CJUE, 7e ch., 21 juillet 2020, n° C-436/19 P
COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE
Ordonnance de référé
PARTIES
Demandeur :
Abaco Energy (SA)
Défendeur :
Commission européenne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président de chambre :
M. Xuereb
Juges :
MM. von Danwitz , Kumin (rapporteur)
Avocat général :
M. Pitruzzella
Avocat :
Me Holtrop
LA COUR (septième chambre),
1 Par leur pourvoi, Abaco Energy SA et les 1 322 autres requérants, dont les noms figurent à l’annexe de la présente ordonnance, demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 25 mars 2019, Abaco Energy e.a./Commission (T 186/18, non publiée, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2019:206), par laquelle celui-ci a rejeté, en partie en raison de l’incompétence manifeste du Tribunal pour en connaître et en partie comme étant irrecevable, leur recours tendant à l’annulation de la décision C(2017) 7384 final de la Commission, du 10 novembre 2017, relative à l’aide d’État SA.40348 (2015/NN) concernant le soutien à la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables et de déchets ainsi que par cogénération (JO 2017, C 442, p. 1, ci-après la « décision litigieuse »), mise à exécution par le Royaume d’Espagne.
Les antécédents du litige
2 Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal, aux points 1 à 12 de l’ordonnance attaquée et, pour les besoins de la présente procédure, peuvent être résumés comme suit.
3 Les requérants possèdent et exploitent en Espagne des installations qui produisent de l’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables. À ce titre, ils ont bénéficié d’un régime de soutien notamment régi par le Real Decreto 661/2007 por el que se regula la actividad de producción de energía eléctrica en régimen especial (décret royal 661/2007 portant réglementation de la production d’électricité dans le cadre du régime spécial), du 25 mai 2007 (BOE no 126, du 26 mai 2007, p. 22846). Ce décret a instauré un régime économique de prime destiné à soutenir la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables (ci-après l’« ancien régime »). L’ancien régime n’a pas été notifié à la Commission européenne.
4 Au cours de l’année 2013, les autorités espagnoles ont introduit un régime de rémunération spécifique afin de soutenir la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables (ci-après le « nouveau régime »). Le nouveau régime est fondé notamment sur les textes suivants :
– le Real Decreto-ley 9/2013 por el que se adoptan medidas urgentes para garantizar la estabilidad financiera del sistema eléctrico (décret-loi royal 9/2013 portant adoption de mesures urgentes pour garantir la stabilité financière du système électrique), du 12 juillet 2013 (BOE no 167, du 13 juillet 2013, p. 52106) ;
– la Ley 24/2013 del Sector Eléctrico (loi 24/2013 sur le secteur de l’électricité), du 26 décembre 2013 (BOE no 310, du 27 décembre 2013, p. 105198) ;
– le Real Decreto 413/2014 por el que se regula la actividad de producción de energía eléctrica a partir de fuentes de energía renovables, cogeneración y residuos (décret royal 413/2014 portant réglementation de la production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables, de cogénération et de déchets), du 6 juin 2014 (BOE no 140, du 10 juin 2014, p. 43876), et
– l’Orden IET/1045/2014 por la que se aprueban los parámetros retributivos de las instalaciones tipo aplicables a determinadas instalaciones de producción de energía eléctrica a partir de fuentes de energía renovables, cogeneración y residuos (arrêté IET/1045/2014 portant approbation des paramètres de rémunération des installations standards applicables à certaines centrales de production d’énergie au moyen de sources d’énergie renouvelables, de cogénération et de déchets), du 16 juin 2014 (BOE no 150, du 20 juin 2014, p. 46430).
5 Le nouveau régime est applicable aux nouvelles installations, d’une part, et aux installations qui étaient déjà habilitées à recevoir ou qui recevaient déjà un soutien en application de l’ancien régime (ci-après les « installations existantes »), d’autre part.
6 Le 22 décembre 2014, les autorités espagnoles ont notifié le nouveau régime à la Commission en application de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
7 À la suite d’un examen préliminaire, la Commission a adopté la décision litigieuse.
8 Dans cette décision, la Commission a notamment considéré que le nouveau régime constituait une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE aux motifs que le soutien prévu par ce régime était imputable à l’État, qu’il était financé au moyen de ressources d’État, qu’il accordait un avantage sélectif à ses bénéficiaires et qu’il était susceptible de fausser la concurrence et d’affecter les échanges entre États membres.
9 En outre, la Commission a relevé que le nouveau régime était applicable à partir du 11 juin 2014 et que les autorités espagnoles avaient notifié ce régime d’aides après qu’elles avaient commencé à le mettre en œuvre et avant l’adoption d’une décision par cette institution. La Commission en a déduit que le Royaume d’Espagne avait méconnu l’obligation de suspension prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE et que l’aide accordée jusqu’à l’adoption de la décision litigieuse était illégale.
10 En ce qui concerne la compatibilité du nouveau régime avec le marché intérieur, la Commission a indiqué qu’elle apprécierait cette question sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE en vertu duquel les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, qui n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur. À cet égard, d’une part, la Commission a considéré qu’une aide avait été accordée aux nouvelles installations uniquement après le 1er juillet 2014. D’autre part, elle a estimé que l’acte d’octroi de toute aide aux installations existantes, pour l’intégralité de leur durée de vie, était l’enregistrement officiel, le 9 juillet 2014, des bénéficiaires existants dans le nouveau régime qui se substituait à l’ancien régime, dont les octrois étaient absorbés, et le remplaçait intégralement. Elle en a déduit que la compatibilité de l’aide en cause avec le marché intérieur devait être appréciée au regard des lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014-2020 (JO 2014, C 200, p. 1) dont le point 248 indique que les aides illégales à l’environnement ou à l’énergie seront appréciées sur la base des règles en vigueur à la date à laquelle elles ont été octroyées.
