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Décisions

CA Caen, 1re ch. civ., 27 novembre 2018, n° 18/00908

CAEN

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Centre de Réadaptation Fonctionnelle de Caen (Sté)

Défendeur :

Cerballiance Normandie (SELAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Hussenet

Conseillers :

Mme Serrin, M. Brillet

TGI Caen, du 22 mars 2018

22 mars 2018

FAITS ET PROCÉDURE

La SAS Centre de réadaptation fonctionnelle de Caen, société spécialisée dans le secteur hospitalier et médico-social, faisant partie du groupe Korian, exploite la clinique « Korian Brocéliande » spécialisée en soins de suite et de réadaptation située [...].

La SELAS Cerballiance Normandie (Cerballiance Normandie) exploite pour sa part un laboratoire de biologie médicale multisites en région Normandie, dont un sis [...].

La SAS Centre de réadaptation fonctionnelle de Caen et la société Cerballiance Normandie sont en relations contractuelles, la première ayant confié à la seconde par convention du 19 juillet 2004 la réalisation de l'intégralité des examens et analyses de biologie médicale à partir de son site du [...].

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 29 septembre 2017, la SAS Centre de réadaptation fonctionnelle de Caen a notifié à la société Cerballiance Normandie la résiliation des relations contractuelles avec effet à compter du 30 mars 2018.

La société Cerballiance Normandie a notamment contesté la durée du préavis, prétendant que les conditions contractuelles permettant un tel délai abrégé de six mois n'étaient pas justifiées.

En l'absence de règlement amiable du litige, la société Cerballiance Normandie, autorisée par ordonnance du 21 février 2018, a, par acte d'huissier de justice du 2 mars suivant, fait assigner la société SAS Centre de réadaptation fonctionnelle de Caen (clinique Korian Brocéliande) devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Caen selon la procédure de référé d'heure à heure, lui demandant de :

- dire et juger que la tentative de résiliation anticipée du contrat l'exposait à un trouble manifestement illicite lui faisant encourir un dommage imminent,

- ordonner la poursuite forcée du contrat jusqu'au terme du préavis d'une durée de 18 mois,

- subsidiairement, la condamner à lui payer la somme de 66 285 euros à titre de provision en raison de la résiliation anticipée,

- en tout état de cause, la condamner à lui verser la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

La clinique Korian Brocéliande a principalement conclu au rejet de l'ensemble des demandes, subsidiairement, au report du point de départ de la durée du préavis ainsi qu'au rejet de la demande de provision et a sollicité en tout état de cause une indemnité en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ordonnance en date du 22 mars 2018, à laquelle la cour renvoie pour une présentation plus complète des faits et de la procédure antérieure, le juge des référés a :

- constaté que la société Korian Brocéliande a notifié au laboratoire d'analyses Saint-Martin le 29 septembre 2017 la résiliation de la convention de collaboration signée le 19 juillet 2400 indications de motif,

- constaté l'existence d'un trouble manifestement illicite,

- ordonné à la société Centre de réadaptation fonctionnelle de Caen de poursuivre le contrat la liant à la société Cerballiance Normandie jusqu'à l'expiration du délai de préavis de 18 mois, calculé à compter du 29 septembre 2017,

- condamné la société Centre de réadaptation fonctionnelle de Caen à verser à la SELAS Cerballiance Normandie la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Centre de réadaptation fonctionnelle de Caen aux dépens.

La clinique Korian Brocéliande a interjeté appel de toutes les dispositions de l'ordonnance par déclaration en date du 27 mars 2018.

Vu les dernières conclusions récapitulatives déposées au greffe le 7 septembre 2018 par la clinique Korian Brocéliande,

Vu les dernières conclusions récapitulatives déposées au greffe le 9 octobre 2018 par la société Cerballiance Normandie,

Il est renvoyé aux écritures des parties s'agissant de la présentation détaillée de leurs prétentions respectives et des moyens développés à leur soutien.

MOTIFS

L'action en référé de la société Cerballiance Normandie est fondée à titre principal sur les dispositions de l'article 809 al. 1er du code de procédure civile aux termes desquelles le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En l'espèce, la société Cerballiance Normandie soutient que la clinique Korian Brocéliande lui a imposé d'une manière illicite un délai de préavis limité à six mois dans le cadre de la dénonciation de leur convention en date du 19 juillet 2004.

Les dispositions de l'article 1211 du code civil résultant de l'ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 sont en tant que telles inapplicables au litige, en application de l'article 9 de ladite ordonnance disposant que les contrats conclus avant cette date demeurent soumis à la loi ancienne. Cependant, ces nouvelles règles ont consacré sur ce point les règles anciennes applicables au litige.

