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Décisions

CJUE, 4e ch., 17 septembre 2020, n° C-648/18

COUR DE JUSTICE DE L’UNION EUROPEENNE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Autoritatea naţională de reglementare în domeniul energiei (ANRE)

Défendeur :

Societatea de Producere a Energiei Electrice în Hidrocentrale Hidroelectrica SA

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Vilaras

Juges :

S. Rodin, , D. Šváby, K. Jürimäe , N. Piçarra

Avocat général :

M. Campos Sánchez-Bordona

CJUE n° C-648/18

17 septembre 2020

LA COUR (quatrième chambre)

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 35 TFUE.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’Autoritatea naţională de reglementare în domeniul energiei (ANRE) (autorité de régulation dans le domaine de l’énergie, Roumanie) à la Societatea de Producere a Energiei Electrice în Hidrocentrale Hidroelectrica SA (ci-après « Hidroelectrica »), au sujet du procès‑verbal no 36119, du 11 mai 2015, établi par l’ANRE à l’encontre d’Hidroelectrica au motif que cette dernière n’avait pas offert, sur le marché de l’électricité concurrentiel roumain, l’intégralité de l’électricité disponible et avait exporté une partie de celle-ci directement vers le marché de l’électricité hongrois.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2009/72/CE

3 Les considérants 3, 5, 25 et 51 de la directive 2009/72/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur de l’électricité et abrogeant la directive 2003/54/CE (JO 2009, L 211, p. 55), énoncent :

« (3) Les libertés que le traité [FUE] garantit aux citoyens de l’Union – entre autres, la libre circulation des marchandises, la liberté d’établissement et la libre prestation de services – ne peuvent être effectives que dans un marché entièrement ouvert qui permet à tous les consommateurs de choisir librement leurs fournisseurs et à tous les fournisseurs de fournir librement leurs produits à leurs clients.

[...]

(5) La sécurité d’approvisionnement en électricité revêt une importance vitale pour le développement de la société européenne, pour la mise en œuvre d’une politique durable en matière de changement climatique ainsi que pour la promotion de la compétitivité sur le marché intérieur. [...]

(25) La sécurité de l’approvisionnement énergétique est un élément essentiel de la sécurité publique et est, de ce fait, intrinsèquement liée au fonctionnement efficace du marché intérieur de l’électricité et à l’intégration des marchés de l’électricité isolés des États membres. [...]

(51) Il convient que les intérêts des consommateurs soient au cœur de la présente directive et que la qualité du service constitue une responsabilité centrale pour les entreprises d’électricité. Les droits existants des consommateurs doivent être renforcés et garantis, et ils devraient inclure une plus grande transparence. La protection du consommateur devrait garantir, dans le contexte de [l’Union] au sens large, que tous les consommateurs bénéficient d’un marché compétitif. Les États membres ou, si un État membre le prévoit, les autorités de régulation devraient veiller au respect des droits des consommateurs. »

4 L’article 3 de cette directive, intitulé « Obligations de service public et protection des consommateurs », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres, sur la base de leur organisation institutionnelle et dans le respect du principe de subsidiarité, veillent à ce que les entreprises d’électricité, sans préjudice du paragraphe 2, soient exploitées conformément aux principes de la présente directive, en vue de réaliser un marché de l’électricité concurrentiel, sûr et durable sur le plan environnemental, et s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations de ces entreprises. »

5 Les articles 36 à 38 de ladite directive, concernant, respectivement, les objectifs généraux, les missions et compétences des autorités de régulation nationales et le régime applicable aux questions transfrontalières, prévoient plusieurs instruments de coopération entre ces autorités.