11 La Commission a expliqué qu’elle avait apprécié la compensation reçue, au titre du nouveau régime, par les installations concernées pour l’ensemble de leur durée de vie, y compris les paiements reçus par les installations existantes au titre de l’ancien régime. Sur le fondement de cette appréciation, la Commission a décidé de ne pas soulever d’objection à l’égard de l’aide en cause au motif que cette dernière était compatible avec le marché intérieur conformément à 1’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.
La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée
12 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 14 mars 2018, les requérants ont introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse.
13 Le 2 octobre 2018, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89, paragraphe 3, de son règlement de procédure, le Tribunal a invité les parties à présenter leurs observations sur l’intérêt à agir des requérants à l’encontre de la décision litigieuse. Les parties ont déféré à cette invitation dans les délais impartis.
14 Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a, conformément aux articles 126 et 129 de son règlement de procédure, rejeté le recours en partie en raison de son incompétence manifeste pour en connaître et en partie comme étant irrecevable.
15 Au point 99 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté comme étant irrecevable, pour défaut d’intérêt à agir, le deuxième chef de conclusions formulé par les requérants, tendant à l’annulation de la décision litigieuse, ainsi que, par voie de conséquence, le premier chef de conclusions, par lequel les requérants avaient demandé au Tribunal de déclarer le recours recevable.
16 Pour parvenir à ce rejet, le Tribunal a, aux points 30 à 98 de l’ordonnance attaquée, examiné l’intérêt des requérants à voir annuler la décision litigieuse.
17 À cette fin, tout en relevant que les requérants étaient bénéficiaires de l’ancien régime et que, pour une partie d’entre eux au moins, ils étaient des bénéficiaires du nouveau régime, si bien que la décision litigieuse qui déclarait l’aide compatible avec le marché intérieur ne faisait pas grief, le Tribunal a vérifié, ainsi que l’exige la jurisprudence, si l’appréciation à laquelle s’était livrée la Commission dans cette décision produisait des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts des requérants.
18 Le Tribunal a précisé, au point 47 de l’ordonnance attaquée, qu’il ressortait de la décision litigieuse que, dans le cadre de son appréciation de la compatibilité du nouveau régime avec le marché intérieur, la Commission avait pris en considération les paiements déjà reçus par les requérants en application de l’ancien régime, au motif qu’il s’agissait de revenus perçus précédemment par les installations existantes. À cet égard, le Tribunal a relevé que, au paragraphe 4 de la décision litigieuse, la Commission avait indiqué que les paiements effectués au titre de l’ancien régime étaient couverts par cette décision aux fins d’apprécier la proportionnalité, c’est-à-dire l’absence de surcompensation. En outre, le Tribunal a précisé qu’il ressortait de la partie de la décision litigieuse consacrée à l’appréciation de la proportionnalité des aides accordées aux installations existantes, et en particulier du paragraphe 120 de cette décision, que la Commission avait traité les paiements reçus en application de l’ancien régime comme des « revenus de ventes passées ».
19 Au point 85 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a relevé que, dans leur réponse à la question écrite qu’il leur avait adressée, les requérants avançaient des arguments qui semblaient porter sur le bien-fondé de leur recours et qui étaient liés à la compatibilité du nouveau régime avec le marché intérieur. Le Tribunal a indiqué, à cet égard, que les requérants soulignaient notamment que la décision litigieuse était incompatible avec les principes généraux du droit de l’Union en ce que la Commission avait validé une application rétroactive du nouveau régime.
20 Au point 88 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a indiqué que c’était uniquement en raison de l’absence d’analyse séparée de l’ancien régime dans son ensemble que les requérants avaient mentionné, sans articuler de moyen à cet égard, une violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime par la Commission. Il a, en outre, précisé que, en revanche, aux points 5, 19, 23 et 25 de la requête, les requérants avaient mentionné, sans davantage articuler de moyen, une violation du principe de protection de la confiance légitime par le gouvernement espagnol liée à l’introduction du nouveau régime.
21 Au point 90 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a relevé que, selon l’article 84, paragraphe 1, de son règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance était interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure, ce qui n’avait, d’après le Tribunal, pas été le cas en l’espèce.
22 Au point 91 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a estimé, à cet égard, que, si, en réponse à la question qu’il avait posée, les requérants avaient été libres d’apporter tous les éléments afin de démontrer leur intérêt à agir, ils ne pouvaient, à cette fin, modifier l’objet du litige et faire valoir, pour la première fois au stade de la réponse à cette question, que le nouveau régime était incompatible avec le marché intérieur et qu’il violait le principe de non-rétroactivité.
23 Le Tribunal en a déduit, au point 92 de l’ordonnance attaquée, que les arguments des requérants tirés d’une incompatibilité du nouveau régime avec le marché intérieur et d’une méconnaissance du principe de sécurité juridique au motif que la décision litigieuse avalisait une application rétroactive du nouveau régime n’étaient pas de nature à démontrer leur intérêt à agir.
24 Au point 93 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a, en tout état de cause, rappelé qu’il ne ressortait pas de la décision litigieuse et qu’il n’était pas davantage allégué que la déclaration de compatibilité avec le marché intérieur figurant dans cette décision était, sur les points qui étaient contestés par les requérants devant lui, subordonnée à des conditions ou au respect d’engagements pris par le Royaume d’Espagne et rendus contraignants par ladite décision.
