CE, 3e et 8e ch. réunies, 14 juin 2017, n° 395247
CONSEIL D'ÉTAT
Arrêt
Rejet
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Rapporteur :
M. Lombard
Rapporteur public :
M. Daumas
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Thiriez , SCP Piwnica, Molinié , Me Le Prado
LE CONSEIL : - Vu la procédure suivante : - 1° Sous le n° 395284, par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistré le 14 décembre 2015, et les 14 mars et 19 décembre 2016 et au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société coopérative carburant d'intérêt régional public privé (CCIRPP) demande au Conseil d'Etat : - 1°) d'annuler la décision n° 15-DCC-104 de l'Autorité de la concurrence du 30 juillet 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de la Société Réunionnaise de Produits Pétroliers par la société Rubis ; - 2°) d'enjoindre à l'Autorité de la concurrence de réexaminer la demande d'autorisation de concentration de la société Rubis dans un délai raisonnable assorti d'une astreinte de 150 euros par jour de retard ; - 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative. - 2° Sous le n° 395247, par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistré le 14 décembre 2015, et les 19 décembre et 14 mars 2016 et au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société coopérative carburant d'intérêt régional public privé (CCIRPP) demande au Conseil d'Etat : - 1°) d'annuler la décision n° 15-DCC-104 de l'Autorité de la concurrence du 30 juillet 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de la Société Réunionnaise de Produits Pétroliers par la société Rubis ; - 2°) d'enjoindre à l'Autorité de la concurrence de réexaminer la demande d'autorisation de concentration de la société Rubis dans un délai raisonnable assorti d'une astreinte de 150 euros par jour de retard ; - 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative. - 3° Sous le n° 395278, par une requête, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistré le 14 décembre 2015, et les 19 décembre et 14 mars 2016 et au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société coopérative carburant d'intérêt régional public privé (CCIRPP) demande au Conseil d'Etat : - 1°) d'annuler la décision n° 15-DCC-104 de l'Autorité de la concurrence du 30 juillet 2015 relative à la prise de contrôle exclusif de la Société Réunionnaise de Produits Pétroliers par la société Rubis ; - 2°) d'enjoindre à l'Autorité de la concurrence de réexaminer la demande d'autorisation de concentration de la société Rubis dans un délai raisonnable assorti d'une astreinte de 150 euros par jour de retard ; - 3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative. - Vu les autres pièces des dossiers ;Vu : - le Code de commerce ;- le Code de justice administrative ; - Après avoir entendu en séance publique :- le rapport de M. Pierre Lombard, auditeur, - les conclusions de M. Vincent Daumas, rapporteur public ; - La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Le Prado, avocat de la coopérative carburant d'intérêt régional public privé (CCIRPP), à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Total marketing services et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Rubis ;
Considérant ce qui suit :
1. Les documents enregistrés sous les n°s 395247 et 395278 constituent en réalité des doubles de la requête de la société coopérative carburant d'intérêt régional public privé (CCIRPP) enregistrée sous le n° 395284. Par suite, ces documents doivent être rayés des registres du secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat et joints à la requête enregistrée sous le n° 395284.
2. Il résulte de l'instruction que par une décision du 30 juillet 2015, l'Autorité de la concurrence a autorisé la prise de contrôle exclusif de la Société Réunionnaise des Produits Pétroliers (SRPP), jusqu'alors détenue à parts égales par les sociétés Total et Shell, par la société Rubis sous réserve des engagements pris par cette dernière. La société coopérative carburant d'intérêt régional public privé (CCIRPP) demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.
3. D'une part, le décret n° 2013-1315 du 27 décembre 2013 réglementant les prix des produits pétroliers ainsi que le fonctionnement des marchés de gros pour la distribution de ces produits dans le département de La Réunion, prévoit à son article 2, qu'à La Réunion, les produits dont les prix sont réglementés sont les suivants : " a) Supercarburants sans plomb et gazoles ; / b) Fioul domestique ; / c) Pétrole lampant ; / d) Gaz de pétrole liquéfié ". Aux termes de l'article 7 de ce décret : " Un arrêté préfectoral établit la liste des installations de stockage de produits mentionnés au I de l'article 2 qui sont indispensables à la distribution de ces produits et qu'il serait impossible de reproduire par des moyens économiquement raisonnables. Les entreprises qui exploitent ces installations permettent aux opérateurs économiques d'y accéder dans des conditions non discriminatoires et pratiquent des prix orientés vers les coûts, incluant une rémunération raisonnable du capital ".
