par les dispositions précitées.
Il convient de rappeler que l'article 61 al.4 de la directive 2001/83/CE prévoit que l'absence d'opposition de l'autorité compétente à la mise sur le marché ou une modification de l'étiquetage ou de la notice ne porte pas atteinte à la responsabilité de droit commun du fabricant et du titulaire de l'autorisation de mise sur le marché.
Les appelants font valoir à bon droit que ce principe est transcrit dans l'article L. 5121-8 du Code de la santé publique, dont il résulte que l'accomplissement des formalités administratives, notamment l'obtention de l'autorisation de mise sur le marché, n'a pas pour effet d'exonérer le fabricant et le titulaire de cette autorisation de la responsabilité qu'ils peuvent encourir dans les conditions du droit commun en raison de la fabrication ou de la mise sur le marché du médicament.
La responsabilité de Merck est donc engagée sans que la validation administrative de sa démarche puisse constituer une cause d'exonération. Il a d'ailleurs pu être observé que l'approche principalement réglementaire de l'information sur le médicament a pour conséquence de reléguer au second plan la réflexion sur son appropriation par le public et les professionnels de santé.
5/ Le défaut d'information durant la crise de l'été 2017
Les appelants reprochent aussi à Merck une réaction insuffisante aux remontées de signalements importantes à partir du mois de juin. Ils estiment que Merck aurait dû mobiliser ses visiteurs médicaux et donner une information adaptée à destination du grand public, non pas pour rassurer mais pour conduire à une prise en charge immédiate des effets indésirables.
Ce faisant, ils s'abstiennent d'expliciter quelle information supplémentaire efficace aurait pu apporter le laboratoire dans le contexte de remontées de signalements de personnes déjà conseillées par leur médecin, au regard de la disparité des symptômes décrits et de l'absence d'explication scientifique du phénomène. Il n'y a pas de faute caractérisée de Merck sur ce point.
V / Sur la prétendue atteinte aux droits subjectifs de la personne
La Cour relève que les écritures des appelants sont particulièrement confuses quant à l'explication d'un préjudice moral tenant à une atteinte aux droits subjectifs des malades qui serait distinct du préjudice moral consécutif au défaut d'information sur le changement de formule du Levothyrox.
Le dispositif de leurs conclusions n'est pas plus éclairant puisqu'il qualifie le second de 'préjudice moral pur' au rebours du corps des conclusions où cette expression est employée pour désigner le premier.
A tout le moins, les appelants développent des considérations inopérantes sur la jurisprudence distinguant le préjudice d'impréparation et la perte de chance de subir une atteinte corporelle, le préjudice d'anxiété et les souffrances psychologiques endurées : dans les deux cas, ces distinctions portent sur un préjudice moral et un préjudice corporel et non sur deux préjudices moraux.
Il convient néanmoins d'examiner les fautes alléguées puisqu'elles peuvent concourir à la réalisation du préjudice moral dont il est demandé réparation au titre du défaut d'information.
Les appelants prêtent à Merck un comportement désinvolte, cynique et méprisant. Sur ces griefs, le tribunal a retenu qu'aucun comportement caractérisant une atteinte à la dignité des malades n'était établi, nulle attitude, volontaire ou involontaire, méprisante ou indigne n'était imputable à Merck dans l'approche et le traitement de cette crise aigüe et temporaire.
Les appelants fondent leur prétention sur :
- l'article 16 du Code civil qui dispose que la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l'être humain dès le commencement de sa vie,
- et l'article 16-3 du même codequi prévoit qu'il ne peut être porté atteinte à l'intégrité du corps humain qu'en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l'intérêt thérapeutique d'autrui. Le consentement de l'intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n'est pas à même de consentir.
Avec une présentation évolutive au fil des écritures des appelants, il s'avère que la description du comportement 'calculé et cynique', reproché à Merck par les appelants, mélange des éléments factuels relatifs à la mise sur le marché du médicament et à la crise qui s'en est suivie. Chacun de ces griefs est examiné ci-après :
1/ Sur la mise en place de la nouvelle formule
- Merck connaissait les éléments cliniques du changement de formule et a cherché à les minimiser par tous les moyens.