25 Au point 94 de l’ordonnance attaquée, pour répondre à l’argument avancé par les requérants dans leur réponse à la question écrite qu’il leur avait adressée et tiré, en substance, du fait que la décision litigieuse les privait du bénéfice de la prescription pour les paiements reçus au titre de l’ancien régime, le Tribunal a souligné que cette décision était sans effet sur les règles de prescription applicables à ces paiements. Il a relevé que, par ailleurs, et en tout état de cause, les requérants n’alléguaient pas qu’ils étaient exposés au risque d’avoir à rembourser les paiements déjà effectués au titre de l’ancien régime.
Les conclusions des requérants devant la Cour
26 Les requérants demandent à la Cour :
– dans l’hypothèse où elle accéderait à leurs premier et deuxième moyens, d’annuler l’ordonnance attaquée et de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin que celui-ci poursuive l’instance, et
– à titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour n’accéderait pas à leurs premier et deuxième moyens, d’annuler l’ordonnance attaquée sur le fondement de leur troisième moyen, de déclarer d’office, sur ce fondement, la disparition de l’objet de la décision litigieuse en raison de l’inapplicabilité du nouveau régime et de condamner la Commission aux dépens.
Sur le pourvoi
27 En vertu de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de rejeter ce pourvoi totalement ou partiellement par voie d’ordonnance motivée.
28 Il y a lieu de faire application de cette disposition dans le cadre du présent pourvoi.
29 À l’appui de leur pourvoi, les requérants invoquent trois moyens tirés, le premier, d’une erreur manifeste d’appréciation de la preuve par le Tribunal, celui-ci ayant substitué son raisonnement à celui effectué par la Commission dans la décision litigieuse, le deuxième, d’une dénaturation par le Tribunal de l’un de leurs arguments et, le troisième, subdivisé en six branches, d’une erreur de droit en ce que le Tribunal, premièrement, n’a pas pris en compte l’existence d’un moyen implicite tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique, deuxièmement, a méconnu le principe du contradictoire et les droits de la défense en ne leur permettant pas de répondre au mémoire en défense de la Commission, troisièmement, n’a pas relevé d’office un moyen d’ordre public, quatrièmement, n’a pas relevé d’office un moyen relatif à la recevabilité du recours, cinquièmement, n’a pas relevé d’office un moyen relatif à la procédure et, sixièmement, a estimé que le recours était manifestement irrecevable.
30 Par acte déposé au greffe de la Cour le 8 avril 2020, les requérants ont présenté une demande tendant à être autorisés, premièrement, à considérer le contenu du Real Decreto-ley 17/2019 por el que se adoptan medidas urgentes para la necesaria adaptación de parámetros retributivos que afectan al sistema eléctrico y por el que se da respuesta al proceso de cese de actividad de centrales térmicas de generación (décret-loi royal 17/2019 portant adoption de mesures urgentes en vue de la nécessaire adaptation des paramètres de rémunération affectant le système électrique et répondant au processus de cessation d’activité de centrales thermoélectriques), du 22 novembre 2019 (BOE no 282, du 23 novembre 2019, p. 16862), et de l’Orden TED/171/2020 por la que se actualizan los parámetros retributivos de las instalaciones tipo aplicables a determinadas instalaciones de producción de energía eléctrica a partir de fuentes de energía renovables, cogeneración y residuos, a efectos de su aplicación al periodo regulatorio que tiene su inicio el 1 de enero de 2020 (arrêté TED/171/2020 actualisant les paramètres de rémunération des installations types applicables à certaines installations de production d’électricité à partir de sources d’énergie renouvelables, de cogénération et de déchets, aux fins de leur application à la période de régulation débutant le 1er janvier 2020), du 24 février 2020 (BOE no 51, du 28 février 2020, p. 18517), comme des éléments de fait nouveaux et, deuxièmement, à produire des moyens nouveaux et de modifier certains de leurs moyens, en se fondant sur ces éléments. Par ce même acte, les requérants demandent, troisièmement, à la Cour de déclarer illégal et inapplicable à leur égard ou d’annuler tant la condition figurant à la section 3 de la disposition finale 3 bis de la loi 24/2013, introduite par le décret-loi royal 17/2019, que l’arrêté TED/171/2020, en ce qui les concerne.
Sur les demandes présentées par acte du 8 avril 2020
Argumentation des requérants
31 En premier lieu, les requérants fondent leur demande tendant à être autorisés à produire des moyens nouveaux et à modifier certains de leurs moyens sur le décret-loi royal 17/2019 et l’arrêté TED/171/2020 et estiment que ce décret-loi royal et cet arrêté constituent des éléments de fait et de droit s’étant révélés durant la procédure, au sens de l’article 127 du règlement de procédure de la Cour et de l’article 84 du règlement de procédure du Tribunal, justifiant ainsi la production des moyens nouveaux et la modification de certains de leurs moyens en cours d’instance.
32 Dans le cas où leur demande ne serait pas accueillie, les requérants demandent, à titre subsidiaire, à être autorisés, au titre de l’article 84 du règlement de procédure du Tribunal, à produire ces moyens nouveaux, fondés sur des éléments de fait nouveaux, dans l’affaire T 186/18.
33 Les requérants font, en effet, valoir que le fait que, par le décret-loi royal 17/2019 et par l’arrêté TED/171/2020, le Royaume d’Espagne a reconnu tant la violation du principe de protection de la confiance légitime à leur détriment et à celui d’autres requérants dans des procédures d’arbitrage international, que la nécessité de rétablir la sécurité juridique, constitue un élément de fait nouveau, de nature à modifier les faits que le Tribunal a appréciés dans l’affaire T 186/18. Selon les requérants, si la reconnaissance par le Royaume d’Espagne de la violation du principe de protection de la confiance légitime à leur détriment était intervenue dans le cadre des affaires qu’ils avaient introduites devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), elle aurait été susceptible d’amener cette juridiction à faire droit à leur recours, ce qui aurait conduit la Commission à ne pas clore la procédure d’examen du nouveau régime et à inclure seulement l’ancien régime dans le champ de son examen. En conséquence, les requérants auraient changé leur argumentation dans le recours T 186/18.
