ADLC, 8 juillet 2015, n° 15-DCC-84
AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE
Décision
relative à la prise de contrôle exclusif des sociétés Avenir Danton Défense et Avenir Grande Armée par la société Gecina
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Lasserre
L’Autorité de la concurrence, - Vu le dossier de notification adressé complet au service des concentrations le 3 juin 2015, relatif à la prise de contrôle exclusif des sociétés Avenir Danton Défense et Avenir Grande Armée par la société Gecina, formalisée par une promesse de cession de parts sociales et de garantie sous conditions suspensives en date du 2 juin 2015 ; - Vu le livre IV du code de commerce relatif à la liberté des prix et de la concurrence, et notamment ses articles L. 430-1 à L. 430-10 ;
Adopte la décision suivante :
I. Les entreprises concernées et l’opération
1. Gecina est une société anonyme à la tête du groupe Gecina. Ce dernier est actif dans le secteur des services immobiliers, en particulier la gestion d’actifs immobiliers et gère également des parcs de stationnement. Gecina est détenu à hauteur de 29,83 % par les groupes Blackstone et Invanhoé Cambridge1, de 13,37 % par Crédit agricole Assurance Predica, de 9,7 % par Norges Bank, ainsi que par de nombreux autres actionnaires qui détiennent chacun moins de 5 % du capital de Gecina. Il ressort de cette répartition du capital ainsi que des statuts de Gecina que celle-ci n’est contrôlée par aucun de ses actionnaires.
2. Les sociétés Avenir Danton Défense et Avenir Grande Armée sont contrôlée exclusivement par la société de placement à prépondérance immobilière à capital variable Lutiq (ci-après, « SPPICAV Lutiq »). Avenir Danton Défense a pour activité la gestion pour compte propre d’un ensemble immobilier situé à La Défense, comprenant (i) la Tour T1, qui est un actif immobilier à usage exclusif de bureaux, d’une superficie 67 380 m², (ii) l’immeuble B, actif immobilier à usage exclusif de bureaux d’une superficie de 21 179 m² et (iii) le parking Jacques Cartier, qui comprend 485 emplacements de stationnement. Cet ensemble immobilier est actuellement principalement loué au groupe GDF-Suez pour un loyer d’un montant total de […] d’euros hors taxes ou charges. Avenir Grande Armée a pour activité la gestion pour compte propre d’un ensemble immobilier situé 75, avenue de la Grande Armée à Paris, qui comprend (i) un actif immobilier à usage de bureaux d’une surface locative de 33 662 m² et (ii) un parking comprenant 564 emplacements de stationnement. Cet ensemble immobilier est actuellement loué à la société Peugeot SA pour un loyer d’un montant total de […] d’euros hors taxes ou charges.
3. Aux termes de la promesse de cession de parts sociales et de garantie sous conditions suspensives en date du 2 juin 2015, Gecina acquerra 100 % des parts sociales de la société Avenir Danton Défense et de la société Avenir Grande Armée.
4. Les opérations d’acquisition du contrôle exclusif d’Avenir Danton Défense, d’une part, et d’Avenir Grande Armée, d’autre part, par Gecina sont des opérations interdépendantes, dans la mesure où elles sont formalisées par une promesse de vente unique, qui prévoit qu’elles devront être réalisées de manière concomitante et qu’elles sont liées par une conditionnalité réciproque. En effet, l’article 2 de la promesse de cession stipule que la cession des parts sociales des deux sociétés cibles revêt un caractère indivisible et que « dans l’hypothèse où pour une raison quelconque la cession de tout ou partie des parts sociales de l’une ou l’autre des sociétés s’avérait impossible, les vendeurs ne seront pas tenus de poursuivre la cession des autres parts sociales ; il en serait de même pour l’acquéreur ». Ces opérations, qui se traduisent par la prise de contrôle des sociétés Avenir Danton Défense et Avenir Grande Armée par Gecina, constituent en conséquence une opération de concentration unique au sens de l’article L.430-1 du code de commerce2.