 Le règlement (UE) no 1227/2011

6 L’article 1er, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1227/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2011, concernant l’intégralité et la transparence du marché de gros de l’énergie (JO 2011, L 326, p. 1), dispose :

« Le présent règlement établit des règles qui interdisent les pratiques abusives qui affectent les marchés de gros de l’énergie et qui sont cohérentes avec les règles applicables sur les marchés financiers ainsi qu’avec le bon fonctionnement desdits marchés de gros de l’énergie, prenant ainsi en compte leurs caractéristiques spécifiques. Il prévoit la surveillance des marchés de gros de l’énergie par l’agence de coopération des régulateurs d’énergie [...] en étroite collaboration avec les autorités de régulation nationales, et en tenant compte des interactions entre le système européen d’échange de quotas d’émission et les marchés de gros de l’énergie. »

7 Les articles 7 à 9 du règlement nº 1227/2011, portant, respectivement, sur la surveillance du marché de gros de l’énergie, la collecte des données et l’enregistrement des acteurs de ce marché, établissent la compétence de l’agence de coopération des régulateurs de l’énergie, en collaboration avec les autorités de régulation nationales, imposent aux acteurs de ce marché l’obligation de fournir certaines informations à cette agence et créent un registre européen de participants sur ledit marché qui est accessible aux autorités de régulation nationales, dans lequel sont enregistrées les informations les plus importantes concernant les opérations conclues sur le même marché.

 Le règlement (UE) 2015/1222

8 Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, du règlement (UE) 2015/1222 de la Commission, du 24 juillet 2015, établissant une ligne directrice relative à l’allocation de la capacité et à la gestion de la congestion (JO 2015, L 197, p. 24) :

« Si un monopole national pour les services d’échange journaliers et infrajournaliers qui exclut la désignation de plusieurs NEMO [opérateurs désignés pour les services d’échange du marché national de l’électricité] existe déjà dans un État membre ou dans une zone de dépôt des offres d’un État membre au moment de l’entrée en vigueur du présent règlement, l’État membre concerné doit informer la Commission [européenne] dans un délai de deux mois à compter de l’entrée en vigueur du présent règlement et peut refuser la désignation de plus d’un NEMO par zone de dépôt des offres. »

 Le droit roumain

9 La Legea nr. 123 energiei electrice și a gazelor naturale (loi no 123 relative à l’électricité et au gaz naturel), du 10 juillet 2012 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 485, du 16 juillet 2012), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative à l’électricité et au gaz naturel »), disposait :

« Article 2

Les activités dans le domaine de l’électricité et de l’énergie thermique produites par la cogénération doivent être exercées en vue de la réalisation des objectifs fondamentaux suivants :

[...]

c) mettre en place et assurer le bon fonctionnement des marchés concurrentiels de l’électricité ;

[...]

h) améliorer la compétitivité du marché intérieur de l’électricité et la participation active à la formation tant du marché régional que du marché intérieur de l’électricité de l’Union [...] et au développement des échanges transfrontaliers ;

[...]

Article 3

Aux fins du présent titre, les termes et expressions ci-après s’entendent comme suit :

[...]

38. gestionnaire du marché de l’électricité : la personne morale qui assure l’organisation et l’administration des marchés centralisés, à l’exception du marché de l’équilibrage, aux fins de la négociation en gros de l’électricité à court, moyen et long terme.

[...]

49. marché centralisé de l’électricité : le cadre organisé dans lequel ont lieu les transactions d’électricité entre différents opérateurs économiques, par l’intermédiaire du gestionnaire du marché de l’électricité ou du gestionnaire de réseau de transport et de système, sur le fondement de règles spécifiques adoptées par l’autorité compétente ;

[...]

Article 10

[...]

2. L’autorité compétente délivre les licences pour :

[...]

f) la gestion des marchés centralisés ; une seule licence est accordée au gestionnaire du marché de l’électricité [...]

[...]

Article 20

1. Le marché de l’électricité se compose du marché réglementé et du marché concurrentiel, et les transactions d’énergie sont effectuées en gros ou au détail.

[...]

Article 23

1. Les transactions d’électricité sont effectuées sur le marché concurrentiel de manière transparente, publique, centralisée et non discriminatoire. [...]

[...]

Article 28

Les producteurs ont principalement les obligations suivantes :

[...]

c) offrir de manière publique et non discriminatoire sur le marché concurrentiel l’intégralité de l’électricité disponible.

[...] »

 Le litige au principal et la question préjudicielle

10 Hidroelectrica est une société de droit privé roumain, à participation publique majoritaire, dont l’activité comprend la production, le transport et la distribution d’électricité. Elle est titulaire, à la fois, d’une licence de production et d’une licence de fourniture d’électricité en Roumanie ainsi que d’une licence de négoce délivrée par le Magyar Energetikai és Közmű-szabályozási Hivatal (MEKH) (autorité de régulation dans le domaine de l’énergie et des services d’utilité publique, Hongrie).

