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Décisions

CA Dijon, 1re ch. civ., 6 octobre 2020, n° 18/00989

DIJON

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Mutuelle Groupama Grand Est (Sté)

Défendeur :

De Chassinel (SARL), Man Trucks & Bus France (SA), Generali Iard (SA), Man Truck & Bus AG (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Petit

Conseillers :

M. Wachter, Mme Dumurgier

T. com. Dijon, du 14 juin 2018

14 juin 2018

Le 26 janvier 2004, la SARL De Chassinel a acquis auprès de la société MAN Camions & Bus, un camion MAN TGA 480 6X2, de type 26483 FNLIC. Le bon de commande stipulait au chapitre des options que le véhicule devait être équipé d'une « suspension pour centre de gravité élevé ».

Le camion a été livré avec une suspension pneumatique et un système électronique ECAS ayant pour objet d'assurer une hauteur constante quelle que soit la charge.

A la demande de la société de Chassinel, ce véhicule a été équipé par la société Carrosserie Durand d'un plateau porte paille.

En raison d'anomalies décelées dans la suspension, la société De Chassinel a confié à plusieurs reprises le camion à la société MAN Bourgogne.

Le problème persistant, une nouvelle intervention du garage a été planifiée pour le 22 novembre 2004. Dans cette optique, la société De Chassinel a annulé un transport de paille que ce camion devait effectuer le 20 novembre 2004, la paille dont il était déjà chargé ayant été retirée, et remplacée par du foin afin que le camion puisse être examiné en charge. L'échange du chargement a été effectué le 20 novembre 2004 au dépôt de la société De Chassinel, situé à plusieurs kilomètres du siège. A son retour au siège de la société, vers 19h30, après avoir parcouru une dizaine de kilomètres, le camion a été stationné sous un hangar où étaient stockés de la paille, du fourrage et du matériel d'exploitation. Ce hangar était loué par la SARL de Chassinel auprès de la SCI de Chassinel, qui en était la propriétaire.

Vers 19 heures 45, un incendie s'est déclaré, qui a détruit en quelques minutes l'ensemble routier, ainsi que le hangar et son contenu.

Par décision du 16 mars 2005, le juge des référés du tribunal de commerce de Dijon, saisi par la compagnie Groupama Grand Est, assureur de la société De Chassinel, a ordonné une expertise confiée à M. R., ultérieurement remplacé par M. G.. Par ordonnance du 28 janvier 2010, un co-expert a été nommé en la personne de M. M..

Les experts ont déposé le rapport de leurs opérations le 16 janvier 2014. Ils ont estimé que la cause de l'incendie résidait dans l'échauffement résultant du frottement anormal des pneumatiques de l`essieu arrière contre la sous-face du passage de roues.

La compagnie Groupama Grand Est a versé à son assurée une provision de 300 000 € à valoir sur son préjudice.

Par exploits des 22 et 26 août 2014, complétés par un exploit du 8 janvier 2015, la compagnie Groupama Grand Est a fait assigner la société De Chassinel, la SA MAN Camions & Bus, aux droits de laquelle se trouve désormais la société Man Trucks & Bus France, en sa qualité d'importateur du véhicule, l'assureur de cette société, la compagnie Generali Iard, et la société de droit allemand MAN Nutzfahrzeuge AG, aux droits de laquelle se trouve désormais la société de droit allemand MAN Trucks & Bus AG, en sa qualité de fabricant du véhicule, devant le tribunal de commerce de Dijon. La demanderesse a sollicité que les sociétés MAN Camions et Bus et MAN Nutzfahrzeuge AG, soient déclarées entièrement responsables de l'incendie survenu le 20 novembre 2004, ainsi que de tous les préjudices en ayant découlé, et qu'elles soient condamnées, solidairement entre elles et avec la société Generali Iard, à réparer ces préjudices, et à lui verser, en sa qualité de subrogée aux droits de la société De Chassinel, la somme de 1 219 855,61 € en principal.

La compagnie Groupama Grand Est a fait valoir au soutien de ses prétentions :

- qu'elle avait versé une somme globale de 1 219 855,61 € pour le compte de son assurée, et qu'en application de l'article L. 121-12 du code des assurances, elle était subrogée de plein droit dans les droits de celle-ci, la réalité du contrat d'assurance et des paiements résultant suffisamment des pièces produites ; qu'au demeurant, elle pouvait également se prévaloir de la subrogation conventionnelle, puisque la société De Chassinel lui avait remis des quittances subrogatives, lesquelles étaient antérieures aux paiements successivement intervenus ; qu'elle justifiait ainsi de son intérêt à agir ;

- que les conclusions de l'expertise étaient claires sur l'origine de l'incendie ;

- que le vendeur du véhicule avait engagé sa responsabilité pour défaut de livraison conforme, à défaut pour vice caché, dès lors que la suspension du camion n'était pas adaptée à un centre de gravité élevé, tel que prévu au bon de commande ; que le vendeur avait en outre manqué à son obligation de conseil en n'expliquant pas à l'acquéreur que, compte tenu de l'utilisation projetée, il était indispensable d'équiper le véhicule d'un système EFR de régulation électronique du châssis, et qu'il avait enfin manqué à son obligation contractuelle de résultat, le camion lui ayant été vainement confié à trois reprises aux fins de résolution du problème de suspension ;

- que le fabricant du véhicule était tenu à indemnisation sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, pour le véhicule lui-même, ou en qualité de concepteur et d'intégrateur du système ECAS de régulation de la hauteur d'assiette équipant l'engin, dont la mauvaise visibilité du système de contrôle présentait le risque de rouler en position basse sans que le conducteur s'en aperçoive.