Il a été dit que Merck, sans pouvoir envisager tous les effets indésirables signalés dans leur variété et leur volume inédit, devait attendre des signalements en nombre conséquent, fusse sur une faible part de la population concernée estimée à 2,6 millions de patients. L'absence de mise en garde et le message rassurant aux professionnels de santé ont été pris en compte pour apprécier la faute constitutive du défaut d'information. Les appelants n'explicitent pas sur ce point une atteinte à leur dignité.
- Merck a mis en place subrepticement un médicament générique, sans l'accord du patient, alors que tout substitution est interdite pour ce médicament et que la mention générique ne figure pas sur les nouvelles boîtes.
La théorisation par les appelants de la confection d'un générique par le changement d'excipient du Levothyrox se heurte à l'appréciation de l'autorité administrative qui a décidé de remplacer l'autorisation de mise sur le marché de l'ancienne formule par celle de la nouvelle formule. Ce débat échappe à la compétence du juge judiciaire dès lors que Merck s'est conformée aux instructions des pouvoirs publics.
- Merck a trompé les autorités sanitaires, professionnels de santé et malades par la manipulation du test de bioéquivalence.
Il a été dit que les tests pratiqués par Merck sont conformes aux préconisations des autorités de santé et on ne voit pas en quoi celles-ci auraient été trompées. L'allégation de tromperie envers les professionnels de santé et les malades est encore moins fondée à défaut de diffusion des résultats du test à ces personnes. De manière implicite, les appelants reviennent ainsi à l'allégation de défaut de conformité du produit qui n'entre pas dans la saisine de la Cour.
- Merck a pratiqué un essai clinique occulte à grande échelle sur les patients français.
Cette 'formule journalistique', selon les termes employés par Merck, est reprise de manière péremptoire à la faveur d'une interprétation subjective de la chronologie de la mise sur le marché français du Levothyrox nouvelle formule avant les autres marchés européens.
Dès lors que les essais thérapeutiques ne sont autorisés que sur les volontaires sains, la mise en place du médicament ne pouvait se faire que par commercialisation à destination de l'ensemble de la population.
On peut d'autant moins parler d'essai que le produit a été diffusé en situation de monopole, auprès de l'ensemble des patients, sans alternative, ce qui aurait été le cas si Merck avait voulu tester la nouvelle formule en gardant la possibilité de revenir à l'ancienne. Or, il est avéré que Merck avait cessé de produire l'ancienne formule pour le marché français et ce n'est que sur instructions du ministère de la santé qu'elle a été contrainte d'importer en urgence l'ancienne formule encore produite en Allemagne ; les appelants lui font d'ailleurs reproche de son manque de diligence sur ce point.
2 / Sur la crise postérieure à la mise en place de la nouvelle formule
- Merck a tout fait pour détourner les malades de l'accès à l'ancienne formule, les obligeant à l'acheter sur internet ou à l'étranger à leurs risques et périls.
Les conditions de commercialisation de la nouvelle formule se substituant à l'ancienne ont été exposées. La situation de crise qui en a découlé, conduisant effectivement une partie des patients à rechercher par tous moyens l'ancienne formule devant les soulager, est consécutive aux effets du produit sur le métabolisme de ces personnes. Le préjudice moral découlant de cette situation, qui ne pourrait être établi qu'après démonstration, au cas par cas, du lien entre la prise de la nouvelle formule et les troubles subis, ressort du débat sur le défaut de conformité du produit dont il a été dit qu'il n'entre pas dans la saisine de la Cour
- Pendant des mois, Merck a continué à nier l'évidence et à communiquer des informations parcellaires, entretenant la confusion et la suspicion.
Le défaut de communication suffisante de Merck a déjà été évoqué ci-avant et écarté comme constitutif d'un préjudice moral.
- Avec ses médecins relais d'opinion ou influenceurs, Merck a entretenu une campagne de dénigrement des malades qui étaient présentés 'comme des fous, hystériques ou complotistes', afin d'éviter de répondre à leurs légitimes inquiétudes.
