CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 2 juillet 2020, n° 17/18400
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Minimax France (SAS)
Défendeur :
Airess (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Prigent
Conseillers :
Mme Soudry, Mme Lignieres
La société Airess est spécialisée dans l'étude, la conception et l'installation de dispositifs de protection incendie, notamment des dispositifs d'extinction automatique de type "sprinkler".
La société Minimax France (société Minimax), qui fait partie du groupe Minimax Viking et qui possède plusieurs agences réparties sur le territoire français, est un concurrent de la société Airess.
La société Premis est une Entreprise Unilatérale à Responsabilité Limitée qui a été créée en décembre 2011 par M. Philippe B., lequel utilisait déjà le nom commercial de Premis avant la création de la société éponyme, afin d'exercer une activité d'artisan.
M. B. était salarié de la société Airess via un contrat signé en date du 31 août 2001 et a été, en particulier, le responsable de l'agence Airess d'Ayron jusqu'en 2010.
Au cours de l'année 2010, la société Airess a soupçonné M. B. de travailler sous la dénomination commerciale "Premis", pour le compte de la société Minimax.
En date du 24 janvier 2011, la société Airess a procédé au licenciement de Monsieur B. pour faute grave, lequel a contesté cette décision devant le Conseil des Prud'hommes, puis devant la cour d'appel de Poitiers.
En date du 26 novembre 2012, à la suite d'une ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce d'Evry, la société Airess a fait procéder, en date du 17 décembre 2012, à la saisie, dans les locaux de la société Minimax :
- de cinq factures émises par la société Premis pour des prestations effectuées à son bénéfice pendant les années 2009-2010, pour un montant total de 33 750 euros HT,
- un bulletin de salaire au nom de Monsieur B. au sein de la société Minimax France, d'où il ressort que celui-ci a été officiellement engagé à compter du 2 janvier 2012.
Par courrier en date du 07 février 2013, la société Airess a reproché à la société Minimax France d'avoir bénéficié du concours de son ancien salarié et d'avoir participé à la violation de la clause de non-concurrence de ce dernier, ce que la société Minimax France a contesté dans un courrier en réponse en date du 21 février 2013 aux termes duquel elle certifie ne pas avoir eu connaissance des éléments invoqués par la société Airess.
M. B. a procédé à la dissolution de sa société, la société Premis, en date du 20 décembre 2012.
S'estimant victime d'actes de concurrence déloyale, la société Airess a, par acte d'huissier de justice en date du 12 avril 2013, fait assigner les sociétés Minimax et Premis devant le tribunal de commerce de Paris aux fins d'obtenir la réparation de son préjudice.
En date du 05 mars 2014, le tribunal de commerce d'Evry a prononcé un sursis à statuer dans l'attente de la décision de la juridiction prud'homale, laquelle devait se prononcer notamment sur la complicité de la violation des clauses du contrat de travail de M. Philippe B. par la société Minimax, ainsi que la validité de la clause de non-concurrence.
La cour d'appel de Poitiers a rendu un arrêt définitif dans cette affaire le 10 juin 2015.
En date du 17 février 2016, le tribunal de commerce d'Evry a rendu un deuxième jugement enjoignant à la société Premis de rapporter aux débats, sous astreinte de 100 euros par jour, diverses pièces relatives au fonctionnement de la société Premis et a renvoyé l'affaire pour plaidoirie devant une formation collégiale.
En date du 29 juin 2016, le tribunal de commerce d'Evry a rendu un troisième jugement faisant de nouveau injonction à la société Premis de fournir ces pièces, sous astreinte de 300 euros par jour, et a fixé une nouvelle audience de plaidoirie au 14 septembre 2016.
