CA Paris, Pôle 1 ch. 2, 24 septembre 2020, n° 19/21329
PARIS
Ordonnance
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
SFR (SA), SFR Fibre (SASU) , Altice France (SA)
Défendeur :
Orange (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Dellelis
Conseillers :
Mme Guillou, M. Rondeau
Avocat :
SELARL Lexavoue Paris-Versailles
Exposé du litige
La SA Altice France, la SA SFR, la SAS SFR Fibre et la SAS SFR FTTH appartiennent toutes au groupe Altice.
La SA SFR et la SAS SFR Fibre commercialisent des offres d'accès à internet de deux types :
- les offres FTTH reposent sur le déploiement de la fibre optique directement chez l'abonné ;
- les offres FTTB reposent sur le déploiement de la fibre optique jusqu'au pied de l'immeuble, la partie terminale du réseau jusqu'à la prise chez l'abonné étant raccordé en câble coaxial.
La SA Orange, concurrente du groupe Altice, lui reproche d'avoir présenté dans ses publicités ces deux offres comme équivalentes, en utilisant indistinctement le mot « fibre », alors que l'offre FTTH serait supérieure à l'offre FTTB, ce qui constituerait une publicité trompeuse tant au regard du droit commun de la consommation que de l'arrêté du 1er mars 2016 réglementant l'information des consommateurs sur les offres d'accès à Internet.
Par acte d'huissier en date du 7 mai 2019, la SA Orange a assigné les sociétés du groupe Altice devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris pour demander de :
Faire injonction aux sociétés du groupe Altice de communiquer à la SA Orange :
- l'intégralité des campagnes de publicité diffusées depuis le 27 novembre 2014 aux termes desquelles le terme « fibre » est employé ;
- les plans médias afférents à chacune de ces campagnes et, à défaut, tout élément permettant de déterminer précisément leur étendue, leur organisation dans le temps, leur budget et les supports concernés ;
- l'intégralité des brochures commerciales parues depuis le 27 novembre 2014 aux termes desquelles le terme « fibre » est employé ;
- tout élément permettant de déterminer précisément le nombre de tirage de chacune de ces brochures ainsi que les périodes pendant lesquelles les offres commerciales utilisant le terme « fibre » ont été disponibles ;
- dire que les sociétés du groupe Altice devront déférer à cette injonction dans un délai de 15 jours à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, sous peine d'astreinte de 10 000 euros par jour de retard ;
- condamner le groupe Altice à payer à la SA Orange la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de l'instance.
En défense, les sociétés du groupe Altice ont demandé au juge de :
In limine litis,
- mettre hors de cause les sociétés Altice France et SFR FTTH ;
À titre principal,
- débouter la SA Orange de l'ensemble de ses demandes ;
À titre subsidiaire, à supposer qu'un motif légitime soit établi,
Constater que la légitimité du motif allégué ne saurait porter que sur les seuls documents publicitaires :
- portant exclusivement sur des offres FTTB à destination des consommateurs et
- qui ne mentionneraient pas leur terminaison en câble coaxial et
- qui ne respecteraient pas le formalisme de l'arrêté de 2016 pour celles qui y sont soumises ;
Circonscrire en conséquence le périmètre de la mesure de communication aux seuls documents précités, à l'exception :
- des documents publics ;
- des informations confidentielles sur le budget engagé pour les diffuser ;
- des documents qui n'ont pas été conservés, compte tenu de l'ancienneté de la période visée ;
- en toute hypothèse, condamner la SA Orange à payer à chacune des sociétés du groupe Altice la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance de référé du 5 novembre 2019, le président du tribunal de commerce de Paris a :
- mis hors de cause la société SFR FTTH ;
- débouté la SA Altice France de sa demande de mise hors de cause ;
- enjoint aux sociétés Altice France, SFR, SFR Fibre SAS de communiquer à la société Orange :
- l'intégralité des campagnes de publicité diffusées du 27 novembre 2014 au 7 mai 2019 à l'attention du grand public exclusivement et dans lesquelles le terme 'fibre' est employé, sur quelque support ce que ce soit ;
- en indiquant pour chacune de ces campagnes les messages diffusés, la durée de diffusion, les supports concernés (notamment télévision, radio, cinémas, presse écrite, affichages, courriers, courriels, sites internet et réseaux sociaux librement accessibles) et le budget total de chaque campagne ;
- les communiqués de presse dans lesquels le terme « fibre » est employé en précisant à chaque fois leur mode de diffusion ;