Sans méconnaître les liens dénoncés dans la presse entre l'industrie pharmaceutique et certains membres du corps médical, on ne peut que constater que les appelants procèdent par simple affirmation quant à une collusion entre Merck et les médecins spécialistes qui se sont exprimés dans les médias durant ou à la suite de la crise de l'été 2017. Et si un tel lien devait exister, il resterait à démontrer que ces médecins se sont exprimés par complaisance, sur demande ou suggestion de Merck.
A tout le moins, il n'est fait état d'aucun comportement ou propos des représentants de Merck de nature à caractériser le cynisme et le mépris reprochés par les appelants. Ces termes, s'ils entendent traduire le ressenti de certains malades dans leur détresse, sont excessifs et sans justification factuelle.
VI / Sur le préjudice moral subi par les patients à raison du défaut d'information
1 - Sur la nature du préjudice
Les pièces versées aux débats établissent que chaque appelant, après la prise du Levothyrox nouvelle formule, a ressenti divers effets qu'il rapporte au changement de médicament. Ainsi qu'il a été dit dans les rapports de l'ANSM, les signalements ont pour bonne part fait ressortir que les patients qui sont revenus à l'ancienne formule ou ont pris un autre médicament, ont vu disparaître leurs maux au bout d'un temps très court, ce qui induit pour eux le lien entre le changement d'excipient et les troubles constatés. Mais pour bon nombre d'autres patients, le lien reste à établir médicalement, si les troubles se sont résorbés sans changement de médicament ou, au contraire, ont persisté malgré une nouvelle prescription.
Il importe pourtant peu de les distinguer dans la mesure où la Cour, qui ne statue pas sur le préjudice corporel des intéressés, se prononce sur un préjudice moral découlant d'une situation objective commune à tous les patients, à savoir qu'ils ont absorbé un médicament modifié sans en être informés préalablement et, avec l'apparition des troubles, se sont trouvés désemparés, privés de cet élément d'information déterminant pour y faire face, qu'il faille établir ou écarter le lien entre le changement de formule et les troubles subis.
La Cour observe que les appelants ont, pour la plupart, rempli un imprimé de 'cahier de doléances' sur un modèle préparé par leur conseil. Ces écrits, rédigés entre octobre 2017 et février 2018, privilégient la description des douleurs physiques et psychiques, limitations ou gêne, impact des douleurs sur la vie des personnes au quotidien, dans leur vie de couple et leur vie sociale et de loisirs, préjudices dont il faut encore une fois rappeler que, malgré leur importance, leur indemnisation n'est pas l'objet du présent procès. Il s'avère cependant que nombre de leurs signataires évoquent spontanément le défaut d'information quant au changement de formule, qui les a conduit à subir des actes superfétatoires : analyses, bilans, examens et consultations de divers praticiens (médecins généralistes ou spécialistes, ostéopathes, acupuncteurs, etc ...) et parfois même des hospitalisations.
On ne saurait exclure que, pour une partie des patients, la corrélation faite par ceux-ci entre les troubles et la prise du médicament modifié soit erronée ou, à tout le moins, non médicalement établie. Mais ces personnes, comme les autres, n'ont pas disposé d'une information immédiate et claire pour les démarches appropriées auprès des professionnels de santé, ce qui a nourri une suspicion de manipulation de la part du fabricant.
Le préjudice moral résultant du défaut d'information des patients a ensuite été aggravé par un sentiment d'abandon et un vif ressentiment dirigé, à tort ou à raison, contre le mépris du corps médical, l'inertie des pouvoirs publics et un défaut de compassion du laboratoire, tous se voyant reprocher, avec plus ou moins de réalisme, une absence d'action immédiate pour mettre fin à une détresse et des maux qui, eux, étaient actuels.
En revanche, il est vain de prétendre que le préjudice consisterait en la privation pour les malades du droit de connaître avec une précision suffisante les risques encourus par un changement de formule : l'existence de risques était connue de Merck mais sans possibilité de les préciser autrement que par la liste des effets indésirables déjà connus. Et ces effets ont été effectivement variés dans leur manifestation et leur gravité.
Il est aussi allégué par les appelants d'un préjudice moral constitué par la privation pour les malades de la possibilité d'anticiper les effets secondaires potentiels ou l'impossibilité pour les malades de se préparer, avec les médecins, au changement de formule. Comme l'a justement relevé le premier juge, ce préjudice d'impréparation ne pourrait être apprécié que dans le cadre de l'application des dispositions de l'article 1245-1 du Code civil pour laquelle le tribunal s'est déclaré incompétent.
