Cass. com., 7 juillet 2020, n° 18-25.302
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Société Nouvelle Laiterie de la Montagne (SAS), Société Laitière des Volcans d'Auvergne (Sté)
Défendeur :
Amblard S et JP (GAEC)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Mouillard
Rapporteur :
Mme Sudre
Avocat général :
M. Douvreleur
Avocats :
SARL Corlay, SCP Matuchansky, Poupot et Valdelièvre
Faits et procédure
1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 13 juin 2018), le Gaec Amblard S et JP (le Gaec), venant aux droits de l'Earl Amblard S et JP, a, de mai 2007 au 31 décembre 2011 et sans qu'aucun contrat n'ait été formalisé, vendu sa production laitière à la Société laitière des Monts d'Auvergne (la SLMA), aux droits de laquelle est venue la Société laitière des volcans d'Auvergne (la SLVA).
2. Le 2 mai 2011, la SLMA a proposé au Gaec, pour se conformer au décret n° 2010-1753 du 30 décembre 2010, de conclure un contrat écrit d'achat de lait, d'une durée de cinq ans, incluant une clause de substitution au profit soit de la SLVA soit de la Société nouvelle laiterie de la montagne (la SNLM), filiales, comme elle, du groupe Dischamp, en précisant, qu'à défaut de signature, la relation se poursuivrait dans les conditions actuelles, pour une durée indéterminée, à charge, pour chaque partie souhaitant y mettre fin, de respecter un préavis raisonnable.
3. Le Gaec ayant refusé de signer ce contrat, la SNLM l'a informé, le 19 décembre 2011, qu'elle serait son acheteur à compter du 1er janvier 2012 tandis que la SLVA continuerait de collecter le lait.
4. Le 20 mars 2012, le Gaec a notifié à la SNLM et à la SLVA la cessation de ses livraisons de lait à compter du 1er avril 2012. Celles-ci l’ont assigné en paiement de dommages-intérêts pour rupture brutale d'une relation commerciale établie.
Examen du moyen unique
Sur le moyen, pris en ses troisième, quatrième, cinquième et sixième branches, ci-après annexées
5. En application de l'article 1014, alinéa 2, du Code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais, sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
6. La SNLM et la SLVA font grief à l’arrêt de confirmer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a dit que la rupture de la relation commerciale avec un préavis de neuf jours était brutale, de dire que la SNLM ne justifie pas d’une relation commerciale établie au sens de l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce et de rejeter toutes leurs demandes alors « que la relation commerciale est considérée comme établie lorsqu’il y a eu reprise sans modification de relations initialement nouées avec une autre société avec l’accord, exprès ou implicite du cocontractant ; qu’un tel accord s’évince de la seule poursuite des relations au-delà du terme contractuel dès lors que le cocontractant a été dûment informé de la reprise de la relation contractuelle par un tiers ; qu’en l’espèce il est constant que le Gaec, producteur de lait, a été informé dès le mois de mai 2011 de la reprise du contrat par une autre société du Groupe Dischamp en raison d’une réorganisation de ce groupe ; que le Gaec n’a émis aucune protestation et qu’il a continué à fournir le lait même après le 31 décembre 2011, s’estimant lui-même lié par le nouveau contrat puisqu’il a émis un préavis de rupture le 20 mars 2012, reçu le 22 et à effet au 1er avril 2012 ; qu’en considérant néanmoins que ce nouveau contrat n’était pas la continuité de la relation contractuelle établie initialement, la cour d’appel a violé l’article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce. »
Réponse de la cour
Vu l'article L. 442-6, I, 5° du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 :
7. Aux termes de ce texte, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers (...) de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Ce texte a vocation à s'appliquer à toute relation commerciale établie entre les entités économiques qu'il cite, y compris lorsqu'elle a lié plusieurs personnes successivement, dès lors qu'il est établi que, dans l'esprit des partenaires, c'est la relation initialement nouée avec l'une qui s'est poursuivie avec l'autre.
8. Pour écarter les prétentions de la SNLM, qui soutenait que la relation commerciale qu'elle entretenait avec le Gaec lors de la rupture était établie, au moins depuis 2007, avec la SLMA, à laquelle elle avait succédé à la suite de la restructuration du groupe Dischamp, et retenir que la relation rompue avait commencé le 1er janvier 2012, l'arrêt retient que la cession à la SNLM du contrat de lait conclu entre la SLMA et le Gaec, à la supposer établie, aucun contrat n'étant produit aux débats, n'a pas de plein droit substitué la SNLM à la SLMA dans les relations contractuelles et commerciales que cette dernière entretenait avec le Gaec, que le fait que le Gaec n'ait pas manifesté son opposition à réception du courrier l'informant d'une future cession au 31 décembre 2011 ni lors de sa confirmation le 19 décembre 2011 dans ces termes : " Pour vous, à cette date, votre acheteur aujourd'hui SLMA devient : La Laiterie de la Montagne, filiale du Groupe Dischamp ", et qu'il ait poursuivi la fourniture de son lait à la SLMA jusqu'au 31 décembre 2011, puis à la SNLM à compter du 1er janvier 2012, ne permettent pas de considérer qu'il ait eu l'intention de poursuivre avec la SNLM la relation commerciale initialement nouée avec la SLMA et ce d'autant qu'il a refusé de signer une proposition de contrat comportant une clause de substitution aux termes de laquelle le contrat serait ultérieurement transféré.
9. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à exclure que le Gaec ait entendu poursuivre avec la SNLM la relation initialement nouée avec la SLMA dès lors qu'elle avait relevé que les relations précédemment entretenues avec cette dernière au titre de l'achat de lait s'étaient, à la suite de la réorganisation du groupe Dischamp, poursuivies avec la SNLM après le 1er janvier 2012, sans interruption ni modification et sans soulever aucune discussion à cet égard de la part du Gaec, informé sept mois auparavant de cette substitution, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le dernier grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 juin 2018, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;
Remet l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.