Par jugement contradictoire rendu le 22 mars 2017, le tribunal de commerce d'Evry a :
- débouté la société Premis de sa demande de déclarer irrecevables les prétentions de la société Airess à son encontre ;
- liquidé à néant les astreintes ordonnées dans les jugements avant dire droits précédents ;
- condamné in solidum la société Minimax France et la société Premis à payer à la société Airess la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;
- dit n'y avoir lieu à prononcer l'anatocisme des intérêts ;
- débouté la société Premis de sa demande de voir condamner la société Airess à une amende civile ;
- condamner in solidum la société Minimax France et la société Premis à payer à la société Airess la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice d'image ;
- ordonné la publication du présent dispositif de jugement, pour une seule parution dans un journal professionnel choisi par la société Airess, aux frais in solidum de la société Minimax France et de la société Premis ;
- débouté la société Minimax France de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- condamné in solidum la société Minimax et la société Premis à payer à la société Airess la somme de 20.000 euros, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire ;
- condamné in solidum la société Minimax France et la société Premis aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 418,04 euros TTC ;
Par jugement du 7 juin 2017, le tribunal de commerce de Poitiers a prononcé la liquidation judiciaire de la société Premis.
Par déclaration du 04 octobre 2017, la société Minimax France a interjeté appel de cette décision en intimant seulement la société Airess en ce qu'elle a :
- condamné la société Minimax France, in solidum avec la société Premis, à payer à la société Airess la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale ;
- condamné la société Minimax France, in solidum avec la société Premis, à payer à la société Airess la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour préjudice d'image ;
- ordonné la publication du dispositif du jugement, pour une seule parution dans un journal professionnel choisi par la société Airess, aux frais in solidum de la société Minimax France et de la société Premis ;
- débouté la société Minimax France de sa demande de condamnation de la société Airess à lui verser une somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;
- débouté la société Minimax France de sa demande de condamnation de la société Airess à lui verser une somme de 10.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance ;
- condamné la société Minimax France, in solidum avec la société Permis, à verser à la société Airess la somme de 20.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné la société Minimax, in solidum avec la société Premis, aux entiers dépens de l'instance en ce compris les frais de greffe liquidés à la somme de 418,04 TTC ;
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 20 juin 2018, la société Minimax France, appelante, demande à la cour de :
Vu les articles 1240 et suivants du code civil,
Vu les pièces versées aux débats,
- infirmer le jugement du tribunal de commerce d'Evry en date du 22 mars 2017 (R.G. 2013F00251) en toutes ses dispositions ;
- constater que la clause de non-concurrence conclue entre Monsieur B. et la société Airess est nulle et non avenue, de sorte qu'il ne peut être reproché à la société Minimax France d'avoir "cherché à contourner" cette clause ;
- dire et juger que la société Minimax France n'a commis aucun acte de concurrence déloyale à l'encontre de la société Airess ;
- dire et juger que la société Airess ne démontre pas l'existence d'aucun préjudice réparable en lien avec les faits qu'elle reproche à la société Minimax France à savoir le fait d'avoir eu recours au service de la société Premis et/o de Monsieur B. ;
- débouter en conséquence la société Airess de son appel incident et de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Minimax France ;
- condamner la société Airess à verser à la société Minimax France la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts, pour procédure abusive ;
- condamner la société Airess à verser à la société Minimax France la somme de 20 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Airess aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 12 juillet 2018, la société Airess, intimée, demande à la cour de :
Vu l'ancien article 1165 du code civil et les articles 1240 et 1241 (ex-article 1382 et 1383), ainsi que les articles 1231-2 et 1231-7 du code civil,
Vu les pièces et la jurisprudence citée,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a considéré la société Airess recevable et bien fondée en ses demandes, et en ce qu'il a condamné la société Minimax France à lui payer des dédommagements pour ses divers préjudices découlant de faits de concurrence déloyale ;