Enfin, le préjudice moral consécutif au défaut d'information doit être distingué du préjudice d'anxiété initialement allégué par les demandeurs, dans la mesure où il est indépendant de la réalisation du risque, en l'occurrence de la détermination du lien entre la prise du nouveau médicament et les troubles apparus.
Il n'y a donc pas lieu de chercher à établir au cas par cas, par des expertises individuelles suggérées par les sociétés Merck, le lien entre le changement de formule du Levothyrox et une modification du TSH susceptible d'expliquer les troubles ressentis par les usagers de ce médicament.
2 - Sur la preuve du préjudice
Le défaut d'information étant avéré, il appartient encore à chacun des appelants de démontrer qu'il a pris le Levothyrox nouvelle formule à la suite de l'ancienne. Sans les désigner, Merck soutient que 9 d'entre eux ne justifient pas d'un traitement par Levothyrox nouvelle formule.
En l'occurrence, la plupart des appelants ont justifié de la prise du médicament litigieux par un certificat médical ou une ordonnance prescrivant le Levothyrox avant ou concomitamment à la période de mise sur le marché de la nouvelle formule à partir du printemps 2017, l'ancien médicament étant introuvable à partir de juin-juillet 2017.
Tous les autres appelants qui n'ont pas fourni ces documents ont néanmoins versé aux débats des rapports d'analyses montrant qu'ils étaient suivis pour contrôle de leur taux de TSH avant et après l'apparition de la nouvelle formule.
Il est constant que le Levothyrox était alors le seul médicament disponible en France pour traiter l'hypothyroïdie (hormis le L-Thyroxine Serb prescrit de manière marginale). Ces rapports de laboratoires, portant sur des examens prescrits par des médecins français pour des patients établis en France, sont suffisants pour caractériser la prise du Levothyrox nouvelle formule, en complément des autres pièces versées aux débats, à savoir les 'cahiers de doléances', des ordonnances prescrivant les médicaments de substitution (Euthyrox notamment) à partir de l'automne 2017, voire des arrêts de travail ou des signalements effectués dans le cadre de la pharmacovigilance.
3 - Sur l'indemnisation du préjudice
La Cour rappelle que, dans le cadre de la présente procédure, elle ne statue pas sur le préjudice corporel des victimes et, par conséquent, n'indemnise pas les souffrances qu'elles ont endurées et le retentissement des troubles dans leur vie personnelle, sociale et professionnelle ; il doit être dit que le préjudice moral dont il est demandé l'indemnisation est sans lien et sans commune mesure avec la gravité de ces troubles.
Quant à son montant, l'indemnisation doit correspondre à la juste réparation du préjudice. Contrairement à ce que les appelants soutiennent, elle ne peut pas, de principe, être symbolique ni 'forfaitaire et égalitaire' même si, de fait, elle peut être identique pour chaque victime à défaut d'éléments du dossier de nature à caractériser un préjudice moral plus important qu'un autre.
Il s'agit d'un préjudice qui a revêtu un caractère temporaire, jusqu'à l'information effective des patients. Il ne se compare pas sérieusement, comme prétendent le faire les appelants, au préjudice d'anxiété continu et viager subi par les personnes exposées à un risque vital.
A défaut de documentation spécifique de nature à distinguer en gravité les préjudices de l'un ou l'autre des appelants, le préjudice moral de chacun sera réparé par une indemnité de 1 000 euros.
VII / Sur la demande de publication de la décision
L'article 564 du Code de procédure civile dispose qu'à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la Cour de nouvelles prétentions, si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter des prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'article 565 du même codeprécise que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
L'article 566 du même codeprévoit que les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
Merck fait valoir à bon droit que la demande de publication de la présente décision est nouvelle en cause d'appel pour n'avoir pas été formulée devant le premier juge et ne pas tendre aux mêmes fins que la demande indemnitaire.
