CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 1 juillet 2020, n° 18-09368
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bios Développement (SAS)
Défendeur :
Agroland (SASU)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dallery
Conseillers :
Mme Bodard-Hermant, M. Gilles
Avocat :
Aarpi Spark Avocats
FAITS ET PROCÉDURE
La société Agroland, négociant et courtier, fournissait à la société Bios Développement depuis plusieurs années divers produits destinés aux engrais dont cette société fait commerce.
Par acte extrajudiciaire du 5 juillet 2017, la société Agroland a assigné la société Bios Développement en dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales établies, sur le fondement des dispositions de l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce.
C'est dans ces conditions que le tribunal de commerce de Marseille par jugement du 04 avril 2018 a :
- dit que la société Bios Développement a rompu brutalement les relations commerciales avec la société Agroland,
- condamné la société Bios Développement à payer à la société Agroland 48 976 euros à titre de dommages-intérêts,
- condamné la société Bios Développement à payer à la société Agroland 1 500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- condamné la société Bios Développement aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire.
- rejeté le surplus des prétentions.
Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 10 mai 2019, la société Bios Développement, appelante, demande à la Cour de :
vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce,
- réformer le jugement entrepris,
- dire qu'elle n'a commis aucune faute et que la société Agroland est seule responsable du préjudice qu'elle prétend avoir subi,
- dire que nul préjudice n'est imputable à une faute qu'elle aurait commise,
- débouter la société Agroland de sa demande,
- condamner celle-ci à lui payer 4 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.
Par dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 7 août 2019, la société Agroland demande à la Cour de :
à titre principal :
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il a limité à 8 mois, au lieu de 10 mois, la durée du préavis qui aurait dû être respecté, et en ce qu'il a limité à 49 876 euros le montant alloué des dommages-intérêts,
- condamner la société Bios developpement à lui payer 61 221,60 euros de dommages-intérêts,
à titre subsidiaire :
- réformer le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Bios Développement « au paiement de la somme de 48 976 euros en lieu et place d'un préjudice effectivement subi par la [concluante] d'un montant de 46 955 euros, condamner en conséquence [la société concluante] à restituer à la société Bios Developpement la somme de 2 021 euros »,
- condamner la société Bios Developpement à lui payer 10 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, dépens en sus.
Les parties ont donné leur accord à la procédure sans audience qui leur a été proposée.
SUR CE, LA COUR
A l'appui de son appel, la société Bios Développement soutient qu'elle n'a commis aucune faute à l'origine de la rupture des relations commerciales.
Elle affirme, au contraire, que la rupture est imputable à la déloyauté de la société Agroland qui aurait causé le différend, ce dès que M. P., son collaborateur pendant plus de dix années, l'a quittée et est devenu le gérant de la société Ty Chaouah, cessionnaire de la totalité du capital social de la société Agroland.
Elle reproche à M. P. d'avoir décidé de modifications tarifaires inacceptables, ce qui l'a conduite, après échec d'une tentative d'accord de sa part sur un nouveau contrat avec des prix acceptables, à mettre fin aux relations commerciales, avec un préavis de 10 mois, par lettre du 14 juin 2017.
Toutefois, ainsi que le tribunal de commerce l'a exactement relevé, les relations commerciales, faute de commandes, ont totalement pris fin, en réalité, dès le mois de février 2017, sans avertissement ni préavis, si bien que la rupture était déjà acquise depuis plusieurs mois lorsqu'en juin 2017, la société Bios Développement a entendu proposer par lettre un maintien de la relation commerciale jusqu'au 15 avril 2018, avec achats de certains produits seulement.
Dans ces conditions, la société Agroland ne saurait être fautive de n'avoir pas donné suite à cette offre manifestement tardive.
En outre, il n'est pas établi que l'attitude de la société Agroland relative à la négociation sur les prix à compter de février 2017 ait justifié la cessation brutale des commandes.
En effet, si la société Bios Développement, après l'arrêt des commandes et par courriel du 14 mars 2017, a indiqué pouvoir s'approvisionner ailleurs, à de meilleurs prix, elle ne justifie pas pour autant ni avoir négocié avec son partenaire commercial avant de lui annoncer la rupture, ni s'être heurtée à des modifications tarifaires inacceptables, ni avoir eu à se soustraire à de nouvelles règles commerciales qui lui auraient été imposées.
C'est encore par de justes motifs, qui ne sont pas utilement combattus et que la Cour adopte, que le tribunal de commerce a fixé à 8 mois la durée du préavis qui aurait dû être respecté en l'espèce, compte tenu notamment de la durée de 8 années environ des relations commerciales établies.
La société Agroland, en particulier, ne démontre pas, au-delà de la part de chiffre d'affaires de l'ordre de 20% réalisées avec la société Bios Développement depuis plusieurs années, qu'elle aurait éprouvé des difficultés particulières inhérentes à la relation commerciale, pour réorienter son activité, ni même pour écouler les produits habituellement livrés à ce client et dont celui-ci n'a plus voulu être livré, le gypse en particulier.
Il n'est donc pas soutenu valablement par la société Agroland que le préavis aurait dû être de 10 mois au lieu de 8 mois.
A hauteur d'appel, la société Agroland produit une attestation de son expert-comptable, nullement combattue, qui démontre que cette société a réalisé une marge moyenne annuelle de 70 432 euros avec la société Bios Développement, sur les trois exercices ayant précédé la rupture.
La marge mensuelle perdue du fait de la rupture brutale s'évalue donc à 5 869,33 euros.
La Cour peut donc évaluer le préjudice découlant de la rupture à la somme arrondie de 46 955 euros [5 869,33 x 8 = 46 954,64], ainsi que le demande à titre subsidiaire la société Agroland.
L'arrêt sera donc réformé sur le seul montant de cette condamnation et sera confirmé pour le surplus.
Le présent arrêt constitue un titre de restitution des fonds versés en application des dispositions infirmées du jugement assorti de l'exécution provisoire, assortis des intérêts au taux légal à compter de sa signification.
La société Agroland, qui succombe en appel, versera au titre de l'article 700 du Code de procédure civile une somme complémentaire dont le montant sera précisé au dispositif du présent arrêt.
Par ces motifs : LA COUR, Réforme le jugement entrepris, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Agroland à payer à la société Bios Développement une somme de 48 976 euros à titre de dommages-intérêts, Statuant de nouveau sur ce chef, Condamne la société Agroland à payer à la société Bios développement une somme de 46 955 euros à titre de dommages-intérêts, Rappelle que le présent arrêt constitue un titre de restitution des fonds versés en application des dispositions infirmées du jugement assorti de l'exécution provisoire, assortis des intérêts au taux légal à compter de sa signification, Pour le surplus, Confirme le jugement entrepris, Condamne la société Agroland à payer à la société Bios Développement une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en appel, Condamne la société Agroland aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.