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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 juillet 2020, n° 18-15917

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Sunberg (SARL)

Défendeur :

Carrefour Global Sourcing Asia Limited, Carrefour Marchandises Internationales (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dallery

Conseillers :

Mme Bodard-Hermant, M. Gilles

T. com. Paris, du 3 mai 2018

3 mai 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La société Sunberg (Sunberg) est une société spécialisée dans le "sourcing" pour le textile, le linge de maison et l'habillement, au Pakistan.

La société Carrefour Global Sourcing Asia Limited (CGSAL) a pour activité de "sourcer" et d'organiser le parc de fournisseurs du groupe Carrefour.

La société Carrefour Marchandises Internationales (CMI) est la centrale d'achat du Groupe Carrefour pour les produits non alimentaires.

Les relations entre Sunberg et CGSAL se sont développées depuis 1986, sans contrat. Cette activité de Sunberg a été rémunérée par une commission de 3 % sur les commandes passées par ce dernier auprès des fournisseurs pakistanais.

Le 4 décembre 2013, CGSAL a adressé à Sunberg un projet de protocole encadrant l'arrêt des relations commerciales entre elles, à compter de la fin de la commercialisation de la collection printemps/été 2015 pour les textiles et le linge de maison, lequel n'a pas été accepté par Sunberg, en dépit d'échanges de correspondances destinés à régler amiablement le différend des parties quant à la durée du préavis requis.

Vu le jugement du tribunal de commerce de Paris du 3 mai 2018 :

- met hors de cause la société CMI ;

- dit que le préavis a eu pour point de départ le 4 décembre 2013 ;

- dit que la rupture de la relation établie depuis 28 ans a été brutale ;

- fixe à 20 mois la durée du préavis à appliquer ;

- déboute la société Sunberg de sa demande de doublement du préavis ;

- dit que le préjudice subi par la société Sunberg au titre de la rupture brutale est déterminé à partir de son activité avec la société CGSAL au cours des années 2009 et 2013 incluses ;

- dit que le montant des commissions versées à la société Sunberg au titre du préavis est supérieur à l'indemnisation de son préjudice pour rupture brutale ;

- déboute la société Sunberg de sa demande de qualification d'agent commercial à l'égard de la société CGSAL ;

- déboute la société Sunberg de ses demandes de paiement de la société CGSAL ;

- condamne la société Sunberg à payer aux société CMI et CGSAL, ensemble, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du CPC ;

- déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;

- condamne la société Sunberg aux dépens dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 177,38 euros dont 29,12 euros de TVA,

Vu la déclaration d'appel formé du 26 juin 2018 de la société Sunberg et l'ordonnance de clôture du 30 juin 2020,

Vu les dernières conclusions de Sunberg, appelante, signifiée et notifiée le 4 mai 2020, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

Vu les dispositions de l'article L. 134-1 et suivants du Code de commerce,

Vu l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce,

Vu l'article 1134 alinéa 3 du Code civil,

Vu les pièces et les jurisprudences versées aux débats,

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

mis hors de cause la société CMI ;

débouté Sunberg de sa demande de doublement de la durée du préavis ;

dit que le montant des commissions versées à la Sunberg au titre du préavis est supérieur à l'indemnisation de son préjudice pour rupture brutale ;

débouté Sunberg de sa demande en paiement d'une indemnisation au titre de la rupture brutale ;

débouté Sunberg de sa demande de qualification d'agent commercial à l'égard de CGSAL ;

débouté Sunberg de ses demandes de paiement de CGSAL ;

condamné Sunberg à payer aux sociétés CMI et CGSAL, ensemble, la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

déboute Sunberg sur l'article 700 du Code de procédure civile ;

condamné Sunberg aux dépens, dont ceux à recouvrer par le greffe, liquidés à la somme de 177,36 euros dont 29,12 euros de TVA ;

- confirmer en tant que de besoin, le jugement déféré en ce qu'il a :

dit que le préavis a eu pour point de départ le 4 décembre 2013 ;

dit que la rupture de la relation établie de 28 ans a été brutale ;

au moins fixé le préavis a une durée de 20 mois ;

Et par conséquent

À titre principal :

- juger Sunberg recevable en ses demandes ;

- juger que la société CMI est partie à la cause ;

- juger que Sunberg était l'agent commercial de Carrefour ;

En tant que de besoin,

- juger que les parties étaient liées par un mandat d'intérêt commun dont la rupture cause un préjudice à Sunberg ;

