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Commission, 16 décembre 2013, n° M.7094

COMMISSION EUROPÉENNE

Décision

ADVENT/GROUPE NOCIBE

Commission n° M.7094

16 décembre 2013

Madame, Monsieur,

OBJET: Affaire n°COMP/M.7094-ADVENT/GROUPE NOCIBE

Décision de la Commission suite au mémoire motivé présenté conformément à l'article 4, paragraphe 4 du règlement n°139/2004 relatif à un renvoi de l'afaire de la France

 I. INTRODUCTION

1. Le 19 Novembre 2013, la Commission a reçu, au moyen d'un mémoire motivé, une  demande de renvoi au titre de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations concernant l'opération mentionnée en objet. La partie notifiant demande que l'opération soit examinée dans sa totalité par l'Autorité française de la concurrence ("AdlC").

1. Conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations, avant de notifier officiellement une opération de concentration à la Commission, la partie notifiante peut demander que la Commission procède au renvoi partiel ou total de l'affaire aux Etats membre où la concentration risque d’affecter la concurrence de manière significative sur des marchés qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.

2. Une copie de ce mémoire motivé a été envoyée à tous les Etats membres le 20 novembre 2013.

3. Par télécopie du 29 novembre 2013, l'AdlC, en tant qu'autorité compétente de la France, a informé la Commission que la France acceptait la demande de renvoi.

II. LES PARTIES

 5.   Advent International Corporation (''Advent'') est un fonds de capital-investissement dont l'activité principale est l'acquisition de participations au capital et la gestion de fonds d'investissement. En tant que fonds de capital-investissement, Advent détient de nombreuses participations dans plusieurs secteurs, notamment l'industrie, le commerce au détail, les média, la communication, l'informatique, internet, la santé et le secteur pharmaceutique. En 2012, Advent a acquis la société Douglas Holding AG et ses filiales respectives, actives entre autres, dans le commerce au détail de produits de beauté en France et ailleurs dans l'Union Européenne.

6.   Le groupe Nocibé SAS ("Nocibé") est actif principalement dans la vente au détail de produits de beauté exclusivement en France.

7.   Advent sera ci-après nommé "la Partie Notifiante".

III.  L’OPÉRATION ET LA CONCENTRATION

8.   L'opération consiste en une concentration par le biais de laquelle Advent acquerra, au sens de l'article 3, paragraphe 1, point b du règlement sur les concentrations, le contrôle exclusif de l'entreprise Nocibé par achat d'actions. [...].2

IV.DIMENSION EUROPEENNE

 9.   Les entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 5 000 millions d’euros (Advent: [...] d'euros; Nocibé: [...] d'euros).3 Chacune d'entre elles réalise un chiffre d'affaires dans l'Union de plus de 250 millions d’euros  (Advent:  [...] d'euros; Nocibé: [...] d'euros) [...]

10.  L'opération a donc une dimension au niveau de l'Union Européenne ("UE") au titre de l'article 1, paragraphe 2, du règlement sur les concentrations.

V. APPRECIATION

 A.  Marchés de services pertinents

 11.  La Partie Notifiante affirme que l'opération aura un impact sur trois marchés: (i) celui de la vente au détail de parfums et de cosmétiques de luxe en France, (ii) celui de la prestation de soins esthétiques en France, ainsi que (iii) celui de l'approvisionnement en parfums et cosmétiques de luxe en France.

12.  Marché de la vente au détail de parfums et de cosmétiques de luxe. La Partie Notifiante affirme que le marché pertinent est celui de la vente au détail de parfums et de cosmétiques de luxe distribués au sein de parfumeries agrées (comprenant les chaînes de parfumeries agrées, les grands magasins et les parfumeries indépendantes).

