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Décisions

Commission, 16 mars 2012, n° M.6488

COMMISSION EUROPÉENNE

Décision

CARREFOUR/ GUYENNE ET GASCOGNE

Commission n° M.6488

16 mars 2012

Madame, Monsieur,

Objet: Affaire n° COMP/M.6488 –CARREFOUR/ GUYENNE ET GASCOGNE

Décision de la Commission suite au Mémoire motivé présenté conformément à l’article 4, paragraphe 4, du Règlement n° 139/2004 relatif à un renvoi de l'affaire à la France.

1. Le 13 février 2012, la Commission a reçu, au moyen d'un Mémoire motivé, une demande de renvoi au titre de l’article 4, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 139/2004 (le "règlement sur les concentrations") du Conseil concernant l’opération mentionnée ci-dessus. Dans leur mémoire motivé, les Parties ont indiqué que le centre géographique de l'opération envisagée concerne le territoire français et que, par conséquent, le cas devrait être traité par l'Autorité française de la concurrence.

2. Conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations, les parties à l'opération peuvent, avant de la notifier formellement à la Commission, demander le renvoi partiel ou total de la transaction par la Commission aux Etats membres dans la mesure où la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un marché qui présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct.

3. Une copie du mémoire motivé a été envoyée à tous les Etats membres le 14 février 2012.

4. Par lettre du 20 février 2012 l'Autorité française de la concurrence a exprimé son accord avec la demande de renvoi.

I. LES PARTIES

 5. Les activités du groupe Carrefour ("Carrefour" ou la "Partie notifiante") concernent la distribution au détail à dominante alimentaire en France ainsi que dans 17 autres pays d'Europe, d'Asie ou d'Amérique latine. Elles consistent, en France, en l'exploitation, directement ou par l'intermédiaire de commerçants indépendants, d'hypermarchés, de supermarchés et de magasins de proximité ou de cash and carry.

6. Le groupe Guyenne et Gascogne S.A. ("Guyenne et Gascogne") est actif dans la distribution au détail de produits de consommation courante. Guyenne et Gascogne exploite, dans le cadre de contrats d'enseigne et d'approvisionnement conclus avec Carrefour, 6 hypermarchés sous l'enseigne Carrefour et 28 supermarchés sous les enseignes Carrefour Market et Champion, principalement dans des villes de taille moyenne du Sud-Ouest de la France. Lesdits contrats ont essentiellement pour objet de consentir l'usage des marques Carrefour à Guyenne et Gascogne, de faire bénéficier cette dernière des conditions d'achat négociées par Carrefour avec les fournisseurs et de mettre à la disposition de Guyenne et Gascogne tous  les produits des marques de distributeur de Carrefour ainsi que son savoir-faire. En contrepartie, Guyenne et Gascogne verse à Carrefour une redevance d'enseigne et d'approvisionnement correspondant à […]% du chiffre d'affaires hors-taxe hors carburants des magasins concernés et s'engage à exploiter ses magasins sous les seules enseignes Carrefour.

II. L’OPÉRATION

 7. La transaction en question concerne l'acquisition du contrôle exclusif par Carrefour de Guyenne et Gascogne (les" Parties") conformément au protocole d'accord signé par ces deux parties le 12 décembre 2011 et aux termes duquel Carrefour s'est engagée à déposer une offre publique d'achat sur la totalité des titres de la société cible.

III.DIMENSION EUROPEENNE

8. Les entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 5 milliards d’euros (Carrefour : 80 milliards d'euros ; Guyenne et Gascogne : 535 millions d'euros). Chacune d'entre elles réalise un chiffre d'affaires dans l'UE de plus de 250 millions d’euros (Carrefour : 58 milliards d'euros ; Guyenne et Gascogne: 535 millions d'euros) et seule Guyenne et Gascogne réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires dans un seul et même Etat membre (France : 535 millions d'euros).

IV. ANALYSE DES CONDITIONS DU RENVOI

 9. D’après les informations fournies par les Parties, les marchés de produits en cause sont les marchés suivants (i) les marchés aval de la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire; (ii) les marchés amont de l'approvisionnement en produits de consommation courante.