La société De Chassinel, reprenant à son compte l'argumentation de son assureur, a elle-aussi conclu à l'imputabilité exclusive du sinistre au véhicule, et a sollicité la condamnation solidaire des sociétés MAN Camions et Bus, MAN Nutzfahrzeuge AG et Generali Iard à lui payer la somme de 720 000 € en réparation de la perte d'exploitation liée à l'incendie. Subsidiairement, elle a demandé une expertise aux fins de chiffrer le préjudice de perte d'exploitation. Elle a indiqué, en réponse aux moyens adverses, que son action n'était pas prescrite au regard de la procédure d'expertise, qui avait suspendu le délai de prescription, qu'elle n'avait commis aucune faute d'imprudence en stationnant le camion sous le hangar, et que l'indemnité perçue de son assureur ne comprenait pas la perte d'exploitation.

La société MAN Trucks & Bus France a soulevé l'irrecevabilité des demandes de la compagnie Groupama pour défaut d'intérêt à agir, aux motifs, d'une part, qu'elle ne justifiait pas de la police souscrite, ni de la réalité des paiements, de sorte qu'elle ne pouvait se prévaloir de la subrogation légale, d'autre part que les quittances subrogatives étaient postérieures aux paiements, de sorte que les conditions de la subrogation conventionnelle n'étaient pas satisfaites. Elle a par ailleurs conclu à l'irrecevabilité des demandes de la société De Chassinel, pour cause de prescription de l'action biennale en garantie des vices cachés. Au fond, elle a réclamé le rejet des demandes de la compagnie Groupama et de la société De Chassinel en tant qu'elles étaient formées à son encontre, très subsidiairement la limitation de l'indemnisation au remboursement partiel du seul camion. La société MAN Trucks & Bus France a notamment fait valoir :

- que le rapport d'expertise était critiquable, et qu'il ne retenait qu'une hypothèse par défaut, de sorte qu'il n'était pas démontré que le camion soit à l'origine du sinistre ;

- subsidiairement, que l'incendie ne se serait pas produit si le véhicule n'avait pas été garé à l'intérieur d'un hangar où était stockée la paille ; que la responsabilité de la société De Chassinel était engagée du fait de la faute ayant consisté à stationner le camion dans le hangar ;

- que le véhicule livré était bien équipé d'une suspension spéciale, et était donc conforme au bon de commande ; qu'elle avait en outre informé sa cliente sur les caractéristiques de cette suspension, de sorte qu'elle avait satisfait à son obligation d'information ; qu'au demeurant l'indemnisation d'un tel préjudice ne pourrait se faire que sur la base d'une perte de chance ;

- qu'il n'était fait la preuve d'aucun vice caché.

La société Generali Iard, assureur de la société MAN Truck & Bus France, a soulevé l'irrecevabilité des demandes de la compagnie Groupama Grand Est et de la société Chassinel, et, au fond, a réclamé le rejet de l'ensemble des demandes formées à son encontre, subsidiairement la limitation de celles de la compagnie Groupama, avec application des plafond et franchise contractuels. Elle a développé à l'appui de ces prétentions des moyens similaires à ceux invoqués par son assurée.

La société de droit allemand MAN Truck & Bus AG a soulevé l'irrecevabilité des demandes de la compagnie Groupama aux motifs, d'une part, qu'elle ne justifiait pas d'un intérêt à agir en l'absence de démonstration de sa qualité de subrogée, d'autre part, qu'elle était forclose sur le fondement de la responsabilité du fait des produits défectueux, pour n'avoir pas agi dans les 10 ans de la mise en circulation du produit. Elle a également conclu à l'irrecevabilité des demandes de la société Chassinel pour prescription s'agissant de la garantie des vices cachés, et forclusion s'agissant de la responsabilité du fait des produits défectueux. Au fond, elle a réclamé le rejet des demandes formées à son encontre, subsidiairement a réclamé la garantie de la société MAN Trucks & Bus France et de son assureur Generali. Elle a soutenu notamment :

- qu'il subsistait un doute sur les causes et l'origine de l'incendie ;

- que ce n'était pas la conception ou la fabrication du châssis qui étaient mises en cause, mais le choix des suspensions et options ; qu'elle-même n'ayant eu aucun contact avec l'acheteur, et ignorant tout de l'utilisation que ce dernier comptait faire du véhicule, il ne pouvait lui être reproché aucune faute à cet égard ; qu'il n'était pas démontré un défaut du système ECAS qui exposerait le véhicule à un danger excessif ;

- que la société De Chassinel a commis une faute en stationnant sciemment le véhicule dans le hangar alors qu'elle n'ignorait rien des risques d'incendie qui pouvaient en découler, et alors par ailleurs que les conditions de stockage de la paille dans ce local n'étaient pas conformes aux recommandations en la matière ;

- que les préjudices invoqués de part et d'autre étaient insuffisamment établis.

