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Décisions

CA Paris, Pôle 4, ch. 5, 5 février 2020, n° 19/11015

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Euro Disney Associés (SAS)

Défendeur :

TSB Bâtiment (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chaumaz

Conseillers :

Mme Tapin, Mme Morlet

T. com. Meaux, du 4 juin 2019

4 juin 2019

La société Euro Disney Associés exploite le parc de loisirs Disneyland Paris ainsi que différents hôtels situés [...].

Courant 2017, elle a, en qualité de maître d'ouvrage, entrepris des travaux de restructuration, d'extension et de rénovation du bâtiment couvrant la piscine de cet hôtel et concernant le restaurant, la cuisine et les vestiaires.

L'opération comportait plusieurs lots et notamment le lot n°3 « Structure / maçonnerie », décrit en pages 21 et 22 du CCTP.

Suivant convention signée le 5 janvier 2018, la société Euro Disney a confié au groupement d'entreprises solidaire composé des sociétés TSB Bâtiment, Art'liam et DB Peinture, dont le mandataire commun était la société TSB Bâtiment, un marché de travaux pour la réalisation de travaux de reprise de structures et de maçonneries du [...] et relevant de ce lot n°3 « structure / maçonnerie ».

Le marché a été initialement conclu pour un prix forfaitaire de 1 048 579,40 € HT, soit la somme de 1 258 295,28 € TTC, montant auquel s'ajoutent les sommes suivantes :

- 45 650,80 € HT pour des travaux de démolition suivant avenant du 19 février 2018,

- 4 846,12 € HT pour une extension en gros œuvre suivant devis du 12 avril 2018 validé le 13 avril 2018 par le maître d'œuvre, la société Alienor Ingénierie.

Il était également prévu un 'délai d'exécution de120 jours ouvrés (175 jours calendaires) à compter de la réception par l'entrepreneur de l'ordre de démarrage émis par le maître d'ouvrage. Travaux prévus du 05/01/2018 au 30/06/2018".

La société TSB Bâtiment a démarré le chantier le 19 février 2018.

La société Alienor Ingénierie, maître d'œuvre, lui a notifié à plusieurs reprises des retards dans l'exécution de son marché le 12 avril 2018 puis le 1er juin 2018. La société TSB Bâtiment a contesté ces notifications.

Ce différend a finalement abouti à la résiliation, par le maître d'œuvre, de la convention signée avec la société TSB Bâtiment par lettre recommandée avec accusé de réception datée du 6 juin 2018, reçue le 7 juin 2018 invoquant les torts de l'entreprise.

Un échange de courriers s'en est suivi entre la société Alienor Ingénierie, maître d'œuvre et la société TSB Bâtiment.

Le 11 juin 2018, la société TSB Bâtiment a fait constater par huissier de justice, en présence de représentants des sociétés Euro Disney Associés et Alienor Ingénierie l'état d'avancement de son chantier.

Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 29 juin 2018, la société TSB Bâtiment a mis en demeure la société Euro Disney de lui payer diverses sommes au titre de ses factures impayées et correspondant aux travaux réalisés et de son manque à gagner, à savoir le solde de son marché.

La société Euro Disney a répondu à ce courrier par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 août 2018.

Par acte d'huissier en date du 9 octobre 2018, la société TSB Bâtiment a assigné la société Euro Disney devant le Tribunal de commerce de Meaux en ces termes :

« Vu les articles 1134 et 1794 du Code civil,

- la recevoir en ses demandes,

- les déclarer bien fondées,

En conséquence,

- condamner la société Euro Disney Associés à payer à la société TSB Bâtiment la somme de 547 519 € TTC au titre de ses factures impayées, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 juin 2018 ;

- condamner la société Euro Disney Associés à payer à la société TSB Bâtiment la somme de de 292 193,06 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son manque à gagner, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 juin 2018 ;

- condamner la société Euro Disney Associés à payer à la société TSB Bâtiment la somme de 944,21 € (sauf à parfaire) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 juin 2018 ;

- condamner la société Euro Disney Associés à payer à la société TSB Bâtiment la somme de 20 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral et d'image, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 29 juin 2018 ;

- ordonner la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1343-2 du Code civil ;

- condamner la société Euro Disney Associés à payer à la société TSB Bâtiment la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance ;

- ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir nonobstant appel et sans caution en application des articles 514 et 515 du Code de procédure civile.