34 En se fondant sur ces éléments de fait nouveaux, les requérants soulèvent, en deuxième lieu, un moyen nouveau tiré d’un détournement de pouvoir commis par la Commission, en collusion avec le Royaume d’Espagne, dans le but de neutraliser le principe de protection de la confiance légitime dans les procédures d’arbitrage international. En outre, les requérants invoquent d’une manière explicite deux autres moyens, qui n’étaient qu’implicites dans leur requête introductive d’instance devant le Tribunal, tirés d’une violation du principe de protection de la confiance légitime par le Royaume d’Espagne en raison de l’introduction du nouveau régime et d’une incompatibilité de la décision litigieuse avec les principes généraux du droit de l’Union en ce que la Commission a validé l’application rétroactive du nouveau régime. Les requérants font valoir, au surplus, des arguments relatifs, d’une part, à l’équilibre procédural et, d’autre part, au fait que lesdits éléments de fait nouveaux sont susceptibles de modifier leur situation légale et économique.
35 En troisième lieu, les requérants demandent à la Cour de déclarer illégal et inapplicable à leur égard ou d’annuler tant la condition figurant à la section 3 de la disposition finale 3 bis de la loi 24/2013, introduite par le décret-loi royal 17/2019, que l’arrêté TED/171/2020, en ce qui les concerne, en raison de leur contrariété avec le règlement de procédure de la Cour, qui ne prévoit pas l’exclusion forcée d’une partie à la procédure.
Appréciation de la Cour
36 En premier lieu, quant à la demande des requérants tendant à être autorisés à produire des moyens nouveaux, fondés sur des éléments de faits révélés pendant la procédure, ceux-ci évoquent à l’appui de leur demande le fait que, après la signification de l’ordonnance attaquée, le Royaume d’Espagne a prétendument reconnu, par le décret-loi royal 17/2019 et par l’arrêté TED/171/2020, la violation du principe de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique à leur détriment. Ils font valoir que, si cette reconnaissance était intervenue plus tôt dans la procédure, le contenu de la décision litigieuse aurait été différente.
37 Il y a lieu de rappeler, à cet égard, qu’il ressort de l’article 58 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que les moyens du pourvoi doivent être fondés sur des arguments tirés de la procédure devant le Tribunal. En outre, selon l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. La compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est donc limitée à l’appréciation de la solution juridique qui a été donnée aux moyens et aux arguments débattus devant les premiers juges (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2013, Viega/Commission, C 276/11 P, non publié, EU:C:2013:163, point 58).
38 Il en résulte qu’il n’appartient pas à la Cour de contrôler la manière dont, dans le cadre d’un recours en annulation fondé sur l’article 263 TFUE, le Tribunal a exercé son contrôle juridictionnel sur le fondement d’éléments de fait qui se sont révélés après le prononcé de l’arrêt ou la signification de l’ordonnance du Tribunal et dont ce dernier ne disposait pas.
39 Cette appréciation n’est pas remise en cause par la circonstance que les requérants ont invoqué à cet égard l’article 127 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure du pourvoi en vertu de l’article 190, paragraphe 1, de ce règlement. En effet, l’article 127 dudit règlement permet, à titre exceptionnel, la production de moyens nouveaux et non pas des éléments de fait nouveaux (voir, en ce sens, ordonnance du 28 novembre 2018, Le Pen/Parlement, C 303/18 P, non publiée, EU:C:2018:962, points 78 et 79 ainsi que jurisprudence citée).
40 Les requérants ne sont, dès lors, pas recevables à faire valoir dans le cadre du présent pourvoi des éléments de fait nouveaux résultant du décret-loi royal 17/2019 et de l’arrêté TED/171/2020.
41 En deuxième lieu, les moyens et les arguments nouveaux, tels qu’exposés dans leur demande, sont dirigés contre la décision litigieuse et non contre l’ordonnance attaquée. De tels moyens et arguments sont, en tant que tels, irrecevables dans le cadre d’un pourvoi qui est, en vertu de l’article 256 TFUE et de l’article 58 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, limité aux erreurs de droit qu’aurait commises le Tribunal.
42 En outre, la Cour ne saurait connaître de la demande des requérants, présentée à titre subsidiaire, tendant à être autorisés, au titre de l’article 84 du règlement de procédure du Tribunal, à produire ces moyens et arguments nouveaux, fondés sur des éléments de fait nouveaux, dans l’affaire T 186/18, une telle demande ne relevant manifestement pas de la compétence de la Cour.
43 En troisième lieu, il convient de constater que la Cour est également manifestement incompétente pour déclarer invalide ou annuler la condition figurant à la section 3 de la disposition finale 3 bis de la loi 24/2013, introduite par le décret-loi royal 17/2019, et l’arrêté TED/171/2020, en ce qui concerne les requérants. En effet, en vertu de l’article 257 TFUE et de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi devant la Cour ne peut être formé que contre les décisions du Tribunal et non contre un acte d’un État membre.
44 Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter les demandes des requérants présentées par acte du 8 avril 2020.
Sur le premier moyen
Argumentation des requérants
45 Le premier moyen, dirigé en substance contre le point 47 de l’ordonnance attaquée, est tiré d’une erreur manifeste d’appréciation de la preuve par le Tribunal, celui-ci ayant substitué son raisonnement à celui effectué par la Commission dans la décision litigieuse.