- l'intégralité des brochures commerciales (plaquettes, dépliants, offres, formulaires pré imprimés d'abonnement, etc.) parues du 27 novembre 2014 au 7 mai 2019 mis à la disposition du grand public, notamment dans les boutiques SFR, ou adressés par courriers ou courriels, le cas échéant sur demande, aux termes desquelles le terme 'fibre' est employé, en précisant le tirage de chacune de ces brochures ainsi que les périodes pendant lesquelles elles ont été disponibles ;
- dit que les sociétés Altice France, SFR, SFR Fibre SAS devront déférer à cette injonction dans un délai de six semaines à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir, sous peine d'astreinte provisoire de 1 000 euros par jour de retard pendant une durée de 60 jours, déboutant pour le surplus de la demande ;
- réservé la liquidation de l'astreinte ;
- débouté les parties de leurs demandes respectives au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamné in solidum les sociétés Altice France, SFR, SFR Fibre SAS aux dépens de l'instance dont ceux à recouvrer par le greffe liquidé à la somme de 97,71 euros TTC dont 16,07 euros de TVA.
Le premier juge a notamment estimé que la SAS SFR FTTH, prestataire technique qui ne commercialise aucun produit à destination des consommateurs, devait être mise hors de cause. A l'inverse, la SA Altice devait rester dans la cause : bien qu'elle ne commercialise aucun produit, elle diffuse des publicités pour les sociétés de son groupe.
Il a rejeté la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité des demandes à raison de l'autorité de la chose jugée par un jugement du tribunal de commerce de Paris du 19 novembre 2008, instance opposant France Télécom et Numericable, relevant que les faits et la cause n'étaient pas les mêmes, la réglementation ayant évolué.
Sur le fond, il a estimé que la SA Orange apportait suffisamment d'éléments pour justifier d'un motif légitime d'obtenir la preuve que le groupe Altice aurait violé l'arrêté de 2016. La communication imposée aux sociétés du groupe Altice se limitera cependant aux documents destinés au public, le juge des référés écartant tout document interne ou qui ne s'adresserait qu'à une clientèle de professionnels. Il est également précisé que la transmission à opérer ne contiendra pas une communication des sommes payées à chacun des supports, ce qui pourrait relever du secret des affaires.
Par déclaration en date du 19 novembre 2019, la SA Altice France, la SA SFR, la SASU SFR Fibre SAS ont fait appel de cette décision, critiquant l'ordonnance en toutes ses dispositions sauf en ce qu'elle a mis hors de cause la SAS SFR FTTH.
Aux termes de leurs conclusions remises le 15 juin 2020, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens, la SA Altice France, la SA SFR, la SASU SFR Fibre SAS demandent à la cour, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, de :
- infirmer l'ordonnance du 5 novembre 2019 dans toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
- in limine litis, mettre hors de cause la société Altice France ;
À titre principal,
- rejeter la mesure de communication requise en raison du l'autorité de la chose jugée attachée au jugement de 2008 et/ou de l'absence de motif légitime ;
- en conséquence, enjoindre à Orange, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, de :
- restituer aux appelantes l'ensemble des documents communiqués par ces dernières en exécution de l'ordonnance ;
- détruire toute copie qu'elle aurait réalisée, quel qu'en soit le support ;
- ne pas utiliser les informations obtenues au travers de l'exécution de l'ordonnance ;
À titre subsidiaire, à supposer qu'un motif légitime soit considéré comme établi,
- circonscrire la mesure de communication aux seuls documents publicitaires précisément identifiés par Orange et qui :
- porteraient exclusivement sur des offres FTTB à destination des clients consommateurs et
- ne relèveraient pas de communications individualisées destinées à certains clients identifiés ;
- ne mentionneraient pas leur terminaison en câble coaxial et
- ne respecteraient pas le formalisme de l'arrêté de 2016 pour ceux qui y sont soumis ;
- en conséquence, enjoindre à Orange, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, de :
- restituer aux appelantes l'ensemble des documents communiqués par ces dernières en exécution de l'ordonnance et qui iraient au-delà de ce périmètre ;
- détruire toute copie qu'elle aurait réalisée, quel qu'en soit le support, des documents allant-au-delà de ce périmètre ;
- ne pas utiliser les informations obtenues au travers de l'exécution de l'ordonnance et qui iraient au-delà de ce périmètre ;
- en toute hypothèse condamner Orange au paiement à chacune des appelantes d'une somme de 30 000 euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.
