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Décisions

TPICE, 4e ch., 23 janvier 1995, n° T-84/94

TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE DES COMMUNAUTES EUROPEENNES

Ordonnance

PARTIES

Demandeur :

Bundesverband der Bilanzbuchhalter eV

Défendeur :

Commission des Communautés européennes

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lenaerts

Juges :

M. Schintgen, M. Garcia-Valdecasas

Avocat :

M. Müller

TPICE n° T-84/94

23 janvier 1995

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (quatrième chambre),

Faits et procédure

Le 21 août 1992, la requérante, le Bundesverband der Bilanzbuchhalter eV, asso­ciation professionnelle de droit allemand, constituée pour la défense des intérêts économiques et socioprofessionnels des experts-comptables au bilan, a déposé une plainte auprès de la Commission, dans laquelle elle mettait en cause le Steuerbera-tungsgesetz du 4 novembre 1975 (BGB1. 1975 I, p. 2735), modifié à plusieurs repri­ses et en dernier lieu par la loi du 13 décembre 1990 (BGB1. 1990 I, p. 2756) (loi relative à la profession de conseiller fiscal, ci-après « StBerG »), en ce qu'elle réserve le droit d'exercer des activités en matière de conseil fiscal et dans des domaines voisins aux conseillers fiscaux, aux commissaires aux comptes, aux avo­cats et aux auditeurs assermentés. Estimant cette législation contraire aux dispositions du traité et notamment aux articles 59 et 86 du traité CEE (devenu traité CE, ci-après « traité »), elle faisait grief à la République fédérale d'Allemagne d'enfreindre, par son abstention de modifier cette législation, les articles 5, deuxième alinéa, et 90, paragraphes 1 et 2, du traité. Elle demandait, par consé­quent, à la Commission de veiller, conformément à l'article 155 du traité, à l'appli­cation des dispositions du traité.

2 Par lettre du 22 avril 1993, les services de la direction générale Marché intérieur et services financiers (DG XV) ont informé la requérante que sa plainte avait été enregistrée sous le n° 93/4155.

3 Par note du 26 mai 1993, la DG XV a communiqué à la requérante les raisons pour lesquelles elle estimait que, en l'espèce, il n'y avait pas violation du droit commu­nautaire et lui faisait part de son intention de suggérer à la Commission de ne pas poursuivre l'examen de la plainte.

4 Le 4 novembre 1993, la Commission a pris la décision de ne pas donner suite à la plainte de la requérante, au motif qu'il n'y avait pas violation du droit communau­taire. Par lettre du 13 décembre 1993, parvenue à la requérante le 17 décembre 1993, la Commission a informé la requérante de sa décision du 4 novembre 1993.

5 C'est dans ces conditions que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 23 février 1994, la requérante a introduit le présent recours.

6 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 4 mai 1994, la Commission a sou­levé une exception d'irrecevabilité au titre de l'article 114 du règlement de procé­dure et a demandé au Tribunal de statuer sur cette exception sans engager le débat sur le fond. La requérante a déposé ses observations sur l'exception d'irrecevabilité le 13 juin 1994.

7 Par décision du 7 juillet 1994, le Tribunal a renvoyé l'affaire devant une chambre composée de trois juges.

8 La requérante conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

— annuler la décision de la Commission du 13 décembre 1993, qui lui a été noti­fiée le 17 décembre 1993, pour violation des dispositions combinées des arti­cles 5, 59, 86, 90, paragraphe 1, 155 du traité et 3 du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après « règlement n° 17 »).

9 La défenderesse conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

— rejeter le recours comme irrecevable,

— condamner la requérante aux dépens de l'instance.

10 En vertu de l'article 114, paragraphe 3, du règlement de procédure, la suite de la procédure sur l'exception d'irrecevabilité est orale, sauf décision contraire du Tri­bunal.

11 Selon l'article 111 du règlement de procédure, lorsqu'un recours est manifestement irrecevable, le Tribunal peut, sans poursuivre la procédure, statuer par voie d'ordonnance motivée. En l'espèce, le Tribunal (quatrième chambre) s'estime suf­fisamment éclairé par les pièces du dossier et décide qu'il n'y pas lieu d'ouvrir la procédure orale.

Sur la recevabilité

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

12 Dans son exception d'irrecevabilité, la Commission relève que le recours, en ce qu'il fait grief à la Commission de ne pas agir contre la République fédérale d'Alle­magne et de donner une interprétation erronée des articles 59, 86 et 90, paragra­phe 1, du traité, vise en réalité à l'annulation de la décision, adoptée par la Com­mission le 4 novembre 1993, de ne pas entamer une procédure en constatation de manquement contre la République fédérale d'Allemagne.