Avant toute défense au fond, la société Euro Disney Associés a soulevé l'incompétence d'attribution du Tribunal de commerce de Meaux au profit de la juridiction arbitrale en invoquant l'article 43 des conditions générales du marché de travaux du 5 janvier 2018 liant les parties.

La société TSB Bâtiment a conclu au rejet de cette exception d'incompétence.

Par jugement du 4 juin 2019, le Tribunal de commerce de Meaux a :

- reçu la société Euro Disney Associés SAS en son exception d'incompétence, l'a dite mal fondée et l'en a déboutée,

Statuant par jugement contradictoire et en premier ressort,

- s'est déclaré compétent pour connaître du présent litige et a renvoyé la présente affaire à l'audience de plaidoirie du 17 septembre 2019 à 14 heures, date à laquelle la société Euro Disney Associés devra conclure au fond,

- condamné la société Euro Disney Associés à payer à la société TSB Bâtiment la somme de 1 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamné la société Euro Disney ASSOC1ES aux dépens de la présente instance qui comprendront les frais de greffe liquidés à 73,24 € TTC en ce non compris le coût des actes qui seront la suite du présent jugement auquel elle demeure également condamnée.

Par déclaration du 20 juin 2019, la SAS Euro Disney Associés a interjeté appel de ce jugement en précisant la portée de son appel dans les termes suivants :

Vu l'article 455 alinéa 2 du Code de procédure civile,

l'appel tend à obtenir l'annulation ou l'infirmation d'un jugement (RG.2018008915) rendu le 4 juin 2019 par le Tribunal de commerce de Meaux selon les moyens et demandes développés dans les conclusions d'appel jointes à la présente déclaration, conformément aux dispositions des articles 84 et suivants du Code de procédure civile en ce qu'il :

- a dit la société Euro Disney Associés mal fondée et l'en a déboutée ;

- s'est déclaré compétent pour connaître du présent litige et a renvoyé la présente affaire à l'audience de plaidoiries du 17 septembre 2019 à 14h00, date à laquelle la société Euro Disney Associés devra conclure au fond ;

- a condamné la société Euro Disney Associés à payer à la société TSB Bâtiment la somme de 1 500,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- a condamné la société Euro Disney Associés aux dépens de l'instance, et ce faisant, n'a pas fait droit aux demandes de la société Euro Disney Associés tendant à :

Vu les articles 1442, 1443, 1448 et 1507 du Code de procédure civile,

Vu l'article 43 des conditions générales du contrat,

- déclarer incompétent le Tribunal de commerce de Meaux pour connaître des demandes présentées par la société TSB Bâtiment à l'égard de la société Euro Disney Associés SAS,

- renvoyer la société TSB Bâtiment à saisir la juridiction arbitrale et à mieux se pourvoir,

- condamner la société TSB Bâtiment à payer à la société Euro Disney Associés SAS la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société TSB Bâtiment aux entiers dépens, et plus généralement en toutes ses dispositions non visées au dispositif, faisant grief à la société Euro Disney Associés SAS conformément aux dispositions de l'article 85-1 du Code de procédure civile.

Elle a précisé que ses conclusions étaient jointes à sa déclaration d'appel et que conformément aux dispositions de l'article 85-2 du Code de procédure civile, une requête aux fins d'être autorisée à assigner à jour fixe était présentée au Premier Président parallèlement.

Après y avoir été autorisée par ordonnance rendue sur requête le 24 juin 2019 en application des articles 84 alinéa 2 et 85 alinéa 2 du Code de procédure civile, la société Euro Disney Associés SAS a assigné à jour fixe la société TSB Bâtiment devant la Cour en ces termes :

Vu les articles 1442, 1443, 1448 et 1507 du Code de procédure civile,

Vu la convention signée le 5 janvier 2018 par les parties,

Vu l'article 43 des Conditions Générales du Contrat,

Vu les articles 83 et suivants du Code de procédure civile,

Vu l'article 81 du Code de procédure civile,

- déclarer la société Euro Disney Associés SAS recevable et bien fondée en son appel.

- infirmer le jugement rendu le 04 juin 2019 par le Tribunal de Commerce de Meaux en toutes ses dispositions.