11 Le 11 mai 2015, l’ANRE a notifié à Hidroelectrica, par le procès-verbal no 36119 (ci-après le « procès-verbal »), sa décision de lui infliger une amende pour une contravention, en application des dispositions combinées de l’article 23, paragraphe 1, et de l’article 28, sous c), de la loi relative à l’électricité et au gaz naturel. L’ANRE a, en effet, constaté que, entre le mois de décembre 2014 et le mois de février 2015, Hidroelectrica avait conclu directement des contrats de vente d’électricité sur une plateforme électronique de négociation hongroise, exploitée par Tradition Financial Services Ltd, un opérateur immatriculé au Royaume-Uni, alors qu’elle était obligée d’offrir toute l’électricité disponible de façon transparente, publique, centralisée et non discriminatoire sur le marché centralisé de l’électricité roumain, c’est-à-dire sur les plateformes d’OPCOM SA, seul gestionnaire du marché de l’électricité en Roumanie.

12 Le 27 mai 2015, Hidroelectrica a introduit un recours devant la Judecătoria Sectorului 1 București (tribunal de première instance du secteur 1 de Bucarest, Roumanie) contre le procès-verbal et a demandé l’annulation de l’amende infligée par l’ANRE. Hidroelectrica a fait valoir, d’une part, que l’obligation d’effectuer des transactions exclusivement par l’intermédiaire de certains opérateurs contrôlés ou autorisés par l’État constituait une limitation des canaux de distribution incompatible avec l’article 35 TFUE et, d’autre part, que cette obligation, en tant que mesure restrictive de la libre circulation de l’électricité, n’avait pas été justifiée au regard de l’article 36 TFUE. Par ailleurs, Hidroelectrica a relevé que, dans un rapport du mois de janvier 2014 relatif aux résultats de l’enquête sectorielle sur le marché de l’électricité, le Consiliul Concurenței (autorité de la concurrence, Roumanie) aurait indiqué que les dispositions de la loi relative à l’électricité et au gaz naturel doivent être interprétées en ce sens qu’il est permis aux producteurs d’électricité de réaliser directement (ou par l’intermédiaire de sociétés de leur groupe) des ventes à l’exportation.

13 Le Judecătoria Sectorului 1 București (tribunal de première instance du secteur 1 de Bucarest) a annulé le procès-verbal et a exonéré Hidroelectrica du paiement de l’amende qui lui avait été infligée par l’ANRE. Il a considéré que la négociation en dehors des plateformes centralisées d’OPCOM ne méconnaît pas nécessairement l’article 23, paragraphe 1, de la loi relative à l’électricité et au gaz naturel.

14 L’ANRE a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi, le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie).

15 Cette juridiction indique, tout d’abord, que, selon la communication intitulée « Interprétation par l’ANRE des dispositions de la loi [...] relative à l’électricité et au gaz naturel quant à la possibilité pour les producteurs d’exporter de l’électricité », publiée le 13 février 2015, sur le site Internet de l’ANRE, « toute électricité disponible doit être offerte de manière transparente, publique, non discriminatoire et centralisée sur les plateformes d’OPCOM ». Ladite juridiction souligne, à cet égard, que la qualification de « contravention » de l’exportation directe d’électricité a pour effet d’empêcher l’exercice d’une telle activité, eu égard aux sanctions lourdes que l’ANRE peut infliger.

16 La juridiction de renvoi relève, ensuite, que, dans une affaire analogue, la Judecătoria Sectorului 2 București (tribunal de première instance du secteur 2 de Bucarest, Roumanie) a jugé que, si l’article 23, paragraphe 1, de la loi relative à l’électricité et au gaz naturel impose que les transactions d’électricité soient transparentes, publiques, centralisées et non discriminatoires, cette disposition n’impose pas qu’elles soient réalisées uniquement sur les plateformes centralisées d’OPCOM. Cette juridiction en a conclu que la négociation en dehors des plateformes centralisées d’OPCOM n’enfreint pas nécessairement ladite disposition et que, par conséquent, pour étayer le caractère prétendument contraventionnel de l’acte du producteur d’électricité concerné, l’ANRE aurait dû établir que la transaction concernée a été réalisée en dehors du marché concurrentiel de manière non transparente, non publique, non centralisée et discriminatoire.

