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Décisions

Cass. 3e civ., 23 septembre 2020, n° 19-12.219

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Défendeur :

Les Myrtilles (SCI), Mirabeau (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Chauvin

Rapporteur :

Mme Greff-Bohnert

Grenoble, 1re ch. civ., du 6 nov. 2018

6 novembre 2018

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 6 novembre 2018), par acte du 10 août 2011, la société civile immobilière Les Myrtilles (la SCI), dont la gérante était la société Mirabeau, a vendu à Mme R. un appartement en l’état futur d’achèvement livrable le 1 décembre 2011. Cet investissement, destiné à la location en vue de bénéficier d’avantages fiscaux, a été proposé à Mme R. par M. H., agent commercial de la société Direct produit, qui commercialisait le programme immobilier de la SCI.

2. Aux termes de l’acte de vente, Mme R. s’était engagée à donner à bail commercial l’appartement à la société gestionnaire de la résidence de tourisme, la société C2A Cap aventures (la société A2C), pendant une durée de neuf ans.

3. Le 21 décembre 2012, Mme R. a refusé de recevoir les clés et de solder le prix d’achat aux motifs que l’appartement n’était pas encore meublé, que les parties communes n’étaient pas achevées et que les indemnités de retard n’étaient pas payées.

4. Mme R. a assigné la SCI, la société Mirabeau et M. H. en indemnisation de ses préjudices sur le fondement du dol. Reconventionnellement, la SCI et la société Mirabeau ont réclamé le solde du prix de vente avec les intérêts capitalisés.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. Mme R. fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de condamnation in solidum de M. H., de la SCI et de la société Mirabeau en indemnisation de divers préjudices, alors :

« 1/ que le dol est constitué dès lors que l’une des parties dissimule à son cocontractant un fait qui s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter ; que, dans ses écritures d’appel, Mme R. faisait valoir que si elle avait eu connaissance de la déconfiture du premier exploitant de la première partie de la résidence, qui était de nature à susciter un doute sur la rentabilité de l’opération, consistant à acquérir un lot de la seconde partie de la résidence afin de le louer moyennant un loyer d’ores et déjà fixé à un même exploitant, elle ne se serait pas engagée dans cette acquisition ; qu’en écartant toute réticence dolosive de la part de M. H. et de la SCI Les Myrtilles, sans rechercher ainsi qu’elle y était invitée, s’ils n’avaient pas délibérément omis de lui transmettre cette information de nature à lui présenter les risques de l’opération globale dans laquelle ils l’invitaient à s’engager, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1116 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige ;

2/ que le dol est constitué dès lors que l’une des parties dissimule à son cocontractant un fait qui s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter ; que dans écritures d’appel, Mme R. faisait valoir que si elle avait eu connaissance des difficultés rencontrées dans la réalisation et l’exploitation de la première partie de la résidence, qui préjugeaient des difficultés rencontrées lors de la réalisation et de l’exploitation de la seconde partie de la résidence, dans laquelle était situé le lot acquis, elle ne se serait pas engagée dans l’opération litigieuse ; qu’en écartant toute réticence dolosive de la part de M. H. et de la SCI Les Myrtilles, sans rechercher ainsi qu’elle y était invitée, s’ils n’avaient pas délibérément omis de lui transmettre ces informations de nature à lui présenter les risques de l’opération globale dans laquelle ils l’invitaient à s’engager, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1116 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige ;

3/ que le dol est constitué dès lors que l’une des parties dissimule à son cocontractant un fait qui s’il avait été connu de lui, l’aurait empêché de contracter ; que dans ses conclusions d’appel, Mme R. faisait valoir que si elle avait eu connaissance du risque de perte par l’établissement de son classement en résidence de tourisme, auquel était subordonné l’avantage fiscal au vu duquel elle avait acquis le bien litigieux, elle ne se serait pas engagée dans l’opération litigieuse ; qu’en écartant toute réticence dolosive de la part de M. H. et de la SCI Les Myrtilles, sans rechercher ainsi qu’elle y était invitée, s’ils avaient omis d’informer Mme R. de cette circonstance pourtant déterminante de son consentement, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1116 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 :

6. Aux termes de ce texte, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manoeuvres pratiquées volontairement par une des parties sont telles qu’il est évident que, sans elles, l’autre partie n’aurait pas contracté.

