CA Chambéry, 2e ch., 3 septembre 2020, n° 19/01809
CHAMBÉRY
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Axa France Iard (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Madinier
Conseillers :
M. Therolle, M. Greiner
Avocat :
Legi Rhone Alpes (Selarl)
Le 25 mai 2016, la société Nautic Force a vendu à Monsieur Michael B. un bateau à moteur d'occasion de la marque Mastercraft pour un montant de 38 000 euros. Le titre de navigation et les autocollants d'identification de coque ont été réceptionnés par l'acquéreur le 27 août suivant permettant ainsi une utilisation effective du navire à compter de septembre 2016.
Le 25 septembre 2016, lors du démarrage du moteur, Monsieur B. a été victime d'une explosion alors qu'il se trouvait en présence de quatre amis lesquels subissaient, tout comme lui, des blessures d'origine et d'intensité variables (brûlures, contusions, fractures diverses, choc psychologique, etc...).
Une expertise amiable a initialement été organisée entre l'assureur du vendeur (la compagnie Axa) et celui du bien (la compagnie Allianz).
Par actes d'huissier des 6 et 9 février 2017, Monsieur Michael B. a fait assigner en référé expertise la SAS Nautic Force et son assureur. Par ordonnance du 18 avril 2017, le juge des référés du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a fait droit à sa demande.
Monsieur Jean-Claude F., expert maritime et fluvial inscrit sur la liste établie par la cour d'appel de Montpellier, a déposé son rapport le 25 juillet 2018.
Postérieurement, par actes d'huissier des 22, 23, 28, 29 et 31 mai 2019, puis des 3 et 14 juin 2019, Messieurs Michael B., Menso Carpentier A., Gil Carrillo De A. Y H. ainsi que Mesdames Rowena S. et Grace R. ont assigné en référé leurs assureurs respectifs ainsi que la société Nautic Force et son assureur en vue d'obtenir le bénéfice d'une expertise médicale ainsi que la condamnation de la société venderesse et d'Axa France Iard au paiement d'une indemnité provisionnelle.
Par ordonnance du 3 septembre 2019, le juge des référés du tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains a notamment :
- ordonné une expertise médico-légale au bénéfice de Messieurs Michael B., Menso Carpentier A., Gil Carrillo De A. Y H. et de Mesdames Rowena S. et Grace R.,
- désigné pour y procéder le docteur Dominique S.,
- fixé la mission et le délai imparti pour sa réalisation,
- fixé le montant de la consignation à la charge des demandeurs,
- condamné la SAS Nautic Force et la SA Axa France Iard à payer in solidum à Monsieur Michael B. une provision de 5 000 euros à valoir sur l'indemnisation définitive de son préjudice,
- rejeté le surplus des demandes et condamné la SAS Nautic Force et la SA Axa France Iard aux dépens.
Par acte du 7 octobre 2019, la SA Axa France Iard a interjeté appel de cette décision en limitant toutefois son appel à sa condamnation au paiement de la provision et à celle relative aux dépens.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 18 décembre 2019, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la SA Axa France Iard demande à la cour de :
- réformer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a alloué une provision de 5 000 euros à Monsieur B.,
- statuant à nouveau, dire n'y avoir lieu à provision,
- rejeter les demandes formulées par les autres parties et notamment au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- dire que les dépens suivront le sort du principal.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 17 janvier 2020, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, la société Nautic Force demande pour sa part à la cour de :
- réformer l'ordonnance en ce qu'elle a accordé une provision à Monsieur B.,
- dire et juger que l'obligation de la SAS Nautic force est sérieusement contestable,
- débouter Monsieur B. et la société Générali Assurances Générales de leurs demandes,
- condamner Monsieur B. à payer à la SAS Nautic Force la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction au profit de Maître P. s'agissant des frais dont il a fait l'avance sans avoir reçu provision.