- condamner Carrefour à verser à Sunberg une indemnité de trois années de commissions, soit au minimum la somme de 778 200 euros ;

À titre subsidiaire :

- juger que les parties étaient liées par une relation commerciale établie de 28 années nécessitant un préavis de 48 mois en application de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce, 24 mois si la qualité de fournisseur de marque de distributeur n'est pas reconnue à Sunberg ;

En conséquence :

- condamner Carrefour à verser à Sunberg la somme 868 000 euros, calculé sur la base du chiffre d'affaires moyen annuel 273 700 euros et d'une marge nette de 217 000 euros, à laquelle il conviendra de déduire les douze mois de préavis effectués ;

Ou

- condamner Carrefour à verser à Sunberg la somme 434 000 euros, calculé sur la base du chiffre d'affaires moyen annuel de 273 700 euros et d'une marge nette de 217 000 euros, à laquelle il conviendra de déduire les douze mois de préavis effectués ;

En tout état de cause :

- condamner Carrefour à payer à Sunberg la somme de 150 000 euros de dommages et intérêts en raison du préjudice résultant des circonstances abusives et vexatoires de la résiliation ;

- condamner Carrefour à payer à Sunberg la somme de 55 056,63 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner Carrefour aux dépens,

Vu les dernières conclusions de CMI et CGSAL, intimées, signifiées et notifiées le 15 mai 2020, il est demandé à la Cour d'appel de Paris de :

Vu les dispositions de l'article 122 du Code de Procédure Civile,

Vu celles des articles 564 et suivants du même Code,

Vu les dispositions des articles L. 134-1 et suivants du Code de Commerce,

Vu les dispositions de l'article L. 442-6 I 5° du Code de Commerce,

Vu par ailleurs les dispositions des articles 1134 ancien et 1240 nouveau du Code Civil invoqués par la Société Sunberg pour la première fois en cause d'appel,

Vu les faits exposés et les pièces produites,

- débouter la Société Sunberg de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions en cause d'appel.

- donner acte à la Société Sunberg de ce qu'aux termes de ses conclusions d'appelante n° 3, elle renonce à tout cumul entre l'indemnité réclamée au titre de sa prétendue qualité d'agent commercial ou de mandataire d'intérêt commun et celle réclamée au titre de la rupture brutale de relations commerciales établies au sens de l'article L. 442-6 I 5° du Code de Commerce.

- donner acte par voie de conséquence aux Sociétés Carrefour Global Sourcing Asia Limited et Carrefour Marchandises Internationales de ce qu'elles renoncent à toute fin de non-recevoir de ce chef.

- dire et juger irrecevables les demandes nouvelles en cause d'appel formées par la Société Sunberg au titre de la résiliation abusive et vexatoire comme au titre de sa demande indemnitaire à hauteur de 150 000 € sur le fondement de l'article 1240 du nouveau Code Civil.

- déclarer pareillement irrecevable cette demande en application du principe du non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle.

- dire et juger non fondée la demande de la société Sunberg visant à se voir appliquer le statut d'agent commercial, les conditions prévues par l'article L. 134-1 du Code de Commerce n'étant pas justifiées, notamment en ce qui concerne le prétendu pouvoir de représentation et de négociation permanent au nom et pour le compte de la société Carrefour Global Sourcing Asia Limited.

- débouter en conséquence la société Sunberg de toute demande d'indemnité de rupture sur ce fondement.

- dire et juger pareillement non fondée la demande de la société Sunberg de considérer qu'un mandat d'intérêt commun la liait à la Société Carrefour Global Sourcing Asia Limited et en conséquence la débouter de toute demande d'indemnité de rupture sur ce fondement.

Faisant droit par ailleurs à l'appel incident formé par la Société Carrefour Global Sourcing Asia Limited :

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit brutale la rupture des relations avec la société Sunberg et fixé un préavis de 20 mois.

Statuant à nouveau de ce chef,

- dire et juger suffisant le préavis de rupture respecté en l'espèce par la Société Carrefour Global Sourcing Asia Limited à hauteur de plus de 17 mois et en conséquence,

- dire non brutale la rupture des relations entre la société Carrefour Global Sourcing Asia Limited et la société Sunberg.

- confirmer le jugement entrepris pour le surplus en ce qu'il a mis hors de cause la société Carrefour Marchandises Internationales et débouté la Société Sunberg de sa demande de doublement du préavis ainsi que de ses demandes indemnitaires.