17 Enfin, la juridiction de renvoi fait remarquer que la Cour ne s’est pas encore prononcée sur l’interprétation de l’article 35 TFUE à propos d’une loi, d’une réglementation ou d’une pratique administrative établissant une restriction à l’exportation comme celle en cause dans le litige au principal.

18 Dans ces conditions, le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 35 TFUE s’oppose-t-il à une interprétation de l’article 23, paragraphe 1, et de l’article 28, sous c), de la [loi relative à l’électricité et au gaz naturel] selon laquelle les producteurs d’électricité roumains sont tenus de négocier l’intégralité de l’électricité produite exclusivement par l’intermédiaire d’un marché concurrentiel et centralisé roumain, alors qu’il est possible d’exporter de l’électricité non pas directement, mais par l’intermédiaire de sociétés de négoce ? »

 Sur la question préjudicielle

 Sur la recevabilité

19 L’ANRE excipe de l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle, en faisant valoir que cette demande concerne non pas l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, mais l’interprétation d’une législation nationale adoptée par une autorité nationale. La Cour ne serait pas compétente pour trancher des divergences d’interprétation ou d’application des règles du droit national.

20 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, s’il n’appartient pas à la Cour, dans le cadre de l’article 267 TFUE, de se prononcer sur la compatibilité, avec le droit de l’Union, d’une disposition législative ou réglementaire nationale, ou de l’interprétation qui en est faite par les opérateurs juridiques nationaux, elle est, toutefois, compétente pour fournir à la juridiction de renvoi tous les éléments d’interprétation relevant du droit de l’Union et permettant à cette juridiction de statuer sur la compatibilité de la disposition nationale, ou de son interprétation, avec la règle de droit de l’Union invoquée (voir arrêts du 10 mars 1983, Syndicat national des fabricants raffineurs d’huile de graissage e.a., 172/82, EU:C:1983:69, point 8, et du 2 juillet 1987, Lefèvre, 188/86, EU:C:1987:327, point 6).

21 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 29 de ses conclusions, la juridiction de renvoi ne demande pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation de la loi relative à l’électricité et au gaz naturel, mais soulève des doutes sur la compatibilité de l’interprétation qui en est faite par une autorité nationale avec l’article 35 TFUE.

22 Il s’ensuit que l’argumentation relative à l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle opposée par l’ANRE doit être écartée.

 Sur le fond

23 Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 35 et 36 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’une législation nationale qui, telle qu’interprétée par l’autorité chargée de son application, impose aux producteurs d’électricité nationaux d’offrir l’intégralité de l’électricité disponible sur les plateformes gérées par le seul opérateur désigné pour les services d’échange du marché national de l’électricité, constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’exportation, non susceptible d’être justifiée au regard de l’article 36 TFUE ou par une exigence impérative d’intérêt général.

 Sur l’applicabilité de l’article 35 TFUE

24 L’ANRE et le gouvernement roumain font valoir que l’article 35 TFUE n’est pas applicable en l’occurrence, étant donné qu’une harmonisation législative dans le secteur concerné aurait eu lieu, au niveau de l’Union. Ils estiment, d’une part, que l’article 5 du règlement 2015/1222 permet aux États membres de désigner un seul opérateur pour les services d’échange du marché de l’électricité national et, d’autre part, que, si un monopole légal pour les services d’échange journaliers et infrajournaliers existait déjà dans un État membre, cet État devait en informer la Commission dans un délai de deux mois à compter de l’entrée en vigueur de ce règlement. En application de cette disposition, le ministre de l’Énergie, des PME et du Monde des entreprises roumain aurait informé la Commission que, en vertu de la loi relative à l’électricité et au gaz naturel, l’OPCOM est le seul gestionnaire désigné du marché de l’électricité pour les services d’échange en Roumanie. Ce serait par conséquent au regard du règlement 2015/1222 que cette loi devrait être appréciée.

25 Il résulte d’une jurisprudence constante que toute mesure nationale relative à un domaine qui a fait l’objet d’une harmonisation exhaustive au niveau de l’Union doit être appréciée au regard des dispositions de cette mesure d’harmonisation et non pas de celles du droit primaire (arrêt du 18 septembre 2019, VIPA, C‑222/18, EU:C:2019:751, point 52 et jurisprudence citée).