5. Les entreprises concernées ont réalisé ensemble un chiffre d’affaires hors taxes consolidé sur le plan mondial de plus de 150 millions d’euros lors du dernier exercice clos (Gecina : 571 millions d’euros pour l’exercice clos le 31 décembre 2014 ; sociétés cible : […] d’euros pour le même exercice). Chacune de ces entreprises a réalisé, en France, un chiffre d’affaires supérieur à 50 millions d’euros (Gecina : 566,6 millions d’euros l’exercice clos le 31 décembre 2014 ; sociétés cible : […] d’euros pour le même exercice). Les seuils de contrôle mentionnés au I de l’article L. 430-2 du code de commerce sont donc franchis. Compte tenu de ces chiffres d’affaires, l’opération ne relève pas de la compétence de l’Union européenne. La concentration est ainsi soumise aux dispositions des articles L. 430-3 et suivants du code de commerce relatifs à la concentration économique.
II. Délimitation des marchés pertinents
6. L’opération entraîne un chevauchement d’activités de Gecina et des sociétés cible dans le secteur des services immobiliers ainsi que dans le secteur de la gestion des parcs de stationnement.
A. LES MARCHES DE PRODUITS ET DE SERVICES
1. LES MARCHES DE SERVICES IMMOBILIERS
7. La pratique décisionnelle a envisagé, tout en laissant la question ouverte, différentes segmentations dans le secteur de l’immobilier3 selon (i) les destinataires des services (particuliers ou entreprises), (ii) le mode de fixation des prix, (immobilier résidentiel libre, logements sociaux ou logements intermédiaires aidés), (iii) le type d’activité exercée dans les locaux (bureaux, locaux commerciaux et autres locaux d’activités), et (iv) la nature des services ou biens offerts.
8. S’agissant de la segmentation selon la nature des services ou des biens offerts, la pratique décisionnelle4 a envisagé de distinguer : (i) la promotion immobilière qui comprend les activités de construction et de vente de biens immobiliers ; (ii) la gestion d’actifs immobiliers pour compte propre ; (iii) la gestion d’actifs immobiliers pour compte de tiers ; (iv) l’administration de biens immobiliers qui recouvre les activités de gestion des immeubles pour le compte de propriétaires et qui peut être segmentée entre la gestion locative et la gestion de copropriété ; (v) l’expertise immobilière ; (vi) le conseil immobilier ; et (vii) l’intermédiation dans les transactions immobilières pour laquelle l’intermédiation dans les opérations d’achat/vente est distinguée de l’intermédiation dans les opérations de location.
9. Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces segmentations à l’occasion de l’examen de la présente opération.
10. En l’espèce, les parties à l’opération sont toutes deux présentes sur le marché de la détention et de la gestion d’actifs immobiliers pour compte propre à usage de bureaux.
2. LE MARCHE DE LA GESTION DE PARCS DE STATIONNEMENT
11. La pratique décisionnelle5 a défini le marché de la gestion de parcs de stationnement et considère que celui-ci peut être segmenté selon le type de parking6 : une distinction doit être faite entre le stationnement payant public et le stationnement privé d’entreprise ou résidentiel. La pratique décisionnelle française7 distingue également au sein du marché du stationnement payant public les places de stationnement public en surface et les places de stationnement en ouvrage souterrain.
12. Il n’y a pas lieu de remettre en cause ces segmentations à l’occasion de l’examen de la présente opération.
13. En l’espèce, une partie des places de stationnement du parking Jacques Cartier à La Défense, géré par la société Avenir Danton Défense, est ouverte au public, et Gecina gère un parc de stationnement ouvert au public, situé quai de la Râpée à Paris. Gecina et Avenir Danton Défense sont donc simultanément présentes sur le marché de la gestion des parcs de stationnement publics payants.