13.   Dans sa pratique décisionnelle passée,4 la Commission a considéré, tout en laissant en suspens la définition exacte du marché, l'existence d'un marché distinct de la vente au  détail (i)  de parfums et de cosmétiques de luxe et (ii) du marché de grande distribution de produits d'hygiène et de beauté. La Commission a encore considéré une distinction possible, (i) au sein du marché de la vente au détail de parfums et de cosmétiques de luxe, entre produits de soins, fragrances pour femme, fragrances pour hommes et produits cosmétiques et, (ii) au sein du marché de grande distribution de produits d'hygiène et de beauté, par typologie de point de vente (magasins spécialisés, supermarchés, pharmacies, etc.), mais elle a, en fin de compte, laissé en suspens la définition exacte de ces marchés.5

14.   Marché de l'approvisionnement en parfums et cosmétiques de luxe. La Partie Notifiante identifie un marché pertinent de l'approvisionnement en parfums et cosmétiques de luxe, dans lequel les détaillants se fournissent directement auprès des fabricants.

15.   La Commission n'a jamais considéré de marché de l'approvisionnement en parfums et cosmétiques de luxe. Néanmoins, lors d'affaires passées concernant des marchés de la vente au détail, la Commission a également évalué l'impact de la concentration sur le relatif marché de l'approvisionnement. 6 Par conséquent, le marché de l'approvisionnement en parfums et cosmétiques de luxe est un marché pertinent pour les besoins de l'analyse du renvoi de la présente affaire.

16.   Marché de la prestation de soins esthétiques. La Partie Notifiante identifie un marché pertinent de la prestation de soins esthétiques. Elle affirme également que les autorités de concurrence françaises ont déjà considéré l'existence d'un tel marché lors de décisions passées.7

17.   La Commission n'a jamais considéré de marché de la prestation de soins esthétiques. Néanmoins, au vu des arguments de la Partie Notifiante et de la pratique passée  des autorités françaises de la concurrence, la prestation de soins esthétiques est un marché pertinent pour les besoins de l'analyse du renvoi de la présente affaire.

B.   Marchés géographiques pertinents

 18.  Marché de la vente au détail de parfums et de cosmétiques de luxe. La Partie Notifiante affirme que l'étendue géographique de ce marché correspond à des zones de chalandise s'étendant à un rayon de 20 minutes de transport en voiture autour de chaque point de vente. Dans ses décisions passées, la Commission a indiqué que la zone de chalandise pour un  point de vente peut être délimitée par la limite maximale depuis laquelle ce point de vente peut être atteint en voiture en moins de 20 minutes.8 La Commission considère que l'étendue géographique de ce marché pour les besoins de l'analyse du renvoi de la présente affaire devrait être définie sur la base de zones de chalandise décrites ci-dessus.

19.  Marché de l'approvisionnement en parfums et cosmétiques de luxe. La Partie Notifiante estime que l'étendue géographique de ce marché est nationale. Dans une précédente affaire, la Commission a considéré que l'étendue géographique d'un marché aux caractéristiques similaires était nationale.9 En ce qui concerne le marché de l'approvisionnement en parfums et cosmétiques de luxe, Advent affirme que les autorités françaises de concurrence ont défini le marché géographique pertinent comme de taille nationale.10 La Commission considère  que l'étendue géographique de ce marché est nationale pour les besoins de l'analyse du  renvoi de la présente affaire.

20.  Marché de la prestation de soins esthétiques. La Partie Notifiante estime que l'étendue géographique de ce marché correspond à des zones de chalandise d'un rayon de 20 minutes de transport en voiture autour de chaque point de vente. Advent affirme aussi que les autorités de la concurrence françaises, tout en laissant en suspens la question de la définition précise de ce marché, ont considéré que l'étendue géographique de ce marché pourrait être définie en prenant en considération des zones de chalandise d'un rayon de 20 minutes detransport en commun autour de chaque point de vente. 11 La Commission n'a jamais considéré de marché de la prestation de soins esthétiques. Cependant, étant donné la similarité des caractéristiques du marché de la vente au détail et du marché de la prestation de soins esthétiques, une zone de chalandise d'un rayon de 20 minutes de transport en  voiture peut être considérée comme l'étendue géographique la plus appropriée de ce marché pour les besoins de l'analyse du renvoi de la présente affaire.