7. Pour rejeter les demandes d’indemnisation formulées par Mme R., l’arrêt retient que celle-ci ne démontre pas que, lorsqu’elle a contracté, un retard de livraison était prévisible, que la première tranche des travaux avait été livrée avec un classement en résidence de tourisme, qu’aucun retard significatif n’était intervenu sur la deuxième tranche des travaux et que c’est la déconfiture de la société C2A Cap aventures, que ni la SCI, ni la société Mirabeau, ni M. H. n’étaient en mesure de prévoir, qui a mis en échec la mise en location de l’appartement et le régime de la défiscalisation.

8. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les intervenants n’avaient pas délibérément omis de lui communiquer les informations relatives à la déconfiture du premier exploitant de la première partie de la résidence, aux difficultés rencontrées dans la réalisation et l’exploitation de cette première partie et au risque de perte par l’établissement de son classement en résidence de tourisme, lesquelles étaient de nature à lui présenter les risques de l’opération globale dans laquelle ils l’invitaient à s’engager, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

Sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

9. Mme R. fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande tendant à voir condamner in solidum la SCI et la société Mirabeau à lui payer la somme de 6 825 euros au titre de la clause pénale prévue dans l’acte de vente, alors « que les pénalités de retard courent jusqu’à la livraison de l’ouvrage ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a constaté, d’une part, que le vendeur s’était engagé à livrer le bien au plus tard le 1 décembre 2011 et à verser à l’acquéreur, en cas de retard, une indemnité forfaitaire de 15 euros par jour de retard, et, d’autre part, que si Mme R. avait reçu une somme correspondant aux indemnités de retard dues pour la période du 1 décembre 2011 au 1 décembre 2012, elle n’avait été convoquée pour la livraison de son lot que le 21 décembre 2012, ce dont il se déduisait que les pénalités de retard étaient dues, à tout le moins, du 1 décembre 2012 jusqu’à cette date ; qu’en rejetant néanmoins, la demande de paiement des pénalités de retard formée par Mme R., la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu l’article 1134 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 :

10. Selon ce texte, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

11. L’arrêt rejette la demande au titre de la clause pénale après avoir constaté que la livraison était prévue au 1 décembre 2011 et que Mme R., qui avait été convoquée à cette fin le 21 décembre 2012, n’avait perçu des indemnités de retard que pour la période du 1 décembre 2011 au 1 décembre 2012.

12. En statuant ainsi, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

Et sur le quatrième moyen

Enoncé du moyen

13. Mme R. fait grief à l’arrêt de la condamner à payer à la SCI la somme de 19 586,20 euros, outre les intérêts au taux contractuel de 1 % par mois, au titre des sommes restant dues sur le prix de vente, alors « que les juges du fond sont tenus de rechercher si l’inexécution par l’une des parties de ses obligations justifie que l’autre partie n’exécute pas les siennes ; que dans ses écritures d’appel, Mme R. faisait valoir que son refus de payer à la SCI Les Myrtilles le solde du prix de vente était justifié par le non-versement de l’indemnité due au titre du retard de livraison du bien imputable à cette société ; qu’en condamnant Mme R. à verser à la SCI Les Myrtilles la somme de 19 86,20 euros, sans rechercher ainsi qu’elle y était invitée, si le non-versement de l’indemnité due au titre du retard de livraison du bien ne justifiait pas le non-paiement du solde du prix de vente, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1184 du code civil dans leur rédaction applicable au litige. »

Réponse de la Cour

Vu les articles 1134 et 184 du code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 :

14. Selon le premier de ces textes, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.

15. Il résulte du second que l'inexécution de ses obligations par l'une des parties à un contrat synallagmatique est de nature à affranchir l'autre partie de l'exécution de ses obligations corrélatives.

16. Pour accueillir la demande de la SCI en paiement du solde du prix de vente, l’arrêt retient que l’obligation de paiement du prix n'était pas conditionnée par la conclusion d'un bail et que Mme R. ne justifie pas de ses allégations au titre du défaut d'achèvement des travaux et de l'absence de meubles.

17. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si le non-versement de l’indemnité due au titre du retard de livraison ne justifiait pas le non-paiement du solde du prix de vente, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le deuxième moyen, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 novembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la société civile immobilière Les Myrtilles, la société Mirabeau et M. H. aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société civile immobilière Les Myrtilles, la société Mirabeau et M. H. et les condamne à payer à Mme R. la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé.