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Décisions

Commission, 4 juin 2004, n° M.3373

COMMISSION EUROPÉENNE

Décision

PARTIES

Demandeur :

Accor, Colony, Desseigne-Barrière

Commission n° M.3373

4 juin 2004

LA COMMISSION DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES, - vu le traité instituant la Communauté européenne, - vu le règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises1, modifié en dernier lieu par le règlement (CE) n° 1310/97 du Conseil, du 30 juin 19972 (ci-après, "le règlement sur les concentrations"), et, en particulier, son article 9, paragraphe 3, - vu la notification du 19 avril 2004, effectuée par la famille Barrière Desseigne et les entreprises Accor S.A. et Colony, en vertu de l'article 4 dudit règlement, - vu la demande présentée par Le Ministère français de l'Economie, des Finances et de l'Industrie le 13 mai 2004,

CONSIDÉRANT CE QUI SUIT:

1. Le 19/04/2004, la Commission a reçu notification d'un projet de concentration par lequel les entreprises Accor S.A. (« Accor »), Colony Capital, LLC (« Colony ») et la famille Barrière-Desseigne (« FBD ») acquièrent le contrôle en commun de l'entreprise nouvellement créée Groupe Lucien Barrière (« Groupe Lucien Barrière »), société qui regroupera les actifs hôteliers et les casinos contrôlés actuellement directement ou indirectement par Accor et la famille Barrière-Desseigne.

2. Par lettre du 13/05/2004, la République française a demandé le renvoi partiel à ses autorités compétentes du projet de concentration en vue de son appréciation au regard du droit national de la concurrence de la République française, conformément à l'article 9, du règlement sur les concentrations ("la demande") pour ce qui concerne les effets de l’opération sur la concurrence en France, sur certains marchés de l’exploitation des casinos.

I. LES PARTIES

3. Accor est un groupe français présent dans 140 pays dans les secteurs de l’hôtellerie (70% de son chiffre d’affaires), des services aux entreprises et collectivités publiques (titres et cartes restaurant et alimentation), distribution de voyages, restauration, casinos et services à bord des trains. Accor est présent dans le secteur des casinos à travers sa filiale Accor Casinos, dont elle partage le contrôle à 50/50 avec Colony, qui exploite 21 casinos (17 en France, 2 en Suisse, 1 en Belgique et 1 à Malte) et à travers sa participation à hauteur de 34,9% dans la Société des Hôtels et Casino de Deauville, contrôlée par la famille Barrière-Desseigne.

4. La famille Barrière-Desseigne représente deux personnes physiques Dominique Desseigne et Marta Barrière et deux sociétés, la Société de Participation Deauvillaise S.C.I. et la Société de Participation Bauloise S.A.. La famille Barrière-Desseigne est active en France principalement dans les secteurs des casinos (15), de l’hôtellerie de luxe et des loisirs (12 hôtels, golfs et centre de thalassothérapie).

5. Colony est une société américaine spécialisée dans l’investissement immobilier et détient via sa filiale française ColEven S.A.S, une participation de 50% dans la société Accor Casinos.

II. L’OPERATION

6. Accor, Colony et la famille Barrière-Desseigne ont signé un protocole d’accord visant à créer une société commune qui sera dénommée « Groupe Lucien Barrière ». Cette société regroupera l’ensemble des actifs hôteliers, casinos et installations annexes contrôlés par Accor Casinos et la famille Barrière-Desseigne, à l’exception pour cette dernière des actifs de la Société Fermière du Casino Municipal de Cannes (« SFCMC ») qui contrôle deux casinos. A l’issue de différentes opérations de cession et d’apports entre les parties, la famille Barrière-Desseigne détiendra 51% du capital de l’entreprise commune, Accor, 34% et Colony, 15%.

III. LA CONCENTRATION

7. L’entreprise commune sera dotée d’un Conseil de Surveillance, composé de 6 représentants de la famille Barrière-Desseigne, 4 représentants d’Accor et 2 représentants de Colony, et d’un Directoire dont les 6 membres seront nommés à l’unanimité par le Conseil de Surveillance. Les actionnaires minoritaires auront des droits additionnels de veto sur les décisions stratégiques de l’entreprise commune, telles que définies dans le protocole d’accord. Cette règle est donc de nature à caractériser un contrôle en commun de l’entreprise par les parties.

8. En outre, la nouvelle entité exercera de manière durable toutes les fonctions d’une entité économique autonome, car elle disposera de son propre personnel ainsi que des ressources financières et de la propriété de biens matériels et immatériels nécessaires à ses activités. De plus, l’entreprise est créée pour une durée indéterminée.

9. L’opération notifiée constitue donc une concentration au sens du paragraphe 1 point

b) de l’article 3 du règlement 4064/89 du 21 décembre 1989 relatif au contrôle des opérations de concentrations entre entreprises.

IV. DIMENSION COMMUNAUTAIRE

10. Les entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 5 000 millions d’euros3 (7.139 millions d’euros pour Accor, 376 millions d’euros pour Barrière et 525 millions d’euros pour Colony). Chacune d'entre elles réalise un chiffre d'affaires dans la Communauté de plus de 250 millions d’euros (4.438 millions d’euros pour Accor, 359 millions d’euros pour Barrière et 277 millions d’euros pour Colony), et aucune d’Accor et de Colony ne réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires dans un seul et même Etat membre. L'opération a donc une dimension communautaire.

V. ANALYSE DE LA DEMANDE DE RENVOI

11. Les autorités françaises demandent le renvoi partiel de l’affaire en objet conformément à l’article 9 du règlement. Cette demande porte sur l’analyse des effets de l’opération sur les marchés locaux de l’exploitation des casinos (à savoir des marchés sur lesquels l’offre émane des opérateurs de casinos et la demande des joueurs individuels) situés sur la Côte d’Azur et sur la côte basco-landaise. Les autorités françaises ne demandent pas, en revanche, le renvoi pour les autres marchés concernés par l’opération.

12. Les autorités françaises considèrent à titre principal que les conditions d’un renvoi au titre de l’article 9.2 b) sont réunies. Selon elles, les zones de chalandise définissant la dimension géographique des marchés de l’exploitation des casinos constituent des marchés distincts à l’intérieur du territoire français et ne sont pas, en raison de leur caractère local, des parties substantielles du Marché Commun ; par ailleurs, l’opération notifiée affecte la concurrence à l’intérieur de ces zones de chalandise. Si la Commission conclut que les conditions susvisées sont réunies et que ces marchés sont affectés, elle doit renvoyer aux termes de l'article 9(3) al.3 du règlement tout ou partie du cas afférent à ces marchés distincts.

13. A titre subsidiaire, les autorités françaises expliquent que la présente opération risque de créer ou de renforcer une position dominante sur chacun des marchés affectés objets de la demande de renvoi. Si la Commission conclut que tel est bien le cas, soit, elle traite elle-même le cas en vue de préserver ou de rétablir une concurrence effective sur le marché concerné (article 9,3 al.1,a), soit, elle renvoie tout ou partie du cas aux autorités compétentes de l'État membre concerné en vue de l'application de la législation nationale sur la concurrence dudit État (article 9,3 al.1,b).

14. La présente décision ne concerne que les marchés objets de la demande des autorités françaises. La Commission a pris ce même jour une décision conformément à l’article

6.1 b) du règlement, et a autorisé la transaction en ce qui concerne les marchés non couverts par la demande des autorités françaises.

VI. MARCHÉS EN CAUSE

Les marchés de produits

15. L’exploitation des casinos est un secteur particulièrement réglementé en France. Aux termes de la loi du 15 juin 1907, les casinos ne peuvent être implantés que dans des communes classées station balnéaire thermale ou climatique. Depuis la loi n°88-13 du 5 janvier 1988, il est aussi possible d’implanter un casino dans les villes ou stations classées touristiques ou dans des villes constituant la ville principale d’une agglomération de plus de 500.000 habitants qui participent au fonctionnement d’un centre dramatique national, d’un orchestre national, d’un théâtre ou d’un opéra. Par ailleurs, une loi de 1920 interdit expressément l’ouverture d’un casino à moins de 100 km de Paris. L’implantation d’un casino dans une commune fait l’objet d’une convention de délégation de service public entre la commune et l’exploitant sur la base d’un cahier des charges précis et à l’issue d’une procédure d’appel d’offres initiée par la commune.

16. Après avoir été retenu, le délégataire doit obtenir une autorisation d’exploitation délivrée par le Ministère de l’Intérieur, qui dispose d’un pouvoir discrétionnaire de l’accorder ou non. L’exploitation d’un casino en France a le statut d’un service public ; l’exploitant doit recevoir une autorisation par le Ministère de l’Intérieur qui a un pouvoir discrétionnaire pour l’accorder ou la refuser. L’autorisation est accordée pour une période n’excédant pas 5 ans et pouvant être limitée à un an et fixe –de manière discrétionnaire- le nombre de machines à sous et de jeux de tables que le casino peut exploiter. Elle est assortie de mesures de surveillance et de contrôle. Lors de la première année d’exploitation, les opérateurs de casinos sont soumis à une période probatoire, durant laquelle ils n’exploitent pas de machines à sous. Au-delà de cette première année, toute demande d’extension du parc de machines est également soumise à l’agrément du Ministère de l’Intérieur. Les exploitants de casino sont enfin contraints à des reversements obligatoires du produit des jeux aux communes, ainsi qu’aux joueurs à travers un taux de redistribution4 minimum fixé par la loi (ex : 85% pour les machines à sous, 88,9% pour le jeu de boule, 98.5% pour le baccara).

17. La Commission ne s’est jamais prononcée sur la définition exacte des marchés liés à l’exploitation des casinos même si dans une de ses décisions5, elle reconnaît l’existence d’un marché des machines de jeux (machines à sous incluses). Par ailleurs, le Conseil de la concurrence français a considéré, dans une de ses décisions6, que les jeux de hasard des casinos n’étaient ni substituables avec les jeux organisés par la Française des jeux (loterie) ni avec les paris sur les courses de chevaux.

18. Les parties notifiantes partagent l’analyse du Conseil de la Concurrence et considèrent qu’il faut distinguer les jeux de casino des autres jeux de hasard pour l’analyse concurrentielle de cette opération. Compte tenu de la réglementation en vigueur ainsi que du fonctionnement du marché, les parties ont été amenées à distinguer deux marchés principaux dans le secteur des casinos : le marché amont, qui est celui de l’obtention des délégations de service public à l’issue d’appels d’offres et le marché aval, qui correspond à l’exploitation des casinos. Seul le marché de l’exploitation des casinos est concerné par la demande de renvoi.

19. Au sein du marché aval, les parties notifiantes retiennent qu’il est possible d’effectuer une distinction supplémentaire entre i) machines à sous et ii) jeux de tables7. Cependant elles estiment que cette distinction n’est pas pertinente pour l’analyse concurrentielle de la présente opération, dans la mesure où l’activité des jeux de table est devenue mineure dans le bilan économique des casinos, représentant moins de 10% du produit brut des jeux8 (PBJ), où la clientèle jouant exclusivement aux jeux de table est très peu nombreuse, et où les grands joueurs dépensant plusieurs millions d’euros par an dans les casinos, fréquentent très peu les casinos de France.

20. Les autorités françaises considèrent que l’exploitation des casinos constitue un marché distinct, et considèrent par ailleurs que les secteurs de machines à sous et des jeux de table se distinguent sous plusieurs aspects. Cependant, elles ne concluent pas sur l’existence de marchés distincts entre les deux secteurs et développent leur analyse à la fois sur un marché global de l’exploitation des casinos et en distinguant entre jeux de table et machines à sous.

21. L’enquête de la Commission a confirmé que l’exploitation de casinos se distinguait des autres jeux d’argent. En ce qui concerne la distinction entre jeux de table et machines à sous, l’enquête a montré que les jeux de table représentaient une part très limitée de l’activité des casinos en France, et que les joueurs fréquentant exclusivement les salles de jeux étaient extrêmement minoritaires. Cependant divers éléments ont pu être identifiés qui permettent de distinguer entre jeux de tables et machines à sous. Outre la clientèle ne fréquentant qu’exclusivement les salles de jeux (le plus souvent une clientèle masculine à revenus élevés), l’accès est payant pour la salle réservée aux jeux de table (droit de timbre d’environ 10 euros), contrairement à celle des machines à sous. De plus, la mise minimale est généralement plus élevée aux jeux de table, qui fonctionnent selon des règles et des Codes propres à chaque jeu et qui sont moins accessibles que les machines à sous. Enfin, il apparaît que si tous les casinos doivent avoir une salle de jeux de table, ils n’ont pas en revanche la même offre de jeux de table.