Marchés horizontalement affectés:

 (i)   les marchés aval de la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire

10. Selon les informations fournies par les Parties, Guyenne et Gascogne est active dans la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire par le biais des hypermarchés et supermarchés qu'elle exploite sous les enseignes Carrefour, Carrefour Market et Champion. Carrefour est également directement actif sur ce marché.

11. La Commission européenne a retenu l'existence d'un marché de la distribution au détail de produits alimentaires et d'articles ménagers non alimentaires de consommation courante1. Elle a également constaté qu'il existait au sein même de ce marché diverses formes de distribution se distinguant selon divers critères tels que la technique de vente et la taille des surfaces de vente. Le recours à ces derniers conduit, entre autre, à distinguer le commerce traditionnel de la distribution en libre-service. La commission n'a pas tranché de façon définitive la question de savoir s'il convenait d'opérer une distinction supplémentaire fondée sur la surface de vente des magasins2. La Partie notifiante observe que la Commission a fréquemment fondé ses appréciations sur un marché global du commerce de détail de l'alimentation3 et estime de ce fait que le marché de produits pertinent comprend tous les formats de magasins de libre-service.

12. La pratique décisionnelle délimite des zones de chalandise locales par un rayon ne dépassant pas  10  à  30  minutes  de  transport  en  voiture 4 (la  "Méthode  de  la  Commission").

Concrètement, cette méthode peut se traduire par l'étude des deux types de marché pertinents suivants :

-  le premier marché pertinent comprenant l'ensemble des commerces dans une zone d'un rayon de trente minutes de déplacement en voiture autour des hypermarchés concernés ("Zone Méthode Commission-30 minutes"); et

-  le second marché pertinent comprenant l'ensemble des commerces dans une zone d'un rayon de dix minutes de déplacement en voiture autour de chacun des points de vente concernés ("Zone Méthode Commission-10 minutes").

13. La Partie notifiante fait état de décisions récentes de l'Autorité de concurrence française5 dans lesquelles une autre distinction est opérée (la "Méthode de l'Autorité française"). Eu égard à cette dernière, les conditions de concurrence doivent être appréciées, dans la grande distribution, sur deux zones différentes selon la taille des magasins concernés :

-  le premier marché étant le lieu de rencontre entre la demande des consommateurs d'une zone et  l'offre des hypermarchés auxquels ils ont accès en moins de 30 minutes; et

-  le second étant le lieu de rencontre entre la demande des consommateurs et l'offre des supermarchés et formes de commerce équivalentes situés à moins de 15 minutes de déplacement en voiture.

14. Les résultats obtenus après application de la Méthode de la Commission et de la Méthode de l'Autorité française diffèrent relativement peu. En effet, si la Méthode de la Commission est appliquée, parmi les Zones Méthode Commission-30 minutes, deux zones sont affectées qui ne le seraient pas en suivant la Méthode de l'autorité Française. Il s'agit de celles de Carrefour Auch, dans laquelle la part de marché de Carrefour serait de [20-30]% après la transaction et de Carrefour Mont de Marsan, au sein de laquelle la part de marché de Carrefour s'élèverait à [20-30] % après l'opération. A l'inverse, concernant les Zones Méthode Commission-10 minutes, sept d'entre-elles étant identifiées grâce à la Méthode de l'Autorité française ne seraient pas prises en compte suite à l'application de la Méthode de la Commission.

15. La Partie notifiante a choisi de suivre la Méthode de l'Autorité française pour déterminer la délimitation des zones de chalandise pertinentes, car elle estime que l'Autorité française de la concurrence est la plus à même d'étudier la présente transaction et souhaite que l'affaire lui soit renvoyée.

16. Suivant la méthode d'analyse retenue par la Partie notifiante, les activités des Parties dépassent [30-40] % de parts de marché cumulées dans 14 zones de chalandise sur les 19 désignées dans le mémoire motivé. Par ailleurs, la transaction envisagée aboutirait à des parts de marché combinées supérieures à [50-60]% dans 3 zones telles que définies par l'Autorité de la concurrence : (i) zone de 15 minutes autour du supermarché Carrefour Market Hagetmau, (ii) zone de 15 minutes autour du supermarché Carrefour Market  Pomarez et (iii) zone de 15 minutes autour du supermarché "Carrefour Market – Villeneuve de Marsan". Dans cette dernière zone, la transaction envisagée résulterait en un monopole.

