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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 10 juillet 2020, n° 20-01383

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

CC2 (SAS)

Défendeur :

Elixis Digital (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseillers :

M. Vasseur, Mme Aldebert

Avocat :

AARPI Perspectives

Prés. TC Paris, du 23 déc. 2019

23 décembre 2019

La société Elixis Digital est un acteur du marketing digital qui édite et assure la gestion de nombreux sites internet. Elle édite, notamment, le site web « Le Coin des Testeurs » qui propose aux internautes de tester gratuitement des produits en contrepartie de quoi ils doivent renseigner certaines de leurs données à caractère personnel, ce site permettant ainsi à la société Elixis Digital de constituer une base de données de contacts emails.

M. C. qui avait été embauché le 5 février 2010 par la société Elixis Digital en qualité de directeur technique, a quitté celle-ci dans le cadre d'une rupture conventionnelle qui a pris effet le 31 août 2017.

Le 20 octobre 2017, M. C. a constitué la société CC2 qui a pour activité le conseil en systèmes et logiciels informatiques. La société CC2 est associée minoritaire d'une société de droit espagnol, la société Metropoleads, spécialisée dans le marketing digital. Celle-ci, constituée en juin 2018, et ayant pour dirigeant M. C., est éditrice du site web « France Testeurs » dont l'activité est identique à celle du site « Le coin des testeurs ».

La société Elixis Digital a suspecté M. C. et les sociétés CC2 et Metropoleads d'avoir détourné les outils informatiques qu'elle a créés, développés et exploités ainsi que sa clientèle, utilisé ses bases de données et de se livrer ainsi à des actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique.

Par ordonnance sur requête du 1er août 2019, la société Elixis Digital a obtenu du président du tribunal de commerce de Paris, sur le fondement, notamment, des articles 145 et 493 du Code de procédure civile, la désignation de la SCP Carole D. et Olivier F. en qualité de mandataire de justice, en vue de procéder à une opération de saisie dans les locaux de la société CC2.

La mesure d'instruction a été effectuée le 11 septembre 2019.

Par acte du 11 octobre 2019, M. C. et la société CC2 ont fait assigner en référé la société Elixis Digital devant le président du tribunal de commerce de Paris aux fins de rétractation de cette ordonnance, annulation des actes d'exécution subséquents, destruction de tous les éléments séquestrés et restitution de tous les documents originaux saisis.

Par ordonnance du 23 décembre 2019, ce magistrat a :

- débouté M. C. et la SAS CC2 de leur demande de rétractation,

- renvoyé les parties à l'audience du 14 janvier 2020 pour fixation du calendrier de levée du séquestre,

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné en outre M. C. et la SAS CC2 aux dépens de l'instance.

Par déclaration du 13 janvier 2020, M. C. et la société CC2 ont interjeté appel de cette ordonnance en ses dispositions ayant rejeté leur demande aux fins de rétractation et les ayant condamnés aux dépens.

Par conclusions remises le 2 mars 2020, M. C. et la société CC2 demandent à la cour de :

- infirmer l'ordonnance de référé du 23 décembre 2019 et, statuant à nouveau :

- rétracter l'ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Paris en date du 1er août 2019 en toutes ses dispositions,

- annuler le procès-verbal de constat établi par la SCP Carole D. et Olivier F. ainsi que le rapport technique établi à l'occasion des opérations de constat en exécution de l'ordonnance rétractée,

- ordonner à la SCP Carole D. et Olivier F. de restituer l'ensemble des éléments saisis et de procéder à leur destruction,

- ordonner à la société Elixis Digital de restituer l'ensemble des éléments saisis qui lui ont été communiqués par la SCP Carole D. et Olivier F. et de procéder à leur destruction,

- condamner la société Elixis Digital à payer à M. C. la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Elixis Digital à payer à la société CC2 la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Elixis Digital aux entiers dépens de l'instance.

Par conclusions remises le 2 avril 2020, la société Elixis Digital demande à la cour de :

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a débouté M. C. et la société CC2 de leur demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 1er août 2019 ainsi que de l'ensemble de leurs prétentions subséquentes,

- déclarer la société Elixis Digital recevable et bien fondée en son appel incident,

- infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- statuant à nouveau, condamner solidairement M. C. et la société CC2 à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais exposés en première instance,

- dire qu'il serait particulièrement inéquitable de laisser à sa charge les frais irrépétibles qu'elle a été contrainte d'exposer pour assurer sa défense et faire valoir ses droits en cause d'appel,

- condamner solidairement M. C. et la société CC2 à lui payer une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner solidairement M. Christophe C. et la société CC2 aux entiers dépens.