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la société Minimax France à lui payer 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- recevoir la société Airess en son appel incident et en conséquence,
- infirmer le jugement entrepris quant au quantum des dédommagements prononcés et les appréciant à nouveau,
- condamner la société Minimax France à lui verser les sommes de :
' 547 680 euros à titre de dédommagement et remboursement de frais pour concurrence déloyale ;
' 50 000 euros à titre de préjudice d'image ;
Et y ajoutant,
- condamner la société Minimax France à lui payer la somme supplémentaire de 15.000 euros au titre de frais de procédure d'appel en sus de la somme de 20.000 euros déjà fixée en première instance, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, tant en première instance qu'en appel ;
- dire que ces condamnations porteront intérêts au taux légal et ce à compter du 2 avril 2013, date de signification à la société Minimax France de l'exploit introductif d'instance, et ordonner la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 (ex 1154) du code civil,
- confirmer la publication du jugement en précisant qu'il pourra être recouru à une publication dans cinq journaux différents, dans leurs versions papier et internet, au choix d'Airess et ce, aux frais de la société Minimax France ;
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 14 novembre 2019.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les actes de concurrence déloyale
La société Minimax fait valoir que la société Airess se fonde sur la clause de non-concurrence la liant à M. B. pour justifier les actes de concurrence déloyale alors que ladite clause a été jugée nulle par les juridictions prud'homales, faute de contrepartie financière y afférente, de sorte qu'elle doit être réputée n'avoir jamais existé et ne peut pas lui être opposée.
La société Minimax ajoute qu'elle n'a pas commis d'actes de détournement de chantier au détriment de la société Airess faute pour cette dernière de rapporter la preuve d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité constitutifs d'actes de concurrence déloyale, que plusieurs des chantiers cités par la société intimée sont couverts par l'expiration du délai de prescription, que le recours à la société Premis ou à d'autres sous-traitants dans l'exécution d'un marché ne suffit pas à rapporter la preuve d'un concours déloyal de la part de M. B., que la société Minimax a obtenu les marchés litigieux en répondant aux appels d'offres correspondants.
La société Airess conteste que la clause de non-concurrence aurait été jugée nulle par les juridictions prud'homales et s'estime fondée à solliciter la réparation de son préjudice. Elle soutient que toute personne qui, avec connaissance, aide autrui à enfreindre ses obligations contractuelles, commet une faute délictuelle à l'égard de la victime de l'infraction, que toute personne qui a sciemment employé un salarié en violation d'une clause de non-concurrence commet une faute délictuelle, que la société Minimax a eu recours aux services de la société Premis, constituée par M. B., tout en sachant que ce dernier était encore en activité au sein de la société Airess, et a continué à solliciter ses services après le licenciement de M. B..
La société Airess fait valoir que la société Minimax a commis des actes de complicité de détournements de chantiers de sorte qu'elle est fondée à solliciter la réparation des divers chefs de préjudice en résultant, que les faits ne sont pas prescrits car ils ont été découverts tardivement, que la société Minimax avait, grâce à M. B., accès aux informations privilégiées de la société Airess, et en contrepartie, M. B. avait un intérêt à lui donner ces informations puisque les prestations issues desdits marchés détournés lui étaient confiées, via la société Premis ou d'autres sous-traitants dont il était l'agent d'affaires.
Sur ce,
L'action en concurrence déloyale trouve son fondement dans les dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil, lesquels impliquent l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux.
La concurrence déloyale se définit comme la commission d'actes déloyaux, constitutifs de fautes dans l'exercice de l'activité commerciale, à l'origine pour le concurrent d'un préjudice.
Il est ainsi fautif de capter la clientèle d'un concurrent au moyen de procédés déloyaux. Ce n'est pas l'appropriation de la clientèle qui est déloyale en elle-même, mais les moyens utilisés à cette fin.
Les sociétés Airess et Minimax travaillent dans le même secteur d'activité de la protection anti-incendie notamment au moyen d'installations d'extinction à eau, dites sprinklers.
Les deux sociétés ont les mêmes clients, en équipant les magasins de la grande distribution et les entrepôts de grandes entreprises.