(ii)  les marchés amont de l'approvisionnement en produits de consommation courante

17. La Partie notifiante définit les marchés amont de l'approvisionnement comme la vente de biens de consommation courante par les producteurs à des clients tels que les grossistes, les détaillants et d'autres entreprises. La Commission recourt à une division de ce marché en 23 familles ou groupes de produits6.

18. Carrefour avance que dans la pratique décisionnelle de la Commission, les marchés amont de l'approvisionnement sont considérés comme étant de dimension nationale.

19. Les magasins sous enseignes de Carrefour (c'est-à-dire englobant les magasins Guyenne et Gascogne) détiennent sur le marché de l'approvisionnement une part de marché globale de 20% environ.

20. Guyenne et Gascogne s'approvisionne d'ores et déjà quasi-exclusivement auprès de la centrale d'achat de Carrefour. Ainsi, sur le secteur des produits de grande consommation ("PGC"), celui sur lequel les parties ont leur part de marché la plus forte, [5-10]% des approvisionnements de Guyenne et Gascogne sont réalisés en dehors des canaux d'approvisionnement du groupe Carrefour et ses approvisionnements auprès du groupe Carrefour ne représentent qu'environ [0-5]% du volume d'achats global des magasins sous enseignes Carrefour. Les approvisionnements de Guyenne et Gascogne représentent au maximum [0-5]% des approvisionnements du secteur.

21. La Partie notifiante considère qu'eu égard à ces données, l'impact de l'opération sur les marchés de l'approvisionnement, et partant sur la concurrence, est marginal.

22. Il est néanmoins notable que Guyenne et Gascogne s'approvisionne en dehors des canaux d'approvisionnement du groupe Carrefour pour une part importante de certaines catégories de produits alimentaires frais : [80-90]% des produits de poissonnerie, [40-50]% des fruits et légumes, [50-60]% des produits de pain et pâtisserie fraîche et [50-60]% des produits de boucherie.

23. Carrefour fait valoir qu'il ne serait pas pertinent de considérer un marché infranational pour l'approvisionnement des produits frais. La Partie notifiante avance à cet effet que les achats de produits locaux sont certes fréquents pour les produits de saison ou la poissonnerie mais ne sont pas les seuls ayant cours. Ainsi, Guyenne et Gascogne fait également appel à des producteurs d'autres régions de France (entre autre du Sud-Est de la France pour les fruits et légumes ou du département de la Manche pour les poissons et fruits de mer).

24. Au vu de ce qui précède, dans tous les marchés précités, les effets principaux de l'opération proposée sont limités à la France. En outre, les marchés concernés présentent toutes les caractéristiques d’un marché distinct.

V. APPRECIATION

25. Selon la Communication de la Commission sur le renvoi des affaires en matière de concentrations7 (point 16), "pour que la Commission renvoie une affaire à un ou plusieurs États membres en vertu de l'article 4, paragraphe 4, deux conditions doivent être remplies: i) il faut qu'il y ait des éléments indiquant que la concentration risque d'affecter d'une manière significative la concurrence sur un ou plusieurs marchés, et ii) le ou les marchés en cause doivent être situés à l'intérieur d'un État membre et présenter toutes les caractéristiques d'un marché distinct".

26. En ce qui concerne le premier critère, la Communication sur les renvois (point 17) indique que "les parties requérantes sont essentiellement tenues de démontrer que l’opération risque d’affecter la concurrence sur un marché distinct d’un État membre, effet qui peut être significatif, et qui doit par conséquent être examiné en profondeur". En ce qui concerne le deuxième critère, ladite communication précise (point 18) que les parties doivent montrer que les marchés géographiques sur lesquels la concurrence est affectée par l'opération sont nationaux ou infranationaux.