La SA Altice France, la SA SFR et la SASU SFR Fibre SAS font valoir en substance les éléments suivants :
- pour refuser de mettre hors de cause la SA Altice, le juge a estimé qu'elle reprenait, sur son site Internet et son compte Twitter, des publicités pour ses filiales opérationnelles, mais seuls des annonceurs peuvent se voir reprocher des actes de publicité trompeuse, et non pas un diffuseur ;
- par un jugement en date du 19 novembre 2008, le tribunal de commerce de Paris a débouté la société France Télécom (devenue la SA Orange) qui avait demandé une communication similaire à celle faite aux sociétés du groupe Altice à la société Numericable ; il y a identité de parties entre le jugement de 2008 et l'affaire pendante devant la cour et identité de cause, peu importe que les publicités visées désormais par la SA Orange ne soient pas les mêmes que celles de 2008 ; le fait que la situation juridique aurait changé suite à la prise de l'arrêté de 2016 est inopérant, la SA Orange fondant l'essentiel de ces accusations de concurrence déloyale sur les articles L. 121-1 et suivants du code de la consommation, comme en 2008 ;
- pour prouver l'existence d'un motif légitime, la SA Orange s'appuie sur un jugement du 29 janvier 2018 opposant le groupe Altice à d'autres concurrents et dans lequel le juge aurait reconnu que l'utilisation du terme « fibre » dans des publicités pour des offres FTTB serait trompeur, mais ce jugement ne concerne pas la SA Orange et porte sur des offres différentes ;
- il n'est pas trompeur d'utiliser le terme « fibre » pour évoquer les offres FTTB, qui utilisent effectivement la technologie fibre, l'arrêté de 2016 ne l'interdisant pas ; il n'est pas établi que les offres FTTH seraient supérieures ou préférées par les clients aux offres FTTB ;
- toutes les publicités SFR présentant précisément des offres FTTB respectent l'arrêté de 2016 en évoquant la nécessité d'un raccordement par câble coaxial ;
- la mesure n'est pas nécessaire s'agissant de documents publics que la SA Orange pouvait obtenir sans faire appel au juge ; elle est inutile, en ce qu'elle ne permettra pas, contrairement à ce qu'affirme la SA Orange, de quantifier le nombre de clients qu'elle a perdu et le préjudice lié à ces publicités soi-disant trompeuses ;
- la mesure est également indéterminée et disproportionnée par rapport au motif légitime, l'expression « campagnes de publicité » n'étant pas définie, l'expression « faisant référence à la fibre » étant trop vague ;
- suite à une restructuration importante du groupe Altice en 2014, de nombreux documents, qui ne faisaient pas l'objet d'une obligation légale de conservation, ont été détruits comme en ont attesté plusieurs salariés du groupe ; les agences de communication avec lesquelles le groupe Altice collabore n'ont pas non plus conservé ces documents.