En toute hypothèse :

- débouter la Société Sunberg de toutes demandes au titre de la résiliation abusive et vexatoire ainsi que de sa demande indemnitaire à hauteur de 150 000 €, celle-ci n'étant pas justifiée.

- condamner la Société Sunberg au paiement d'une somme de 50 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de la Searl P. de M. G., Avocats aux offres de droit.

Les parties ont accepté le 15 mai 2020 la procédure sans audience qui leur a été proposée, par courriel du président de cette chambre le 30 avril 2020, au visa de l'article 8 de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 et de l'ordonnance du premier président de cette Cour du 23 avril 2020.

La cour renvoie à la décision entreprise et aux conclusions susvisées pour un exposé détaillé du litige et des prétentions des parties, conformément à l'article 455 du Code de procédure civile.

SUR CE LA COUR

1 - Sur la mise hors de cause de CMI

Sunberg ne justifie pas de pièces ou moyens nouveaux permettant l'infirmation du jugement entrepris mettant CMI hors de cause, faute d'établir :

- en quoi CMI, avec qui elle n'a signé aucun contrat, est concernée par le contrat d'agent commercial avec CGSAL sur lequel elle fonde sa demande principale,

- ni en quoi CMI qui ne lui payait pas les commissions perçues de CGSAL (pièce intimée 39), qui ne référençait pas les fournisseurs qu'elle-même apportait, qui ne lui a pas fait part de la réorganisation souhaitée par le Groupe Carrefour du sourcing au Pakistan et qui n'est pas intervenue dans le processus de rupture contesté, est concernée par le litige.

A cet égard, ses pièces 6, 7 et 9 relatives à des contacts directs ponctuels entre elles en décembre 2011 et 2012, décembre 2013, janvier et avril 2014 sont insuffisantes.

Le jugement entrepris doit donc être confirmé de ce chef.

2 - Sur la demande principale : la rupture d'un contrat d'agent commercial ou d'un mandat d'intérêt commun

Selon l'article L. 134-1 du Code de commerce qui énumère limitativement les contrats concernés :

« L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale ».

Le jugement entrepris retient donc exactement, au visa de cet article, que quelques exemples dont il n'est pas établi qu'ils ne constituent "qu'une infime partie" des négociations que Sunberg auraient entreprises, alors que ce texte vise exclusivement les mandataires chargés de façon permanente de négocier pour le compte de leur mandant ne suffisent pas à caractériser la réalité de la fonction d'agent commercial pour laquelle Sunberg ne fait état d'aucun mandat.

L'argumentaire et les pièces de Sunberg qui soutient désormais en appel à titre principal avoir la qualité d'agent commercial ne remettent pas en cause cette analyse, dès lors qu'elle soutient à nouveau mais sans mieux convaincre notamment au vu de ses pièces 17, 18 48 et 50 qui ne datent que de 2013 - 2014 :

- qu'elle disposait d'un pouvoir de représentation et de négociation permanent de Carrefour pour l'achat des produits textiles, pour leur mise au point et la négociation des prix, lui donnant un pouvoir d'influence sur les éléments constitutifs des achats textiles au Pakistan pour Carrefour,

- que son refus de signer le contrat de prestation de services proposé en 2007 a été sans incidence sur ses attributions, dont CGSAL ne contesterait pas qu’elles n’ont pas changé,

- que le libellé « textile agent » sur les factures atteste de la reconnaissance de ce mandat d'agent commercial

- et qu'elle est inscrite au registre spécial des agents commerciaux depuis le 12 juin 2011 et a commencé son activité le 28 novembre 86.

Il suffira d'ajouter ce qui suit.

Sur le pouvoir permanent de représentation' allégué, Sunberg ne justifie pas d'un quelconque contrat conclu même ponctuellement avec les fournisseurs qu'elle a sourcés ou de quelconques commandes passées auprès de ces derniers au nom et pour le compte de la Société CGSAL, seuls des échantillons de produits étant transmis aux fins de référencement, alors qu'il est établi que la Société Carrefour World Trade, société distincte de CGSAL, concluait seule les contrats de référencement avec les fournisseurs de produits sous marque de distributeur (SMDD) tels ceux sourcés par Sunberg (pièces intimée 13 et 52 -58), peu important les commissions perçues par Sunberg de CGSAL sur les commandes passées par les fournisseurs qu'elle apportait.