22. Cependant, la question de la définition précise des marchés de l’exploitation des casinos peut être laissée ouverte dans la mesure où quelle que soit la définition retenue, le résultat de l'analyse de la demande de renvoi des autorités françaises est identique.

Les marchés géographiques

23. Les parties notifiantes considèrent que l’exploitation de casinos s’exerce sur des marchés de dimension locale. Ces marchés se définissent par zones de clientèle qui s’étendent autour de chaque casino et qui constituent des marchés distincts. Sur la base de sondages effectués dans leurs casinos et de leur expérience, les parties ont défini des zones de clientèle locales qui s’étendent à environ 1 heure de distance en voiture d’un casino. Cette analyse serait appuyée par celle du Ministère de l’Intérieur qui utilise la notion de «bassin ludique» pour l’attribution des autorisations et par le fait que la promotion des casinos est faite sur cette même base locale.

24. Les parties notifiantes soulignent également que durant les mois d’été (période pendant laquelle est réalisée la plus grande partie de l’activité annuelle des casinos), la durée des trajets dans certaines zones touristiques est fortement augmentée du fait de l’affluence touristique. Dans les zones où se trouve un grand nombre de casinos, elles considèrent de plus que la dimension géographique pertinente est celle du bassin de population situé à proximité du casino, sur la base de leurs études marketing. Cela conduit à des zones plus réduites pour les régions Côte d’Azur et Aquitaine.

25. Les autorités françaises considèrent que les marchés de l’exploitation des casinos sont de dimension locale ne constituant pas des parties substantielles du Marché Commun. Plus précisément, elles soutiennent que la dimension géographique limitée à une zone de chalandise d’une heure en voiture permet de délimiter de façon satisfaisante des marchés géographiques distincts. A titre subsidiaire, les autorités françaises considèrent aussi, dans leur analyse concurrentielle de l’opération, la possibilité, soit de marchés encore plus étroits, se limitant au bassin de population situé à proximité immédiate du casino, soit, à l’inverse, de marchés beaucoup plus étendus résultant du chevauchement entre les zones locales susvisées ; dans cette dernière hypothèse deux marchés pourraient être distingués, dont l’un s’étendrait de Cavalaire sur Mer à Menton et l’autre comprendrait l’ensemble de la côte basco-landaise.

26. L’enquête de la Commission a confirmé que le marché de l’exploitation de casinos était de dimension locale. Comme le montrent aussi les études marketing fournies par les parties, il apparaît que la localisation est le premier critère de choix d’un casino pour les joueurs. Les études marketing obtenues durant l’enquête indiquent également que les personnes fréquentant des casinos le font dans la zone géographique proche de leur domicile.

27. Plus précisément, l’enquête a indiqué que des zones de chalandise limitées à un déplacement d’une heure en voiture permettaient de délimiter de manière satisfaisante le marché géographique pour l’analyse de la présente opération. Tout d’abord, les exploitants de casinos ont confirmé que la plus grande part de la clientèle (plus de 80%) provient de la population locale, à moins d’une heure en voiture. Ensuite, il apparaît qu’une hausse des mises minimales d’un casino n’entraînerait qu’un report de clientèle très réduit en faveur d’un casino concurrent situé à plus d’une heure en voiture. Enfin, la majorité des exploitants de casinos interrogés considèrent que la Côte d’Azur dans son ensemble ne constitue pas une zone de concurrence homogène. L’enquête a ainsi confirmé en partie la position des parties notifiantes selon laquelle les casinos de la Côte d’Azur ont une clientèle très locale, compte tenu de la densité particulièrement élevée des casinos dans cette zone. Bien que la plupart des joueurs fréquentent plusieurs casinos, ils ne se déplacent généralement pas plus d’une heure et ont un « casino de référence » proche de leur domicile. Tous ces éléments indiquent donc que l’exploitation de casinos est exercée sur des marchés de dimension locale.  