Par jugement du 14 juin 2018, le tribunal de commerce a retenu que la compagnie Groupama Grand Est ne pouvait pas se prévaloir de la subrogation légale, dès lors qu'elle ne justifiait pas de la police d'assurance signée par son assurée, mais d'une simple proposition non signée. Il a ensuite considéré qu'elle ne pouvait pas plus se prévaloir de la subrogation conventionnelle dans la mesure où, en contradiction avec les dispositions de l'article 1346-1 du code civil, selon lesquelles la subrogation devait être consentie en même temps que le paiement, ou dans un acte antérieur, tous les paiements avaient en l'espèce été effectués avant que ne soit établie la quittance subrogative du 29 juin 2005. S'agissant des demandes de la société De Chassinel, le tribunal, après avoir rappelé que l'action pour vice caché devait être engagé dans les deux ans de la découverte du vice, a constaté que le rapport d'expertise judiciaire avait été déposé le 16 janvier 2014, alors que la société De Chassinel n'avait formulé sa demande pour la première fois que par des écritures du 16 novembre 2016, ce dont il a déduit l'acquisition de la prescription. Le tribunal de commerce a en conséquence :

- constaté que la compagnie Groupama Grand Est ne justifie pas de sa qualité de subrogée dans les droits de la société SARL De Chassinel, et rejeté l'ensemble de ses demandes, comme irrecevables ;

- constaté que le rapport d'expertise définitif a été déposé le 16 janvier 2014, de sorte que l'action de la société SARL De Chassinel, engagée le 16 novembre 2016, soit plus de deux ans après le dépôt de ce rapport, est prescrite ;

- dit que l'action de la société SARL De Chassinel est irrecevable ;

- condamné in solidum la société SARL De Chassinel et sa compagnie d'assurances, la compagnie Groupama Grand Est, à verser à la société Man Trucks & Bus France la somme de 15 000 € au titre de l`article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum la société SARL De Chassinel et sa compagnie d'assurances, la compagnie Groupama Grand Est, à verser à la compagnie Generali la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum la société SARL De Chassinel et sa compagnie d'assurances, la compagnie Groupama Grand Est, à verser à la société Man Truck & Bus AG la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamné in solidum la société SARL De Chassinel et sa compagnie d'assurances, la compagnie Groupama Grand Est, en tous dépens de l'instance dont frais de greffe indiqués en tête des présentes auxquels devront être ajoutés le coût de l'assignation et les frais de mise à exécution de la présente décision, y compris les frais d'expertise.

La société Groupama Grand Est a relevé appel de cette décision le 12 juillet 2018.

La société De Chassinel en a relevé appel le 26 juillet 2018.

Les deux procédures d'appel ont été jointes.

Par conclusions notifiées le 18 janvier 2019, la compagnie Groupama Grand Est demande à la cour :

- de réformer le jugement déféré ;

- de dire et juger la société Groupama recevable et bien fondée en ses demandes ;

- de dire et juger les sociétés MAN Camions & Bus et MAN Truck & Bus AG entièrement responsables de l'incendie survenu le 20 novembre 2004, ainsi que de tous les préjudices qui en ont découlé ;

- en conséquence, de les condamner solidairement entre elles, et avec la société Generali Iard, assureur de MAN Camions & Bus, à réparer ces préjudices ;

- de les condamner solidairement à rembourser à Groupama la somme de 1 219 855,61 €, outre intérêts de droit à compter du 1er mars 2005 ;

- de dire et juger que le jugement à venir sera opposable à la SARL De Chassinel ;

- de condamner solidairement MAN Camions & Bus, MAN Truck & Bus AG et Generali aux entiers dépens de 1ère instance et d'appel ;

- de condamner solidairement MAN Camions & Bus, MAN Truck & Bus AG et Generali Iard à 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et aux entiers dépens, lesquels comprendront les frais d'expertise.

Par conclusions notifiées le 25 octobre 2018, la société De Chassinel demande à la cour :

- de dire et juger la SARL De Chassinel parfaitement fondée en son appel ;

Réformant la décision entreprise,

Statuant à nouveau,

- de dire et juger que le véhicule vendu par la SA MAN Camions & Bus est exclusivement à l'origine de l'incendie du 20 novembre 2004 ;

Rejetant toutes conclusions contraires,

- de condamner solidairement la SA MAN Camions & Bus, la société MAN Nutzfahrzeuge AG et la SA Generali à payer à la concluante 720 000 € en réparation des préjudices subis du fait de la perte d'exploitation liée à l'incendie du véhicule ;

- de dire et juger, si la cour ne se considère pas suffisamment informée, qu'il y aura lieu à ordonner une expertise aux fins de chiffrer le préjudice de perte d'exploitation de la SARL De Chassinel tel qu'évalué par le cabinet AC Expert ;

- de condamner les mêmes à payer à la concluante la somme de 25 000 € par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner les mêmes aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées le 7 novembre 2019, la société MAN Trucks & Bus France demande à la cour :

Vu les articles 1142 et suivants du code civil,

Vu l'article 1315 du code civil,

Vu l'article 1386-4 du code civil,

- de dire et juger recevables, mais mal fondés les appels interjetés par la compagnie Groupama Grand Est et la SARL De Chassinel à l'encontre du jugement déféré ;

En conséquence,

- de confirmer ledit jugement en ce qu'il a :

* constaté que la compagnie Groupama Grand Est ne justifie pas de sa qualité de subrogée dans les droits de la société SARL De Chassinel ;

* rejeté l'ensemble de ses demandes comme irrecevables ;

* dit que l'action de la société SARL De Chassinel est irrecevable ;

Subsidiairement, et si par impossible, la cour de céans devait réformer ledit jugement, et dire et juger que les demandes de la compagnie Groupama Grand Est et de la SARL De Chassinel étaient recevables,

- de constater que l'expert judiciaire, M. M., n'a pas pu déterminer la cause de l'incendie, s'étant contenté d'émettre des suppositions et n'ayant retenu qu'une hypothèse par défaut ;

- de faire droit aux critiques élevées par la société Man Trucks & Bus France à l'encontre du rapport d'expertise judiciaire ;

- de constater, dire et juger que la société De Chassinel a commis une faute en stationnant le véhicule de marque Man dans le hangar où était stockée la paille ;

- de dire et juger que la faute commise par la société De Chassinel a eu un rôle causal dans la survenance du sinistre ;

En conséquence,

- de dire et juger les demandes de la compagnie Groupama Grand Est mal fondées, tout au moins en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la société MAN Trucks & Bus France ;

- de l'en débouter ;

- de dire et juger que la société MAN Trucks & Bus France a délivré un véhicule équipé d'une suspension pour centre de gravité élevé ;

- de dire et juger en conséquence que le véhicule livré est bien conforme au bon de commande ;

- de dire et juger la demande nouvelle formée par la compagnie Groupama Grand Est sur le fondement de l'article 1384 al. 1 er du code civil tout aussi irrecevable que mal fondée ;

- en conséquence, de débouter purement et simplement la compagnie Groupama Grand Est de cette demande ;

- de dire et juger que la société MAN Trucks & Bus France a rempli son obligation de conseil ;

- de dire et juger que la preuve n'est pas rapportée que le véhicule de marque MAN est à l'origine du sinistre survenu le 20 novembre 2004 ;

- de débouter par suite la compagnie Groupama Grand Est de l'ensemble de ses demandes ;

A titre encore plus subsidiaire, et si par impossible, la cour d'appel devait considérer que l'incendie a pris naissance au niveau du véhicule de marque MAN,

- de dire et juger que si le véhicule n'avait pas été stationné à l'intérieur du hangar où était stockée la paille, les conditions indispensables à la naissance de l'incendie n'auraient pas été réunies ;

- de dire et juger par suite qu'en stationnant le véhicule dans le hangar où était stockée la paille, la société De Chassinel a commis une faute qui est directement à l'origine de l'incendie ;

En conséquence,

- de dire et juger que seule la responsabilité de la société De Chassinel est engagée ;

- de débouter en conséquence la compagnie Groupama Grand Est de toutes ses demandes à l'égard de la société MAN Trucks & Bus France ;

- encore plus subsidiairement, de dire et juger qu'en stationnant le véhicule dans le hangar où était stockée la paille, la société De Chassinel a contribué à l'aggravation du sinistre et est responsable de l'incendie conjoint du véhicule et du hangar ainsi que du stock de paille qui s'y trouvait ;

- de dire et juger dans ces conditions que la responsabilité de la société MAN Trucks & Bus France serait limitée au seul véhicule de marque MAN ;

- de débouter la compagnie Groupama Grand Est de l'ensemble de ses autres demandes ;

A titre infiniment subsidiaire :

- de dire et juger que la compagnie Groupama Grand Est ne justifie pas de ses demandes indemnitaires ;

- de l'en débouter purement et simplement ;

Sur les demandes de la SARL De Chassinel :

- de dire et juger que les dispositions de l'article 1242 nouveau du code civil ne peuvent s'appliquer au sinistre survenu le 20 novembre 2004 ;

- de dire et juger les demandes de la SARL De Chassinel irrecevables que ce soit sur le fondement d'un vice caché inhérent au véhicule, ou sur le fondement des dispositions de l'article 1384 ancien du code civil ;

- de dire et juger en tout état de cause ses demandes mal fondées tout au moins en ce qu'elles sont dirigées à l'encontre de la société MAN Trucks & Bus France ;

- de l'en débouter ;

- en tout état de cause, de dire et juger que sa demande d'indemnisation de préjudice n'est pas justifiée ;

- de l'en débouter ;

- subsidiairement, de la réduire à de plus justes proportions ;

A titre encore plus subsidiaire :

- de dire et juger que les préjudices invoqués par la SARL De Chassinel et la compagnie Groupama Grand Est ne peuvent s'entendre qu'en terme de perte d'une chance ;

- de dire et juger que l'indemnisation ne pourrait porter que sur le véhicule de marque MAN Trucks & Bus France, et tout au plus à hauteur de 50% ;

- de débouter la SARL De Chassinel de sa demande d'expertise financière ;

A titre infiniment subsidiaire,

- de dire et juger que si quelque condamnation que ce soit devait être mise à la charge de la société MAN Trucks & Bus France, la compagnie Generali devra sa garantie dans les limites de la police souscrite ;

En tout état de cause,

- de condamner in solidum la SARL De Chassinel et sa compagnie d'assurances, la compagnie Groupama Grand Est, à verser à la société MAN Trucks & Bus France la somme de 30 000 € HT au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de les condamner in solidum au paiement d'une somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile ;

- de les condamner in solidum aux entiers dépens, en ce compris les frais d'expertise, en autorisant la SCP S.-R. à recouvrer directement ceux dont elle aurait fait l'avance, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par conclusions notifiées le 6 novembre 2019, la compagnie Generali Iard demande à la cour :

A titre principal :

- de déclarer l'action de Groupama Grand Est irrecevable en l'absence de démonstration de sa qualité de subrogée ;

- de déclarer l'action de la société De Chassinel irrecevable comme prescrite ;

- de confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions ;

A titre subsidiaire :

- de débouter Groupama Grand Est et la société De Chassinel de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions ;

A titre plus subsidiaire :

- de rejeter purement et simplement l'ensemble des demandes indemnitaires injustifiées de Groupama ;

- de rejeter purement et simplement les demandes indemnitaires de la société De Chassinel ;

- de débouter la société De Chassinel de sa demande d'expertise ;

A titre infiniment subsidiaire :

- de faire application d'un taux de perte de chance qui ne saurait excéder 50% sur les demandes formées par Groupama et De Chassinel ;

- de condamner la société MAN Truck & Bus AG à garantir Generali de l'ensemble des condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;

En toute hypothèse,

- de débouter la société MAN Truck & Bus AG de ses demandes à l'encontre de la compagnie Generali et de MAN Camion & Bus ;

- de juger que la garantie de la compagnie Generali ne couvre pas l'indemnité de résiliation et de ce que les dommages et intérêts sont garantis dans la limite de 1 524 491 € sous déduction d'une franchise de 10% du sinistre avec un minimum de 242 € et un maximum de 1 934 € ;

- de faire application de ces limites de garanties en cas de condamnation de Generali ;

- de condamner Groupama et De Chassinel ou tout succombant à payer à la compagnie Generali la somme de 25 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre les entiers dépens (frais d'expertise compris).

Par conclusions notifiées le 7 novembre 2019, la société de droit allemand MAN Truck & Bus AG demande à la cour :

Vu l'article L. 121-12 du code des assurances,

Vu les articles 1386-1 et suivants du code civil,

Vu l'article 1384 du code civil,

Vu les articles 1604 et suivants du code civil,

Vu l'article 122 du code de procédure civile,

Sur les demandes de la compagnie Groupama Grand Est :

A titre principal

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a constaté que la compagnie Groupama Grand Est ne justifie pas être subrogée dans les droits de son assurée De Chassinel et jugé l'ensemble de ses demandes comme irrecevables et a condamné la compagnie Groupama Grand Est in solidum avec la SARL De Chassinel à payer à la société Man Truck & Bus AG la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens, y compris les frais d'expertise ;

Statuant à nouveau

- de constater, dire et juger que la compagnie Groupama Grand Est ne justifie pas être subrogée dans les droits de son assurée De Chassinel ;

- de constater, dire et juger que les demandes de compagnie Groupama Grand Est sont forcloses ;

- de constater, dire et juger que la compagnie Groupama Grand Est présente des demandes nouvelles en cause d'appel ;

En conséquence :

- de déclarer la compagnie Groupama Grand Est irrecevable en ses demandes ;

A titre subsidiaire,

- de constater, dire et juger que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de MAN Truck & Bus AG ne sont nullement réunies ;

En conséquence

- de débouter la compagnie Groupama Grand Est de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société MAN Truck & Bus AG ;

A titre infiniment subsidiaire,

- de constater, dire et juger que la société De Chassinel a commis des fautes en garant le camion dans le hangar destiné exclusivement au stockage de paille ;

En conséquence

- de débouter la compagnie Groupama Grand Est de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société MAN Truck & Bus AG ;

A titre très subsidiaire,

- de constater, dire et juger que les demandes d'indemnisation formées par la compagnie Groupama Grand Est sont contestables ;

En conséquence

- de débouter la compagnie Groupama Grand Est de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société MAN Truck & Bus AG ;

- en tout état de cause, de constater, dire et juger que la responsabilité de la société MAN Truck & Bus AG ne saurait tout au plus qu'être considérée comme résiduelle ;

Enfin

- de débouter la compagnie Groupama Grand Est de sa demande de condamnation solidaire des sociétés MAN Camions & Bus (aujourd'hui MAN Truck & Bus France) / Generali et MAN Truck & Bus AG venant aux droits de MAN Nutzfahrzeuge ;

- de constater, dire et juger que la responsabilité de la société MAN Truck & Bus AG ne saurait tout au plus qu'être considérée comme résiduelle ;

- en tout état de cause, de constater, dire et juger que la société MAN Camions & Bus aujourd'hui MAN Truck & Bus France, et son assureur Generali seront condamnées à relever et garantir la société MAN Truck & Bus AG de toutes condamnations susceptibles d'intervenir à son encontre ;

Sur les demandes de la société De Chassinel :

A titre principal

- de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a jugé l'action engagée par la société De Chassinel comme étant prescrite et rejeté son action comme irrecevable ;

Statuant à nouveau

- de constater, dire et juger que les demandes de la société De Chassinel ont été formées tardivement et sont prescrites ;

- de constater, dire et juger que les demandes de la société De Chassinel sont forcloses ;

En conséquence :

- de déclarer la société De Chassinel irrecevable en ses demandes ;

- de constater, dire et juger que la société De Chassinel présente des demandes nouvelles en cause d'appel ;

- de constater, dire et juger que ces demandes nouvelles sont irrecevables ;

- de constater, dire et juger que ces demandes nouvelles sont prescrites ;

A titre subsidiaire,

- de constater, dire et juger que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de MAN Truck & Bus AG ne sont nullement réunies ;

En conséquence

- de débouter la société De Chassinel de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société MAN Truck & Bus AG ;

A titre infiniment subsidiaire,

- de constater, dire et juger que la société De Chassinel a commis des fautes en garant le camion dans le hangar destiné exclusivement au stockage de paille ;

En conséquence

- de débouter la société De Chassinel de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société MAN Truck & Bus AG ;

A titre très subsidiaire,

- de constater, dire et juger que les demandes d'indemnisation formées par la société De Chassinel sont contestables ;

En conséquence

- de débouter la société De Chassinel de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de la société MAN Truck & Bus AG ;

- de débouter la société De Chassinel de sa demande d'expertise financière ;

- en tout état de cause, de constater, dire et juger que la responsabilité de la société MAN Truck & Bus AG ne saurait tout au plus qu'être considérée comme résiduelle ;

Enfin

- de débouter la société De Chassinel de sa demande de condamnation solidaire des sociétés MAN Camions & Bus (aujourd'hui MAN Truck & Bus France) /Generali et MAN Truck & Bus AG venant aux droits de MAN Nutzfahrzeuge ;