Sunberg n'explique pas davantage en quoi les échanges de mails produits témoignent d'un pouvoir de négociation permanent et effectif au nom et pour le compte de la Société CGSAL.

En effet, un tel pouvoir qui suppose de disposer de réelles marges de manoeuvres par rapport à son mandant pour arrêter les conditions de vente, notamment quant aux tarifs et volumes pratiqués ensuite stipulées dans les contrats de référencement ou dans les contrats d'achat ou de vente.

Or, Sunberg devait respecter les tableaux de prix ou le prix cible défini par la société CGSAL, qui était seule habilitée à valider les prix transmis par la société Sunberg tels qu'ils avaient été communiqués par les fournisseurs (extraits de mails cités par CGSAL dans ses conclusions p. 30-33), peu important dès lors que ce soit le cas échéant après discussions avec Sunberg (extraits de mails cités dans ses conclusions p. 24-26 et 31-32).

Par ailleurs, le refus de signature par Sunberg du contrat proposé en 2007, dont aucun élément en débat ne justifie les motifs, n'est pas de nature à démontrer que son contenu ne correspondrait pas à la réalité de la mission qu'elle exerçait en sa qualité revendiquée d'agent commercial, et CGSAL conteste l'affirmation adverse selon laquelle elle reconnaîtrait que cette mission n'a pas évolué depuis 1986 (conclusions CGSAL p. 42-43).

Enfin, le libellé des factures ne saurait suffire, en l'absence de contrat, à suppléer les conditions effectives d'exercice de son activité par Sunberg - chargée du sourcing des fournisseurs, du suivi des productions de leurs usines et de l'inspection des produits avant embarquement - dont il ressort qu'elle était l'intermédiaire et le relai d'informations entre les fournisseurs ainsi apportés et CGSAL.

Il en est de même :

- de la durée de la procédure de finalisation des prix, qui n'est pas déterminante en soi,

- de l'absence d'implantation locale de CGSAL dans un pays alors instable et dangereux comme le Pakistan, compte tenu de négociations directes de CGSAL avec certains fournisseurs sur place en 2010, 2011 et 2012 dont témoignent les échanges de correspondances produits aux débats,

- ou de l'inscription au registre spécial des agents commerciaux de Sunberg qui n'est pas une condition du statut d'agent commercial, celle-ci justifiant elle-même au surplus avoir conclu des contrats d'agent commercial pour d'autres sociétés, telle La Redoute.

Quant à la demande relative au mandat d'intérêt commun, le sens de l'arrêt qui retient l'absence de preuve d'un mandat la rend sans objet.

3 - Sur la demande subsidiaire en indemnisation de la rupture brutale et vexatoire de relations commerciales établies

L'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce dispose qu'engage sa responsabilité et s'oblige à réparer le préjudice causé, celui qui rompt brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages de commerce, par des accords interprofessionnels. En outre, "lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur".

Il est constant que ces dispositions sont applicables en l'espèce, compte tenu de la date de la rupture brutale alléguée, antérieure au 25 avril 2019, date de publication de l'ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du Code de commerce dont l'article 2 les remplace par les dispositions de l'article L. 442-1 II du même Code.

Le délai de préavis doit s'entendre du temps nécessaire à l'entreprise délaissée pour préparer le redéploiement de son activité ou trouver un autre partenaire ou une solution de remplacement. Les principaux critères à prendre en compte sont la dépendance économique, l'ancienneté des relations, le volume d'affaires et la progression du chiffre d'affaires, les investissements spécifiques effectués et non amortis, les relations d'exclusivité et la spécificité des produits et services en cause, sans qu'il y ait lieu de tenir compte de circonstances postérieures à la rupture.

Sunberg soutient en appel, comme elle l'avait fait devant les premiers juges, qu'elle aurait dû bénéficier d'un préavis de 48 mois eu égard aux produits SMDD objet de la relation commerciale, subsidiairement de 24 mois, qu'elle n'est pas signataire des accords FEEF signés en 2013 entre la FCD (Fédération des Entreprises du Commerce et de la Distribution) et les PME françaises qui recommande 12 mois de préavis et que le préavis accordé ne tient pas suffisamment compte de la saisonalité du secteur, de sa dépendance économique, de ses investissements et de ses difficultés de reconversion.