28. Cependant, et si la définition géographique sur la base d’une heure apparaît la plus appropriée pour rendre compte des conditions spécifiques du marché, plusieurs études marketing montrent également que le casino de San Remo en Italie ne fait pas partie des marchés locaux de la Côte d’Azur, et que celui de San Sebastian en Espagne ne fait pas partie de celui de la côte basco-landaise. En effet, il apparaît qu’une proportion très réduite de clients des casinos français fréquente les casinos situés de l’autre côté de la frontière.

29. Les parties notifiantes, ayant reçu une copie de la demande de renvoi des autorités françaises, ont formulé des observations écrites sur celle-ci dans un courrier daté du 1er juin 2004. Elles estiment notamment que l’exclusion des casinos de San Remo et San Sebastian n’est pas basée sur « une vraie analyse des éléments factuels », et que le casino de San Remo doit être inclus dans les zones de chalandise des casinos de Menton, Nice, Cannes et Mandelieu, tout comme le casino de San Sebastian doit être inclus dans la zone de chalandise des casinos de Biarritz. Dans leurs observations, les parties mentionnent trois éléments en particulier : a) l’absence d’obstacles à la fréquentation des casinos dans l’espace Schengen ; b) les efforts marketing vers les joueurs italiens et espagnols ; et c) le présence réelle de joueurs italiens et espagnols dans les casinos situés à proximité des frontières. Les parties admettent en même temps que le casino de San Remo ne fait pas partie des zones de chalandise des casinos de Sainte-Maxime et de Saint-Raphael, car tous deux sont situés à une distance supérieure à une heure en voiture.

30. La Commission n’a pas eu le temps matériel nécessaire pour conduire une enquête complémentaire afin d’analyser les éléments nouveaux apportés par les parties notifiantes. Cependant, un certain nombre de facteurs tendent à fortement nuancer l’opinion selon laquelle les casinos de San Remo et de San Sebastian doivent être inclus dans les marchés locaux définis autour des casinos français, ce qui signifierait qu’ils exercent une contrainte concurrentielle sur les casinos situés sur le territoire français. Il apparaît plutôt que : i) les conditions de concurrence diffèrent entre les différents pays pour l’exploitation des casinos et que les éléments fournis tardivement par les parties sont ii) partiellement contredits par d’autres éléments factuels de la notification et par des facteurs explicatifs alternatifs.

31. Tout d’abord, il existe des différences dans la nature de l’offre pour les jeux de casinos entre la France, l’Espagne et l’Italie. Comme le soulignent les parties elles-mêmes, la réglementation de l’exploitation des casinos est nationale et diffère entre la France, l’Italie et l’Espagne. En particulier, et outre les différences dans la réglementation des jeux eux-mêmes, les casinos de San Remo et de San Sebastian n’ont pas de contrainte équivalente en terme de services de restauration et d’activités culturelles.. De plus, certains éléments tendent à indiquer que les joueurs espagnols et italiens fréquentent plus les jeux de table9 et réalisent des mises plus élevées10.

32. Ensuite, l’argument selon lequel l’espace Schengen suffirait à définir des marchés transnationaux n’est pas convainquant. En effet, la pratique de la Commission a été de définir des marchés nationaux ou locaux dans un très grand nombre de secteurs, et ceci malgré la libre circulation des personnes à travers les frontières. Le marketing et les actions de promotions en direction des joueurs italiens et espagnols, tout comme la présence de joueurs de ces pays ne permettent pas, enfin, de déterminer avec précision si ces joueurs sont des habitants de la zone de chalandise située immédiatement de l’autre côté de la frontière. En effet, les casinos de France doivent de par la loi être localisés dans des zones à caractère touristique. Pour cette raison, et comme l’a confirmé l’enquête de la Commission, une partie non négligeable de la clientèle des casinos situés sur le territoire français est constituée de touristes, dont des touristes étrangers. Ainsi la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur a-t-elle reçu 35 millions de touristes en 2001, dont plus de 8 millions de touristes étrangers, au premier rang desquels les Italiens avec 1.8 millions de touristes11. Ces touristes résident généralement dans des hôtels avoisinant les casinos, donc au sein de la zone de chalandise.