4. D'autre part, il résulte de l'instruction que, dans sa décision du 30 juillet 2015, l'Autorité de la concurrence a constaté que le département de La Réunion ne comportait aucune raffinerie et que l'ensemble des produits pétroliers et GPL y était donc importé. Elle a également constaté que les produits importés transitaient par les installations de la SRPP qui détient l'ensemble des capacités de stockage existantes à La Réunion. L'Autorité a ensuite estimé que le passage d'un contrôle conjoint de la SRPP par les sociétés Total et Shell, à un contrôle exclusif par la société Rubis, était de nature à avoir des effets anticoncurrentiels verticaux liés à la possibilité, pour la SRPP, de mettre en oeuvre une stratégie de verrouillage des marchés sur lesquels elle détient un monopole, à savoir le stockage de produits pétroliers et de GPL d'une part, et l'emplissage de GPL d'autre part. Compte-tenu de la réglementation des prix des produits pétroliers en vigueur à La Réunion dont les dispositions pertinentes sont mentionnées ci-dessus, l'Autorité de la concurrence a identifié, sur le marché du stockage de produits pétroliers à La Réunion, un risque de refus d'accès ou de discrimination dans l'accès aux capacités de stockage de la SRPP pour les carburants marins et les carburéacteurs, qui ne font pas partie des produits réglementés par le décret du 27 décembre 2013. Elle a également, sur le marché de l'emplissage de GPL, identifié un risque de refus d'accès ou de discrimination à la prestation d'emplissage de GPL de la part de la SRPP, cette prestation ne faisant pas l'objet d'une réglementation. Elle a enfin considéré que l'opération en cause était susceptible d'entraîner une hausse des tarifs pratiqués par la SRPP pour certaines de ses prestations annexes sur le marché de l'emplissage de GPL.
5. Enfin, en vue de remédier aux effets anticoncurrentiels de l'opération sur les marchés du stockage de produits pétroliers et de l'emplissage de GPL à La Réunion, la société Rubis s'est engagée, pour une période de cinq ans qui peut être renouvelée une fois : " - à donner aux tiers un accès aux installations de stockage et de déchargement appartenant à la SRPP ou dont elle a l'usage, incluant tous les infrastructures et équipements utiles et nécessaires, tels que les oléoducs qui relient les quais de déchargement aux installations de stockage pour les produits non visés à l'article 2 du décret n° 2013-1315 du 27 décembre 2013 (c'est-à-dire les carburéacteurs et carburants marins) et à fournir cet accès à des conditions non discriminatoires et à un prix orienté vers les coûts incluant une rémunération raisonnable du capital pour les produits dont le prix n'est pas fixé par arrêtés préfectoraux ; - à proposer à tout tiers qui en ferait la demande des prestations d'emplissage de bouteilles de GPL à des conditions non discriminatoires et transparentes et à des prix définis conformément aux dispositions au décret n° 2013-1315 du 27 décembre 2013 et à son arrêté d'application ; et à proposer les prestations annexes aux prestations d'emplissage à des conditions non discriminatoires et à un prix orienté vers les coûts et incluant une rémunération raisonnable du capital ". Elle s'est en outre engagée à nommer un mandataire indépendant en charge de superviser la mise en oeuvre de l'accès non discriminatoire des tiers aux infrastructures de stockage et d'emplissage de GPL, ainsi que de s'assurer du respect des conditions tarifaires visés par les engagements.
6. Il résulte de ce qui est rapporté ci-dessus que la CCIRPP n'est pas fondée à prétendre que les engagements ainsi proposés par la société Rubis et agréés par l'Autorité de la concurrence seraient insuffisants au motif qu'ils manqueraient de précision.
7. La CCIRPP soutient aussi, d'une part, que les engagements litigieux seraient insuffisants pour permettre d'accroître la concurrence sur les marchés concernés par l'opération de concentration et, d'autre part, que la prévention des atteintes à la concurrence résultant de cette opération de concentration pouvait être obtenue par d'autres mesures plus contraignantes. Ces moyens ne peuvent qu'être écartés dès lors qu'il appartient seulement à l'Autorité de la concurrence, pour apprécier si un engagement est pertinent et suffisant, de rechercher s'il est de nature à pallier les effets anticoncurrentiels de l'opération projetée et à maintenir ainsi une concurrence suffisante.
8. Le moyen selon lequel la société Rubis n'aurait, à ce jour, nommé aucun mandataire indépendant chargé de s'assurer de l'exécution satisfaisante des engagements manque, en tout état de cause, en fait.
9. La CCIRPP soutient enfin que la durée de cinq ans renouvelable une fois pour laquelle les engagements ont été pris par la société Rubis est insuffisante. Toutefois, elle ne fait pas état de l'existence de circonstances particulières, ni n'apporte, au soutien de cette affirmation, aucun élément de nature à établir que des engagements d'une durée plus longue que celle de cinq ans renouvelable une fois, qui est d'ailleurs celle évoquée au point 617 des lignes directrices de l'Autorité de la concurrence, à les supposer pertinents, eussent été proportionnés à l'objectif de maîtrise des effets propres de l'opération et de prévention des atteintes à la concurrence qui sont susceptibles d'en résulter.
10. Il résulte de ce qui précède que la requête de la CCIRPP ne peut qu'être rejetée. Les dispositions de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Autorité de la concurrence qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
DECIDE :
Article 1er : Les productions enregistrées sous les n°s 395247 et 395278 seront rayées du registre du secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat pour être jointes à la requête n° 395284.
Article 2 : La requête de la coopérative carburant d'intérêt régional public privé est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la coopérative carburant d'intérêt régional public privé et à l'Autorité de la concurrence.