En réplique, dans ses conclusions adressées par voie électronique le 17 décembre 2019, auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des moyens, Monsieur B. demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions,
- débouter la société Axa France Iard de toutes les demandes présentées contre lui,
- condamner in solidum la société Nautic Force et la société Axa France Iard à lui verser la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel,
- condamner in solidum la société Nautic Force et la société Axa France Iard aux dépens dont distraction au profit de la Selarl C.-B. s'agissant des frais dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.
Dans ses conclusions notifiées par voie électronique le 22 novembre 2019, la société Générali Assurances Générales, organisme social de Monsieur B. formant appel incident, demande à la cour de :
- confirmer l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande de provision et de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement la société Nautic Force et la société Axa France Iard à lui payer une provision correspondant à la contrevaleur en euros au jour de l'arrêt à intervenir de la somme de 51 247,25 CHF,
- condamner solidairement la société Nautic Force et la société Axa France Iard à lui payer une indemnité de 2 500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en première instance et 3 000 euros pour ceux exposés en appel,
- condamner les mêmes, sous la même solidarité, aux dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 3 septembre 2020.
MOTIFS DE LA DÉCISION
L'article 809 alinéa 2 du code de procédure civile prévoit que, dans les cas où l'existence d'une obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge des référés peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Conformément aux articles 1245 et suivants du code civil, le producteur est responsable du dommage causé par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime. Au sens du chapitre du code civil relatif à la responsabilité du fait des produits défectueux, un produit est qualifié de défectueux lorsqu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre. Est considéré comme producteur, lorsqu'il agit à titre professionnel, le fabricant d'un produit fini, le producteur d'une matière première et le fabricant d'une partie composante. Sont assimilés à un producteur selon l'article 1245-5 du même code toute personne agissant à titre professionnel qui importe un produit dans la Communauté européenne en vue d'une vente, d'une location, avec ou sans promesse de vente, ou de toute autre forme de distribution. Il appartient au demandeur de prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage.
Le producteur peut être responsable du défaut alors même que le produit a été fabriqué dans le respect des règles de l'art ou des normes existantes ou qu'il a fait l'objet d'une autorisation administrative. Toutefois, la responsabilité du producteur peut être réduite ou supprimée, compte tenu de toutes les circonstances, lorsque le dommage est causé conjointement par un défaut du produit et par la faute de la victime ou d'une personne dont la victime est responsable.
En l'espèce, il est constant que la société Nautic Force, vendeur professionnel, a cédé à Monsieur B. un bateau à moteur d'occasion de marque Mastercraft destiné à un usage de loisirs. Il est tout aussi constant que le navire a été fabriqué aux Etats-Unis en 2007 et que la SAS Nautic Force, immatriculée au RCS de Cannes, se reconnaît comme l'importateur exclusif en France de la société Mastercraft Boat Inc. En ce sens, la société Nautic Force doit être considérée comme productrice du bateau au sens des dispositions précitées.
Selon l'expert, le sinistre est en lien avec une fuite au niveau du joint de la pompe à essence située sur la partie supérieure du réservoir, le mauvais serrage des 12 vis de fixation de la pompe provoquant un problème d'étanchéité de la liaison pompe / réservoir. La fuite a été suivie de la vaporisation de l'essence et de sa propagation à l'ensemble du bateau à travers une cloison d'isolation non-conforme. Sont ainsi pointés par l'expert comme des éléments ayant concouru à l'explosion, un défaut de mise de conformité du navire lors de son importation, un non-respect des recommandations du constructeur concernant le suivi de maintenance, une absence de contrôles réguliers ainsi qu'une absence de résultats sur certaines réparations effectuées par la société Nautic Force. En ce sens, l'expert souligne que la remise en état du bateau par la société Nautic Force pour la vente à Monsieur B. a été laborieuse et très superficielle. Selon ce dernier, elle n'était toujours pas achevée ni satisfaisante au jour de l'explosion, de multiples réparations ayant été effectuées au coup par coup en fonction des dysfonctionnements successifs.
Malgré des dires en sens contraire, aucune faute imputable à Monsieur B. n'a été objectivée lors des opérations d'expertise (erreur de manipulation lors de l'approvisionnement en carburant, stockage de carburant à bord du bateau, absence de mise route ou mise en route pendant une durée insuffisante des ventilateurs de cale avant le démarrage du moteur). Aucune pièce produite en cause appel ne permet, à ce stade, d'établir une action fautive de la part du propriétaire du bateau ou de la part d'une personne dont il aurait la responsabilité.
De même, une éventuelle conformité aux normes CE, si toutefois cette dernière devait être démontrée au fond, ne s'avère pas de facto exonératoire de responsabilité pour la société importatrice.
Il en résulte que, en sa qualité d'importateur et de vendeur professionnel, la SAS Nautic Force devait s'assurer que le bien cédé présentait les garanties de sécurité auxquelles l'acheteur peut légitimement s'attendre. Or, le défaut d'étanchéité constaté par l'expert témoigne du caractère défectueux du produit quant à la sécurité attendue, les dommages corporels justifiés par Monsieur B. au moyen des éléments médicaux et des photographies versés aux débats étant manifestement en lien direct avec cette défectuosité laquelle a concouru au sinistre dont il a été victime.
Dès lors, une obligation d'indemnisation, non sérieusement contestable, existe pour la SAS Nautic Force au profit de Monsieur B. et de son organisme social, les dépenses de santé exposées par ce dernier étant, au regard de la date et de la nature des prestations servies, manifestement en lien avec le fait générateur.
Aussi, compte tenu de la gravité des blessures subies et justifiées, il y a lieu de confirmer l'ordonnance déférée ayant fait droit à la demande de provision de Monsieur B. à hauteur de 5 000 euros. Plus avant, la société Générali Assurances Générales justifiant au moyen de débours détaillés des frais de traitement en lien avec le sinistre, sa demande provisionnelle doit être accueillie à hauteur de la contrevaleur en euros, au jour de l'arrêt, de la somme de 18 665,50 CHF. Toutefois, dans l'attente des résultats de l'expertise médicale, l'organisme social doit être débouté de sa demande formulée au titre des indemnités journalières qu'elle a servies dont le montant ne pourra être fixé qu'au regard de la période d'incapacité retenue par l'expert médical.
Enfin, la SAS Nautic Force et la société Axa France Iard sont condamnées in solidum à verser la somme de 3 000 euros à Monsieur B. et de 3 000 euros à la société Générali Assurances Générales au titre de leurs frais irrépétibles de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement, par décision contradictoire,
Confirme l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle a débouté la société Générali Assurances Générales de sa demande de provision, et en ce qu'elle a débouté Monsieur Michael B. et la société Générali Assurances Générales de leurs demandes respectives au titre des frais irrépétibles de première instance,
Statuant à nouveau sur ces points,
Condamne in solidum la SAS Nautic Force et la société Axa France Iard à payer à la société Générali Assurances Générales une provision correspondant à la contrevaleur en euros, au jour de l'arrêt, de la somme de 18 665,50 CHF au titre des frais de traitement exposés par l'organismes social,
Condamne in solidum la SAS Nautic Force et la société Axa France Iard à payer à Monsieur Michael B. la somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles de première instance,
Condamne in solidum la SAS Nautic Force et la société Axa France Iard à payer à la société Générali Assurances Générales la somme de 800 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles de première instance,
Y ajoutant
Condamne in solidum la SAS Nautic Force et la société Axa France Iard à payer à Monsieur Michael B. la somme de 2 200 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles d'appel,
Condamne in solidum la SAS Nautic Force et la société Axa France Iard à payer à la société Générali Assurances Générales la somme de 2 200 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile s'agissant des frais irrépétibles d'appel,
Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires,
Condamne in solidum la société Nautic Force et la société Axa France Iard aux dépens d'appel dont distraction au profit de la Selarl C.-B. s'agissant des frais dont elle a fait l'avance sans avoir reçu provision.