B. LES MARCHÉS GEOGRAPHIQUES
1. LES MARCHES DE SERVICES IMMOBILIERS
14. La pratique décisionnelle8 a considéré que les marchés relatifs au secteur de l’immobilier sont généralement de dimension infranationale, tout en laissant la question ouverte. Elle a également envisagé une délimitation au niveau national pour les marchés des services immobiliers destinés aux entreprises lorsque les opérations d’investissement sont réalisées par de gros investisseurs9.
15. En l’espèce, les parties à l’opération sont toutes deux actives en région Île-de-France, à Paris (75) et dans le département des Hauts-de-Seine (92). A cet égard, la pratique décisionnelle10 a relevé que « la région parisienne possède des propriétés particulières de continuité des zones urbaines. En effet, il existe une vaste zone très urbanisée et homogène recouvrant la majeure partie de l'Île-de-France, desservie par un réseau global de transports ; les habitants sont toujours en mesure d'arbitrer entre différentes parties de la région. Cette substituabilité entraîne une convergence des niveaux de prix. Dès lors, le niveau régional est le plus approprié pour l’analyse concurrentielle »11. En l’espèce les parties ont fourni des estimations de part de marché aux niveaux régional, départemental et de la ville de Paris.
16. La question de la délimitation exacte des marchés pertinents peut toutefois être laissée ouverte car les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées quelles que soient les délimitations retenues.
2. LE MARCHE DE LA GESTION DE PARCS DE STATIONNEMENT
17. La pratique décisionnelle12 ne s’est pas prononcée sur la dimension géographique précise des marchés de la gestion de parcs de stationnement, et en particulier du marché de la gestion des parcs de stationnement publics payants.
18. En l’espèce, la question de la délimitation exacte du marché de la gestion des parcs de stationnement publics payants peut être laissée ouverte car les conclusions de l’analyse concurrentielle demeurent inchangées quelles que soient les délimitations retenues. L’analyse concurrentielle sera en l’espèce menée au niveau régional, ce qui constitue l’hypothèse la plus conservatrice.
III. Analyse concurrentielle
19. Sur le marché de la détention et de la gestion d’actifs immobiliers pour compte propre à usage de bureaux, la part de marché cumulée des parties est inférieure à 4 %, quelle que soit la dimension géographique retenue. De plus, le marché de la gestion et de la détention pour compte propre d’actifs immobiliers à usage de bureaux en Île-de-France se caractérise par son caractère très atomisé. En effet, de nombreux opérateurs y sont actifs, tels que les sociétés foncières, et notamment les sociétés d’investissement immobilier cotées, ainsi que des compagnies d’assurance, des fonds d’investissements ou encore des banques.
20. Par ailleurs, sur le marché de la gestion de parcs de stationnement, les activités des parties ne se chevauchent pas au niveau du département. En Île-de-France, leur part de marché cumulée est inférieure à 1,6 %.
21. Par conséquent, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché de la gestion d’actifs immobiliers pour compte propre à usage de bureaux, ni sur le marché de la gestion de parcs de stationnement publics payants.
NOTES :
1 Les groupes Blackstone et Ivanhoé agissent de concert en vertu d’un contrat de partnership conclu en 2013, qui prévoit notamment une clause de concertation entre les deux groupes concernant toute décision. Blackstone et Ivanhoé détiennent 30,7 % des droits de vote de Gecina.
2 Voir les points 60 à 63 des lignes directrices de l’Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations, qui se réfèrent aux points 38 et suivants de la communication consolidée de la Commission, qui précisent que « des opérations multiples constituent une seule et même opération de concentration dès lors qu’elles sont interdépendantes, au sens où une opération n’aurait pas été effectuée sans l’autre ». Des « opérations peuvent être considérées comme liées entre elles en droit, lorsque les accords eux-mêmes sont liés par une conditionnalité réciproque. Mais il ne peut être exclu que soient pris en compte des éléments démontrant que, sur le plan économique, les opérations ne peuvent se faire l’une sans l’autre ». Ainsi, « le fait que les accords soient conclus simultanément est l’un des éléments essentiels à l’interdépendance ».
