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Décisions

CA Paris, Pôle 1 ch. 8, 10 juillet 2020, n° 20-00398

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Atlantide Logistics France (Sté)

Défendeur :

Alainé Overseas (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lagemi

Conseillers :

M. Vasseur, Mme Aldebert

T. com. Melun, du 11 déc. 2019

11 décembre 2019

La société Isys Logistique exerce l'activité d'assistance en transport international par voie aérienne, maritime et routière des marchandises ainsi que celle de commissionnaire de transport.

Le groupe Alaine est spécialisé dans les prestations d'externalisation de la chaîne transport logistique. La société Alaine Overseas est une filiale du groupe.

Suivant protocole en date du 8 juillet 2014, M. H., en sa qualité de gérant et de principal associé, s'est engagé à céder à la société Alaine Overseas l'intégralité des titres de la société Isys Logistique pour un prix de cession de 700 000 euros.

Le 5 octobre 2017, Mme Delphine H., une des cédantes des titres de la société Isys Logistique et fille de M. H., a constitué la société Atlantide Logistics France dont les activités sont celles de commissionnaire de transport, d'assistance à l'organisation du transport national ou international par voie aérienne, maritime ou routière des marchandises.

Suspectant des actes de concurrence déloyale et de parasitisme commis à son détriment par la société Atlantide Logistics France, la société Alainé Overseas a obtenu par ordonnance sur requête du 26 juillet 2019 du président du tribunal de commerce de Melun, sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, la désignation de la SCP S., huissier de justice, en vue de procéder à une opération de saisie dans les locaux de la société Atlantide Logistics France et, en tout autre établissement identifié.

La mesure d'instruction a été effectuée le 4 octobre 2019.

Par acte du 15 octobre 2019, la société Atlantide Logistics France a fait assigner en référé la société Alainé Overseas devant le président du tribunal de commerce de Melun afin d'obtenir la rétractation de l'ordonnance sur requête du 26 juillet 2019.

Par ordonnance du 11 décembre 2019, ce magistrat a :

- au principal, renvoyé les parties à mieux se pourvoir,

- confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance du 26 juillet 2019 ayant autorisé la SCP S. et Associés à se rendre au siège de la SAS Atlantide Logistics France et se faire remettre :

« - tous les documents administratifs, comptables et commerciaux relatifs à la réalisation et la facturation de prestations directement concurrentes auprès de la clientèle de la société Isys Logistique, notamment, chez les clients en provenance du Réseau Ufo Freight, et plus particulièrement le client Port Express, au titre des activités décrites dans l 'engagement de non-concurrence liant les parties,

- les bons de commande et factures clients et fournisseurs et plus particulièrement le grand livre et le chiffre d'affaires réalisé avec les clients définis ci-dessus,

- tous documents émanant de la SAS Atlantide Logistics France susceptibles de concerner les faits de concurrence déloyale, de détournement de clientèle et de dénigrement des sociétés Isys Logistique et Alaine Overseas »,

- dit n'y avoir lieu à indemnisation sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- laissé les dépens à la charge de la société Atlantide Logistics France.

Par déclaration du 20 décembre 2019, la société Atlantide Logistics France a interjeté appel de chacune des dispositions de cette ordonnance.

Par conclusions remises le 17 février 2020, la société Atlantide Logistics France demande à la cour de :

- infirmer l'ordonnance entreprise,

- statuant à nouveau, rétracter l'ordonnance rendue sur requête le 26 juillet 2019 en toutes ses dispositions,

- dire nuls et de nul effet tous les actes accomplis en exécution de l'ordonnance rétractée,

- ordonner sans délai la restitution par la SCP S., huissiers de justice, des éléments saisis le 4 octobre 2019,

- condamner la société Alainé Overseas à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par conclusions remises le 14 mars 2020, la société Alainé Overseas demande à la cour de :

- déclarer la société Atlantide Logistics France irrecevable et mal fondée en toutes ses demandes, et l'en débouter,

- confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance rendue sur requête le 26 juillet 2019,

- condamner la société Atlantide Logistics France à lui payer la somme de 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée le 28 mai 2020.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu'aux écritures déposées et développées à l'audience.