Il est reproché à la société Minimax d'avoir employé M.B. alors qu'il était sous contrat de travail, en tant que responsable d'agence, avec la société Airess, ce contrat comportant la clause d'exclusivité suivante non soumise à condition : « pendant toute la durée du contrat de travail, M. Philippe B. s'engage à réserver l'exclusivité de son activité professionnelle à la société Scopie', la société Airess s'étant substitué à celle-ci à compter du 1er juillet 2004.
Aux termes d'une ordonnance sur requête auprès du président du tribunal de commerce d'Evry en date du 26 novembre 2012, la société Airess a été autorisée à diligenter un huissier de justice aux fins d'entreprendre certaines vérifications et constatations chez la société Minimax.
Me B., huissier de justice à Palaiseau, a notamment prélevé cinq factures émises par M. Philippe B. alors qu'il était salarié de la société Airess, établies au nom de la société Premis pour des prestations réalisées au profit de la société Minimax en date des 7 février 2009, 4 janvier 2010, 8 mars 2010, 14 mai 1010 et 12 juillet 2010, pour un montant total de 33 750 euros HT.
M.B., étant lié avec la société Airess par une clause d'exclusivité, il lui était interdit même dans le cadre d'une société tierce d'effectuer des prestations au profit d'un concurrent de son employeur.
La société Airess a notifié à M. B. son licenciement pour faute grave, par lettre du 24 janvier 2011. Le Conseil des Prud'hommes de Poitiers par décision du 10 février 2014 puis la Cour d'Appel de Poitiers par arrêt du 10 juin 2015 ont retenu le licenciement pour faute grave de M.B..
Il résulte de l'arrêt de la cour d'appel de Poitiers que M.B. s'est livré à des activités parrallèles et concurrentes de son employeur notamment 'M.B. est entré au capital de la société Nilpro devenue Teck Industrie le 10 décembre 2008, ayant acquis à cette date 200 parts du capital social de cette société dont l'activité résidait dans 'l'entretien, la réparation de tuyauterie, spinklers,' système d'incendie c'est-à-dire une activité concurrente de celle de la société Airess'.
Il était ajouté : 's'agissant de l'activité de M.Philippe B. au sein de la société Prémis que ce dernier ne conteste pas, il apparaît qu'il a créé cette société en 2007, soit également en cours d'exécution du contrat de travail qui le liait à la société Airess et dont il convient de rappeler qu'il incluait une clause d'exclusivité'. La cour d'appel a ensuite rappelé les activités de cette société avec la société Minimax durant l'exécution du contrat de travail.
M.Yoan M., ancien adjoint de M.B. à l'atelier d'Ayron a répondu à la sommation interpellative du 22 décembre 2014 qui lui a été notifiée par la société Airess et a remis à Me R., huissier de justice à Paris une clé USB contenant des informations sur des marchés relatifs à des installations de sprinklers.
La société Airess justifie par la production de devis liés à l'extension et à la restructuration d'une galerie marchande ainsi qu'à la protection des boutiques incorporées dans la galerie Auchan près du Mans que la société Minimax a obtenu en septembre 2008 la première tranche du marché représentant un chiffre d'affaires de 215 000 euros puis la deuxième en 2009.
La société Minimax en a confié ensuite partiellement l'organisation et la réalisation à M. B. dans le cadre de travaux de sous-traitance comme en attestent les factures versées aux débats.
La société Airess démontre qu'elle avait comme client la société Procter & Gamble Blois et que bien qu'elle ait proposé un devis de 114 680 euros, la société Minimax a remporté le marché en présentant un devis de 157 785 euros. M. Philippe B. a ensuite suivi le chantier postérieurement à son licenciement pour le compte de la société Minimax comme le démontrent les vingt comptes-rendus de chantier du 26 mai au 16 novembre 2011 où M. B. est mentionné comme le représentant de la société Minimax.