C.  Appréciation

 Critères juridiques de l'article 4, paragraphe 4 du règlement sur les concentrations

21.  Sur la base des informations fournies par la Partie Notifiante dans son mémoire motivé, l'opération est un bon cas de renvoi préalable à la notification de la part de la Commission à l'AdlC conformément à l'article 4, paragraphe 4 du règlement sur les concentrations.

22.  L'opération satisfait aux critères juridiques énoncés à l'article 4, paragraphe 4 du règlement sur les concentrations. En effet, l'opération est une concentration au sens de l'article 3 du règlement sur les concentrations, qui a une dimension au niveau de l'UE et qui risque d'affecter de manière significative la concurrence sur plusieurs marchés en France qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.

23.  Plus précisément, l'opération aura un impact sur: (i) environ [...] marchés locaux affectés en France, en ce qui concerne la vente au détail de parfums et de cosmétiques de luxe, si l'étendue géographique du marché retenue est une zone de chalandise d'un rayon de 20 minutes de transport en voiture, (ii) un marché affecté de l'approvisionnement en parfums et cosmétiques de luxe si l'étendue géographique du marché retenue est nationale, et (iii) un très grand nombre de marché locaux affectés en France, en ce qui concerne la prestation de soins esthétiques, si l'étendue géographique du marché retenue est une zone de chalandise d'un rayon de 20 minutes de transport en voiture.

24.  A la lumière de ce qui est exposé ci-dessus et en conformité avec le paragraphe 17 de la Communication de la Commission sur le renvoi des affaires en matière de concentrations ("la Communication sur le renvoi"),12 l'existence de marchés affectés au sens du formulaire RS peut être considérée comme suffisante pour démontrer que l'opération risque d'affecter  de manière significative la concurrence sur un ou plusieurs marchés.

25.  D'après le paragraphe 20 de la Communication sur le renvoi, les opérations de concentration susceptibles d'affecter la concurrence sur des marchés d'étendue géographique nationale ou infranationale et dont les effets se feraient ressentir, ou auraient leur effet économique principal, dans un seul État membre sont celles qui se prêteraient le mieux à un renvoi à  cet Etat membre. L'opération affectera de nombreux marchés de taille urbaine ou infra-urbaine, aussi bien qu'un marché de taille nationale, qui tous ne présentent pas  d'effets transfrontaliers et qui, en grande partie, ont des caractéristiques locales.

26.  A la lumière de ce qui précède, l'opération risque d'affecter de manière significative la concurrence en France sans avoir d'impact sur d'autres marchés à l'intérieur de l'UE. De surcroît, les marchés concernés par l'opération présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.

27.  Il en découle que les critères juridiques de l'article 4, paragraphe 4 du règlement sur les concentrations sont remplis.

Autres facteurs à prendre en considération

 28.  Etant donné que les effets concurrentiels de l'opération seront probablement limités à la France, l'AdlC est l'autorité la mieux placée pour examiner le marché français.

29.  Lors d'affaires précédentes portant sur le marché de la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire en France, 13 qui présentent de fortes similarités avec les marchés en question dans la présente affaire (notamment par rapport à leur dimension locale), la Commission a pris la décision de renvoyer l'affaire dans sa totalité à la France.

 

30.  De plus, un renvoi de l'affaire à l'AdlC est ultérieurement justifié par la récente expérience de celle-ci dans les marchés de la vente au détail de produits de beauté. En effet, deux des différentes décisions de concentration touchant à ce secteur étaient relatives à Douglas et à Nocibé.14

31.  Par conséquent, compte tenu du principe de l'autorité la plus appropriée établi au paragraphe 9 de la Communication sur le renvoi, le renvoi de l'affaire à l'AdlC est justifié.