SUR CE, LA COUR

Sur la rétractation de l'ordonnance sur requête du 26 juillet 2019

Aux termes de l'article 145 du Code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.

L'article 493 prévoit que l'ordonnance sur requête est une décision provisoire rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler la partie adverse.

Il résulte des articles 497 et 561 du Code de procédure civile que la cour d'appel, saisie de l'appel d'une ordonnance de référé statuant sur une demande en rétractation d'une ordonnance sur requête rendue sur le fondement de l'article 145 du Code de procédure civile, est investie des attributions du juge qui l'a rendue devant lequel la contradiction est rétablie.

Cette voie de contestation n'étant que le prolongement de la procédure antérieure, le juge doit statuer en tenant compte de tous les faits s'y rapportant, ceux qui existaient au jour de la requête mais aussi ceux intervenus postérieurement à celle-ci. Il doit ainsi apprécier l'existence du motif légitime au jour du dépôt de la requête initiale, à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui.

Le juge doit également rechercher si la mesure sollicitée exigeait une dérogation au principe de la contradiction. Les circonstances justifiant cette dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance qui y fait droit.

Au soutien de sa requête présentée au président du tribunal de commerce de Melun, la société Alaine Overseas expose qu'elle soupçonne la société Atlantide Logistics France, constituée par une des anciennes associées de la société Isys Logistique dont elle a acquis les titres, de se livrer à du démarchage et détournement de la clientèle cédée, constitutifs, selon elle, d'actes de parasitisme et de concurrence déloyale. Elle indique que ces agissements lui occasionnent un préjudice considérable résultant d'un effondrement de son chiffre d'affaires et d'une désorganisation tant en interne qu'au sein de sa clientèle. Elle justifie la mesure d'instruction sollicitée par la nécessité « de connaître l'étendue du préjudice causé par un concurrent qui démarche désormais de façon déloyale la clientèle et s'est substituée à (elle) au sein du réseau Ufo Freight ».

Il apparaît à la lecture de la requête que celle-ci est totalement muette sur les circonstances susceptibles de justifier qu'il soit procédé non contradictoirement, cet acte ne faisant d'ailleurs pas même mention de la dérogation au principe de la contradiction nécessairement recherchée par la voie procédurale choisie.

L'éviction de ce principe directeur du procès nécessite que le requérant justifie de manière concrète, les motifs pour lesquels, dans le cas d'espèce, il est impossible de procéder autrement que par surprise.

Or, l'absence de motivation de ce chef dans la requête et dans l'ordonnance qui se contente de mentionner, dans une formule très générale 'après examen des pièces versées à l'appui de la requête, il convient de constater que la requérante justifie de l'existence d'un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige ainsi que de circonstances justifiant l'absence de débat contradictoire' sans se prononcer sur lesdites circonstances, au demeurant, non explicitées dans la requête, ne permet pas de satisfaire aux exigences posées par l'article 493 du Code de procédure civile.

Ainsi, le défaut de justification de la dérogation au principe de la contradiction doit conduire à la rétractation de l'ordonnance sur requête du 26 juillet 2019.

En conséquence, il y a lieu d'infirmer l'ordonnance entreprise et il sera fait droit à la demande de restitution à l'appelante des éléments saisis conservés par la SCP S., huissier de justice, qui a exécuté la mesure d'instruction qu'il convient d'annuler.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Succombant en ses prétentions, la société Alaine Overseas supportera les dépens de première instance et d'appel et ne peut prétendre à une indemnité au titre des frais irrépétibles.

Il y a lieu, en revanche, d'allouer à l'appelante contrainte d'exposer de tels frais, la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs :  Infirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau, Rétracte l'ordonnance sur requête rendue par le président du tribunal de commerce de Melun le 26 juillet 2019 ; Annule la mesure d'instruction subséquente exécutée le 4 octobre 2019 par la SCP S., huissier de justice, en vertu de cette ordonnance, Ordonne la restitution par la SCP S., huissier de justice, à la société Atlantide Logistics France des éléments saisis le 4 octobre 2019 ; Condamne la société Alaine Overseas aux dépens de première instance et d'appel et à payer à la société Atlantide Logistics France la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.