26 À cet égard, il suffit de relever que les faits au principal ne sont pas couverts par le champ d’application temporel du règlement 2015/1222. En effet, ces faits sont intervenus entre le mois de décembre 2014 et le mois de février 2015, alors que ce règlement n’est entré en vigueur, conformément à l’article 84 de celui-ci, que le 14 août 2015, le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, le 25 juillet 2015.

27 En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 35 de ses conclusions, la directive 2009/72, en tant que réglementation du marché intérieur de l’électricité, n’opère pas une harmonisation complète de ce marché et n’établit pas des règles spécifiques dans le domaine des transactions de l’électricité. Ainsi qu’il ressort de l’article 3 de cette directive, celle-ci établit uniquement un certain nombre de principes généraux que les États membres doivent respecter en vue de la réalisation d’un marché de l’électricité concurrentiel, sûr et durable sur le plan environnemental.

28 Il s’ensuit que l’article 35 TFUE est applicable en l’occurrence, la Cour ayant jugé que l’électricité relève du champ d’application des règles du traité FUE concernant la libre circulation des marchandises (voir, en ce sens, arrêts du 27 avril 1994, Almelo, C‑393/92, EU:C:1994:171, point 28, et du 11 septembre 2014, Essent Belgium, C‑204/12 à C‑208/12, EU:C:2014:2192, point 122).

 Sur l’existence d’une mesure d’effet équivalent, au sens de l’article 35 TFUE

29 Pour répondre à la question de savoir si une législation nationale, telle qu’interprétée par l’autorité chargée de l’appliquer, constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, au sens de l’article 35 TFUE, il y a lieu de rappeler que, d’une part, la Cour a qualifié de mesures d’effet équivalent à une restriction quantitative, au sens de cet article, les mesures nationales applicables à tous les opérateurs agissant sur le territoire national qui affectent, en fait, davantage la sortie des produits du marché de l’État membre d’exportation que la commercialisation des produits sur le marché national de cet État membre (arrêt du 28 février 2018, ZPT, C‑518/16, EU:C:2018:126, point 43 et jurisprudence citée). D’autre part, la Cour a jugé que toute restriction, même d’importance mineure, à l’une des libertés fondamentales prévues par le traité FUE est prohibée par celui-ci, à moins que ses effets ne soient considérés comme trop aléatoires ou trop indirects pour qu’une telle restriction puisse être considérée comme une restriction, au sens de l’article 35 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 28 février 2018, ZPT, C‑518/16, EU:C:2018:126, point 44, et du 21 juin 2016, New Valmar, C‑15/15, EU:C:2016:464, points 37 et 45 ainsi que jurisprudence citée).

30 L’ANRE et le gouvernement roumain font valoir que l’obligation que l’article 23, paragraphe 1, et l’article 28, sous c), de la loi relative à l’électricité et au gaz naturel imposent aux producteurs d’offrir l’intégralité de l’électricité disponible sur le marché centralisé national ne vise pas uniquement les exportations. Afin de démontrer que la législation en cause au principal n’a pas d’effets restrictifs sur les exportations d’électricité, ils font référence à des données statistiques faisant état d’une évolution à la hausse de ces exportations.

31 Il ressort, cependant, de la décision de renvoi que les dispositions en cause au principal, telles qu’interprétées par l’ANRE, ont pour effet de priver les producteurs d’électricité roumains ayant obtenu des licences de négoce dans d’autres États membres, dont les marchés de l’électricité et celui de la Roumanie fonctionnent de manière couplée, de la possibilité de négocier bilatéralement de l’électricité et, le cas échéant, de l’exporter directement vers ces marchés. Or, en empêchant les négociations bilatérales entre les producteurs d’électricité et leurs clients potentiels, ces dispositions interdisent implicitement les exportations directes et impliquent que l’électricité produite dans l’État membre concerné soit orientée davantage vers la consommation interne, ainsi que le gouvernement roumain lui-même l’a reconnu.