Par conclusions remises le 24 juin 2020, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses prétentions et moyens, la SA Orange demande à la cour, au visa de l'article 145 du code de procédure civile, de :
- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance entreprise ;
- condamner les appelantes à lui payer la somme de 30 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- les condamner aux entiers dépens de l'instance ;
- dire que ceux d'appel seront recouvrés par Me Matthieu B. G., SELARL Lexavoué Paris Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
La SA Orange expose en résumé ce qui suit :
- contrairement à ce qu'affirme le groupe Altice, la jurisprudence n'exclut pas la mise en cause d'un diffuseur pour un acte de publicité trompeuse, la SA Altice ayant bien diffusé des publicités au bénéfice de ses filiales opérationnelles, dont certaines inédites ;
- la SA Altice et la SA SFR n'étaient pas parties au jugement de 2008 et il n'y a donc pas d'identité de parties entre le jugement de 2008 et l'affaire actuelle ;
- les faits ont notablement évolué depuis le jugement de 2008 : publicités non identiques, arrêté de 2016 ayant réglementé la publicité pour les offres "fibre" ;
- la SA Orange apporte, au soutien de ses demandes, de nombreuses publicités SFR, dont plusieurs n'indiquent pas un raccordement par câble coaxial pour les offres FTTB ;
- comme l'a relevé le tribunal de commerce dans un jugement concernant la société Free en 2018, le fait de diffuser une publicité pour une offre FTTB, sans évoquer le raccordement par câble coaxial, est une pratique commerciale trompeuse ; en outre, dans les cas où les publicités SFR évoquent le raccordement par câble coaxial, c'est par des mentions illisibles, en violation de l'arrêté de 2016 qui précise que cette mention doit être faite juste après l'utilisation du terme « fibre » et de manière lisible ;
- la SA Orange a besoin de l'ensemble des publicités produites pour déterminer l'ampleur de la faute commise et établir le quantum du préjudice qu'elle a subi ; la mesure demandée est de plus circonscrite aux publicités utilisant le terme « fibre » et limitée dans le temps ;
- la communication en saurait être limitée aux publicités violant l'arrêté de 2016, puisque la violation du droit commun de la consommation est également en jeu ; elle ne saurait non plus être limitée aux publicités concernant les offres FTTB car c'est justement leur confusion avec les offres FTTH qui est reprochée ;
- le groupe Altice s'appuie sur des attestations de ses propres salariés pour affirmer que certains documents demandés n'ont pas été conservés ; la prescription en la matière étant de cinq ans, la SA Orange est en droit d'exiger la communication de pièces datant de moins de cinq ans avant l'assignation ; les appelantes n'apportent pas la preuve qu'il a entrepris toutes les démarches nécessaires pour obtenir les documents demandés auprès des agences de communication avec lesquelles elles collaborent.
SUR CE LA COUR
Aux termes de l'article 145 du code de procédure civile, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Il en résulte que le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer la réalité de ses suppositions à cet égard, cette mesure in futurum étant précisément destinée à l'établir, mais qu'il doit justifier d'éléments les rendant crédibles et de ce que le procès en germe en vue duquel il sollicite la mesure n'est pas dénué de toute chance de succès. Ni l'urgence ni l'absence de contestation sérieuse ne sont des conditions d'application de ce texte.
En l'espèce, s'agissant d'abord de la mise hors de cause sollicitée par la SA Altice France, cette dernière expose que seuls les annonceurs, pour le compte desquels les publicités sont diffusées, seraient concernés, elle-même, qui n'aurait que rediffusé des messages pour d'autres sociétés du groupe, devant dès lors être mise hors de cause.
Force est cependant de relever que la SA Orange justifie de ce que certains tweets et communiqués de presse versés aux débats (pièces 14, 17, et 18) ont été publiés uniquement par le compte Twitter de la SA Altice France ou sur le site internet de cette société, de sorte qu'il n'apparaît pas que cette société se serait limitée à rediffuser des publicités déjà connues.
La société SA Altice France apparaît donc avoir été à juste titre maintenue dans la cause par le premier juge, la mesure d'instruction demandée par la SA Orange étant aussi de nature à la concerner.
Par ailleurs, les sociétés appelantes ne peuvent être suivies lorsqu'elles font état de l'autorité de chose jugée d'un jugement du 19 novembre 2008 qui rendrait les demandes de la SA Orange irrecevables.