33. Les actions marketing visant à faire venir des touristes italiens ou espagnols dans les hôtels de la ville d’implantation des casinos, fournies par les parties notifiantes, ne signifient pas que ces touristes italiens ou espagnols séjournant en France vont se déplacer de l’autre côté de la frontière pour aller jouer à San Remo ou à San Sebastian. Bien au contraire, elles tendent à indiquer qu’en résidant dans un hôtel proche d’un casino de France, ces touristes vont nourrir la clientèle locale située à l’intérieur du territoire français. De même, lorsque les parties expliquent qu’une partie importante de leur clientèle à Menton est d’origine italienne, elles n’expliquent pas si -et dans quelles proportions- ces joueurs résident dans un hôtel de Menton, y ont une résidence secondaire, ou s’ils sont venus depuis l’autre côté de la frontière italienne spécifiquement pour jouer au casino. En outre, la Commission a trouvé des éléments indiquant qu’à la fois la fréquentation touristique étrangère dans les zones Côte d’Azur et côte basco-landaise et les revenus des jeux12 se concentrent pendant les mois d’été. Or comme l’expliquent les parties notifiantes elles-mêmes, durant ces mois, les zones correspondant à des trajets d’une heure en voiture sont fortement rétrécies en raison de l’intensité du trafic routier ; leur superficie peut ainsi être trois à quatre fois plus réduite qu’en période de hors saison 13. Il est donc très vraisemblable que San Remo, qui en temps normal est à 47 minutes de Nice, 54 minutes de Cannes et 57 minutes de Mandelieu, soit hors de la zone de chalandise les mois d’été ; de même pour San Sebastian, situé en temps normal à 30 minutes de Biarritz et 50 minutes d’Hossegor.

34. Enfin, plus fondamentalement, la Commission observe que les parties se sont essentiellement attachées à montrer que les clientèles italiennes et espagnoles étaient susceptibles d’être attirées vers les casinos français. Elles n’ont pas, en revanche, cherché à montrer dans quelle mesure la clientèle locale des casinos français (que cette clientèle se compose de citoyens français ou de ressortissants italiens ou espagnols vivant ou en villégiature dans la zone de chalandise des différents casinos français) serait susceptible de se déplacer vers San Remo ou San Sebastian si les casinos français offraient des services de moindre qualité et/ou à des « prix » supérieurs à ceux prévalant actuellement. En tout état de cause, les éléments mentionnés dans l’annexe 32 de la notification contredisent l’idée selon laquelle les casinos de San Sebastian et de San Remo constitueraient une contrainte concurrentielle sur les casinos français, dans la mesure où peu de clients des casinos de France les fréquentent.

35. Pour l’ensemble de ces raisons, il apparaît que les marchés de l’exploitation des casinos visés par la demande de renvoi sont de dimension locale et à l’intérieur du territoire français. Ils peuvent être définis sur la base d’une zone de chalandise d’une heure en voiture autour des casinos ou alternativement sur la base du bassin local de population. Il n’est pas nécessaire de définir précisément ces marchés, car quelle que soit la définition retenue, les conditions de l’article 9.2 b) du règlement sont réunies.

VI. APPRÉCIATION SOUS L'ANGLE DE LA CONCURRENCE

36. L’opération entraînera des marchés affectés dans deux régions, la Côte d’Azur et la côte basco-landaise, les autres marchés n’étant pas affectés étant donné l’absence de chevauchement des activités des parties.

37. Sur la base de trajets d’une heure, pour la Côte d’Azur, différents marchés locaux seraient affectés autour des principaux casinos des parties: Sainte-Maxime (Hyères à Nice), Saint-Raphaël (Cavalaire-sur-Mer à Menton), Cannes-Mandelieu (Cavalaire-sur-Mer à San Remo), Cannes-Croisette (Sainte-Maxime à San Remo), Ruhl de Nice (Sainte-Maxime à San Remo) et Menton (Saint-Raphaël à San Remo). Pour la côte basco-landaise, elles définissent un marché couvrant la zone allant de San Sebastian à Dax et de Hendaye à Hossegor. Sur la base du bassin local de population, seuls deux marchés seraient affectés : Cannes-Mandelieu et Nice-Menton.