32 Les données statistiques évoquées par l’ANRE et le gouvernement roumain, faisant état d’une évolution à la hausse des exportations du marché de l’électricité roumain, ne sont pas de nature à infirmer ces considérations dans la mesure où il ne peut être exclu que le niveau des exportations serait encore plus important, en l’absence des dispositions en cause au principal. De telles données permettent uniquement de conclure que la législation en cause au principal n’a pas pour effet d’empêcher toutes les exportations d’électricité du marché roumain, ce qui n’est pas contesté dans l’affaire au principal.

33 Partant, la législation en cause au principal affecte davantage les exportations d’électricité en ce qu’elle interdit les exportations directes des producteurs d’électricité à partir de Roumanie, en donnant la priorité à l’approvisionnement en électricité sur le marché national. Une telle législation constitue par conséquent une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, au sens de l’article 35 TFUE.

 Sur la justification de la mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative, au sens de l’article 35 TFUE

34 Une mesure nationale contraire à l’article 35 TFUE peut être justifiée pour l’une des raisons énoncées à l’article 36 TFUE, ainsi que par des exigences impératives d’intérêt général, pourvu que l’objectif qu’elle poursuit soit légitime et qu’elle soit proportionnée à cet objectif (voir arrêt du 16 décembre 2008, Gysbrechts et Santurel Inter, C‑205/07, EU:C:2008:730, point 45). Il appartient aux autorités nationales d’indiquer les raisons susceptibles de justifier de telles mesures en tant qu’interdictions constitutives d’une exception à la libre circulation des marchandises.

35 En l’occurrence, le gouvernement roumain a, d’abord, fait valoir, de manière générale, dans ses observations écrites, que l’article 23, paragraphe 1, et l’article 28, sous c), de la loi relative à l’électricité et au gaz naturel ont été introduits pour assurer la transparence de la conclusion de contrats sur un marché fonctionnel, en favorisant la concurrence loyale et la facilité d’accès des différents fournisseurs, dans le but de garantir aux consommateurs la sécurité de l’approvisionnement énergétique. Ensuite, lors de l’audience, en réponse à une question de la Cour, ce gouvernement a précisé que cette loi poursuit l’objectif de protéger la sécurité d’approvisionnement énergétique.

36 Or, la Cour a jugé que la protection de la sécurité d’approvisionnement énergétique est susceptible de relever des raisons de sécurité publique, au sens de l’article 36 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 10 juillet 1984, Campus Oil e.a., 72/83, EU:C:1984:256, point 34).

37 C’est au regard de ces éléments qu’il y a lieu d’apprécier si une législation nationale, interprétée en ce sens que les producteurs d’électricité nationaux sont tenus d’offrir l’intégralité de l’électricité disponible sur les plateformes gérées par le seul opérateur désigné pour les services d’échange du marché de l’électricité national, est proportionnée à l’objectif légitime poursuivi. À cette fin, il importe de vérifier non seulement si les moyens qu’elle met en œuvre sont propres à garantir la réalisation de cet objectif, mais également s’ils ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêt du 16 décembre 2008, Gysbrechts et Santurel Inter, C‑205/07, EU:C:2008:730, point 51).

38 En ce qui concerne la capacité de cette législation à atteindre l’objectif de sécurité de l’approvisionnement en électricité, il convient de relever que l’obligation imposée aux producteurs d’électricité nationaux d’offrir l’intégralité de l’électricité disponible sur les plateformes de négociation gérées par le seul opérateur désigné pour les services d’échange du marché de l’électricité national, en interdisant les négociations bilatérales entre ces producteurs et leurs clients, n’apparaît pas, en tant que telle, inapte à garantir l’objectif de sécurité de l’approvisionnement en électricité, en ce qu’elle vise à assurer que l’électricité disponible soit davantage orientée vers la consommation interne.

39 Cela étant, il importe de rappeler qu’une mesure restrictive ne saurait être considérée comme propre à garantir la réalisation de l’objectif recherché que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique (arrêt du 23 décembre 2015, Scotch Whisky Association e.a., C‑333/14, EU:C:2015:845, point 37).