Pour rappel, l'article L. 121-3 du code de la consommation dispose qu'une pratique commerciale est trompeuse si, compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé et des circonstances qui l'entourent, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle, notamment s'agissant des caractéristiques principales du bien ou du service.
L'arrêté du 1er mars 2016 est en outre venu modifier l'arrêté du 3 décembre 2013 relatif à l'information préalable du consommateur sur les caractéristiques techniques des offres d'accès à l'internet en situation fixe filaire, en disposant, en ajoutant un article 6-1 ainsi rédigé, pour les messages publicitaires à compter du 1er juin 2016 et pour les documents commerciaux à compter du 1er mars 2017 :
« Tout message publicitaire ou document commercial d'un fournisseur de services relatif à une offre utilisant une technologie pour laquelle le débit ne varie pas significativement en fonction des caractéristiques du raccordement du consommateur au réseau fixe ouvert au public, s'il associe le terme « fibre » aux services du fournisseur alors que le raccordement du client final jusque dans son logement n'est pas réalisé en fibre optique, comporte la mention » (sauf raccordement du domicile). Cette mention figure à la suite de chaque utilisation du terme « fibre » ou de l'expression « fibre optique », associée aux services du fournisseur, dans des conditions d'audibilité et de lisibilité au moins égales, notamment en termes de volume sonore, de taille de caractère et de couleur.
Dans le cas d'un message publicitaire non radiophonique, la mention visée au premier alinéa est complétée par une seconde mention précisant le support physique du raccordement final et commençant par les mots : « le raccordement du domicile n'est pas en fibre optique mais en ».
Si elle est écrite, cette seconde mention figure dans des caractères suffisamment importants, s'inscrit de façon distincte des autres mentions rectificatives et légales et doit être clairement identifiée comme venant préciser la mention visée au premier alinéa.
Il sera remarqué que le Conseil d'Etat, saisi d'un recours pour excès de pouvoir contre cet arrêté par les sociétés NC Numericable et SFR, a notamment relevé, par décision du 9 juin 2017 (pièce 12 intimée), que les sociétés requérantes n'avaient pas contesté que la technologie qui n'assure pas le raccordement en fibre optique de l'utilisateur final jusque dans son logement présente des performances moindres en matière de débit montant que la technologie assurant un raccordement en fibre optique de bout en bout et que ces différences peuvent être significatives pour certains usages de l'internet.
L'Autorité de régulation des communications électroniques, dans un communiqué du 13 avril 2016 (pièce 3 intimée), indiquait d'ailleurs déjà qu'il était clairement établi l'apport de la fibre optique jusqu'à l'abonné, apport particulièrement notable sur les indicateurs de débit montant - qui joue un rôle dans les usages de partage de fichiers et de stockage de données - et de latence - qualité d'expérience sur des usages tels que navigation web ou jeux vidéo en ligne.
Pour rappel, l'autorité de chose jugée, selon l'article 1355 du code civil, n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité.
Il faut aussi rappeler que le jugement du 19 novembre 2008, décision au fond du tribunal de commerce, opposait la SA France Télécom en demande et la société Numericable en défense, la demanderesse sollicitant notamment le retrait sous astreinte de publicités considérées comme trompeuses.
Dans ces circonstances, la cour observera :
- que, même en prenant en compte le fait que Numericable et France Télécom sont désormais respectivement devenues SFR Fibre et la SA Orange, la procédure de 2008 concernait nécessairement d'autres publicités que celles des sociétés du groupe Altice publiées depuis novembre 2014, les appelantes ne venant pas soutenir que les messages en cause seraient les mêmes que lors de la première décision ;
- que, comme le premier juge l'a aussi à juste titre relevé, la réglementation applicable, notamment l'arrêté du 3 décembre 2013 et ses modifications du 1er mars 2016, n'est plus la même, l'évolution des circonstances de droit permettant d'écarter l'argument tiré de la chose jugée ;
- que l'évolution des circonstances de fait ne permet pas non plus de retenir la fin de non-recevoir tirée de l'autorité de chose jugée, alors même que le tribunal de commerce retenait, en 2008, qu'il n'y avait pas 'aujourd'hui' de différence significative pour le consommateur en termes de performance entre les formules FFTH et FFTB et que l'on ne pouvait reprocher à Numericable de ne pas se prononcer sur la capacité de la formule FFTB à intégrer à l'avenir l'évolution technologique ;
- qu'à l'évidence, la situation de fait n'est plus la même en 2008 et en 2020, s'agissant des technologies offertes au consommateur et des usages d'internet, la décision du Conseil d'Etat évoquant désormais un service distinct rendu au consommateur pour le débit montant, de même d'ailleurs que l'Autorité de régulation des communications électroniques, tant pour le débit montant que pour le critère de la latence.