Statuant à nouveau,

-Accueillir la société Euro Disney Associés SAS en son exception d'incompétence,

Y faisant droit,

- dire et juger que le Tribunal de commerce de Meaux était incompétent pour connaître des demandes présentées par la société TSB Bâtiment à l'égard de la société Euro Disney Associés SAS,

- renvoyer la société TSB Bâtiment à saisir la juridiction arbitrale et à mieux se pourvoir,

En tout état de cause,

- condamner la société TSB Bâtiment à payer à la société Euro Disney Associés SAS la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

- condamner la société TSB Bâtiment aux entiers dépens dont le recouvrement sera poursuivi par Maître Laurence T.-B. par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions d'appelante du 20 juin 2019, la société Euro Disney Associés SAS a formé dans les mêmes termes les demandes qu'elle a précédemment formulées dans son assignation à jour fixe ;

Par conclusions du 29 octobre 2019, la société TSB Bâtiment demande à la Cour par les motifs qu'elle y développe et tous autres à produire, déduire ou suppléer, au besoin d'office, de en ces termes :

Vu l'article 2061 du Code civil,

Vu les articles 1442 à 1449 du Code de procédure civile,

- la recevoir en ses demandes,

- les déclarer bien fondées,

En conséquence,

- dire et juger que la société Euro Disney Associés ne rapporte pas la preuve d'une clause compromissoire valable et opposable à la société TSB Bâtiment ;

Par conséquent,

- confirmer le jugement rendu le 4 juin 2019 par le Tribunal de commerce de Meaux (RG n°2018008915) en ce qu'il a débouté la société Euro Disney Associés de son exception d'incompétence et s'est déclaré compétent pour connaître du litige ;

- renvoyer l'affaire pour qu'il soit statué au fond devant le Tribunal de commerce de Meaux dans le cadre de l'instance actuellement pendante devant cette juridiction ;

- condamner la société Euro Disney Associés au paiement de la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

L'affaire a été plaidée à la date fixée par l'ordonnance sur requête le 5 novembre 2019.

La Cour se réfère pour plus ample exposé des demandes aux conclusions ainsi visées.

MOTIFS

Considérant que la société Euro Disney Associés soulève l'incompétence du tribunal de commerce en invoquant l'existence d'une clause compromissoire prévue par l'article 43 des conditions générales de la convention qu'elle a signée le 5 janvier 2018 avec la société TSB Bâtiment et en se fondant sur les articles 3, 13 et 14 de celle-ci ;

Qu'elle fait notamment valoir :

- que la seule référence aux conditions générales dans la convention signée est suffisante selon la jurisprudence en ce sens qu'il n'est pas nécessaire que la clause à laquelle il est renvoyé soit signée

-et que selon l'article 1507 du Code de procédure civile « La convention d'arbitrage n'est soumise à aucune condition de forme » ;

Qu'en réponse, la société TSB Bâtiment conclut à la confirmation du jugement qui a rejeté l'application de cette clause ; qu'elle soutient notamment :

- que la société Euro Disney Associés ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle a eu connaissance et qu'elle a accepté la clause compromissoire invoquée car celle-ci ne figure pas dans la convention principale du 5 janvier 2018 signée par les parties et qu'elle ne lui pas été transmise ; qu'elle se prévaut en ce sens de l'article 2061 alinéa 1er du Code civil ;

- que les différentes pièces du marché sont reliées y compris l'exemplaire du contrat qu'elle a signé sont reliées par le procédé « ASSEMBL'ACT » empêchant toute substitution ou addition de pages et que ce document contient uniquement les différentes pièces contractuelles suivantes :

- Document #1 du Marché de travaux : La convention (Convention signée par les parties en date du 5/01/2018) (pièce n°3) ;

- Document #2 du Marché de travaux : Le cahier des conditions techniques particulières / Dossier Technique (CCTP/DT) (pièce n°3) ;

- Document #3 du Marché de travaux : Le cahier des conditions techniques générales (CCTG) ;

- Document #5 du Marché de travaux : L'offre définitive de l'entrepreneur ;

- qu'au surplus, elle a fait constater par huissier de justice l'absence desdites conditions générales dans la pièce jointe au courriel du 22 janvier 2018 veille de la signature du contrat (cf sa pièce n°30 procès-verbal de constat dressé par Maître Fleur F. le 11 mars 2019) ;