CMI et CGSAL soutiennent que le préavis accordé soit 18 mois à compter du 22 octobre 2013 est conforme à l'article L. 442-1 du Code de commerce dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 24 avril 2019 à la lumière de laquelle il convient de statuer en ce qu'il considère comme raisonnable un préavis de 18 mois quelle que soit la durée des relations, comme à la jurisprudence et aux accords FEEF précités, ayant valeur d'usage même non signé par Sunberg alors au surplus que Sunberg ne prouve pas la dépendance économique et les difficultés de reconversion alléguées.

La cour, sur le constat d'une durée non contestée de 28 ans de relation commerciale établie, retient :

- que le préavis de 17 mois à compter de l'envoi, le 4 décembre 2013, du projet de protocole devant encadrer la rupture avec notification d'un préavis correspondant à deux collections soit un peu plus de 12 mois, devant s'achever en mai 2015 (pièces Sunberg 12 à 14, 22 et 23 ; pièces intimées 2-4) était suffisant pour permettre à Sunberg de se reconvertir,

- et qu'il ne s'agit pas d'une relation commerciale portant sur la fourniture de produits sous marque de distributeur (SMDD) mais d'une prestation de services, peu important qu'elle s'incorpore au cycle de production des produits SMDD.

En effet, sauf à respecter un délai de préavis écrit conforme aux usages tel que prévu à l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce précité, il ne saurait être fait grief à CGSAL d'avoir fondé la rupture sur la modification de sa stratégie sourcing, sur le constat depuis plusieurs années d'une réduction du périmètre de support de Sunberg et de cesser en conséquence d'avoir recours à un quelconque intermédiaire au Pakistan tout en y conservant ses fournisseurs via son bureau de Dhaka, aucun faisceau d'indices en faveur d'une déloyauté de CGSAL à cet égard ne résultant des éléments en débat.

Néanmoins, le préavis ne saurait débuter dès le 22 octobre 2013, date à laquelle Sunberg n'a été avisée qu'oralement de la rupture prochaine de ses relations avec CGSAL.

Cela étant, Sunberg ne justifie pas d'une dépendance économique de 44 à 47 %, pourcentage qu'elle n'établit pas en terme de part de chiffre d'affaires mais en référence inopérante au nombre de pièces produites et qui n'est pas non plus établi au vu de sa pièce 25B qui fait apparaître une moyenne de pourcentage des commissions Carrefour par rapport à son chiffre d'affaires total bien moindre, soit :

- 13, 28 % en 2013,

- 5,97 % en 2012,

- 8,46 % en 2011,

- 14,8 % en 2010,

- et 13,47 % en 2009,

ce que corrobore le rapport complémentaire du cabinet EGIFA qui conclut à une moyenne de 8,92 % (pièce 31 , p. 10).

D'autre part, la baisse alléguée de chiffre d'affaires liée aux difficultés de reconversion alléguées, que la rupture conventionnelle intervenue avec un salarié de Sunberg ne suffit pas à justifier, ne concerne que la société tierce Sunberg Private Limited, alors au demeurant que CGSAL relève sans être contredite qu'au vu de ses comptes annuels pour 2016 -2017, elle a réalisé un chiffre d'affaires en augmentation de 35 % en 2017 (pièces intimées 49 et 50).

Enfin, elle ne justifie pas d'investissements dédiés à son activité pour CGSAL, les cessions de droits d'auteur alléguées n'étant assorties d'aucune exclusivité pour "Carrefour".

Quant à l'incidence de la saisonalité du secteur, Sunberg ne soutient pas utilement que le préavis doit être prolongé pour tenir compte tout à la fois du fait que "le mandat confié à Sunberg par Carrefour pour l'été 2015 s'achève en juillet 2014 soit un an auparavant" (conclusions, point 167), et que "le travail pour la collection printemps/été 2015 a débuté en février 2014 et devait cesser en janvier 2015, soit postérieurement à la fin effective des relations entre Sunberg et Carrefour" (conclusions point 175 in fine).

En tout état de cause, eu égard au maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures au préavis, il importe peu que ce dernier intègre des prestations confiées antérieurement dès lors que les prestations effectuées par Sunberg pour les collections printemps/été 2014 et automne/hiver 2014 lui ont été réglées par CGSAL, conformément à la pratique antérieure d'un décalage des paiements, pour l'essentiel en 2014 (pièce intimées 48 produite en première instance par Sunberg sous le n° 60, conclusions intimées p. 65-66).

