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Décisions

CA Versailles, 14e ch., 2 juillet 2020, n° 19/05133

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Alteor (SAS)

Défendeur :

Les Sablons (Sarl)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Guillaume

Conseillers :

Mme Le Bras, Mme Igelman

T. com. Chartes, du 19 juin 2019

19 juin 2019

La SARL Les Sablons exerce une activité de gestion de terrains de loisirs tels des camping ou parcs résidentiels de loisir (PRL) et exploite à ce titre un terrain de camping-caravaning situé [...], une partie de ce terrain étant destiné à devenir un PRL.

Selon acte sous seing privé du 19 juin 2018, la SAS Alteor dont le siège social se situe à Aix-en-Provence, a régularisé un protocole d'acquisition des parts sociales de la SARL Les Sablons avec les associés de cette dernière, sous condition suspensive de justifier du financement de l'opération avant le 26 octobre 2018.

En parallèle à ces discussions, la SAS Alteor a obtenu le 3 juillet 2018 l'autorisation des cédants de débuter la commercialisation des mobil-homes susceptibles d'être implantés sur les parcelles encore disponibles du parc résidentiel de loisirs, en installant 2 chalets 'témoins' et des panneaux publicitaires à l'entrée du parc, avec l'engagement de retirer l'ensemble de ces installations dans l'hypothèse où l'opération concernant l'acquisition du capital de la SARL Les Sablons n'aboutirait pas.

Par lettre recommandée du 3 janvier 2019, la SAS Alteor a informé les associés de la SARL Les Sablons qu'elle ne donnait finalement pas suite au projet d'acquisition des parts sociales de ladite société et s'engageait à faire rapidement le nécessaire pour enlever la signalétique et les mobil-homes exposés.

Dénonçant l'inertie de la SAS Alteor à procéder au retrait desdites installations malgré l'envoi de mises en demeure, la SARL Les Sablons l'a fait assigner par acte du 22 mai 2019 en référé aux fins de faire constater le trouble manifestement illicite et obtenir sa condamnation sous astreinte à retirer les 2 chalets mobiles et les supports publicitaires.

Par ordonnance réputée contradictoire en date du 19 juin 2019, le juge des référés du tribunal de commerce de Chartres a :

- au principal, renvoyé les parties à se pourvoir,

- constaté la non-comparution de la SAS Alteor bien que régulièrement assignée et appelée,

- constaté que la SAS Alteor a manqué à ses obligations à l'égard de la SARL Les Sablons, ce qui lui cause un trouble manifestement illicite,

- ordonné à la SAS Alteor d'opérer le retrait à ses frais :

* des deux chalets mobiles installés dans l'enceinte du PRL gérée par la société Le Clos des Sablons situé [...] à Guainville (28 260),

* de l'ensemble des supports publicitaires installés sur le PRL,

- assorti cette condamnation d'une astreinte d'un montant de 300 euros par jour de retard qui commencera à courir dans un délai de 8 jours suivant la signification de l'ordonnance,

- dit que le président du tribunal de commerce de Chartres statuant en référé se réserve la faculté de liquider cette astreinte,

- condamné la SAS Alteor à payer à la SARL Les Sablons la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- constaté que l'exécution provisoire est de droit,

- condamné la SAS Alteor aux entiers dépens.

Par déclaration reçue au greffe le 11 juillet 2019, la SAS Alteor a interjeté appel de l'ensemble des dispositions de ladite ordonnance.

Dans ses conclusions déposées au greffe le 11 décembre 2019 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses moyens et prétentions, la SAS Alteor demande à la cour, au visa des articles 10, 1121, 1224 et 1226 du code civil ainsi que de l'article 3 du code de procédure civile, de :

- infirmer dans toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise,

- dire que les demandes de la SARL Les Sablons sont irrecevables et infondées,

- subsidiairement, dire que le juge des référés est incompétent en l'état des contestations sérieuses existantes et renvoyer les parties à mieux se pourvoir sur le fond,

- condamner en tout état de cause la SARL Les Sablons à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.

Dans ses conclusions déposées le 13 novembre 2019 auxquelles il convient de se reporter pour un exposé détaillé de ses moyens et prétentions, la SARL Les Sablons demande à la cour, au visa de l'article 873 du code civil, de :

- confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a :

* condamné la SAS Alteor à lui payer la somme de 3 000 euros à titre d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

* constaté l'exécution provisoire,

* condamné la SAS Alteor aux entiers dépens,

- débouter la SAS Alteor de l'intégralité de ses demandes,

- constater que la demande de retrait des chalets mobiles et de la signalétique est devenue sans objet,

- condamner la SAS Alteor au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'en tous les dépens d'appel dont distraction sera ordonnée au profit de Maître D. conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 6 février 2020.

MOTIFS DE LA DECISION

La cour rappelle, à titre liminaire, qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de "constatations" ou de 'dit et jugé' qui ne sont pas, or les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques.

- sur le trouble manifestement illicite :

La SAS Alteor estime les demandes de la SARL Les Sablons irrecevables et mal fondées au motif que cette dernière ne lui aurait adressé aucune mise en demeure de retirer ses installations, préalablement à la délivrance de l'assignation.

Elle fait valoir que le seul courrier reçu qui date du 19 février 2019 n'émanait pas de la SARL Les Sablons mais de ses associés et qu'il ne concernait que les chalets et non les panneaux publicitaires.

L'appelante soutient également que dès réception de l'assignation, elle a fait procéder au retrait des chalets et de leur terrasse par la société Promobil Services de sorte qu'au jour de l'audience devant le juge des référés, il ne restait sur place aucun équipement. Elle précise avoir enlevé les panneaux publicitaires avant même l'assignation.