Sur ce,

Considérant que l'article 3 de la convention signée le 5 janvier 2018 entre les parties énumère les pièces contractuelles ; qu'il précise que ces documents, qui constituent le contrat proprement dit, comprennent exclusivement par ordre de préséance différentes pièces et en 4ème position 'les Conditions Générales et tous leurs additifs ('CG') étant précisé que la norme NF P 03-001 ne s'applique pas au contrat' ;

Que l'article 13 de ladite convention stipule sous l'intitulé « Règlement des litiges » que « Tous litiges relatifs aux Ouvrages ou à l'application du présent contrat seront définitivement réglés conformément aux CG 43 » ;

Que cet article 43 des Conditions Générales, lesquelles constituent un document distinct de la convention, et qui est invoqué par la société Euro Disney, renvoie la résolution des différends entre les parties à l'arbitrage dans les termes explicites suivants :

« En cas de différend découlant du présent Contrat ou en relation avec celui-ci, les Parties tenteront, dans la mesure du possible, de parvenir à une solution négociée. En cas de persistance du désaccord tout différend sera tranché définitivement suivant le Règlement d'arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale (« CCI ») entré en vigueur au 1er janvier 2012 (les « Règles ») par trois arbitres nommés conformément à ce Règlement. Le siège de tout arbitrage sera Paris en France ».

Considérant que l'article 1103 du Code civil, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 entrée en vigueur le 1er octobre 2016 et qui est applicable en l'espèce dès lors que la convention a été signée entre les parties postérieurement, le 5 janvier 2018, dispose que « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits » ;

Que l'article 1104 du même Code dans la même rédaction ajoute que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public » ;

Considérant en l'espèce que la simple référence explicite dans la convention signée entre les parties aux conditions générales qui selon l'article 3 de cette convention constituent une pièce contractuelle, suffit à conférer à la clause compromissoire prévue par leur article 43 opposable à la société TSB Bâtiment une valeur contractuelle même si elles ne comportent aucune signature ;

Qu'il convient de souligner que l'article 14 de ladite convention intitulé « Intégralité du Contrat – modifications » ajoute notamment que « Les Parties reconnaissent que le présent contrat a été librement négocié et qu'elles ont parfaitement connaissance de l'ensemble de ses stipulations de sorte que l'acceptation du contrat par l'entrepreneur pourra résulter soit de la signature par l'entrepreneur soit de tout début d'exécution du contrat par l'entrepreneur même avant sa signature. Le contrat représente l'accord intégral et unique entre les parties quant à son objet etc. »

Qu'aux termes de cet article, contenu dans la convention qu'elle a signée, la société TSB Bâtiment a donc expressément reconnu avoir parfaitement connaissance de l'ensemble des stipulations du contrat ;

Qu'en conséquence, il lui incombe de respecter celles-ci en appliquant son article 13 qui renvoie aux « CG 43 » ; terme clair entre sociétés commerciales qui pouvait être aisément compris par la société TSB Bâtiment qui est une professionnelle et qui signe à ce titre fréquemment des contrats ;

Que si cette dénomination ne lui paraissait pas suffisamment claire avant la signature du contrat, il lui incombait d'exiger des explications, la communication desdites « CG 43 » avant de signer ou de refuser purement et simplement de signer le contrat ;

Que dès lors qu'elle a signé ce dernier, il lui est applicable en son entier, y compris en cet article 43 des Conditions Générales qui renvoie à l'arbitrage le règlement des litiges entre les parties ;

Qu'en conséquence, il convient d'infirmer le jugement entrepris et de renvoyer seulement les parties à mieux se pourvoir par application de l'article 81 du Code de procédure civile, l'affaire relevant de la compétence d'une juridiction arbitrale ;

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Considérant qu'il sera statué sur les dépens par application de l'article 696 du Code de procédure civile dans les termes du dispositif ;

Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement entrepris ; Y ajoutant, Dit que la clause compromissoire prévue par la convention signée le 5 janvier 2018 entre les parties est applicable ; Renvoie les parties à mieux se pourvoir ; Déboute les parties du surplus de leurs demandes ; Laisse à la charge de chaque partie ses propres dépens ; Autorise le recouvrement des dépens par les avocats de la cause dans les conditions prévues par l'article 699 du Code de procédure civile.