Commission, 24 janvier 2011, n° M.6094
COMMISSION EUROPÉENNE
Décision
HTM GROUP/ MEDIA CONCORDE SNC
Mesdames, Messieurs,
Objet : M.6094 – HTM GROUP/ MEDIA CONCORDE SNC
Mémoire motivé conformément à l’article 4(4) du Règlement (CE) No 139/2004 du Conseil1 pour un renvoi de l’affaire en France.
1. Le 21 décembre 2010, la Commission a reçu, au moyen d’un mémoire motivé, une demande de renvoi total conformément à l’article 4, paragraphe 4 du règlement (CE) No 139/2004 du Conseil concernant l’opération mentionnée ci-dessus. Une copie du mémoire motivé a été envoyée à tous les États membres le 21 décembre 2010.
2. Dans leur mémoire motivé, les parties ont indiqué que le centre géographique de l’opération envisagée se trouve sur le territoire français.
3. Par télécopie reçue par la Commission le 31 décembre 2010, l'autorité française de la concurrence a exprimé son accord sur la demande de renvoi.
I. LES PARTIES
4. High Tech Multicanal Group ("HTM Group") est une société holding qui contrôle notamment deux distributeurs de produits électrodomestiques : la société Boulanger et la société Electro Dépôt SAS. HTM Group est contrôlée ultimement par les membres de la famille Mulliez, qui contrôle également plusieurs sociétés, principalement actives dans le secteur de la distribution (en particulier le groupe Auchan)2.
5. Media Concorde SNC est un distributeur de produits électrodomestiques exclusivement en France, à travers 34 magasins à l'enseigne Saturn ou Planète Saturn.
II. L’OPÉRATION
6. Le 12 décembre 2010, HTM Group a signé une lettre d'intention au profit de la société Media Saturn Holding GmbH, portant sur l'acquisition de 100% du capital et des droits de vote de la société Media Concorde SNC. L'opération consiste en une prise de contrôle exclusif et constitue par conséquent une concentration au sens de l’article 3, paragraphe 1, point b) du règlement (CE) No 139/2004.
III. DIMENSION EUROPEENNE
7. Les entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 5 000 millions d’euros3 (HTM Group : […] ; Media Concorde SNC : […]). Chacune d'entre elles réalise un chiffre d'affaires dans l'Union de plus de 250 millions d’euros (HTM Group : […] ; Media Concorde SNC : […]) et seule Media Concorde SNC réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires dans un seul et même État membre (en France). L'opération a donc une dimension européenne.
IV. ANALYSE DES CONDITIONS DU RENVOI
A. Les marchés de produits en cause
8. D’après les informations fournies par les parties, les marchés de produits en cause sont le marché aval de la vente au détail de produits électrodomestiques - sur lequel les détaillants sont actifs en tant que distributeurs aux consommateurs finaux - et le marché amont de l’approvisionnement en produits électrodomestiques - sur lequel les détaillants agissent en tant que clients des fabricants de produits.
9. Pour les besoins de la présente analyse des conditions du renvoi de l'affaire vers l'autorité française de concurrence, il n'est pas nécessaire d'analyser précisément les marchés amont de l'approvisionnement en produits électrodomestiques sur lesquels les positions des parties sont relativement limitées4. Ne seront donc étudiés que les marchés sur lesquels les parties sont principalement actives, à savoir ceux de la vente au détail de produits électrodomestiques.
10. L'autorité française de la concurrence a défini les produits électrodomestiques comme "comprenant les produits dits "blancs" (tables de cuisson, fours, hottes, lave-linge, sèche-linge, lave-vaisselle, réfrigérateurs, congélateurs, petit électroménager de préparation culinaire, etc.), "bruns" (baladeurs CD/MP3/MD, caméscopes, lecteurs DVD/DIVX, enregistreurs DVD, téléviseurs LCD, chaînes hi-fi, ensembles home cinéma, radio réveils, accessoires) et "gris" (appareils photo numériques, PC, périphériques, consommables, téléphonies, etc.)"5. Le matériel informatique (bureautique, jeux vidéos, etc.) fait intégralement partie des produits "gris" électrodomestiques6.
11. Plusieurs segmentations des produits électrodomestiques ont été envisagées par les autorités de concurrence.
Distinction selon les couleurs des produits (blancs, bruns et gris).
12. L'autorité française de concurrence a rappelé que "même si certains éléments de convergence entre les produits bruns et gris peuvent être constatés […], le métier de distributeur est encore structuré autour de cette distinction et tous les spécialistes ne proposent tous ces produits […]"7.
Distinction entre petit et gros électroménager à l'intérieur de la catégorie des produits blancs.