La société Airess a transmis, le 23 novembre 2010, son devis du 22 novembre 2010 pour le marché Leroy Merlin G. pour un montant de 366 000 euros HT en indiquant que M.B. suivrait le chantier. La société Minimax a obtenu l'attribution du marché avec un devis de 362 525 euros.
La société Airess produit des bons de commande et des courriels retrouvés sur la clé USB remise par M.Yoan M., ancien adjoint de M.B. à l'atelier d'Ayron et établissant que M. B. prenait les commandes de Minimax, pour le compte soit de la société Premis, soit de la société Oppi (dénommée ensuite Tek Industrie) soit encore de la société SPIB alors même qu'il était salarié de la société Airess.
Ainsi en 2007, M.B. a proposé un devis pour le magasin Promod à Watrelos et en 2009, le magasin Printemps Haussmann Paris, le magasin Leclerc Neufchatel en Bray et le magasin Leclerc Lumbres ce qui a généré un chiffre d'affaires de 150 069,86 euros HT.
La société Minimax conteste les moyens de preuve produits par la société Airess. Il sera fait observer qu'au travers des devis ou commandes litigieuses, le nom de M.B. ou des sociétés Premis ou Oppi (dénommée ensuite Tek Industrie) apparaît pour la société Minimax alors que M. B. était sous contrat de travail avec la société Airess. Le fait que la société Minimax ait emporté certains marchés sur appels d'offres ne fait pas obstacle aux faits de concurrence déloyale dans la mesure où le salarié de la société Airess pouvait l'informer des offres proposées par celle-ci.
La preuve est ainsi rapportée qu'antérieurement à son licenciement et alors que M.B. était salarié de la société Airess, il réalisait des prestations pour le concurrent direct de celle-ci, la société Minimax.
La société Minimax ne peut donc se prévaloir de la nullité de la clause de non concurrence pour justifier les actes qui lui sont reprochés alors que ceux-ci ont été commis quand M. B. était salarié de la société Airess, la clause de non concurrence s'appliquant à la période postérieure au contrat de travail et durant une période de deux ans, soit à compter du 24 janvier 2011, date du licenciement de M. B..
Il est également reproché à la société Minimax d'avoir bénéficié des prestations de M. B. au cours de la période d'exécution de la clause de non-concurrence.
Il est invoqué la violation de la clause de non-concurrence suivante à laquelle M. B. était tenu au titre de son contrat de travail en date du 31 août 2001 : « compte tenu de la nature de ses fonctions, Philippe B. s'interdit, en cas de rupture de son contrat de travail, pour quelque motif que ce soit, et ce pendant une durée de deux années, d'entrer au service d'une société concurrente ou de s'intéresser, directement ou indirectement, pour son compte ou pour le compte d'un tiers, à l'activité d'une telle société. »
Par décision du 10 février 2014, le conseil de prud'hommes de Poitiers a alloué la somme d'un euro symbolique au titre de dommages-intérêts pour nullité de la clause de non-concurrence. La cour d'appel de Poitiers a infirmé le jugement de ce chef et a débouté M. Philippe B. de sa demande de dommages-intérêts pour nullité de la clause de non-concurrence.
Cette clause est nulle du fait qu'elle ne comporte aucune contrepartie financière ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes. Le fait de ne pas octroyer de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi n'a pas d'incidence sur la non-validité de la clause. La cour d'appel a rejeté la demande de dommages et intérêts mais n'a pas remis en cause la nullité de la clause.
Il est versé aux débats un contrat de travail à durée déterminée du 12 octobre 2011 au 2 décembre 2011 entre la société 2i Portage, société de portage et M. B.. Il est versé aux débats des factures de prestations de service de consultant durant cette période au profit de la société Minimax.
M.B. a été embauché comme cadre salarié par la société Minimax à compter du 2 janvier 2012. Il est invoqué la mise à disposition en faveur de M. B. par la société Minimax de véhicules pour son activité au cours de l'année 2011.