La SAS Alteor en conclut que le trouble manifestement illicite n'était donc pas caractérisé au jour où le juge des référés a statué.

A titre subsidiaire, elle prétend que les demandes de l'intimée se heurtent à une contestation sérieuse.

La SARL Les Sablons lui répond que la recevabilité de l'action en référé sur le fondement du trouble manifestement illicite n'est pas conditionnée à une mise en demeure préalable, car elle ne porte pas sur l'inexécution d'un contrat. Elle ajoute avoir en toute hypothèse adressée à la SAS Alteor le 19 février 2019 puis le 6 mai 2019, une mise en demeure de retirer ses installations.

L'intimée admet qu'à ce jour ses demandes tendant au retrait des 2 chalets et des panneaux publicitaires sont devenues sans objet, ce retrait étant intervenu après l'audience devant le juge des référés. Elle soutient malgré tout que son action était à l'origine parfaitement fondée dans la mesure où le trouble manifestement illicite était pleinement caractérisé au jour de l'assignation et de l'audience de première instance.

Sur ce, selon l'article 873 alinéa 1er du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite qu'il incombe à celui qui s'en prétend victime de démontrer, est caractérisé par 'toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit'.

Ledit trouble caractérisant l'urgence de la situation, la recevabilité d'une action sur ce fondement n'est pas légalement conditionnée à la mise en demeure préalable de celui qui en serait responsable.

Aussi, ne trouve pas à s'appliquer au cas d'espèce l'article 1226 alinéa 1er du code civil invoqué par l'appelante qui dispose que 'le créancier peut, à ses risques et périls, résoudre le contrat par voie de notification. Sauf urgence, il doit préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable'.

Si la SARL Les Sablons admet qu'au jour où cette cour statue, ses demandes tendant au retrait des installations de la SAS Alteor sont devenues sans objet, elle maintient que le premier juge a justement constaté l'existence du trouble manifestement illicite résultant des manquements de la partie adverse à ses obligations contractuelles, à défaut pour cette dernière d'avoir achevé de les enlever de son parc résidentiel avant l'audience du 11 juin 2019.

Toutefois, c'est à raison que l'appelant lui oppose que n'est pas rapportée la preuve de l'existence du trouble manifestement illicite au jour où le premier juge a statué.

En effet, pour justifier de la présence à cette date des 2 chalets mobiles et des panneaux publicitaires sur son terrain, la pièce la plus récente produite par la SARL Les Sablons est une attestation de son salarié, M. C., qui indique qu'à la date du 11 mai 2019, les mobil-homes étaient toujours en place.

Or, l'appelante oppose à l'intimée une facture datée du 6 mai 2019, soit antérieurement à la délivrance de l'assignation, concernant la dépose et l'évacuation en déchetterie des panneaux publicitaires, ainsi qu'une attestation datée du 2 juillet 2019 du gérant de la société Pro Mobil Service confirmant avoir désinstallé et transporté dans ses locaux les 2 chalets le 6 juin 2019.

La SARL Les Sablons prétend que ces pièces ne prouvent pas que l'ensemble des installations, notamment les terrasses, aient été retirées antérieurement à l'audience.

Toutefois, sauf à inverser la charge de la preuve, il lui appartient de démontrer la persistance du trouble illicite résultant du maintien en tout ou partie des installations litigieuses au jour où le juge a statué, ce qu'elle échoue à établir avec l'évidence requise en référé par la seule attestation de son salarié.

Il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a retenu l'existence d'un trouble manifestement illicite et condamné sous astreinte la SAS Alteor à retirer les 2 chalets et les panneaux publicitaires.

- Sur les demandes accessoires :

Pour conclure à la confirmation de l'ordonnance en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance, la SARL Les Sablons souligne qu'en tout état de cause, le retrait des installations n'a commencé que postérieurement à l'assignation délivrée à la SAS Alteor le 22 mai 2019 et que la SAS Alteor ne peut lui reprocher d'avoir maintenu ses demandes devant le premier juge alors qu'elle s'est elle-même abstenue de comparaître en première instance pour faire valoir ses droits.

Si l'ordonnance entreprise a été infirmée en ce qu'elle a fait droit aux prétentions principales de la SARL Les Sablons, il convient toutefois de relever que les diligences entreprises par la SAS Alteor pour enlever les 2 chalets mobiles sont postérieures à l'assignation qui lui a été délivrée le 22 mai 2019 par la SARL Les Sablons et ce malgré son engagement d'y procéder dans son courrier du 3 janvier 2019 et les courriers qui lui ont été adressés par la partie adverse les 19 février et 6 mars 2019. Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a mis les dépens de première instance à la charge de la SAS Alteor.

La procédure d'appel initiée par la SAS Alteor résultant de son défaut de comparution devant le premier juge pour faire valoir ses droits alors qu'elle avait été régulièrement assignée, il y a lieu de laisser à chaque partie la charge des dépens qu'elle aura exposés en appel avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.

L'équité commande également de débouter chacune des parties de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de la première instance et en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant par arrêt contradictoire,

INFIRME l'ordonnance entreprise en date du 19 juin 2019 sauf en ses dispositions relatives aux dépens de première instance ;

Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,

DIT que le trouble manifestement illicite allégué par la SARL Les Sablons n'était pas caractérisé au jour où le premier juge a statué ;

DIT en conséquence n'y avoir lieu à condamnation de la SAS Alteor à retirer les 2 chalets mobiles et les supports publicitaires ;

DIT n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile tant en première instance qu'en appel,

DIT que chaque partie conservera les dépens d'appel qu'elle aura exposés qui pourront être recouvrés avec distraction au bénéfice des avocats qui en ont fait la demande.