46 Les requérants font valoir, à cet égard, que le Tribunal a commis une telle erreur en ce qu’il a validé la prise en considération par la Commission des paiements reçus en application de l’ancien régime dans le cadre de l’appréciation par celle-ci de la compatibilité du nouveau régime avec le marché intérieur, au motif qu’il s’agissait de revenus perçus précédemment par les installations existantes. Ils allèguent que les paiements en cause avaient été octroyés et versés au titre de l’ancien régime, si bien que ces paiements ne peuvent pas être considérés comme ayant été octroyés de nouveau au titre du nouveau régime, à moins que l’acte d’octroi n’ait été annulé. Même à supposer que l’appréciation de la preuve par le Tribunal figurant au point 47 de l’ordonnance attaquée doive être acceptée, les requérants estiment qu’ils auraient dû avoir la possibilité de faire valoir devant le Tribunal leur point de vue au sujet du double octroi de la même aide.
Appréciation de la Cour
47 Selon une jurisprudence constante de la Cour, en vertu de l’article 256 TFUE et de l’article 58 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Ainsi, le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’inexactitude matérielle de la constatation des faits, effectuée par le Tribunal, ressort des pièces du dossier qui lui ont été soumises ou en cas de dénaturation des éléments de preuve retenus à l’appui de ces faits que cette constatation et l’appréciation de ces éléments de preuve constituent des questions de droit soumises au contrôle de la Cour dans le cadre du pourvoi (arrêt du 1er octobre 2014, Conseil/Alumina, C 393/13 P, EU:C:2014:2245, point 16).
48 À cet égard, il importe de relever qu’une dénaturation doit ressortir de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (arrêt du 20 septembre 2018, Espagne/Commission, C 114/17 P, EU:C:2018:753, point 75 et jurisprudence citée).
49 En l’occurrence, il y a lieu de relever que le point 47 de l’ordonnance attaquée est relatif à l’examen par le Tribunal de l’intérêt à agir des requérants à qui, en étant bénéficiaires de l’ancien régime et, pour une partie d’entre eux au moins, bénéficiaires du nouveau régime, la décision litigieuse qui avait déclaré le nouveau régime compatible avec le marché intérieur ne faisait pas grief.
50 Audit point 47, le Tribunal a rappelé qu’il ressortait de la décision litigieuse que la Commission avait pris en considération les paiements reçus en application de l’ancien régime dans le cadre de son appréciation de la compatibilité du nouveau régime avec le marché intérieur, cette institution ayant indiqué que ces paiements avaient été couverts par cette décision aux fins de l’appréciation de la proportionnalité des aides accordées aux installations existantes. Le Tribunal a, en outre, rappelé qu’il ressortait de la partie de la décision litigieuse relative à l’appréciation de la proportionnalité des aides accordées aux installations existantes que la Commission avait traité lesdits paiements comme des « revenus de ventes passées ». Ce faisant, le Tribunal s’est livré à des constatations factuelles reposant elles-mêmes sur des constatations et des appréciations effectuées par la Commission dans la décision litigieuse, qui ne sauraient, comme telles, sous réserve d’une dénaturation, faire l’objet d’un contrôle par la Cour dans le cadre d’un pourvoi. Or, les requérants ne démontrent pas qu’il ressort de façon manifeste des pièces du dossier qu’une dénaturation des faits aurait été commise par le Tribunal.
51 Même à supposer que le premier moyen doive être compris en ce sens que les requérants visent à faire grief au Tribunal d’avoir pris en compte, dans le cadre de son appréciation de leur intérêt à agir, lesdites constatations et appréciations figurant dans la décision litigieuse, alors même qu’ils contestaient l’appréciation de la Commission selon laquelle les paiements effectués en application de l’ancien régime avaient été absorbés par le nouveau régime, et de ne pas avoir examiné, dans l’ordonnance attaquée, le bien-fondé de leurs arguments à cet égard, ce moyen ne saurait être accueilli.
52 En effet, il convient de relever qu’il ressort des points 48 et 49 de l’ordonnance attaquée que, si le Tribunal s’est fondé, dans le cadre de l’examen de l’intérêt à agir des requérants, sur les appréciations de nature factuelle effectuées par la Commission dans la décision litigieuse, nonobstant le fait que ceux-ci contestaient l’appréciation de cette institution selon laquelle les paiements effectués en application de l’ancien régime avaient été absorbés par le nouveau régime, c’est parce qu’il résultait de la décision litigieuse que c’est la réglementation espagnole qui avait prévu que la compensation reçue par les installations existantes serait calculée en tenant compte des revenus déjà perçus par ces installations en application de l’ancien régime, fait que les requérants avaient, eux-mêmes, admis dans leur requête introductive d’instance.
53 Il ressort, en outre, des points 51 et 52 de l’ordonnance attaquée que le Tribunal a considéré qu’une éventuelle annulation de la décision litigieuse, notamment, en ce qu’elle constaterait erronément que les paiements effectués en application de l’ancien régime ont été absorbés par le nouveau régime, n’aurait pas pour effet de remettre en cause le constat selon lequel le nouveau régime est compatible avec le marché intérieur ni de contraindre la Commission à procéder à une appréciation séparée de l’ancien régime et, par voie de conséquence, n’aurait pas pour effet de remettre en cause la décision du Royaume d’Espagne d’adopter le nouveau régime ni de contraindre cet État membre à renoncer à ce nouveau régime ou à mettre en œuvre un régime plus favorable aux requérants.
54 Ainsi, c’est en se fondant sur l’hypothèse selon laquelle la décision litigieuse serait entachée d’une erreur de droit, notamment en ce qu’elle constatait que les paiements effectués en application de l’ancien régime avaient été absorbés par le nouveau régime, et, partant, sans avoir dû se pencher sur le bien-fondé des arguments des requérants dirigés à cet égard contre la décision litigieuse que le Tribunal a pu considérer, au point 53 de l’ordonnance attaquée, qu’il n’était pas établi qu’une annulation de cette décision, sur ce point, serait favorable aux requérants.