Ce moyen, tout comme en première instance, ne pourra qu'être écarté.
Quant à la mesure réclamée, la SA Orange a notamment produit, au soutien de sa requête, les pièces suivantes :
- une publicité publiée le 25 mars 2016 par SFR indiquant « Quand on nous cherche sur la fibre, on nous trouve SFR n°1 sur la fibre avec déjà 8 millions de logements éligibles », en lien, selon la presse, avec l'arrêté, SFR étant mis en cause pour « narguer Bercy » qui demande une révision de sa communication sur la fibre (pièce 13) ;
- des tweets publiés par le compte Altice France (pièce 14), le constat d'huissier prenant l'exemple de plusieurs tweets : « Quand on nous cherche sur la fibre on nous trouve. SFR n°1 de la fibre avec déjà 8 millions de logements éligibles » (tweet du 25 mars 2016) ; visuel mentionnant « Et voilà la fibre dans une rue de plus ! Déjà 8 millions de logements éligibles à la fibre SFR n°1 de la fibre » (tweet du 19 avril 2016) ; « 1er parc fibre de France : fin 2016, SFR comptait 9,3 millions de prises fibre #RéseauSFR » (tweet du 23 janvier 2017) ; « 1ère infrastructure #fibre de France avec près de 11,5 millions de prises éligibles, SFR déploie, en mai, plus de 130 000 nouvelles prises réparties dans 82 communes » (tweet du 27 juin 2018) ;
- une publicité parue dans le quotidien Le Progrès du 28 septembre 2016 (pièce 16 intimée, postérieure à l'entrée en vigueur de l'arrêté) qui présente SFR comme le premier réseau fibre de France, les débats établissant qu'une mention en petits caractères indique « le raccordement des prises éligibles au FFTB se fait au travers d'un câble coaxial » ;
- divers communiqués de presse (pièces 17 et 18 intimées), notamment l'un publié le 28 février 2019 sur le site d'Altice, toujours postérieurement à l'arrêté, selon lequel « SFR, leader du très haut débit, poursuit ses déploiements : près de 99 % de la population couverte en 4G et 12,4 millions de prises fibre », sans mention de la nature du raccordement final.