La clôture de la procédure a été prononcée le 28 mai 2020.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux écritures déposées et développées à l'audience.

SUR CE, LA COUR

Sur la rétractation de l'ordonnance sur requête du 1er août 2019

Aux termes de l'article 145 du Code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L'article 493 prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Il résulte des articles 497 et 561 du Code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel la contradiction est rétablie.

Cette voie de contestation n'étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit statuer en tenant compte de tous les faits s'y rapportant, ceux qui existaient au jour de la requête mais aussi ceux intervenus postérieurement à celle-ci. Il doit ainsi apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

Il doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe de la contradiction. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.

Sur le motif légitime

L'application des dispositions de l'article 145 du Code de procédure civile suppose que soit constaté qu'il existe un procès en germe possible et non manifestement voué à l'échec au regard des moyens soulevés, sur la base d'un fondement juridique suffisamment déterminé, sans qu'il revienne au juge des référés de se prononcer sur le fond.

Selon les énonciations de la requête, la société Elixis Digital indique, pour justifier le motif légitime, qu'elle suspecte M. C. d'avoir copié ses outils informatiques pour créer ses propres développements informatiques nécessaires au fonctionnement du site 'France Testeurs' qui présente de nombreuses similitudes avec son site 'Le coin des testeurs', d'avoir ainsi créer l'application de web push notifications « Onenotif », similaire à son application de web push notifications « Devati », en ayant, de ce fait, bénéficié de son savoir-faire et de ses investissements et d'avoir détourné sa clientèle et utilisé ses bases de données d'emails Opt-in, pratiques susceptibles de constituer des actes de concurrence déloyale et de parasitisme économique.

Au regard des pièces produites et, notamment, du procès-verbal de constat que l'intimée a fait réaliser le 15 avril 2019, il apparaît que les deux sites litigieux comportent des similitudes en ce qui concerne leur nom, leurs conditions générales d'utilisation, leur contenu, leur aspect visuel, le système d'affichage utilisé, la gestion des offres commerciales et ce, même si certains des éléments textuels y figurant ne présentent pas d'originalité et si la reprise d'un élément graphique (barre de progression) apparaît être issue d'une plateforme internet 'open source' ainsi que le font observer les appelants.

Ce procès-verbal a également mis en évidence des similitudes entre les applications « Devati » créée par l'intimée et « Onenotif » créée par les appelants et leur Code source et ce, sans qu'il soit démontré par ces derniers que l'ensemble des éléments de Codes relevés sont issus d'une plateforme libre de droits.

En outre, il apparaît à la lecture des copies d'écran du site « France testeurs », du procès-verbal de constat précité et de la liste des offres commerciales présentes sur ce site le 25 mai 2019, que certains sponsors de l'opération de collecte et des partenaires présents sur ledit site sont également clients de la société intimée et que les offres commerciales proviennent de clients et/ou partenaires de la société Elixis Digital, ce que ne contestent d'ailleurs pas M. C. et la société CC2, tout en affirmant que tout éditeur de site internet, vendeur d'espaces publicitaires, est susceptible de travailler avec ces partenaires qui sont des régies publicitaires.

Enfin, pour justifier ses soupçons portant sur l'utilisation de ses bases de données d'émails qu'elle collecte depuis sa création, la société Elixis Digital se fonde sur l'envoi d'émailing sur les serveurs des sociétés dirigées par M. C..

Les critiques des appelants quant à la valeur probante des pièces versées aux débats par l'intimée sont inopérantes dès lors que celles-ci ne sont pas produites pour justifier des demandes dans le cadre d'une procédure au fond mais seulement pour étayer la pertinence des motifs allégués pour demander une mesure d'instruction par voie de requête.