3 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n° 14-DCC-176 du 9 décembre 2014 relative à la prise de contrôle conjoint d’un ensemble immobilier à usage de bureaux à construire par CNP Assurances et Sogécap, et n° 11 DCC-138 du 30 septembre 2011 relative à la prise de contrôle exclusif par la société Altarea de la société Urbat Promotion, ainsi que la lettre du ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi C2008-79 du 22 août 2008, aux conseils des sociétés CDC et Eurosic, relative à une concentration dans le secteur de l’immobilier. Voir également la décision de la Commission européenne COMP/M.3370 – BNP Paribas / ARI du 9 mars 2004.
4 Voir notamment les décisions n° 14-DCC-176 et n° 11-DCC-138 précitées ainsi que la décision n° 10-DCC-13 du 29 janvier 2010 relative à la prise de contrôle exclusif par Icade S.A. de la Compagnie la Lucette SA.
5 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n°11-DCC-193 du 22 décembre 2011 relative à la prise de contrôle conjoint par la Caisse des Dépôts et Consignations et CNP Assurances de l’immeuble à usage de bureaux « Le Farman », n°10-DCC-02 du 12 janvier 2010 relative à la prise de contrôle conjoint des sociétés Keolis et Effia par les sociétés SNCF-Participations et Caisse de Dépôt et Placement du Québec, ainsi que la décision de la Commission européenne n°COMP/M.2825 du 9 juillet 2002, Fortis AG SA / Bernheim-Comofi SA.
6 Voir notamment Décision de la Commission européenne M. 2825 du 9 juillet 2002, Fortis AG SA/Bernheim Comofi SA.
7 Voir notamment la Décision de l’Autorité de la concurrence n°10-DCC-02 relative à la prise de contrôle conjoint des sociétés Keolis et Effia par les sociétés SNCF-Participation et Caisse des Dépôt et Placement du Québec, ainsi que l’avis du Conseil de la concurrence n°01-A-08 du 5 juin 2001 relatif à l’acquisition du groupe GTM par la société Vinci.
8 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n°10-DCC-13 précitée et n° 09-DCC-16 du 22 juin 2009 relative à la fusion entre les groupes Caisse d’Épargne et Banque populaire ainsi que la lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie du 25 novembre 2005 aux conseils de la société Foncière des régions, relative à une concentration dans le secteur immobilier. Voir aussi les décisions de la Commission européenne COMP/M.3370 - BNP Paribas / ARI du 9 mars 2004 et COMP/ M. 2825 du 9 juillet 2002, Fortis AG SA / Bernheim-Comofi SA
9 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n°09-DCC-16 précitée et n° 10-DCC-112 du 17 septembre 2010 relative à la prise de contrôle conjoint par Prédica et Altaréa de la société Alta Marigny Carré des Soies.
10 Voir notamment la décision de l’Autorité de la concurrence n° 10-DCC-13 précitée et la lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie C2006-151 du 10 janvier 2007 au conseil du groupe Société nationale immobilière, relative à une concentration dans le secteur du développement et de la gestion de parc immobilier à vocation essentiellement résidentielle.
11 Voir les décisions de l’Autorité de la concurrence n°14-DCC-67 du 19 mai 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de la Société de la Tour Eiffel par la société Mutuelle du Bâtiment et des Travaux Publics et n°14-DCC-103 du 10 juillet 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de SIIC de Paris par Eurosic.
12 Voir notamment les décisions de l’Autorité de la concurrence n°11-DCC-193 et n°10-DCC-02 précitées, ainsi que les décisions de la Commission européenne n°COMP / M.4613 du 20 avril 2007, Eurazeo SA / Apcoa Parking Holdings GmbH.
DECIDE
Article unique : L’opération notifiée sous le numéro 15-090 est autorisée.