VI. RENVOI

 32.   Sur la base des informations fournies par la Partie Notifiante dans son mémoire motivé, la Commission considère que les conditions de renvoi, telles que prévues à l’article 4 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations, sont remplies dans le cas présent, dans la mesure où la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence sur  unou plusieurs marchés à l’intérieur d’un État membre et qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.

33.   La Communication sur le renvoi (paragraphe 17) indique que: «les parties requérantes sont essentiellement tenues de démontrer que l’opération risque d’affecter la concurrence sur  un marché distinct d’un État membre, effet qui peut être significatif, et qui doit par conséquent être examiné en profondeur" et que "ces indications peuvent très bien n’être  que préliminaires».

34.   Sur le fondement des renseignements fournis par la Partie Notifiante dans son mémoire motivé, la Commission estime que le principal impact de l'opération sur la concurrence est susceptible d'avoir lieu sur des marchés distincts en France.

VII.  CONCLUSION

 35.   Pour les raisons exposées ci-dessus et étant donné que la France a exprimé son accord, la Commission a décidé de renvoyer l'affaire à la France dans sa totalité. Cette décision est adoptée en application de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations.

 

 

1.  JO L24, 29.1.2004, p.1 («le règlement sur les concentrations»). Applicable à compter du 1er décembre 2009, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne («TFUE») a introduit divers changements, parmi lesquels le remplacement des termes «Communauté» par «Union» et «marché commun» par «marché  intérieur». Les  termes du TFUE seront utilisés dans cette décision.

2.  Affaire n° COMP/M.4193 - L'Oréal / The Body Shop, décision de la Commission du 31 mai 2006; Affaire n° COMP/M.3716 - As Watson / Marionnaud, décision de la Commission du 7 avril 2005; Affaire n° COMP/ M.3643 - Sephora / El Corte Ingles / JV, décision de la Commission du 9 mai 2005.

3.  Affaire n° COMP/M.3716 - As Watson / Marionnaud, décision de la Commission du 7 avril 2005.

4. Affaire n° COMP/M.4392 - Dsgi / Fr-Invest / Fgroup JV, décision du 30 novembre 2006; Affaire n° IV/M.1085- Promodes/ Catteau, décision de la Commission du 6 février 1998.

5.   C2005-65 / Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 22 août 2005- Lavigne SA/Douglas.

6. Affaire n° COMP/M.3716 - As Watson / Marionnaud, décision de la Commission du 7 avril 2005; Affaire n° IV/M.998 – OBS! Danmark, décision de la Commission du 5 février 1998; Affaire n° IV/M.784 – Kesko / Tuco, décision de la Commission du 26 avril 1997.

7.Affaire n° IV/M.1085 - Promodes/ Catteau, décision de la Commission du 6 février 1998.

8.  C2005-65 / Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 22 août 2005- Lavigne SA/Douglas.

9. C2005-65 / Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 22 août 2005- Lavigne SA/Douglas.

10.  12     JO C56, 5.3.2005, p. 2

11. Affaire n° COMP/M.6488 Carrefour/Guyenne et Gascogne, décision de la Commission du 16 mars 2012.

12. Lettre du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie en date du 10 septembre 2002, Nocibé/Bridgepoint Capital (acquisition du contrôle exclusif de Nocibé par Bridgepoint Capital) et C2005-65 / Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 22 août 2005 (acquisition de la part de Douglas du contrôle exclusif de SA Lavigne); aussi Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, Groupe l'Oréal. En outre, les autorités françaises de concurrence ont également pris de nombreuses décisions concernant des pratiques d'entente dans ce secteur (voir la décision de l'AdlC No. 06-D-04 du 13 mars 2006 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la parfumerie de luxe et la décision No. 07-D-03 du 24 janvier 2007 relative à des pratiques relevées dans le secteur de la parfumerie de luxe par la société Clarins SA).