55 Dans ces conditions, l’argument des requérants selon lequel, au point 47 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal aurait validé la prise en considération par la Commission des paiements reçus en application de l’ancien régime dans le cadre de l’appréciation de la compatibilité du nouveau régime avec le marché intérieur à laquelle cette institution s’est livrée et, ce faisant, aurait substitué son raisonnement à celui effectué par la Commission dans la décision litigieuse, ne saurait prospérer. De même, les requérants ne sauraient soutenir qu’ils auraient dû avoir la possibilité de faire valoir devant le Tribunal leur point de vue au sujet du double octroi de la même aide.
56 Il s’ensuit que le premier moyen doit être écarté comme étant irrecevable et, en tout état de cause, comme étant manifestement non fondé.
Sur le deuxième moyen
Argumentation des requérants
57 Par leur deuxième moyen, tiré d’une dénaturation par le Tribunal de l’un de leurs arguments, les requérants font valoir que, aux points 85 et 88 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a interprété de manière incorrecte leur argument relatif à la rétroactivité du nouveau régime qui sous-tend la décision litigieuse, en ce qu’il a compris cet argument comme portant sur l’incompatibilité de cette décision avec les principes généraux du droit de l’Union. Les requérants allèguent, à cet égard, que, par ledit argument, ils avaient cherché non pas à démontrer une erreur de droit de nature à entraîner l’annulation de la décision litigieuse, mais plutôt à faire valoir que cette décision était devenue sans objet, ce qui devait nécessairement conduire à l’annulation de celle-ci. Selon les requérants, cette erreur commise par le Tribunal a conduit à une violation de leurs droits de la défense et, partant, à une violation de leurs droits procéduraux.
Appréciation de la Cour
58 Par leur deuxième moyen, les requérants font, en substance, grief au Tribunal d’avoir incorrectement reflété, au point 85 de l’ordonnance attaquée, leur argument relatif à la rétroactivité du nouveau régime sous-tendant la décision litigieuse, par lequel ils soutenaient non pas que cette rétroactivité avait pour effet d’entacher cette décision d’une erreur de nature à entraîner son annulation, mais plutôt que ladite décision était devenue sans objet, ce qui impliquait inévitablement son annulation.
59 Il convient d’emblée de relever que, à supposer même que l’argumentation développée par les requérants au soutien de leur deuxième moyen soit fondée et conduise donc au constat selon lequel le Tribunal a dénaturé leur argument relatif à la rétroactivité du nouveau régime qui sous-tend la décision litigieuse, cet argument pourrait, tout au plus, démontrer l’intérêt des requérants à l’annulation du nouveau régime, et non leur intérêt à l’annulation de la décision litigieuse. Or, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 58 de l’ordonnance attaquée, sans que ce point ait fait l’objet de critiques par les requérants dans leur pourvoi, ces derniers n’ont pas démontré l’existence d’un lien entre l’annulation de la décision litigieuse et une possible réinstauration de l’ancien régime.
60 Il s’ensuit que le deuxième moyen est inopérant et doit être écarté.
Sur le troisième moyen
Argumentation des requérants
61 Le troisième moyen s’articule en six branches.
62 Par la première branche du troisième moyen, tirée d’une erreur commise par le Tribunal en ce qu’il n’a pas pris en compte l’existence d’un moyen implicite tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique, les requérants font valoir que c’est à tort que le Tribunal a fait application, aux points 90 et 91 de l’ordonnance attaquée, de l’article 84, paragraphe 1, de son règlement de procédure, qui interdit la production de moyens nouveaux en cours d’instance. Ils relèvent que l’argument en cause était dirigé non contre la décision litigieuse, mais contre le nouveau régime. Or, ce serait précisément sur cet argument relatif à la rétroactivité de ce régime que reposait la principale argumentation de la requête introductive d’instance, si bien que le Tribunal aurait dû reconnaître l’existence d’un moyen implicite tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique à propos du nouveau régime.
63 Par la deuxième branche du troisième moyen, présentée dans l’hypothèse où la première branche de ce moyen ne serait pas accueillie par la Cour, les requérants font grief au Tribunal d’avoir méconnu le principe du contradictoire et les droits de la défense en ne leur permettant pas de répondre au mémoire en défense de la Commission. Les requérants relèvent que le Tribunal a rejeté comme irrecevable leur argument portant sur la rétroactivité du nouveau régime, invoqué dans leur réponse à une question du Tribunal les invitant à démontrer leur intérêt à agir, au motif que cet argument se heurtait à l’interdiction de modifier l’objet du litige devant le Tribunal, alors que ledit argument visait à réfuter des arguments de la Commission invoqués dans son mémoire en défense, auxquels ils n’ont pas été autorisés à répondre.
64 Par la troisième branche du troisième moyen, présentée dans l’hypothèse où les première et deuxième branches de ce moyen ne seraient pas accueillies par la Cour, les requérants font grief au Tribunal d’avoir omis de relever d’office un moyen d’ordre public. Les requérants font valoir que l’incompatibilité du nouveau régime avec les principes généraux du droit de l’Union et l’interdiction de la rétroactivité affecte la légalité au fond de ce régime qui sous-tend la décision litigieuse et constitue un moyen d’ordre public. Ils soulignent, dans ce contexte, que les juridictions nationales auraient dû interroger la Cour au sujet de la rétroactivité du nouveau régime dans le cadre d’un renvoi préjudiciel et que la jurisprudence nationale comporte, à ce sujet, des opinions dissidentes.