13 La Commission souligne cependant que, en tout état de cause, le recours est irre­cevable, qu'il soit dirigé contre la décision du 4 novembre 1993 ou contre la lettre du 13 décembre 1993.

14 S'agissant de la décision du 4 novembre 1993, la Commission fait valoir, tout d'abord, que la requérante n'est pas le destinataire de cette décision, qui porte sur une procédure en constatation de manquement contre la République fédérale d'Allemagne. Or, selon une jurisprudence constante de la Cour, la Commission n'est pas tenue d'engager une procédure au sens de l'article 169 du traité, mais dis­pose, à cet égard, d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire excluant le droit pour les particuliers d'exiger de cette institution qu'elle prenne position dans un sens déterminé (voir les arrêts du 14 février 1989, Star Fruit/Commission, 247/87, Rec. p. 291, point 11, et du 17 mai 1990, Sonito e.a./Commission, C-87/89, Rec. p. I-1981, points 6 et 7, et l'ordonnance du 23 mai 1990, Asia Motor France/Commission, C-72/90, Rec. p. I-2181, point 11).

15 La Commission soutient, ensuite, que la décision du 4 novembre 1993 ne concerne pas individuellement la requérante. A cet égard, elle rappelle que, selon la jurispru­dence de la Cour, les sujets autres que les destinataires d'une décision ne sont concernés individuellement que si cette décision les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d'une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise de manière analogue à celle du destinataire (arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann/Commission, 25/62, Rec. p. 197, et du 17 janvier 1985, Piraiki-Patraiki e.a./Commission, 11/82, Rec. p. 207). Or, selon la Commission, une organisation constituée pour la défense des intérêts collectifs d'une catégorie de justiciables, telle que la requérante, ne saurait être considérée comme concernée directement et individuellement par un acte affectant les intérêts généraux de cette catégorie (arrêt de la Cour du 18 mars 1975, Union syndicale e.a./Conseil, 72/74, Rec. p. 401, points 16 et 17).

16 S'agissant de la lettre du 13 décembre 1993, la Commission soutient qu'elle ne saurait être qualifiée d'acte attaquable au sens de l'article 173 du traité. En effet, lors­que, comme en l'espèce, une plainte a pour objet de faire constater qu'un État membre a manqué à ses obligations découlant du traité, la communication adressée au plaignant pour l'informer de la suite donnée à cette plainte ne constituerait pas une décision susceptible de faire l'objet d'un recours, la Commission disposant en cette matière d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire excluant pour le particu­lier le droit d'exiger de cette institution qu'elle prenne position dans un sens déter­miné.

17 La Commission ajoute que, à supposer même que sa décision de ne pas donner suite à la plainte de la requérante et, par conséquent, de ne pas engager une pro­cédure en manquement contre la République fédérale d'Allemagne soit fondée sur une interprétation erronée du traité, une telle circonstance ne saurait ouvrir à un particulier la possibilité d'introduire un recours contre le refus de la Commission d'entamer une procédure sur la base de l'article 169 du traité et permettre ainsi un contrôle juridictionnel in abstracto de la légalité des décisions de la Commission, non prévu par le traité.

18 Dans ses observations sur l'exception d'irrecevabilité, la requérante relève, tout d'abord, que l'objet de son recours est bien la décision de la Commission du 13 décembre 1993, en tant que seule décision dont elle a eu connaissance. Cette décision constituerait une décision définitive de la part de la Commission dont la requérante est le destinataire. Par conséquent, elle serait susceptible de faire l'objet d'un recours au sens de l'article 173 du traité.

19 A cet égard, la requérante fait valoir que, en vertu des articles 155 et 169 du traité, la Commission est en principe tenue de poursuivre toute infraction au traité dont elle a eu connaissance (arrêt de la Cour du 21 février 1984, St. Nikolaus Brennerei, 337/82, Rec. p. 1051, point 18). Elle relève, en outre, que l'article 3 du règlement n° 17 impose à la Commission d'intervenir lorsqu'elle constate une infraction aux articles 5, 86 et 90 du traité. Or, en l'espèce, il y aurait violation manifeste de l'arti­cle 59 du traité, en ce que la liberté de prestation de services inscrite à cet article serait gravement entravée, voire complètement supprimée, par la législation alle­mande en cause. Cette dernière constituerait également une violation des disposi­tions combinées des articles 5, 86 et 90 du traité, en ce qu'elle conférerait un mono­pole à l'entreprise comptable, DATEV, et entraînerait ainsi un abus de position dominante au sens de l'article 86.