Il sera relevé par la cour :
- qu'en toute hypothèse, les appelantes justifient de la présence de la mention « Fibre avec terminaison coaxiale ou optique selon éligibilité » pour la publicité du 25 mars 2016, comme indiqué ci-avant, et pour le message du 19 avril 2016, soit une partie seulement des pièces produites par Orange (pièces 15, 16 et 48 des appelantes) ;
- que la mention « Fibre avec terminaison coaxiale ou optique selon éligibilité » est en outre distincte de celle prévue par l'arrêté modifié en 2016, de sorte que sa validité au regard de la réglementation applicable peut être contestée ;
- que les appelantes estiment aussi certes que les documents correspondant aux pièces 16, 17 et 18 ne sont pas des publicités vantant des offres, faisant valoir que l'arrêté de 2016 serait inapplicable, ce que conteste l'intimée ;
- qu'il ne peut à cet égard toutefois être retenu que ce type de communiqué ne serait destiné qu'à la communauté financière, sans volonté publicitaire, présenter SFR comme le 1er réseau fibre étant de nature à inciter le consommateur à souscrire les services offerts par cette société ;
- qu'au demeurant, l'existence de contestations, même sérieuses, ce que soulèvent essentiellement les sociétés appelantes, n'est pas une condition d'application de l'article 145 du code de procédure civile, l'existence d'un possible contentieux, justifié par des indices sérieux, étant suffisant à la mise en place d'une mesure d'instruction in futurum pour un procès en germe qui n'apparaît pas dénué de toute chance de succès ;
- que les pièces produites ci-avant établissent suffisamment l'existence d'un possible contentieux sur la régularité de la communication publicitaire de SFR ;
- que, s'agissant du procès en germe, est également versé aux débats un jugement du 29 janvier 2018, qui, s'il opposait des sociétés de ce qui est devenu le groupe Altice, dont SFR et à l'époque Numericable, aux sociétés du groupe Iliad-Free, mentionne cependant que l'utilisation du terme « fibre » dans les offres incriminées de SFR (« Red Fibre », « Box Fibre Starter », « Box Fibre Power », « Box Fibre Family »), même avant l'entrée en vigueur de l'arrêté de 2016, pouvait constituer un défaut d'information constitutif d'une pratique contraire à l'article L. 121-3 du code de la consommation, dès lors qu'elles ont omis de mentionner une des qualités substantielles du produit ou du service, à savoir la terminaison coaxiale finale, le comportement des consommateurs ayant pu être altéré du fait de leur certitude de souscrire à des offres utilisant la technologie très haut débit la plus performante techniquement alors disponible sur le marché (pièce 1) ;
- que, si cette décision oppose des parties différentes et ne présente pas un caractère définitif, elle n'en demeure pas moins aussi un des éléments permettant à la SA Orange d'arguer d'un motif légitime au sens de l'article 145 du code de procédure civile, à la fois quant à un futur procès qui pourrait l'opposer aux appelantes sur la mention ou non de la terminaison coaxiale finale, un tel contentieux ayant déjà impliqué les appelantes, mais aussi quant à la nécessité de disposer des pièces de nature à démontrer un éventuel préjudice, le tribunal de commerce, dans sa décision du 29 janvier 2018, relevant expressément l'absence d'élément en demande pour chiffrer une partie du préjudice réclamé, « soit l'impact du défaut d'information » ;
- que les appelantes exposent d'ailleurs à tort que cette décision se limitait à simplement faire état d'un défaut de lien de causalité, les juges ayant retenu l'existence d'un préjudice moral, chiffré, à 1 000 000 euros, et donc nécessairement une faute, un préjudice, un lien entre la faute et le préjudice ; qu'était en réalité en discussion l'étendue du préjudice économique, en ce compris le lien de causalité directe « entre le défaut d'information et le préjudice économique allégué », ce qui est de nature à permettre d'autoriser le présent requérant à recueillir des pièces de nature à établir le périmètre du défaut d'information supposé au consommateur, par la production de la teneur des publicités ainsi que d'éléments relatifs aux modalités de leur diffusion.
Il résulte de l'ensemble des pièces produites par la SA Orange qu'elle démontre ainsi que la mesure d'instruction repose sur un motif légitime, en vue d'un futur possible procès aux fins de justifier d'un éventuel préjudice.
Il ne peut être retenu, comme l'allèguent les appelantes, qu'il en résulterait un renversement de la charge de la preuve, dans la mesure où c'est bien l'intimée qui dispose d'éléments rendant crédibles ses suppositions, étant rappelé que le demandeur à la mesure d'instruction en application de l'article 145 du code de procédure civile n'a pas la charge de démontrer la réalité des faits allégués.
A cet égard, la production d'une décision de l'Autorité de la concurrence du 28 octobre 2019 par les appelantes (leur pièce 3), qui relève que la préférence de la clientèle pour telle ou telle technologie n'est pas clairement établie, n'est pas pour autant de nature à infirmer l'avantage technologique, pour certains usages, du FTTH, avantage rappelé, ainsi qu'il a déjà été évoqué, par l'Autorité de régulation du secteur ou encore par le Conseil d'Etat.