13. L'autorité française de concurrence a laissé ouverte la question de la pertinence de cette segmentation. Si elle admet que la distinction entre le petit et le gros électroménager est de moins en moins perceptible pour le consommateur, l'autorité française de concurrence reconnaît qu'il existe des différences entre ces deux familles de produits.
Distinction selon le mode de distribution (i.e. concurrence exercée par les grandes surfaces à dominante alimentaire, grandes surfaces de bricolage, bazar, vente à distance).
14. L'autorité française de concurrence a considéré que seuls les hypermarchés pouvaient concurrencer les distributeurs de produits électrodomestiques.
15. En revanche, les supermarchés, les magasins de bricolage ou les bazars ne représentent globalement qu'une part très négligeable des achats. Ils peuvent certes proposer ponctuellement des produits électrodomestiques mais la qualité est basse et l'approvisionnement irrégulier.
16. En ce qui concerne les produits vendus par correspondance, la décision de l'autorité de concurrence concernait les départements français d'outre-mer, pour lesquels les coûts de transport des produits électrodomestiques sont majorés. Au cas d'espèce, elle avait considéré que les produits vendus par correspondance ne pouvaient être pris en compte dans l'analyse du marché pertinent. Elle soulignait également l'absence de données sur les flux concernés. Au cas d'espèce, la question de la prise en compte des ventes par correspondance dans l'analyse du marché pertinent peut être laissée ouverte, l'analyse prima facie des conditions du renvoi demeurant inchangée8.
17. Les parties considèrent que le marché de produit pertinent peut être défini comme la vente au détail des produits blancs, bruns et gris via des points de vente qui incluent les magasins spécialisés, les hypermarchés et les ventes à distance.
Conclusion
18. Au cas d'espèce, la question de la délimitation exacte des marchés de produits peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse des conditions du renvoi demeurant inchangées.
B. Les marchés géographiques en cause
19. Les autorités de concurrence, tant européenne que nationales, considèrent généralement que la distribution de produits électrodomestiques est de dimension locale ou nationale.
20. L'autorité française de concurrence a ainsi considéré qu'un consommateur est prêt à réaliser un trajet en voiture d'une durée de 20 à 45 minutes afin d'atteindre un magasin qui vend des produits électrodomestiques9.
21. La Commission européenne a considéré quant à elle que le marché géographique pour la distribution de produits électrodomestiques pouvait être de dimension nationale10.
22. En ce qui concerne la distribution de produits électrodomestiques, les parties ont délimité des zones de chalandise définies comme la surface couverte par tout transport en voiture de 30 minutes environ (à l'exception de la région parisienne où les zones de chalandise ont été réduites à 20 minutes).
23. Au cas d'espèce, la question de la délimitation géographique exacte des marchés géographiques de la distribution des produits électrodomestiques peut être laissée ouverte, les conclusions de l'analyse des conditions du renvoi demeurant inchangées.
C. Analyse des conditions du renvoi
24. D’après les informations soumises par les parties dans leur mémoire motivé, la concentration affecterait en première analyse certains marchés locaux de la distribution de produits électrodomestiques en France.
25. En effet, dans plusieurs zones de chalandise, les parties ont, prima facie, une part de marché combinée de plus de [30-40]%11. Par ailleurs, il n'est pas exclu que ces parts de marché combinées puissent être supérieures à celles présentées par les parties en cas de redécoupage des zones de chalandise ou s'il devait être tenu compte des ventes du groupe Auchan sur des marchés élargis aux hypermarchés ou des ventes des sociétés GrosBill et/ou Surcouf12.
26. En conséquence, sur plusieurs marchés locaux de la distribution de produits électrodomestiques, la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence13.
V. RENVOI
27. Sur la base des informations fournies par les parties dans leur mémoire motivé, la Commission considère que les conditions de renvoi, telles que prévues à l’article 4(4) du règlement sur les concentrations, sont réunies au cas présent, dans la mesure où la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un marché à l’intérieur d’un État membre qui présente toutes les caractéristiques d’un marché distinct.
28. La communication de la Commission sur le renvoi des affaires en matière de concentrations (point 17) indique que, lors d’une demande de renvoi conformément à l’article 4(4), "les parties requérantes sont essentiellement tenues de démontrer que l’opération risque d’affecter la concurrence sur un marché distinct d’un État membre, effet qui peut être significatif, et qui doit par conséquent être examiné en profondeur" et que "ces indications peuvent très bien n’être que préliminaires".