20 La requérante, qui admet que la Cour a écarté la possibilité pour un particulier d'introduire un recours en carence en cas d'inaction de la Commission (arrêt Star Fruit/Commission, précité, points 10 à 14), relève néanmoins que le cas d'espèce est différent, eu égard au fait que la Commission, après avoir constaté que la légis­lation allemande en cause constitue une infraction à l'article 59 du traité, soutient qu'il n'appartient pas aux experts-comptables allemands de s'en prévaloir. Elle en conclut qu'une décision de la Commission portant refus de poursuivre une infrac­tion constatée au traité ne doit pas échapper au contrôle juridictionnel prévu par l'article 173 du traité, une telle décision constituant une infraction à l'article 155 du traité et un abus du pouvoir d'appréciation de la Commission.

Appréciation du Tribunal

21 Le Tribunal constate, tout d'abord, que les conclusions en annulation de la requé­rante dirigées contre la lettre de la Commission du 13 décembre 1993 visent, en d'un acte qui ne la concernerait pas directement et individuellement, au sens de l'article 173, quatrième alinéa, du traité, et que, en tout état de cause, elle ne pour­rait donc pas attaquer par la voie du recours en annulation (voir arrêt Star Fruit/Commission, précité, point 13).

26 Par ailleurs, pour autant que le recours devrait être compris en ce sens qu'il vise à la constatation que la République fédérale d'Allemagne a violé certaines disposi­tions de droit communautaire, il y a lieu de rappeler que, selon les articles 169 et 170 du traité, le pouvoir de saisir le juge communautaire afin de faire constater un manquement à ses obligations de la part d'un État membre ne s'étend pas aux per­sonnes physiques ou morales, mais appartient uniquement à la Commission et aux autres Etats membres.

27 Le Tribunal relève encore que la requérante a qualifié sa plainte de demande au titre de l'article 3 du règlement n° 17, en ce qu'elle vise une violation des disposi­tions combinées des articles 5, 86 et 90, paragraphes 1 et 2, du traité. Or, la requé­rante n'a pas mis en cause des agissements d'entreprises, mais uniquement des agis­sements de la République fédérale d'Allemagne. Elle soutient cependant que de tels agissements sont susceptibles d'être appréhendés au titre de l'article 90, paragra­phe 3.

28 Le Tribunal en déduit que la plainte de la requérante peut également être regardée comme constituant une demande introduite auprès de la Commission aux fins de l'inviter à faire usage des pouvoirs qu'elle tient de l'article 90, paragraphe 3.

29 Le Tribunal considère cependant que, à supposer même que la décision de ne pas donner suite à la plainte puisse être analysée comme un refus de la Commission de prendre une décision au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité, il n'en reste pas moins que le présent recours en annulation est irrecevable.

30 En effet, il convient de rappeler que l'article 90, paragraphe 3, du traité confère à la Commission la mission de veiller au respect, par les États membres, des obligations qui s'imposent à eux, en ce qui concerne les entreprises visées à l'article 90, para­graphe 1, et l'investit expressément du pouvoir d'intervenir, en tant que de besoin, à cet effet, dans les conditions et par les instruments juridiques qui y sont prévus.

31 Ainsi qu'il ressort des dispositions du paragraphe 3 de l'article 90 et de l'économie de l'ensemble des dispositions de cet article, le pouvoir de surveillance dont dis­pose la Commission à l'égard des États membres responsables d'une atteinte portée aux règles du traité, notamment à celles relatives à la concurrence (arrêt de la Cour du 12 février 1992, Pays-Bas e.a./Commission, C-48/90 et C-66/90, Rec. p. I-565, point 32), implique nécessairement la mise en œuvre d'un large pouvoir d'appré­ciation de la part de cette institution. Par conséquent, l'exercice du pouvoir d'appréciation de la compatibilité des mesures étatiques avec les règles du traité, conféré par l'article 90, paragraphe 3, du traité, n'est pas assorti d'une obligation d'intervention de la part de la Commission (arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Ladbroke Racing/Commission, T-32/93, Rec. p. II-1015, points 36 à 38). Dès lors, les personnes physiques ou morales qui demandent à la Commission d'intervenir au titre de l'article 90, paragraphe 3, ne bénéficient pas du droit d'introduire un recours contre la décision de la Commission de ne pas faire usage des prérogatives qu'elle détient au titre de l'article 90, paragraphe 3.

32 Il s'ensuit que la requérante n'est pas recevable à attaquer le refus de la Commis­sion d'adresser une directive ou une décision à la République fédérale d'Allemagne au titre de l'article 90, paragraphe 3, du traité.

33 Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté comme étant irrecevable.

Sur les dépens

34 En vertu de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La partie requé­rante ayant succombé en ses conclusions et la Commission ayant conclu à sa condamnation aux dépens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

ordonne:

1) Le recours est rejeté comme irrecevable.

2) La partie requérante est condamnée aux dépens.