- de constater, dire et juger que la responsabilité de la société MAN Truck & Bus AG ne saurait tout au plus qu'être considérée comme résiduelle ;

- en tout état de cause, de constater, dire et juger que la société MAN Camions & Bus aujourd'hui MAN Truck & Bus France, et son assureur Generali seront condamnées à relever et garantir la société MAN Truck & Bus AG de toutes condamnations susceptibles d'intervenir à son encontre ;

Sur la demande en garantie de Generali :

Vu les articles 564 et 910-4 du code de procédure civile,

- de juger irrecevable la demande en garantie formée par Generali à l'encontre de la société MAN Truck & Bus AG ;

- subsidiairement, de la déclarer infondée ;

En tout état de cause

- de condamner la compagnie Groupama Grand Est et la société De Chassinel à verser à la société MAN Truck & Bus AG la somme de 8.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- de condamner la compagnie Groupama Grand Est et la société De Chassinel aux entiers dépens ;

- de débouter la compagnie Groupama Grand Est de ses demandes de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens de première instance et d'appel ;

- de débouter la société De Chassinel de ses demandes de condamnation au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au titre des dépens de première instance et d'appel.

La clôture de la procédure a été prononcée le 5 décembre 2019.

L'affaire a été appelée à l'audience du 17 décembre 2019, à laquelle elle a fait l'objet d'un renvoi en raison d'un mouvement de grève des avocats.

En application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se référer pour l'exposé des moyens des parties à leurs conclusions récapitulatives visées ci-dessus.

Sur ce, la cour,

Sur les demandes de la compagnie Groupama Grand Est

Les sociétés MAN Trucks & Bus France, la compagnie Generali et la société MAN Trucks & Bus AG soulèvent toutes trois l'irrecevabilité des prétentions de la société Groupama, au motif qu'elle ne justifie pas de sa qualité pour agir, faute de démontrer que les conditions de la subrogation dont elle se prévaut sont remplies.

Pour solliciter l'infirmation du jugement déféré, qui a fait droit à cette argumentation, l'appelante fait valoir à titre principal qu'elle est recevable à agir, comme étant subrogée de plein droit dans les droits et actions de la société de Chassinel, subsidiairement comme bénéficiant de la part de celle-ci d'une subrogation conventionnelle.

1° Sur la subrogation légale

L'article L. 121-12 du code des assurances dispose que l'assureur qui a payé l'indemnité d'assurance est subrogé, jusqu'à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de l'assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la responsabilité de l'assureur.

Pour pouvoir bénéficier de cette subrogation légale, il appartient à l'assureur de démontrer qu'elle a procédé à un paiement en vertu d'une obligation contractuelle.

Il ne suffit donc pas pour l'assureur de prouver la réalité d'un paiement, mais il lui incombe d'établir également que ce règlement est intervenu en exécution des obligations contractées envers l'assuré aux termes du contrat souscrit par celui-ci.

En l'espèce, force est de constater que le contrat liant la société de Chassinel à la compagnie Groupama n'est produit ni par l'assureur, qui indique l'avoir égaré, ni par l'assuré.

Certes, l'appelante verse aux débats des lettres chèques ainsi qu'une lettre d'acceptation qui font apparaître une référence de police ainsi qu'une référence de sinistre semblant se rapporter à l'incendie litigieux, mais ces documents ne permettent d'aucune manière de vérifier que les sommes concernées étaient contractuellement dues par l'assureur à la société de Chassinel. La production d'une proposition d'assurance établie postérieurement au sinistre, sous la même référence de police que celle portée sur les autres pièces, n'est pas plus probante à cet égard, dès lors qu'elle concerne des matériels différents, et qu'en tout état de cause elle ne détaille pas les garanties offertes par l'assureur, auxquelles il n'est fait référence que par l'indication d'une référence d'option, dont le contenu reste totalement inconnu.

La carence de l'assureur dans la preuve du contenu de ses obligations envers la SARL de Chassinel est d'autant plus gênante que les sommes sur lesquelles il entend voir jouer la subrogation concernent en grande partie l'indemnisation des locaux détruits par l'incendie, dont il n'est pas contesté que la SARL de Chassinel n'était pas la propriétaire, mais seulement la locataire. Cette circonstance pose nécessairement question quant à l'obligation pour la compagnie Groupama d'indemniser son assurée de la perte d'un bien immobilier qui ne lui appartenait pas, et ce d'autant qu'il ressort des propres pièces de l'assureur, en particulier l'attestation de règlement du 11 février 2014 portant sur un montant de 200 000 € (pièce n°15 du bordereau de la compagnie Groupama Grand Est), que, parmi les sommes concernées par la demande, certaines ont bien été versées, non pas à la SARL de Chassinel, mais à la SCI de Chassinel, propriétaire du hangar.

Dans ces conditions, seule la production de la police d'assurance, à l'exclusion de toutes les autres pièces produites par l'assureur, était de nature à permettre de vérifier que les paiements dont il se prévaut sont intervenus en exécution d'une obligation conventionnellement contractée envers la SARL de Chassinel, et, partant, à justifier du bénéfice de la subrogation légale.

En l'état des pièces produites, c'est donc à bon droit que les premiers juges ont retenu que les demandes de la compagnie Groupama Grand Est étaient irrecevables sur le fondement de la subrogation légale.

2° Sur la subrogation conventionnelle

L'article 1250 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, dispose que la subrogation est conventionnelle lorsque le créancier recevant son paiement d'une tierce personne la subroge dans ses droits, actions, privilèges ou hypothèques contre le débiteur, et que cette subrogation doit être expresse et faite en même temps que le paiement.