Les similitudes précédemment évoquées des deux sites internet, des applications « Devati » et « Onenotif », des clients des sociétés Metropoleads SL et Elixis Digital, ainsi que le départ de M. C. de cette dernière société moins de deux ans avant la découverte des faits dénoncés, alors qu'il était tenu par son contrat de travail à une obligation de loyauté envers son ancien employeur et qu'il ne s'explique ni ne justifie la réalisation en quelques mois des outils informatiques nécessaires au fonctionnement du site « France Testeurs », permettent de caractériser l'existence d'un procès en germe possible en concurrence déloyale et parasitisme. Il ne ressort d'ailleurs pas des conclusions des appelants ni des pièces qu'ils produisent qu'une action au fond de la société Elixis Digital à leur encontre serait manifestement vouée à l'échec, étant rappelé qu'il n'appartient pas au juge des référés d'apprécier le bien fondé de la demande qui sera éventuellement soumise au juge du fond.

En conséquence, la société Elixis Digital établit un motif légitime justifiant la mesure d'instruction sollicitée.

Sur la dérogation au principe de la contradiction

L'éviction du principe de la contradiction, principe directeur du procès, nécessite que la requérante justifie de manière concrète, les motifs pour lesquels, dans le cas d'espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise.

Dans la requête, la société Elixis Digital a justifié la nécessité de déroger au principe de la contradiction en faisant état du risque de destruction ou de dissimulation des preuves informatiques si les sociétés CC2, Metropoleads SL et M. C. étaient informés à l'avance de sa demande.

En l'espèce, il existait un risque évident de déperdition des preuves inhérent à la nature même des pièces, données informatiques par essence furtives qui pouvaient aisément être supprimées ou altérées alors qu'elles étaient nécessaires pour établir l'existence des agissements déloyaux suspectés de l'ancien salarié de la société requérante et l'étendue du préjudice subi. Il est relevé en outre que le site internet litigieux dont le nom a été enregistré par une société française, la société CC2, est édité par une société de droit espagnol, que ces sociétés ont le même dirigeant, M. C., et qu'il existe, du fait de cet élément d'extranéité, un risque accru de modification ou suppression des éléments recherchés.

Ainsi, au regard des agissements des appelants suspectés par la société intimée de se livrer à des actes de parasitisme et de concurrence déloyale, il apparaissait justifié, dans un souci de plus grande efficacité de la mesure d'instruction, de procéder de manière non contradictoire.

Sur la proportionnalité de la mesure ordonnée

Les appelants soutiennent que la mesure ordonnée n'est pas suffisamment circonscrite au regard des termes généraux employés dans l'ordonnance critiquée, ce qui a d'ailleurs été reconnu par l'huissier ayant mené les opérations de constat.

Cependant, il ressort des termes de l'ordonnance que la mesure d'instruction a été circonscrite dans le temps et dans l'objet des recherches par l'indication des personnes concernées par celle-ci, des sites, outils informatiques, bases de données d'emails en lien avec les faits dénoncés et des mots clés. Il convient encore de rappeler qu'une mesure de séquestre des éléments recueillis a été prévue afin de préserver, le cas échéant, le secret des affaires et que l'huissier s'y est conformé. Il y a en outre lieu de relever que ce dernier s'est strictement limité à l'exécution de la mission déterminée par les éléments précités, excluant ainsi toute recherche générale.

En conséquence, la mesure ordonnée, utile et proportionnée à la solution du litige, ne porte pas une atteinte illégitime aux droits des appelants dont il sera relevé que selon les écritures non contestées de la société Elixis Digital sur ce point, ces derniers ont donné leur accord, lors de l'audience du 27 janvier 2020, devant le président du tribunal de commerce de Paris, pour que les pièces conservées sous séquestre de l'huissier en exécution de la mesure critiquée, soient remises à la société intimée.

Dans ces conditions, l'ordonnance entreprise sera confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 1er août 2019 formée par la société CC2 et M. C..

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sort des dépens de première instance et l'appréciation des conditions d'application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile lors de celle-ci ont été exactement réglés par le premier juge.

M. C. et la société CC2 qui succombent en leurs prétentions, supporteront in solidum les dépens d'appel et seront condamnés, dans les mêmes conditions, à payer à la société Elixis Digital la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles qu'elle a exposés en cause d'appel.

Par ces motifs : Confirme l'ordonnance entreprise ; Condamne in solidum M. C. et la société CC2 aux dépens d'appel et à payer à la société Elixis Digital la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.