38. Les autorités françaises ont expliqué que l'opération notifiée affectait la concurrence sur ces marchés. La Commission a identifié plusieurs éléments le confirmant, notamment les parts de marché combinées sur les marchés identifiés ci-dessus dépassant parfois 40%.

39. Aucun de ces marchés distincts à l’intérieur du territoire français ne constitue une partie substantielle du Marché Commun. En effet, ces marchés ont un caractère local et représentent une part limitée de l’activité économique européenne dans le secteur des casinos. Par exemple, aucune de ces zones ne compte plus de 13 casinos14, contre environ 180 casinos au total en France et près de 500 dans le Marché Commun15.

VII. CONCLUSION

40. Eu égard aux considérations qui précèdent, les conditions sont réunies pour demander un renvoi au titre de l'article 9, paragraphe 2, point b). La Commission conclut donc qu’il est approprié de renvoyer l’affaire, s’agissant des marchés de l’exploitation des casinos affectés par l’opération, aux autorités compétentes françaises en vue de l’application de la législation nationale sur la concurrence dans cet Etat.

 

A ARRÊTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION:

Article1 

Le projet de concentration notifié par lequel Accor, Colony, et la famille Barrière-Desseigne acquièrent le contrôle en commun de l'entreprise nouvellement créée Groupe Lucien Barrière, société qui regroupera les actifs hôteliers et les casinos contrôlés actuellement directement ou indirectement par Accor et la famille Barrière-Desseigne est partiellement renvoyé aux autorités compétentes de la République française, conformément à l'article 9, paragraphe 3), du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil.

Article 2

La République française est destinataire de la présente décision.

NOTES :

1 JO L 395 du 30.12.1989, p. 1; version corrigée JO L 257 du 21.9.1990, p. 13.

2 JO L 180 du 9.7.1997, p. 1; corrigendum JO L 40 du 13.12.1998, p. 17.                        

3 Chiffre d’affaires calculé conformément à l’article 5(1) du règlement relatif au contrôle des opérations de concentrations et à la communication de la Commission sur le calcul du chiffre d’affaire (JO C 66, du 2.3.1999, p. 25). Dans la mesure où ces données concernent des chiffres d’affaires relatifs à une période antérieure au 1.1.1999, elles sont calculées sur la base des taux de change moyens de l’écu et traduit en euros sur la base d’un pour un.                       

4 part des gains par rapport aux mises

5 Voir le cas N° COMP/M.3109 Candover/Cinven/Gala.

6 Voir Décision n° 00-D-50 du 5 mars 2001 relative à des pratiques mises en œuvre par la société Française des Jeux dans les secteurs de la maintenance informatique et du mobilier de comptoir.

7 Les jeux de table sont le baccara, le black-jack, la boule, le craps, la roulette anglaise, le punto banco, la roulette française, le stud-poker, le trente-et-quatre et le vingt-trois

8 Le produit brut des jeux (PBJ) correspond aux sommes perdues par les joueurs avant prélèvements fiscaux. C’est une donnée financière utilisée généralement dans le secteur des casinos comme valeur de référence.

9 Annexe 7 des observations des parties notifiantes fournies le 1/06/2004

10 Voir page 306 de l’annexe 15 les mises moyennes par pays par personne

11 Voir par exemple http://www.crt-paca.fr/pdf/Chiffres_cles_03.pdf

12 Par exemple, pour la SBM, le trimestre juillet-septembre est celui qui correspond à la plus grande part du chiffre d’affaires dans l’activité jeux (source : http://www.boninvest.com/exemple_FR.pdf)

13 Notification, paragraphe 188

14 L’analyse cartographique fournit par les parties (voir annexe 30 de la notification) permet d’identifier l’ensemble des casinos opérant dans une zone définie par un trajet d’une heure en voiture. La zone où se trouvent le plus de casinos apparaît ainsi être celle autour de leur casino de Saint Raphael, où se trouvent une dizaine de casinos concurrents. Les zones définies sur la basse du bassin local de population sont encore plus réduites.

15 Voir par exemple les statistiques sur le site http://www.casinocity.com/countries.html