29. Sur la base des informations fournies par les parties dans leur mémoire motivé, la Commission estime que la demande de renvoi est par ailleurs cohérente avec le point 20 de la communication précitée. En effet, "les concentrations de dimension communautaire susceptibles d'affecter la concurrence sur les marchés nationaux ou infranationaux et dont les effets se feraient ressentir ou auraient leur effet économique principal dans un seul État membre sont celles qui se prêteraient le mieux à un renvoi à cet État membre, en particulier dans les cas où ces effets se produiraient sur un marché distinct qui ne constitue pas une partie substantielle du [marché intérieur]. Si le renvoi est limité à un seul État membre, l'avantage du guichet unique est également préservé."
VI. CONCLUSION
30. Pour les raisons exposées ci-dessus, la Commission a décidé de renvoyer la concentration dans sa totalité à l'autorité française de concurrence, celle-ci ayant donné son accord sur la demande de renvoi. Cette décision est prise sur la base de l'article 4, paragraphe 4 du règlement du Conseil n° 139/2004.
1. Selon la note de bas de page n°21 de la Communication de la Commission sur le renvoi des affaires en matière de concentrations, "l'existence de "marchés affectés" au sens du formulaire RS serait généralement considérée comme suffisante pour remplir les conditions de l'article 4, paragraphe 4."
2. JO L 24 du 29.1.2004, p. 1 («le règlement sur les concentrations»). Applicable à compter du 1er décembre 2009, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne («TFUE») a introduit divers changements, parmi lesquels le remplacement des termes «Communauté» par «Union» et «marché commun» par «marché intérieur». Les termes du TFUE seront utilisés dans cette décision.
3. La famille Mulliez contrôle également la société GrosBill (C2005-56 / Lettre du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie du 2 août 2005 aux conseils du groupe Auchan relative à une concentration dans le secteur de la vente en ligne de produits électroniques). M. Hughes Mulliez contrôle également la société Surcouf (Décision n°09-DCC-12 du 9 juin 2009 de l'Autorité de la concurrence relative à l’acquisition de la société Surcouf par Monsieur Hugues Mulliez). Les parties considèrent toutefois que les entreprises contrôlées par la famille Mulliez (en particulier le groupe Auchan) sont indépendantes les unes des autres. GrosBill et Surcourf sont deux sociétés actives dans la distribution de produits électrodomestiques.
4. Chiffre d’affaires calculé conformément à l’article 5(1) du règlement relatif au contrôle des opérations de concentrations et à la communication de la Commission sur le calcul du chiffre d’affaire (JO C 66, du 2.3.1999, p. 25).
5. Prima facie, la part de marché cumulée des parties sur les marchés amont de l'approvisionnement en produits électrodomestiques est inférieure à [10-20]%, quelle que soit la définition de marché retenue.
6. Voir Avis n°07-A-06 du Conseil de la concurrence du 16 juillet 2007 relatif à l'acquisition par la société Cafom du pôle distribution de la société Fincar dans le secteur de la vente d'équipements de la maison, paragraphe 30.
7. Voir Décision n°04-D-64 du Conseil de la concurrence du 30 novembre 2004 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution d’appareils électrodomestiques, paragraphe 1.
8. Voir Avis n°07-A-06 du Conseil de la concurrence du 16 juillet 2007 relatif à l'acquisition par la société Cafom du pôle distribution de la société Fincar dans le secteur de la vente d'équipements de la maison, paragraphe 59.
9. Dans sa décision N° COMP/M.4226 - DSGI / FOTOVISTA, en date du 29 juin 2006, paragraphes 12 à 14, la Commission a laissé ouverte la question de savoir si les ventes en ligne devaient ou non être considérées comme un marché distinct.
10. Voir Avis n°07-A-06 du Conseil de la concurrence du 16 juillet 2007 relatif à l'acquisition par la société Cafom du pôle distribution de la société Fincar dans le secteur de la vente d'équipements de la maison, paragraphe 83.
11. Voir Décision de la Commission européenne N° COMP/M.4226 - DSGI / FOTOVISTA, en date du 29 juin 2006, paragraphes 15 à 19.
12. Les parts de marché maximales calculées par les parties ont été établies pour l'ensemble des produits blancs, bruns et gris sur le canal de distribution des grandes surfaces spécialisées et des grandes surfaces alimentaires. Il n'est donc pas exclu que selon des segmentations alternatives des marchés de produits leur part de marché cumulée excède celles qui sont présentées dans le mémoire fourni à la Commission.
13. Les parts de marché calculées par les parties tiennent compte des ventes des magasins Boulanger, Electro Dépôt (directement contrôlés par HTM Group) et Saturn. Elles considèrent que les sociétés indirectement contrôlées par la famille Mulliez ne doivent pas être prises en compte dans l'analyse concurrentielle au motif qu'elles disposent d'une autonomie dans leur gestion quotidienne.