40 Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 78 de ses conclusions, le fait que les intermédiaires puissent acheter l’électricité sur le marché de gros pour, par la suite, sans restrictions analogues à celles imposées aux producteurs, l’exporter vers d’autres États membres révèle l’incohérence de la mesure concernée avec l’objectif poursuivi. En effet, si, selon le gouvernement roumain, les exportations directes d’électricité compromettent la sécurité d’approvisionnement en électricité, un tel risque existe que les exportations soient effectuées par les producteurs ou par les intermédiaires.

41 En ce qui concerne la question de savoir si la législation en cause au principal ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif qu’elle poursuit, le gouvernement roumain fait valoir que les négociations sur un plan bilatéral entraînent une distorsion du marché de l’électricité, en particulier lorsque le producteur détient une partie importante de ce marché, ce qui serait le cas d’Hidroelectrica. Selon ce gouvernement, les exportations directes d’électricité ont une incidence négative sur la disponibilité de l’électricité sur le marché national et sur l’évolution du prix de l’électricité. L’obligation d’offrir l’intégralité de l’électricité disponible sur les plateformes de négociation gérées par le seul opérateur désigné de ce marché serait par conséquent proportionnée, eu égard au risque que la négociation non transparente et discriminatoire de l’électricité créerait.

42 Toutefois, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 73 et 74 de ses conclusions, l’obligation d’offrir l’intégralité de l’électricité disponible sur les plateformes de négociation gérées par le seul opérateur désigné pour les services d’échange du marché de l’électricité national, en tant que mesure visant à éviter l’incidence négative des exportations directes sur l’évolution du prix de l’électricité sur le marché national, va au-delà de ce qui est nécessaire pour garantir la sécurité d’approvisionnement en électricité.

43 En effet, la garantie d’approvisionnement en électricité ne signifie pas la garantie d’approvisionnement en électricité au meilleur prix. Les considérations d’ordre purement économique et commercial qui sous‑tendent la législation nationale en cause au principal ne relèvent pas des raisons de sécurité publique, au sens de l’article 36 TFUE, ni des exigences d’intérêt général permettant de justifier les restrictions quantitatives à l’exportation ou les mesures d’effet équivalent. Si de telles considérations pouvaient justifier l’interdiction d’exporter directement de l’électricité, le principe même du marché intérieur serait remis en cause.

44 Pour ce qui concerne le risque que, selon le gouvernement roumain, entraînerait la négociation non transparente et discriminatoire de l’électricité pour l’approvisionnement du marché national, il convient de relever qu’il existe, en l’occurrence, des mesures moins restrictives de la liberté de circulation de l’électricité sur le marché intérieur que la législation nationale en cause au principal.

45 En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 64 à 70 de ses conclusions, de telles mesures sont visées, notamment, aux articles 7 à 9 du règlement nº 1227/2011 et aux articles 36 à 38 de la directive 2009/72. Ces dispositions instaurent des mécanismes de coopération entre les autorités de régulation nationales en matière de surveillance des marchés de gros de l’énergie et prévoient des règles destinées à renforcer la transparence et l’intégrité de ce marché.

46 Il résulte de ce qui précède que l’obligation imposée aux producteurs d’électricité nationaux d’offrir l’intégralité de l’électricité disponible sur les plateformes gérées par le seul opérateur désigné pour les services d’échange du marché de l’électricité national va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi.

47 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que les articles 35 et 36 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’une législation nationale qui, telle qu’interprétée par l’autorité chargée de son application, impose aux producteurs d’électricité nationaux d’offrir l’intégralité de l’électricité disponible sur les plateformes gérées par le seul opérateur désigné pour les services d’échange du marché national de l’électricité constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’exportation qui n’est pas susceptible d’être justifiée pour des raisons de sécurité publique liées à la sécurité d’approvisionnement énergétique, dans la mesure où une telle législation n’est pas proportionnée à l’objectif poursuivi.

 Sur les dépens

48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

Les articles 35 et 36 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’une législation nationale qui, telle qu’interprétée par l’autorité chargée de son application, impose aux producteurs d’électricité nationaux d’offrir l’intégralité de l’électricité disponible sur les plateformes gérées par le seul opérateur désigné pour les services d’échange du marché national de l’électricité constitue une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative à l’exportation qui n’est pas susceptible d’être justifiée pour des raisons de sécurité publique liées à la sécurité d’approvisionnement énergétique, dans la mesure où une telle législation n’est pas proportionnée à l’objectif poursuivi.