Cependant, la clause de non-concurrence ne trouvant pas à s'appliquer, il n'était pas interdit à la société Minimax d'avoir recours aux services de M. B. dès lors qu'il avait quitté la société Airess. Ces actes ne seront pas retenus au titre de la concurrence déloyale.
Sur le préjudice subi
La société Minimax fait valoir que la société doit être déboutée de ses demandes de dommages-intérêt sur le fondement de l'article 1382 ancien du code civil, faute pour elle de rapporter la preuve d'un préjudice, non seulement dans son principe, mais également dans son quantum, que l'évaluation produite par la société intimée a été fournie pour les besoins de la cause et ne s'appuie sur aucun élément comptable, de sorte qu'elle est purement arbitraire.
La société Airess répond que les agissements de la société Minimax constitue une source de préjudice significative et demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a limité le quantum de ses demandes, que le préjudice doit être réparé intégralement tant dans son principe que dans son quantum, que le jugement n'a pas tenu compte de la violation des autres clauses constituant le contrat de travail liant Monsieur B. et la société Airess (exclusivité et confidentialité).
Sur ce,
La société Minimax était informée que M. B. était salarié de la société Airess et si elle ignorait l'existence de la clause d'exclusivité, même en l'absence d'une telle clause, le fait d'effectuer des prestations en utilisant les services d'un salarié d'une société concurrente qui du fait de ses fonctions a accès aux documents commerciaux de la société qui l'emploie constituent des actes de concurrence déloyale.
Le 30 septembre 2011, la société Minimax écrivait à M. B. qui avait été licencié le 24 janvier 2011 : « (…) nous vous confirmons que nous pourrions vous engager à partir du 2 janvier 2012, lorsque vous serez libre de tout engagement au regard de votre société. » La société Minimax n'ignorait donc pas que M. B. était salarié d'un concurrent direct.
Ces procédés déloyaux utilisés par la société Minimax pour capter la clientèle de son concurrent la société Airess sont fautifs et ont engendré une perte de clientèle dommageable pour celle-ci.
La société Airess justifie par la production de ses bilans qu'elle a connu en 2009 un résultat négatif de 313 107 euros, qu'elle a réalisé un bénéfice de 85 382 euros en 2010, de 151 568 euros en 2011 et 327 032 euros en 2012. Alors que la société Airess connaissait un résultat déficitaire en 2009, M. B. a été licencié en janvier 2011, ce qui correspond à une reprise nette de l’activité de la société.
Les actes de concurrence déloyale démontrés à l'égard de la société Minimax, par l'intermédiaire de M.B., salarié de la société Airess se sont déroulés durant cette période, avant 2011 ; il existe donc un lien de causalité entre ces faits et le préjudice invoqué par la société Airess. Le 24 janvier 2011, la société Airess a procédé au licenciement de M. B. pour ces faits de concurrence déloyale dont il y a lieu de retenir qu'elle en a eu connaissance à cette date. L'assignation ayant été délivrée le 12 avril 2013, l'action n'est pas prescrite, les faits s'étant déroulés de décembre 2007 à décembre 2010, le préjudice réclamé couvrant cette période.
La société Airess verse aux débats une évaluation de son préjudice réalisée par un expert-comptable qui s'est fondé sur le nombre d'affaires qui auraient dû, de par les contacts réguliers déjà établis avec les clients par M. B., salarié de la société Airess, et les clients potentiels concernés raisonnablement revenir à celle-ci. L'expert-comptable a indiqué que la justification du marché ou de l'affaire perdue repose sur la facture émise par une entité dont M. B. avait le contrôle ou en était l'agent d'affaires, que l'identification du marché perdu peut être également documentée par un bon de commande ou un ordre de service signé par un client régulier de la société Airess, voire d'après un devis.