65 Par la quatrième branche du troisième moyen, les requérants font grief au Tribunal de ne pas avoir relevé d’office le moyen tiré de l’incompatibilité du nouveau régime avec les principes généraux du droit de l’Union et avec le principe de la non-rétroactivité, en tant que moyen relatif à la recevabilité du recours. Ils soulignent que, pourtant, l’annulation de la décision litigieuse pour ce motif leur procurerait, en soi, un bénéfice juridique et économique significatif, puisqu’elle affecterait l’abrogation de l’ancien régime, si bien qu’ils seraient fondés à continuer à recevoir leurs rétributions au titre de l’ancien régime, conformément à leurs attentes légitimes.
66 Par la cinquième branche du troisième moyen, dirigée contre le point 94 de l’ordonnance attaquée, les requérants font grief au Tribunal de ne pas avoir relevé d’office un moyen relatif à la procédure. Ils font valoir que, si la prémisse sur laquelle le Tribunal s’est fondé, selon laquelle l’ancien régime a été absorbé par le nouveau régime, devait être acceptée, il en résulterait que les paiements reçus au titre de l’ancien régime ont été remboursés et reçus de nouveau au titre du nouveau régime. Dans cette hypothèse, la considération figurant au point 94 de l’ordonnance attaquée, selon laquelle la décision litigieuse est sans effet sur les règles de prescription applicables aux paiements reçus au titre de l’ancien régime, car les requérants n’ont pas été appelés à rembourser ces paiements, méconnaîtrait les règles de prescription en matière d’aides d’État. L’omission par le Tribunal d’examiner le moyen tiré de la violation des règles de la prescription en matière d’aides d’État constitue, selon les requérants, une irrégularité de procédure portant atteinte à leurs intérêts.
67 Par la sixième branche du troisième moyen, tirée d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en estimant que le recours formé devant lui était manifestement irrecevable, les requérants font valoir qu’un examen plus précis des faits et des arguments exposés dans le cadre des premier et deuxième moyens, à la lumière des éléments soulevés dans le cadre du troisième moyen, aurait permis au Tribunal de considérer que l’irrecevabilité du recours n’était pas manifeste, si bien que le Tribunal aurait pu statuer par voie d’arrêt, dans le respect des garanties procédurales.
Appréciation de la Cour
68 S’agissant de la première branche du troisième moyen, tirée d’une erreur commise par le Tribunal en ce qu’il n’a pas pris en compte l’existence d’un moyen implicite tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique, il y a lieu de rappeler que, si certains moyens peuvent, voire doivent, être relevés d’office, tel un défaut ou une insuffisance de motivation de la décision en cause, qui relève des formes substantielles, un moyen portant sur la légalité au fond de cette décision, qui relève de la violation des traités ou de toute règle de droit relative à leur application, au sens de l’article 263 TFUE, ne peut, en revanche, être examiné par le juge de l’Union que s’il est invoqué par la partie requérante (arrêt du 10 décembre 2013, Commission/Irlande e.a., C 272/12 P, EU:C:2013:812, point 28 ainsi que jurisprudence citée). Un moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique est de toute évidence un moyen portant sur la légalité au fond d’une décision sur lequel le Tribunal ne peut statuer que s’il est invoqué par la partie requérante.
69 Or, les requérants ne prétendent pas avoir invoqué un tel moyen dans leur requête formée devant le Tribunal, mais admettent eux-mêmes que ce moyen n’était qu’implicite dans cette requête.
70 Partant, la première branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant manifestement non fondée.
71 En tout état de cause, cette branche est inopérante pour les mêmes motifs que ceux figurant au point 59 de la présente ordonnance.
72 Par la deuxième branche du troisième moyen, tirée d’une violation du principe du contradictoire et des droits de la défense, les requérants font essentiellement grief au Tribunal d’avoir rejeté comme irrecevable leur argument portant sur la rétroactivité du nouveau régime, invoqué dans leur réponse à une question du Tribunal les invitant à démontrer leur intérêt à agir, alors que cet argument visait à réfuter des arguments de la Commission invoqués dans son mémoire en défense, auxquels ils n’ont pas été autorisés à répondre.
73 À cet égard, il y a lieu de rappeler, d’une part, que le Tribunal a statué par voie d’ordonnance motivée après avoir invité les requérants à démontrer leur intérêt à agir. D’autre part, dans l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté le recours en partie en raison de son incompétence manifeste pour en connaître et en partie comme étant irrecevable, sans statuer sur le fond. Il s’ensuit que le Tribunal, d’une part, a entendu les parties concernant l’existence d’un intérêt à agir des requérants, avant de rejeter leurs premier et deuxième chefs de conclusions comme irrecevables, et, d’autre part, n’a pas examiné au fond les arguments de la Commission invoqués dans son mémoire en défense, relatifs au second moyen, auxquels les requérants n’avaient pas été autorisés à répondre. Dans ces conditions, c’est sans méconnaître le principe du contradictoire que le Tribunal a pu considérer, au point 91 de l’ordonnance attaquée, que, afin de démontrer leur intérêt à agir, les requérants ne pouvaient pas modifier l’objet du litige et faire valoir, pour la première fois au stade de la réponse à la question posée par le Tribunal, que le nouveau régime violait notamment le principe de non-rétroactivité.
74 Il s’ensuit que la deuxième branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant manifestement non fondée.
75 S’agissant de la troisième branche du troisième moyen, tirée d’une erreur de droit que le Tribunal aurait commise en ne soulevant pas d’office un moyen d’ordre public, il découle de la jurisprudence citée au point 68 de la présente ordonnance qu’un moyen tel que celui tiré de la violation du principe de non-rétroactivité constitue un moyen portant sur la légalité au fond d’une décision sur lequel le Tribunal ne peut statuer que s’il est invoqué par la partie requérante.
76 Or, les requérants ne prétendent nullement avoir invoqué un tel moyen dans leur requête, mais soutiennent que c’est au Tribunal qu’il incombait de soulever d’office ce moyen.
77 Dans ces conditions, la troisième branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant manifestement non fondée.