Les appelants répondent à tort que cette demande est l'accessoire des demandes principales puisqu'elle ne dépend nullement des indemnités allouées. Prétendre que cette demande n'est pas autonome puisque la publication dépend directement de la reconnaissance de responsabilité de Merck consiste à se livrer à une curieuse analogie avec le régime de peines accessoires en droit pénal.
Sans qu'il y ait lieu de débattre de son intérêt, la Cour ne peut que déclarer la demande de publication irrecevable comme étant nouvelle en appel.
VIII / Sur les dépens et frais irrépétibles
Conformément aux dispositions des articles 405 et 399 du même code, le désistement emporte, sauf convention contraire, soumission de payer les frais de l'instance éteinte. Les appelants qui se sont désistés conservent la charge des frais et dépens qu'ils ont exposés.
Les deux intimées, reconnues fautives, supportent conjointement les autres dépens de la procédure de première instance et d'appel.
Les autres appelants, échouant partiellement en leurs prétentions, conservent une part de leurs frais irrépétibles et seront indemnisés par les intimées à concurrence de 300 euros chacun par application de l'article 700 du Code de procédure civile, à l'exception de Andrée G., bénéficiaire de l'aide juridictionnelle totale.
Par ces motifs : LA COUR, Constate et déclare parfaits les désistements d'appel de Danielle B., Sandra C., Claire J., Danièle L., Hélène M. B. et Rizllane T. ; Statuant dans les limites de l'appel, Confirme le jugement prononcé le 5 mars 2019 par le tribunal d'instance de Lyon en ce qu'il s'est déclaré compétent pour statuer sur la demande principale tendant à établir l'existence d'une faute délictuelle des sociétés Merck ; Réforme le jugement pour le surplus ; Statuant à nouveau et y ajoutant, Vu les articles 54 g) et 59 c-IV) de la Directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001, R. 5121-138.7° et R. 5121-149 dernier alinéa du Code de la santé publique et 1240 du Code civil, Dit que la SAS Merck Serono et la SAS Merck Santé ont commis une faute en n'informant pas les usagers du médicament Levothyrox du changement de sa formule par des mentions clairement lisibles sur l'emballage et la notice du produit ; Dit que cette faute a causé un préjudice moral à chacun des appelants et, en conséquence, condamne la SAS Merck Serono et la SAS Merck Santé à payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts à chacune des personnes désignées ci-après : Savannah A., Emma A., Sonia A., Michèle A., Edith A., Latifa B., Mana Ben N., Brigitte B. D., Yamina B., Monique B., Odile B., Fatiha B., Mouna B., Alexandra Joëlle B., Dalila B., Nathalie B., Anne Sophie B., Fatna B., Saïda C., Annick C., Sandrine C., Afef C. S., Marlène C., Felicia C., Ghenima D., Nadège D., Véronique D., Marie Hélène D. B., Corinne D., Marie-Claude D., Mostafa El O., Habiba El O., Bernadette F., Pauline F., Odile F., Laurence F., Concepcion G., Renée G., Micaela G., Sylvie G., Jean-Christophe G., Anaïs G., Tatiana G., Carmen G. O., Andrée G., Zahra H., Khadija H., Zara H., Roza L., Françoise J., Karina K., Bernadette L., Isabelle L., Jacky L., Aurélie Le B., Gwenaëlle L., Benjamin L., Patrice L., Bernard M., Nancy M., Isabelle M., Annie M., Nabila M., Sabrina M., Geneviève M. N., Zahra M., Marianne M., Thérèse M., Meriem M., Christelle N., Nadia O., Charlette P. du C., Agnès P., Virginie Q., Ahmed R., Amandine R., Véronique R., Sylvie R., Marie Claude S. O., Christian S., Gabrielle S., Agnès S., Delphine T., Virginie V., Perla V., Chloé V., Laura Z. et Léonida Z. H. ; Condamne la SAS Merck Serono et la SAS Merck Santé à payer à chacune de ces personnes, à l'exception de Andrée G., la somme de 300 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Déclare les appelants irrecevables en leur demande de publication du présent arrêt ; Dit que les personnes qui se sont désistées conservent à leur charge les dépens et frais irrépétibles qu'elles ont exposés ; Condamne la SAS Merck Serono et la SAS Merck Santé aux autres dépens de première instance et d'appel ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes.