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Décisions

CA Lyon, 8e ch., 28 juillet 2020, n° 19/08963

LYON

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Christian Dior Couture (SA)

Défendeur :

Tc and Co (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Chauve

Conseillers :

Mme Zagala, Mme Stella

Avocats :

Me Laffly , Me Guidoux, Me De Fourcroy, Me Malatray

T. com. Lyon, du 19 nov. 2019

19 novembre 2019

La société Tc and co est une société exerçant une activité de vente de vêtements masculins de prêt-à-porter de type « street wear » et sous le nom commercial « Why Not ».

La société Christian Dior Couture est une maison de haute couture et de prêt-à-porter de luxe, aujourd'hui filiale du groupe LVMH.

La société Christian Dior Couture considérant que l'enseigne Why Not commercialisait ses articles de prêt-à-porter, chaussures et accessoires, en dehors de toute autorisation, a mis en demeure la société Tc and co de cesser toute commercialisation.

La société Christian Dior Couture a saisi le président du tribunal de commerce de Lyon aux fins d'astreindre la société Tc and co à cesser la commercialisation de ses articles et obtenir la communication sous astreinte des informations lui permettant d'identifier l'origine de l'atteinte au réseau de distribution sélective de ses produits.

Par ordonnance en date du 19 novembre 2019, le président du tribunal de commerce de Lyon a :

- débouté la société Christian Dior Couture de ses demandes fondées sur l'article 145 du code de procédure civil, car mal fondées,

- dit que le présent litige excède les pouvoirs du juge des référés,

- renvoyé en conséquence les parties à se pourvoir devant les juges du fond,

- débouté l'ensemble des parties de leurs demandes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Christian Dior Couture aux entiers dépens de l'instance.

Par déclaration d'appel en date du 26 décembre 2019, la société Christian Dior Couture a interjeté appel de cette ordonnance.

Aux termes de ses dernières conclusions, la société Christian Dior Couture demande à la cour de :

- réformer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,

- faire injonction à Why Not, sous astreinte de 1 000 par jour de retard à compter de l'ordonnance à intervenir, de lui communiquer :

. les factures d'achat des produits revêtus de ses marques offerts à la vente depuis le mois d'avril 2018,

. les noms et coordonnées des fournisseurs de Why Not des produits revêtus de ses marques depuis le mois d'avril 2018,

. les quantités de produits revêtus de ses marques acquis par Why Not ainsi que les quantités étant ou ayant été en stock,

. les références de produits revêtus de ses marques d'ores et déjà vendus au sein du point de vente à enseigne Why Not,

- se réserver la liquidation de l'astreinte,

- ordonner à Why Not de cesser la commercialisation de ses articles, et ce sous astreinte de 2 000 par acte de commercialisation constaté à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- rassembler l'ensemble de ses articles en un stock unique dans ses locaux, dont inventaire contradictoire sera dressé par un huissier de justice sous son contrôle, dans un délai de 8 jours suivant la signification de l'arrêt à intervenir,

- faire interdiction à Why Not de diffuser toutes photographies représentant les produits des Marques sur ses réseaux sociaux sous astreinte de 500 par photographie à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- ordonner à Why Not de retirer toutes photographies représentant les produits des Marques sur ses réseaux sociaux sous astreinte de 500 par photographie non retirée dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,

- condamner Why Not au paiement de la somme provisionnelle de 30 000 à titre de provision pour la réparation du préjudice subi,

- rejeter l'appel incident formé par la société Why Not,

- condamner Why Not au paiement de la somme de 10 000 au titre de l'article 700 du code de procédure civil ainsi qu'aux entiers dépens d'instance et d'appel, ces derniers distraits au profit de Me Laffly, avocat sur son affirmation de droit.

La société Christian Dior Couture fait valoir à l'appui de son appel que :

- contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, elle pouvait fonder ses demandes sur les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile lesquelles ne nécessitent pour être appliquées ni la condition d'urgence, ni la condition d'absence de contestation sérieuse, ni celle que le procès envisagé soit engagé envers la partie à l'encontre de laquelle les mesures sont sollicitées, de sorte que le juge des référés n'était pas fondé à lui refuser les mesures d'instruction sollicitées sur ces motifs,

- le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile,

- la recherche d'une faille dans le réseau de distribution sélective constitue un motif légitime au regard des mesures sollicitées, d'autant que son réseau de distribution sélective a été reconnu par la cour de justice de l'Union Européenne ainsi que par le tribunal de grande instance de Paris,

- l'atteinte par un distributeur non agréé à un réseau de distribution sélective constitue un trouble manifestement illicite, au regard des dispositions de l'article 873 du code de procédure civile,

- son réseau est fondé sur une charte de distribution sélective imposant la réunion de critères sélectifs et qualitatifs appliqués de façon non-discriminatoire aux points de vente proposant à la vente des vêtements, souliers et accessoires de luxe, comme le démontre un exemplaire signé d'un contrat de distribution sélective qu'elle produit,

- le contrat de distribution sélective est opposable à la société Tc and co puisque différents courriers lui ont été adressés en ce sens,

- elle a mis en demeure Why Not à trois reprises de lui communiquer les documents lui permettant d'identifier l'origine des produits des marques, ce que cette dernière a refusé, de sorte que l'origine frauduleuse de l'approvisionnement doit être présumée,

- elle subit un préjudice d'image caractérisé du fait de la commercialisation sauvage d'articles sous sa marque dans des conditions qui ne sont en rien conformes à ses exigences.

En réponse et aux termes de ses dernières conclusions, la société Tc and co demande à la cour de :

- A titre principal :

- confirmer l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Lyon le 19 novembre 2019 sauf en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société Christian Dior Couture à lui payer la somme provisionnelle de 10 000 à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société Christian Dior Couture à lui payer la somme de 6 000 au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, et aux entiers dépens distraits au profit de son conseil,

- A titre subsidiaire :

- juger que la société Christian Dior Couture ne justifie pas de l'existence d'un trouble manifestement illicite dans le cadre de la présente instance,

- juger que la société Christian Dior Couture ne justifie pas de l'existence d'un motif légitime dans le cadre de la présente instance,

- juger que les demandes de condamnation formulées à titre de provisions par la société Christian Dior Couture à son encontre se heurtent à des contestations sérieuses,

En conséquence,

- juger irrecevables et mal fondées, les prétentions de la société Christian Dior Couture telles que formulées à son encontre,

- débouter la société Christian Dior Couture de l'intégralité de ses demandes à son encontre,

Plus subsidiairement encore :

- sur les demandes formulées au titre des mesures conservatoires :

- dire que l'astreinte ne peut commencer à courir à compter de la date de la décision à intervenir,

- réduire dans de plus justes proportions les demandes formulées par la société Christian Dior au titre des astreintes,

- condamner à titre de provision la société Christian Dior Couture à lui payer la valeur du stock appréhendé par ses soins - au prix de revente des marchandises - à l'issue de l'inventaire contradictoire réalisé à sa demande,

- Sur les demandes de condamnation à titre de provisions :

- dire que la société Christian Dior Couture ne justifie pas du préjudice qu'elle allègue,

- débouter, en conséquence, la société Christian Dior Couture de ses demandes indemnitaires à son encontre,

- et à titre infiniment subsidiaire, réduire dans de plus justes proportions les demandes de la société Christian Dior Couture à son encontre,

En toutes hypothèses,

- débouter la société Christian Dior Couture de toutes demandes, fins et conclusions contraires,

- condamner la société Christian Dior Couture à lui payer la somme provisionnelle de 10 000 à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- condamner la société Christian Dior Couture à lui payer la somme de 6 000 au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- condamner la société Christian Dior Couture aux entiers dépens distraits au profit de son conseil, sur son affirmation de droit.

Elle expose que :

- le secret des affaires justifie qu'il ne soit pas fait droit aux demandes formulées par la société Christian Dior,

- la communication d'un contrat type n'est pas suffisante pour que la cour puisse se prononcer sur la licéité et sur l'opposabilité du contrat de distribution sélective,

- le contrat signé et daté du 11 décembre 2019 ne lui est pas opposable puisque celui-ci est postérieur à la saisine du juge des référés,

- il n'est pas démontré qu'elle aurait eu un comportement fautif à l'égard de la société Christian Dior Couture, puisqu'elle est étrangère à tout contrat de distribution sélective, et n'en avait pas connaissance,

- les achats de marchandises sont, depuis l'origine, régulièrement et valablement déclarés à toutes les administrations compétentes,

- depuis l'ouverture de son magasin, elle a reçu la visite de commerciaux de la société Christian Dior Couture sans que ces derniers ne s'offusquent de la commercialisation de leurs produits,

- les pièces versées aux débats ne permettent pas de démontrer qu'elle nuit à l'image de marque de la société Christian Dior Couture, puisque cette dernière a directement profité des ventes qu'elle a réalisées,

- l'astreinte commence le jour de la signification de la décision portant obligation de s'exécuter,

- la société Christian Dior Couture ne démontre pas l'existence en tant que telle d'un préjudice indemnisable, et ne justifie pas du montant qu'elle réclame qui est évalué de façon forfaitaire et arbitraire.

MOTIFS DE LA DECISION

L'article 145 du code de procédure civile permet au juge des référés, s'il existe un motif légitime de conserver avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, d'ordonner les mesures d'instruction légalement admissibles, à la requête de tout intéressé.

L'article 873 du même code dispose que 'Le président peut, dans les mêmes limites, et même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Dans tous les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, il peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire'.

Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.

En l'espèce, la société Christian Dior demande de faire injonction à la société Why Not de lui communiquer sous astreinte un certain nombre de documents et d'informations et de lui interdire la commercialisation des articles de la société Christian Dior Couture.

Il est constant que la société Tc and co qui exerce son activité sous l'enseigne Why Not, propose à la vente depuis 2018 des articles Christian Dior et qu'elle a continué malgré la délivrance de mises en demeure de cesser cette commercialisation.

La société Christian Dior Couture soutient qu'elle serait victime d'une atteinte au réseau de distribution sélective de ses produits, atteinte qui caractérise à la fois le motif légitime nécessaire pour réclamer des mesures d'instruction comme la communication de documents et le trouble illicite permettant de demander l'interdiction de l'utilisation des photos et de la poursuite de la commercialisation des produits de sa marque par l'intimée.

Elle rappelle qu'elle se doit par rapport à ses distributeurs agréés de veiller à l'étanchéité de son réseau de distribution sélective.

Pour établir l'existence et la licéité de ce réseau, elle produit des décisions de justice ayant reconnu ce réseau notamment des ordonnances de référé du tribunal de Pontoise, du tribunal de grande instance de Pontoise et les avis de la cour européenne de justice de l'Union européenne ainsi que l'annexe 5 de sa charte de distribution sélective, un contrat type d'exploitation Corner Christian Dior Couture et ce même contrat signé version du 11 décembre 2019.

L'arrêt de la cour européenne de justice du 23 avril 2009 fait état d'un contrat de licence de marque conclu avec une société précise et donne son avis sur la validité de clauses de ce contrat au regard de la directive européenne sur un contrat ancien de plus de dix ans.

L'arrêt de cette même cour du 4 novembre 1997 concerne les parfums Christian Dior et non Christian Dior Couture. Il précise que les articles du traité CE doivent être interprétés comme ne permettant pas à un titulaire d'un droit de marque de s'opposer à ce qu'un revendeur qui commercialise habituellement des articles de même nature, mais pas nécessairement de même qualité que les produits protégés, emploie ceux-ci conformément aux modes qui sont usuels dans son secteur d'activité, ou utilise la marque afin d'annoncer la commercialisation de ces produits sauf si l'utilisation de la marque ou de ces produits à cette fin porte une atteinte sérieuse à leur renommée.

Les ordonnances de référé du tribunal de commerce de Pontoise datent des 16 mai et 25 septembre 2014 et portent sur la communication de factures et bons de livraison et la liquidation d'une astreinte.

Ces décisions sont anciennes, pour certaines étrangères aux parties et ne sont donc pas suffisantes pour établir à la date de la demande de Christian Dior Couture le réseau de distribution sélective dont elle se prévaut, lequel ne saurait pas plus résulter de la communication d'un contrat type ou d'un contrat qui n'est signé que par une des deux parties pour une distribution à Marseille et non à Lyon,

Dès lors, ces éléments ne caractérisent ni la réalité du trouble invoqué par la société défenderesse ni son caractère manifestement illicite ni même le motif légitime permettant d'obtenir du juge des référés des mesures d'instruction.

L'ordonnance sera donc confirmée.

L'appel formé par la société Christian Dior Couture bien que non fondé, n'apparaît pas motivé par une intention de nuire pouvant caractériser un abus de procédure. Il n'y a donc pas lieu d'allouer à la partie intimée des dommages-intérêts pour procédure abusive.

L'appelante supportera les dépens de l'instance d'appel et sera condamnée à payer à l'intimée une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

La Cour,

Confirme l'ordonnance querellée en toutes ses dispositions.

Y ajoutant,

Rejette la demande de dommages et intérêts formée par la société TC and CO.

Condamne la société Christian Dior Couture à payer à la société TC and CO la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Christian Dior Couture aux dépens d'appel.