La subrogation ne peut être faite après le paiement, en raison du caractère extinctif de celui-ci.

En l'espèce, la compagnie Groupama se prévaut de trois quittances subrogatives émises par la société de Chassinel.

La première, donnée pour un montant de 300 000 €, a été établie le 1er mars 2005, et est, selon les indications de l'assureur lui-même, relative aux paiements effectués respectivement le 27 décembre 2004 pour un montant de 150 000 €, et le 31 janvier 2005 pour un autre montant de 150 000 €. A l'évidence, le temps écoulé entre chacun de ces paiements et l'établissement de la quittance, soit plus de deux mois pour le premier règlement, et plus d'un mois pour le second, ne saurait satisfaire à l'exigence de concomitance posée par l'article 1250 précité, l'appelante ne justifiant pas que ces délais correspondraient, comme elle le soutient, à 'des délais administratifs normaux', dont elle ne précise même pas en quoi ils consisteraient. La société Groupama ne peut pas sérieusement soutenir, en désespoir de cause, que si cette quittance devait être considérée comme postérieure aux paiements, il conviendrait alors de la rattacher à des paiements ultérieurs, dont le montant ne correspond pas, et dont elle concède qu'ils n'étaient pas concernés par cette quittance, pour l'avoir elle-même expressément rattachée aux paiements des 27 décembre 2004 et 31 janvier 2005.

Cette quittance ne peut donc entraîner subrogation.

La deuxième quittance, portant sur un montant de 85 521,82 €, a été établie le 4 mai 2006, et concerne selon Groupama un versement effectué le 22 mars 2006, soit près d'un mois et demi auparavant. Là-encore, la concomitance alléguée ne peut être retenue en référence à des délais administratifs dont la nature et l'objet ne sont aucunement précisés.

Il doit donc être retenu que cette quittance ne vaut pas subrogation au profit de l'assureur.

Enfin, il est fait état d'une quittance d'un montant de 1 057 677,20 €, en date du 29 juin 2005 faisant suite, selon la société Groupama, à deux versements des 7 avril 2005 et 20 juin 2005, d'un montant de 150 000 € chacun. D'une part, ces deux versements cumulés sont loin de correspondre au montant de la quittance. D'autre part, et en tout état de cause, ces versements sont une fois de plus tous deux antérieurs à la quittance, de sorte que la concomitance ne peut être valablement invoquée. C'est également en vain que l'appelante sollicite qu'à défaut de la retenir pour les versements antérieurs, cette quittance soit rattachée à un paiement intervenu le 7 septembre 2005 pour un montant de 142 449 €, qui est sans rapport avec le montant quittancé.

Pas plus que les deux précédentes, cette troisième quittance ne peut donc valoir subrogation.

Il en résulte en définitive que la société Groupama Grand Est ne justifie pas bénéficier d'une subrogation légale.

C'est ce qu'ont à juste titre décidé les premiers juges.

Le jugement entrepris devra en conséquence être confirmé en ce qu'il a déclaré la compagnie Groupama Grand Est irrecevable en toutes ses demandes.

Sur les demandes de la SARL de Chassinel

1° Sur la recevabilité

Pour obtenir l'infirmation de la décision déférée, qui l'a déclarée irrecevable en ses demandes tant à l'égard du vendeur du véhicule et de son assureur que du fabricant, au motif que ses demandes étaient prescrites au regard de l'expiration du délai de deux ans ouvert pour agir sur le fondement de la garantie des vices cachés, la société de Chassinel fait valoir qu'elle n'agit pas sur ce fondement, mais exclusivement sur celui de l'article 1384 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige, tant le fabricant que le vendeur devant, selon elle, être considérés comme étant restés gardiens de la structure du véhicule, et déclarés responsables du préjudice né du vice affectant cette structure.

C'est d'abord à tort que les sociétés Man Trucks & Bus France et Man Trucks & Bus AG soulèvent l'irrecevabilité des demandes formées sur ce fondement au motif que, formulées pour la première fois à hauteur d'appel, elles s'analyseraient en des demandes nouvelles. Il doit en effet être constaté que la demande en condamnation des deux sociétés à prendre en charge sa perte d'exploitation était déjà formulée en première instance, et que seul le moyen juridique invoqué au soutien de cette demande a été modifié à hauteur d'appel. Or, une partie est parfaitement libre de présenter des moyens nouveaux au soutien de sa demande.

La société Man Trucks & Bus France soulève par ailleurs l'irrecevabilité des demandes au motif qu'il ne peut être considéré comme étant le gardien du véhicule. La société Generali conclut quant à elle à l'irrecevabilité des demandes de la société de Chassinel en considération du principe de non-cumul des responsabilités contractuelle et délictuelle. Toutefois, ces moyens ne s'analysent pas en des fins de non-recevoir, mais en des défenses au fond, de sorte qu'aucune irrecevabilité ne peut être prononcée sur leur fondement.

La décision déférée devra donc être infirmée en ce qu'elle a déclaré irrecevables les demandes formées par la société de Chassinel à l'encontre de la société Truck & Bus France et de la société d'assurances Generali.

La société Man Trucks & Bus AG, fabricant du véhicule, soulève quant à elle la prescription des demandes formées à son égard sur le fondement de l'article 1384 ancien du code civil, au regard des dispositions de l'article 2224 du même code, lequel énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

La société de Chassinel ne répond pas à cette fin de non-recevoir.