27. Or, en l'espèce, selon les informations soumises par les parties, l'opération implique plusieurs "marchés affectés" au sens du formulaire RS. Sur certains marchés de la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire, les parts de marchés combinées des parties dépasseront même 50% dans plusieurs zones de chalandise.

28. La France constitue un marché distinct parce que les marchés géographiques sur lesquelles la concurrence est affectée sont nationaux ou infranationaux.

29. De plus, ces marchés de produits pertinents de dimension nationale ou infranationale ont déjà fait l'objet de nombreuses décisions de l'autorité de concurrence française. Ainsi l'Autorité de la concurrence est bien placée pour examiner les marchés en cause.

VI. RENVOI

30. Sur la base des informations fournies par les Parties dans leur mémoire motivé, la Commission considère que les conditions de renvoi, telles que prévues à l’article 4 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations, sont réunies dans le cas présent, dans la mesure où la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence sur  un marché ou plusieurs marchés à l’intérieur d’un État membre qui présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct.

31. La Communication sur les renvois (point 17) indique que: "les parties requérantes sont essentiellement tenues de démontrer que l’opération risque d’affecter la concurrence sur  un marché distinct d’un État membre, effet qui peut être significatif, et qui doit par conséquent être examiné en profondeur" et que "ces indications peuvent très bien n’être  que préliminaires".

32. Sur la base des informations fournies par les Parties dans leur mémoire motivé, la Commission estime que la demande de renvoi est par ailleurs cohérente avec le point 20 de la communication précitée. En effet, "les concentrations de dimension communautaire susceptibles d'affecter la concurrence sur les marchés nationaux ou infranationaux et dont les effets se feraient ressentir ou auraient leur effet économique principal dans un seul État membre sont celles qui se prêteraient le mieux à un renvoi à cet État membre, en particulier dans les cas où ces effets se produiraient sur un marché distinct qui ne constitue pas une partie substantielle du [marché intérieur]. Si le renvoi est limité à un seul État membre, l'avantage du guichet unique est également préservé." Ainsi, le renvoi demandé préservera le principe du "guichet unique", dans la mesure où cette affaire sera renvoyée à une seule autorité de concurrence ce qui constitue un facteur important d'efficacité administrative.

VII. CONCLUSION

 33. La Commission européenne a décidé, pour les raisons exposées ci-dessus, de renvoyer l'affaire dans sa totalité à l'Autorité de la concurrence française.

1. Voir notamment la décision de la Commission européenne dans les affaires COMP/M.4096-Carrefour/Hyparlo du 4 mai 2006 et COMP/1684-Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000.

2. Décision de la Commission européenne, COMP/M.991-Promodès/Casino.

3. Décision IV/M.1221-Rewe/Meinl, du 3 février 1999 dans laquelle la Commission justifiait notamment cette solution eu égard "aux rapports de concurrence existant entre ces diverses formes de distribution".

4. Décision Carrefour/Promodès précitée : ces rayons peuvent en outre varier en fonction de plusieurs critères au nombre desquels figurent la taille du point de vente, les infrastructures commerciales associées et la qualité de desserte offerte par les voies de communication.

5. Décisions de l’Autorité de la concurrence n°10-DCC-0120 du 29 novembre 2010, Carrefour/Claurolie ; n°10- DCC-171 du 22 septembre 2010, Carrefour France/LVDIS.

Liquides, (2) Droguerie, (3) Parfumerie/hygiène, (4) Epicerie sèche, (5) Parapharmacie, (6) Produits périssables en Libre-Service, (7) Charcuterie, (8) Poissonnerie, (9) Fruits et Légumes, (10) Pain et Pâtisserie fraîche, (11) Boucherie, (12) Bricolage, (13) Maison, (14) Culture, (15) Jouets/loisir/détente, (16) Jardin, (17) Automobile, (18) Gros Electroménager, (19) Petit Electroménager (20), Photo/Ciné (21), Hi-fi/Son (22), TV/Vidéo, (23) Textile, chaussures. Voir la décision de la Commission européenne Carrefour/Promodès précitée; et la  décision de la Commission européenne M.2115-C