Lorsqu'elle est à durée indéterminée, les parties disposent sur le principe de la faculté de dénoncer la convention sous réserve de respecter un préavis. La durée du préavis est celle prévue par la convention. Ce n'est qu'à défaut de stipulation contractuelle qu'il appartient au juge d'apprécier la durée raisonnable du préavis applicable, notamment par référence aux usages de la profession.

Or, précisément en l'espèce, l'article 7-2 de la convention du 19 juillet 2004 stipule : « la convention pourra à tout moment être dénoncée pour un juste motif par l'une ou l'autre partie, en particulier si l'une d'elle constate une mauvaise exécution ou une absence d'exécution de l'une des clauses qui précèdent. La dénonciation doit être notifiée par lettre recommandée avec accusé réception. La durée du préavis est de six mois à compter de la date de l'accusé de réception ».

La société Cerballiance Normandie soutient que dans l'intention des parties, ce juste motif s'entend de la faute de l'une d'entre elles ou de l'existence d'un intérêt supérieur de nature à empêcher la poursuite du contrat. Outre ce cas de « juste motif » spécifiquement prévu et convenu par les parties, il y aurait lieu selon elle, pour l'hypothèse d'une résiliation du contrat sans motif, de se référer à l'ancienneté des relations contractuelles ainsi qu'aux usages applicables dans la profession.

A cet égard, la société Cerballiance Normandie renvoie aux recommandations relatives aux relations entre les établissements de soins privés et les laboratoires d'analyses de biologie médicale, résultant d'un accord en date du 1er juillet 2002 entre diverses organisations professionnelles (fédération de l'hospitalisation privée, syndicat des biologistes, syndicat des laboratoires de biologie clinique et syndicat national des médecins biologistes). Aux termes de ces recommandations, le contrat à durée indéterminée peut être rompu, à tout moment, par l'une ou l'autre des parties, pour un juste motif, sous réserve de respecter un préavis calculé en fonction de la durée d'exercice, soit, pour le présent contrat, un délai de préavis de 18 mois.

Elle soutient donc pouvoir bénéficier d'une durée de préavis raisonnable dont la durée doit être égale à 18 mois, au regard de l'ancienneté des relations contractuelles et en application des usages, et ce à compter du 29 septembre 2017, date de la lettre de résiliation qui marquait sans équivoque l'intention de l'établissement de rompre le contrat. La tentative de résiliation anticipée du contrat serait donc manifestement constitutive d'un trouble illicite dès lors que, dans la présente hypothèse, le contrat ne prévoyait pas de délai de préavis en sorte que les usages devaient donc recevoir application.

Cependant, il n'est pas démontré que ces recommandations ont aucun caractère contraignant. Leur valeur ne peut qu'être supplétive de la volonté des parties.

En la matière, les parties restent contractuellement libres de déterminer la durée du préavis préalable à la dénonciation de la convention et, sauf durée manifestement dérisoire le vidant en pratique de toute réalité, leur convention à cet égard fait leur loi conformément aux dispositions de l'article 1134 du code civil dans sa rédaction applicable au jour du contrat.

L'essentiel du litige tient à la notion de juste motif stipulée dans le contrat.

Les recommandations précitées emploient également la notion de « juste motif ». Or, compte tenu notamment de la durée de certains préavis, notamment 18 mois, il n'est pas raisonnable de retenir que la notion de « juste motif » y corresponde à la définition précitée de la société Cerballiance Normandie (faute de l'une des parties ou existence d'un intérêt supérieur de nature à empêcher la poursuite du contrat). Cette notion y est d'évidence plus vaste, sauf à entraver la liberté contractuelle des parties.

La société Cerballiance Normandie, qui s'appuie vainement sur des jurisprudences rendues dans d'autres cadres contractuels (révocation du mandataire social), échoue à convaincre que l'interprétation évidente du contrat consiste à retenir que les parties n'ont stipulé expressément un délai dérogatoire de six mois que pour les hypothèses correspondant à l'existence d'une faute de l'une d'entre elles ou d'un intérêt supérieur justifiant la cessation des relations contractuelles.

En effet, en premier lieu, alors que tant sémantiquement qu'au regard des recommandations précitées, rien dans les termes de « juste motif » n'autorise à en limiter la signification à la définition prétendue par la société Cerballiance Normandie, le contrat ne prévoit expressément aucune distinction à l'intérieur de la notion de « juste motif » renvoyant à des durées de préavis différentes.

En second lieu, l'emploi des termes « en particulier » dans la convention tend à indiquer que dans l'esprit des parties, l'existence « d'une mauvaise exécution ou d'une absence d'exécution de l'une des clauses » du contrat ne constitue pas une exception, qui justifierait un sort distinct s'agissant de la durée de préavis, mais un simple exemple de juste motif, dont la notion est donc bien plus vaste et dont l'existence ouvre la faculté, pour l'une ou l'autre des parties d'ailleurs, de dénoncer le contrat sous réserve d'un délai de préavis de six mois.

Il s'ensuit qu'en l'état de la rédaction de la clause, il est raisonnable de retenir que le préavis de six mois a vocation à s'appliquer en présence d'un juste motif, dont l'interprétation ne se limite cependant pas à la définition alléguée par la société Cerballiance Normandie.

En l'espèce, la convention a été dénoncée par lettre recommandée avec accusé réception en date du 29 septembre 2017, visant l'article 7-2 précité, avec effet au 30 mars 2018.

S'agissant de la durée du préavis, la clinique Korian Brocéliande s'est donc bornée à mettre en œuvre une stipulation contractuelle faisant la loi des parties prévoyant le délai spécifique de six mois.

Sont dès lors de peu d'utilité pour le règlement du litige les décisions en référés produites intervenues en suite de la résiliation de contrats de collaboration où les parties n'avaient expressément stipulé aucun délai de préavis particulier.

Le premier juge a retenu que la lettre de résiliation n'était pas motivée, constatation que la cour fait sienne, ce qui avait placé la société Cerballiance Normandie dans l'incapacité d'en connaître le motif, la rupture devant dès lors être considérée comme constituant un trouble manifestement illicite.

Cependant, d'une part, il n'est démontré l'existence d'aucune obligation légale ou contractuelle pesant sur la société Korian Brocéliande de préciser, à peine d'irrégularité de la dénonciation, le juste motif la motivant.

D'autre part, la société Cerballiance Normandie a, par lettre du 3 octobre 2017, confirmé à la clinique Korian Brocéliande avoir reçu le courrier de résiliation de la convention du 29 septembre 2017. Cette lettre ne contient pas de protestations, ni même une demande d'explication. Ce n'est que par courrier de son conseil en date du 6 février 2018, que la société Cerballiance Normandie a pointé l'absence de motivation dans la lettre et a par ailleurs contesté l'existence d'un juste au motif au sens de la convention. Or, par courrier en réponse du 19 février 2018, soit toujours pendant le préavis, la clinique Korian Brocéliande a précisé le motif l'ayant conduite à dénoncer la convention.

La clinique Korian Brocéliande a ainsi précisé que la résiliation notifiée le 29 septembre 2017 s'est inscrite comme conséquence logique de l'appel d'offre national lancé pour l'ensemble de ses établissements de santé.

Il s'agit d'une explication reposant sur une situation réelle et, spontanément, non dénuée de sérieux, étant non contesté que la société Cerballiance Normandie a elle-même participé à cet appel d'offres sans être finalement retenue.

Au regard de tout ce qui précède, il n'est donc pas établi par la société demanderesse devant la cour, statuant dans les limites des pouvoirs du juge des référés, juge de l'évidence, que la dénonciation notifiée le 29 septembre 2017 constitue un trouble manifestement illicite justifiant les mesures sollicitées par la société Cerballiance Normandie.

Par ailleurs, en l'état des pièces versées au débat, celle-ci ne justifie pas de l'existence d'une dépendance économique telle à l'égard de la clinique Korian Brocéliande que ces mêmes mesures s'imposeraient pour prévenir un dommage imminent.

Enfin, à titre subsidiaire, la société Cerballiance Normandie demande à la cour sur le fondement de l'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile de lui accorder une provision dont le montant doit correspondre au chiffre d'affaires perdu par elle du fait de la décision de résiliation anticipée et illicite de la clinique.

Toutefois, en application de ce texte, le juge des référés ne peut accorder une provision au créancier que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Or, pour les motifs précités, le caractère fautif de la résiliation notifiée par la clinique n'apparaît pas non sérieusement contestable. La demande d'indemnité provisionnelle doit donc être rejetée également.

L'ordonnance sera donc réformée et la société Cerballiance Normandie déboutée de toutes ses demandes.

Condamnée aux dépens, elle sera par ailleurs condamnée à payer à la clinique Korian Brocéliande la somme de 2 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition des parties au greffe,

Réforme l'ordonnance,

Statuant à nouveau,

Déboute la SELAS Cerballiance Normandie de toutes ses demandes,

Condamne la SELAS Cerballiance Normandie à payer à la SAS Centre de réadaptation fonctionnelle de Caen la somme de 2000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Korian Brocéliande aux dépens.