Est indifférente aussi la circonstance que la SA Orange, dans sa propre communication, ne respecterait pas les prescriptions de l'arrêté, rien n’empêchant cet égard les sociétés du groupe Altice de mettre en place toutes actions judiciaires qu'elles estimeraient utiles, si elles venaient à constater que leur concurrent ne respecte pas non plus la réglementation.
S'agissant, enfin, du périmètre de la communication, la demande est limitée dans le temps, restreinte aux publicités parues depuis le 27 novembre 2014, et proportionnée à l'établissement par la SA Orange d'un supposé préjudice, les modalités de communication retenues par l'ordonnance entreprise - injonction de communication de documents sous astreinte - ne pouvant s'assimiler à une 'perquisition civile' telle qu'évoquée par les sociétés appelantes.
En particulier, il ne saurait être retenu que la mesure soit limitée, comme il est demandé par les appelantes, aux publicités portant exclusivement sur les offres FTTB à destination des consommateurs et qui ne mentionneraient pas leur terminaison en câble coaxial et qui ne respecteraient pas le formalisme de l'arrêté, de telles limitations revenant à demander aux sociétés du groupe Altice d'apprécier et de sélectionner les publicités supposées litigieuses, voire à exclure certains documents ambiguës, de sorte que le premier juge a exactement retenu le critère de l'utilisation du terme « fibre », terme à l'origine du litige.
Il est d'ailleurs indifférent que les appelantes produisent des exemples de publicité respectant la réglementation, la mesure d'instruction visant précisément à établir - ou pas - la nature, la proportion et les modalités de diffusion des publicités des appelantes éventuellement non conformes.
Les sociétés Altice France, SFR et SFR Fibre ne peuvent non plus être suivies lorsqu'elles affirment simultanément que l'ordonnance dont appel aurait pour effet de solliciter soit des documents disponibles pour tous, soit des documents à l'existence incertaine voire douteuse, alors que :
- la SA Orange peut objecter que son but est de recueillir, auprès des sociétés appelantes qui en ont nécessairement la disposition, l'intégralité de leurs documents publicitaires relatifs à la « fibre » ;
- l'existence de publicités SFR sur son réseau « fibre » ne peut non plus, dans le même temps, être sérieusement mise en doute, compte tenu des éléments rappelés ci-avant.
Les attestations de trois salariés employés par les appelantes (pièces 26 à 28) faisant état de ce que certains documents n'auraient pas été conservés ne sauraient emporter la conviction de la cour, alors qu'il s'agit de documents établis par des personnes au service des appelantes, que l'intimée n'a pas répondre des difficultés d'organisation des appelantes et qu'en toute hypothèse, l'éventuelle liquidation de l'astreinte tiendra toujours compte, le cas échéant, des difficultés rencontrées dans l'exécution par le débiteur de l'obligation, conformément aux dispositions de l'article L. 131-4 du code des procédures civiles d'exécution.
Pour les mêmes motifs, les échanges de courriels avec les agences de communication supposés établir des difficultés pour recenser les documents litigieux (pièce 49) ne sauraient justifier l'infirmation de la décision entreprise, la SA Orange relevant d'ailleurs, notamment, qu'il est fait état dans un message de ce que les informations recherchées devraient être disponibles « via Kantar ».
Aussi, au regard de l'ensemble de ces éléments, l'ordonnance entreprise sera purement et simplement confirmée.
A hauteur d'appel, les sociétés appelantes seront condamnées aux dépens, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, et à verser à l'intimée, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, la somme indiquée au présent dispositif au titre du remboursement des frais non répétibles.
PAR CES MOTIFS
Confirme l'ordonnance entreprise ;
Condamne in solidum la SA Altice France, la SA SFR et la SASU SFR Fibre SAS à verser à la SA Orange la somme de 8 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile à hauteur d'appel ;
Condamne in solidum la SA Altice France, la SA SFR et la SASU SFR Fibre SAS aux dépens d'appel qui seront recouvrés par Me Matthieu B. G., SELARL Lexavoué Paris Versailles, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.