78 En tout état de cause, cette branche est inopérante, dans la mesure où les arguments mis en avant par les requérants sont relatifs au fond, alors que le Tribunal n’a pas statué au fond dans l’ordonnance attaquée.
79 Par la quatrième branche du troisième moyen, les requérants font grief au Tribunal d’avoir omis de soulever d’office le moyen tiré de la violation du principe de non-rétroactivité par le nouveau régime en tant qu’élément de nature à démontrer leur intérêt à agir.
80 À cet égard, il y a lieu de relever que, ainsi que le Tribunal l’a rappelé à juste titre au point 38 de l’ordonnance attaquée, il appartient à la partie requérante d’apporter la preuve de son intérêt à agir, qui constitue la condition essentielle et première de tout recours en justice (voir, notamment, arrêt du 20 décembre 2017, Binca Seafoods/Commission, C 268/16 P, EU:C:2017:1001, point 45 et jurisprudence citée). Il s’ensuit que le Tribunal n’était nullement tenu de rechercher lui-même les éléments de nature à démontrer l’intérêt à agir des requérants, notamment en soulevant d’office un moyen qui aurait été de nature, selon les requérants, à démontrer la recevabilité de leur recours.
81 Partant, la quatrième branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant manifestement non fondée.
82 En tout état de cause, cette branche est inopérante pour les mêmes motifs que ceux figurant au point 59 de la présente ordonnance.
83 Par la cinquième branche du troisième moyen, dirigée contre le point 94 de l’ordonnance attaquée, lequel repose sur la prémisse selon laquelle l’ancien régime a été absorbé par le nouveau régime, les requérants contestent l’appréciation du Tribunal selon laquelle ils n’étaient pas tenus de rembourser les paiements reçus au titre de l’ancien régime et font valoir que, en ayant omis de relever d’office le moyen tiré de la violation des règles de la prescription en matière d’aides d’État, le Tribunal a commis une irrégularité de procédure portant atteinte à leurs intérêts.
84 À cet égard, il y a lieu de relever que, pour autant que, par leurs arguments, les requérants cherchent à remettre en cause la constatation factuelle, figurant au point 94 de l’ordonnance attaquée, selon laquelle ils n’alléguaient pas qu’ils étaient exposés au risque d’avoir à rembourser les paiements déjà effectués au titre de l’ancien régime, sans démontrer ni même alléguer qu’une dénaturation des faits aurait été commise en l’espèce, ces arguments doivent être rejetés comme étant manifestement irrecevables, eu égard à la jurisprudence citée au point 47 de la présente ordonnance.
85 Pour autant que, par leurs arguments, les requérants font grief au Tribunal d’avoir omis de relever d’office le moyen tiré de la violation des règles de la prescription en matière d’aides d’État, il découle de la jurisprudence citée au point 68 de la présente ordonnance qu’un tel moyen constitue un moyen portant sur la légalité au fond d’une décision, sur lequel le Tribunal ne peut statuer que s’il est invoqué par la partie requérante.
86 Partant, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il n’incombait nullement au Tribunal de relever d’office un tel moyen.
87 Dans ces conditions, la cinquième branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondée.
88 Par la sixième branche du troisième moyen, tirée de ce que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que le recours était manifestement irrecevable, les requérants font valoir qu’un examen plus précis des faits et des arguments exposés à l’appui de leurs premier et deuxième moyens, à la lumière des éléments soulevés dans le cadre de leur troisième moyen, aurait permis au Tribunal de considérer que l’irrecevabilité du recours n’était pas manifeste, ce qui aurait permis un deuxième échange de mémoires et/ou la tenue d’une audience.
89 À cet égard, il convient de relever que, compte tenu de ce qui précède, les premier et deuxième moyens ainsi que les première à cinquième branches du troisième moyen devant être écartés soit comme étant manifestement irrecevables, soit comme étant manifestement non fondés ou comme étant inopérants, les faits, les arguments et les éléments exposés par les requérants dans le cadre de ces moyens et branches ne sont pas de nature à faire douter du caractère manifeste de l’irrecevabilité de leurs premier et deuxième chefs de conclusions présentés en première instance.
90 En tout état de cause, à supposer même que le Tribunal ait eu tort de faire application en l’espèce de l’article 126 de son règlement de procédure, régissant les recours manifestement voués au rejet, il n’en demeurerait pas moins que l’article 129 de ce règlement lui permettait, à tout moment, d’office, les parties principales entendues, de décider de statuer par voie d’ordonnance motivée sur les fins de non-recevoir d’ordre public. Or, le défaut d’intérêt à agir constitue une fin de non-recevoir d’ordre public (voir, en ce sens, ordonnance du 7 octobre 1987, d. M./Conseil et CES, 108/86, EU:C:1987:426, point 10). Par conséquent, les requérants ne pouvaient en aucun cas avoir une garantie quant à un deuxième échange de mémoires ou à la tenue d’une audience.
91 Il s’ensuit que la sixième branche du troisième moyen doit être rejetée comme étant manifestement non fondée, et, partant, le troisième moyen doit être rejeté comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.
92 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son intégralité comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.
Sur les dépens
93 Aux termes de l’article 137 du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, il est statué sur les dépens dans l’ordonnance qui met fin à l’instance.
94 En l’espèce, la présente ordonnance étant adoptée avant que le pourvoi ne soit signifié à la partie défenderesse et, par conséquent, avant que celle-ci n’ait pu exposer des dépens, il convient de décider que les requérants supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs, LA COUR (septième chambre) ordonne :
1) Le pourvoi est rejeté comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, manifestement non fondé.
2) Abaco Energy SA et les 1 322 autres requérants, dont les noms figurent à l’annexe de la présente ordonnance, supportent leurs propres dépens.