Cette perte de marché globale a été évaluée à la somme de 1 070 909 euros HT pour des marchés antérieurs au licenciement de M. B., salarié de la société Airess.
L'expert a appliqué à cette perte un pourcentage correspondant à la marge sur coût variable fixée entre 18% et 50 %.
Cette perte de marché qui est potentielle sera réduite à la somme de 700 000 euros étant précisé qu'il existe un aléa qui doit être pris en compte mais de manière limitée compte tenu des actes de concurrence constatés et de la confusion créée par la présence de M. B., tant pour la société Airess que pour la société Minimax.
Sur cette perte de marché, au vu de l'évaluation de l'expert, il sera appliqué une marge de 30 % ce qui donne un préjudice de 210 000 euros. Ce préjudice englobe tous les frais subis par la société Airess y compris les frais d'établissement de devis et la valorisation de l'intervention de M. B., comme chargé d'affaires ainsi que les répercussions liées aux pertes futures de maintenance. La preuve n'étant pas rapportée que la société Minimax ait bénéficié par l'intermédiaire du salarié de la société Airess de préfabrications qui auraient été réalisées à l'atelier d'Ayron (86) et des fournitures préalables nécessaires, l'intimée sera déboutée de sa demande de ce chef.
Sur le préjudice d'image de marque
Le jugement sera confirmé en ce que le tribunal a indemnisé la société Airess de ce préjudice en retenant que les événements, objet de la cause, ont porté atteinte à sa crédibilité dans le milieu professionnel restreint des spécialistes de la protection incendie.
Cependant, compte tenu de l'ampleur des actes et de la durée de ceux-ci, il sera alloué à ce titre à la société Airess la somme de 20 000 euros.
Sur les intérêts
Les condamnations prononcées en première instance et en appel porteront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt compte tenu de leur caractère indemnitaire.
La capitalisation des intérêts sera ordonnée conformément à l'article 1343-2 du code civil.
Sur la demande de publication
La nature de l'affaire ne justifie pas la publication de la décision ; le jugement sera infirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages-intérêts de la société Minimax pour procédure abusive
Il résulte de l'article 1240 du code civil qu'une partie ne peut engager sa responsabilité pour avoir exercé une action en justice ou s'être défendue que si l'exercice de son droit a dégénéré en abus. L'appréciation inexacte qu'une partie fait de ses droits n'étant pas, en soi, constitutive d'une faute, l'abus ne peut se déduire du seul rejet des prétentions par la juridiction.
En l'espèce, la société Airess ayant été partiellement reçue en ses demandes, la société Minimax sera déboutée de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive, confirmant en cela les premiers juges.
Sur les demandes accessoires
Il y a lieu de confirmer le jugement sur les frais irrépétibles et de condamner la société Minimax à verser à la société Airess la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile en appel ; l’appelante sera déboutée de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
INFIRME le jugement sur le montant des dommages et intérêts alloués pour concurrence déloyale, le préjudice d'image, sur la publication de la décision, et le rejet de la demande de capitalisation des intérêts,
LE CONFIRME pour le surplus des dispositions,
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant,
DIT que la société Minimax France a commis des faits de concurrence déloyale à l'égard de la société Airess,
CONDAMNE la société Minimax France à verser à la société Airess la somme de 210 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation des faits de concurrence déloyale,
CONDAMNE la société Minimax France à verser à la société Airess la somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice d'image,
DIT que les condamnations porteront intérêt au taux légal à compter du présent arrêt,
ORDONNE la capitalisation des intérêts conformément à l'article 1343-2 du code civil,
DÉBOUTE la société Airess de sa demande de publication de la décision,
DÉBOUTE la société Minimax France de sa demande de dommages-intérêts pour procédure abusive,
CONDAMNE la société Minimax France à verser à la société Airess la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE toute autre demande,
CONDAMNE la société Minimax France aux dépens d'appel.