De même, Sunberg n'est pas fondée à déduire, du chef de l'effectivité du préavis et sur le fondement de la note technique du cabinet L. (sa pièce 38), les sommes perçues en 2014 pour des prestations de 2013, antérieures au préavis, ce décalage de paiement d'un à deux mois ayant également concerné toute la durée des relations commerciales des parties. Ce d'autant que ces sommes correspondent, selon la pièce 48 précitée, à une part non significative (2 759, 93 euros en janvier puis 9 951, 18 euros en février pour un solde de 328 152, 33 euros).

Enfin, alors qu'elle ne justifie d'aucune réclamation pour impayés ou retard de paiement que les points 175, 215-216 de ses conclusions ne suffisent pas à établir- elle a perçu des commissions jusqu'en juillet 2015 (pièces intimées 12, 31, 32 et 39, cette dernière également produite par Sunberg en première instance) et soutient elle-même, pour justifier la prolongation sollicitée du préavis, qu'elle a poursuivi son activité à compter d'octobre 2014 pour les collections automne/hiver 2015 et à compter du 3 décembre 2016 pour la saison printemps/été 2016 (conclusions point 176 in fine). Quant à l'affirmation de l'absence de paiements de cette poursuite d'activité Sunberg n'explique pas en quoi sa pièce 50, produite pour en justifier, est de nature à l’établir (conclusions point 175) alors que CGSAL conteste que cette activité se soit poursuivie à sa demande au-delà de mai 2015.

En conséquence, le jugement entrepris doit être infirmé, dans les termes du dispositif de l'arrêt, en ce qu'il a dit brutale la rupture de la relation commerciale en litige et fixé à 20 mois le préavis requis et il doit être confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de Sunberg en doublement du préavis requis et en paiement d'une indemnité de rupture brutale.

4 - Sur la demande indemnitaire pour "résiliation vexatoire et abusive contraire au principe de bonne foi (article 1134 ancien du Code civil)" (conclusions § 3.4 points 224-231)

Sunberg forme, "en tout état de cause", une demande en paiement de "la somme de 150 000 euros de dommages-intérêts en raison du préjudice résultant des circonstances abusives et vexatoires de la résiliation".

Elle argumente cette demande au titre des "circonstances abusive et vexatoire" au visa de l'article 1134 devenu 1104 du Code civil relatif à l'exigence de bonne foi contractuelle, soutenant que CGSAL aurait eu pour seul but de "s'approprier au plus vite les relations commerciales qui avaient été développées par [elle] pendant 28 ans et économiser ainsi la commission qui [lui] était jusqu'alors versée", "la résiliation du contrat [ayant été] rapide et soudaine pour [elle]".

Elle indique au point 56 de ses conclusions que sa demande fondée sur la responsabilité contractuelle concerne la réparation du préjudice causé par "la résiliation illégitime du contrat d'agent commercial" tandis que celle fondée sur la responsabilité délictuelle concerne le préjudice résultant de "la rupture brutale et vexatoire de la relation commerciale établie".

En cet état, le contrat d'agent commercial n'étant pas établi, cette demande est sans objet.

5 - Sur les demandes accessoires

Vu les articles 696 et 700 du Code de procédure civile, Sunberg dont le recours échoue doit supporter la charge des dépens et l'équité commande de la condamner à payer aux intimées l'indemnité de procédure ci-dessous.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris en ce que : - il met la société Carrefour Marchandises Internationales hors de cause, - il déboute la société Sunberg de sa demande de doublement du préavis et d'indemnisation de la brutalité de la rupture, - il déboute la société Sunberg de ses demandes au titre de sa qualité d'agent commercial et de ses demandes en paiement ; Infirme le jugement entrepris des autres chefs relatifs à la brutalité de la rupture et à son indemnisation ; statuant à nouveau et y ajoutant, Dit que le préavis de 17 mois, accordé à la société Sunberg du 4 décembre 2013 au mois de mai 2015 après 28 ans de relation commerciale établie est conforme aux exigences de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce ; Rejette la demande de la société Sunberg en paiement de "la somme de 150 000 euros de dommages et intérêts en raison du préjudice résultant des circonstances abusives et vexatoires de la résiliation" ; Condamne la société Sunberg aux dépens d'appel distraits conformément à l'article 699 du Code de procédure civile ; Condamne la société Sunberg à payer à la société Carrefour Marchandises Internationales et à la société Carrefour Global Sourcing Asia Limited une indemnité de procédure globale de 15 000 euros et rejette toute autre demande.