Contrairement à ce que soutient le fabricant du camion, le point de départ de la prescription ne peut pas être fixé au 20 novembre 2014, date de l'incendie, rien ne permettant de considérer que la société de Chassinel ait pu, dès cette date, envisager une imputabilité de l'incendie au camion et, partant, une éventuelle responsabilité du fabricant de celui-ci.

Il ressort des pièces versées aux débats que la compagnie Groupama, en sa qualité d'assureur de la société de Chassinel, a fait procéder à une expertise amiable qui a donné lieu le 19 janvier 2005 à l'établissement par M. Pascal O. d'un « rapport d'expertise et d'analyse » qui évoque l'origine du sinistre comme en lien avec un échauffement du plateau du camion par frottement avec la bande de roulement du pneu. Il en résulte qu'à compter de la prise de connaissance de ce rapport, nécessairement intervenue dans les jours suivants, la société de Chassinel avait connaissance des faits lui permettant de mettre en cause le fabricant du véhicule. C'est donc à partir de cette date qu'a commencé à courir le délai de prescription de 10 ans, qui était alors applicable aux actions extracontractuelles. Il doit être considéré que ce délai a été interrompu par l'assignation en référé expertise, intervenue peu après, et ayant donné lieu à l'ordonnance du 16 mars 2005, l'interruption devant profiter à la société de Chassinel en dépit du fait que ni l'assignation, ni l'ordonnance ne sont produites, dans la mesure où il ressort toutefois du rapport d'expertise final que la société de Chassinel était identifiée comme demanderesse à la procédure. Le délai de prescription a donc recommencé à courir pour 10 années à compter du 16 mars 2005, étant rappelé que la règle aujourd'hui posée par l'article 2239 du code civil, selon laquelle la prescription est suspendue pendant le cours de l'expertise, était alors inapplicable comme n'étant issue que de la réforme ultérieure de 2008. Ce délai de 10 années n'était pas écoulé à la date d'entrée en vigueur de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 ayant ramené le délai de prescription à 5 ans, de sorte que, par le jeu des dispositions transitoires de cette loi, il est arrivé à expiration le 19 juin 2013.

Or, ce n'est que dans le cadre de l'instance introduite par la société Groupama Grand Est par assignations des 22 août 2014, 26 août 2014 et 8 janvier 2015 que la société de Chassinel a pour la première fois émis des demandes à l'encontre de la société MAN Trucks & Bus AG.

La prescription était donc acquise, de sorte que les demandes de la société de Chassinel sont irrecevables en tant qu'elles sont formées à l'encontre du fabricant du camion sur le fondement de l'article 1984 ancien du code civil.

Le jugement entrepris sera confirmé sur ce point.

2° sur le fond

Le créancier, victime d'un manquement du débiteur à une obligation contractuelle ne peut, pour fonder son action en réparation, que se placer sur le terrain de la responsabilité contractuelle, sans pouvoir choisir entre responsabilité contractuelle et délictuelle.

En l'espèce, la société de Chassinel était liée à la société MAN Trucks & Bus France par un contrat de vente, et, à la lecture de ses écritures, il apparaît sans aucune ambiguïté que c'est bien l'existence d'un vice affectant l'objet de cette vente dont l'appelante fait grief à l'intimée.

Il appartenait en conséquence à la société de Chassinel de se placer sur le terrain contractuel pour rechercher la responsabilité de son cocontractant, et non de se placer délibérément sur le seul terrain extracontractuel, comme elle l'a fait en invoquant exclusivement le fait de la chose.

Dans ces conditions, les demandes formées à l'encontre de la société MAN Trucks & Bus France et de son assureur ne pourront qu'être rejetées.

Sur les autres demandes

La demande formée par la société MAN Trucks & Bus France en paiement par les appelantes d'une somme de 10 000 € à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive sera rejetée, étant rappelé que l'exercice d'une action en justice ou d'une voie de recours constitue un droit, qui ne peut dégénérer en abus ouvrant droit à dommages et intérêts qu'en cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur équipollente au dol, toutes circonstances qui ne sont en l'espèce pas établies.

Le jugement déféré sera confirmé s'agissant des dépens, mais infirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles, les montants alloués par les premiers juges étant manifestement disproportionnés.

La société Groupama Grand Est et la société de Chassinel seront condamnées in solidum, outre aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile, à payer aux sociétés MAN Trucks & Bus France, Generali et MAN Trucks et Bus AG la somme de 3 000 € chacun en compensation des frais de défense de l'article 700 du code de procédure civile qu'elles ont exposés tant en première instance qu'en appel.

Par ces motifs

Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire,

Confirme le jugement rendu le 14 juin 2018 par le tribunal de commerce de Dijon en ce qu'il a déclaré la société Groupama Grand Est irrecevable en ses demandes, ainsi qu'en sa disposition relative aux dépens ;

L'infirme pour le surplus ;

Statuant à nouveau, et ajoutant :

Déclare la SARL de Chassinel irrecevable en ses demandes en tant qu'elles sont formées à l'encontre de la société de droit allemand MAN Trucks & Bus AG ;

Déclare la SARL de Chassinel recevable en ses demandes en tant qu'elles sont formées à l'encontre de la SA MAN Trucks & Bus France et de la SA Generali Iard ;

Rejette l'ensemble de ces demandes ;

Rejette la demande de dommages et intérêts pour procédure abusive formée par la SA MAN Trucks & Bus France ;

Condamne in solidum la société Groupama Grand Est et la SARL de Chassinel à verser à la SA MAN Trucks & Bus France, à la SA Generali Iard et à la société de droit allemand MAN Trucks & Bus AG la somme de 3 000 € chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne in solidum la société Groupama Grand Est et la SARL de Chassinel aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.