Livv
Décisions

Commission, 9 septembre 2014, n° M.7345

COMMISSION EUROPÉENNE

Décision

CARREFOUR/ 53 MAGASINS DE BILLA EN ITALIE

Commission n° M.7345

9 septembre 2014

Madame, Monsieur,

Objet: Affaire M.7345 – CARREFOUR/ 53 MAGASINS DE BILLA EN ITALIE

Décision de la Commission suite au mémoire motivé présenté conformément à l’article 4, paragraphe 4 du règlement n° 139/20041 relatif à un renvoi de l'affaire à l'ITALIE.

I. INTRODUCTION

 1. Le 4 août 2014, la Commission a reçu, au moyen d'un mémoire motivé, une demande de renvoi au titre de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations concernant le projet de concentration mentionné en objet. Les parties demandent que l'opération soit examinée dans sa totalité par les autorités compétentes de l'Italie.

2. Conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations, avant de notifier officiellement une opération de concentration à la Commission, les parties peuvent demander que la Commission procède au renvoi partiel ou total de l'affaire aux Etats membre où la concentration risque d’affecter la concurrence de manière significative sur  des marchés qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.

3. Une copie de ce mémoire motivé a été envoyée à tous les Etats membres le 4 août2014.

4. Par lettre du 14 août 2014, la Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato ('AGCM'), en tant qu'autorité compétente de l'Italie, a informé la Commission que l'Italie acceptait la demande de renvoi.

II. LES PARTIES

 5. Carrefour S.A. est la société tête du groupe homonyme, actif au niveau mondial dans la distribution au détail à dominante alimentaire. Carrefour S.A. contrôle via Carrefour   Italia S.p.a. les sociétés GS S.p.A., SSC – Società Sviluppo Commerciale et Diperdi S.r.l (conjointement: 'Carrefour' ou 'la partie notifiante').

6. Billa AG est une société de droit autrichien, contrôlée exclusivement par la société REWE International. Ces sociétés sont actives dans la grande distribution à dominante alimentaire dans différents pays de l'Union Européenne, parmi lesquels figure l'Italie. Dans ce pays, Billa AG exploite des hypermarchés, des supermarchés et des magasins de proximité à dominante alimentaire sous l'enseigne 'Billa'.

III. L’OPÉRATION ET LA CONCENTRATION

7. L'opération envisagée concerne l'acquisition du contrôle exclusif par Carrefour SA, à travers ses societés precitées, de 53 magasins exploités en Italie par Billa AG.2 Les parties ont signé un contrat d'achat et de vente le 11 juin 2014 à cet effet. Ce contrat prévoit une clause suspensive liée à l'autorisation de l'opération par les autorités de concurrence compétentes.3

IV. DIMENSION EUROPEENNE

 8. Les entreprises concernées réalisent un chiffre d'affaires total sur le plan mondial de plus de 5 milliards  d’euros  (Carrefour:  74  888  millions  d'euros;  magasins  Billa  concernés:  304 millions d'euros). Chacune d'entre elles réalise un chiffre d'affaires dans l'UE de plus  de 250 millions d’euros (Carrefour: 54 658 millions  d'euros;  magasins  Billa concernés: 304 million d'euros) et seuls les magasins Billa concernés réalisent plus des deux tiers de leur chiffre d'affaires européen dans un seul et même Etat membre (l'Italie).

9. L'opération envisagée a une dimension européenne au sens de l'article 1 du règlement sur les concentrations.

V. APPRECIATION

10. D’après les informations fournies par Carrefour, l'opération entraîne des chevauchements d'activité sur les marchés suivants (i) les marchés aval de la distribution au détail de  produits de consommation courante et (ii) les marchés amont de l'approvisionnement en produits de consommation courante.

1. Les marchés aval de la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire

 11. Selon les informations fournies par les parties, les 53 magasins concernés qui constituent la cible de l'opération sont actifs dans la distribution au détail de produits de consommation courante. Il s'agit d'hypermarchés, de supermarchés et magasins de proximité. Carrefour est également active sur ce marché.

12. En ce qui concerne le marché de produits, la Commission européenne et l'AGCM ont  retenu l'existence d'un marché de la distribution au détail de produits alimentaires et d'articles ménagers non alimentaires de consommation courante. La Commission a estimé possible d'opérer une distinction basée sur la surface de vente des magasins, d'après  laquelle on peut distinguer: i) les hypermarchés (surface supérieure à 2500 m2); ii) les supermarchés (surface comprise entre 400 et 2500 m2); iii) les magasins de proximité ou supérettes (surface inférieure à 400 m2); et iv) les magasins de maxi-discompte. Dans sa pratique décisionnelle, l'AGCM a observé dans plusieurs affaires que les différences de qualité et de niveau de service offerts dans les différents formats de point de vente empêchent de considérer que ces formats sont substituables.

13. En termes de dimension géographique, la Commission a indiqué dans sa pratique décisionnelle que du point de vue immédiat du consommateur, les marchés géographiques concernés par une concentration dans le marché du commerce de détail à dominante alimentaire sont des marchés locaux (zones de chalandise). Ces zones de chalandises peuvent être délimitées en règle générale par un rayon ne dépassant pas 10 à 30 minutes de transport en voiture, même si ce rayon peut varier en fonction de divers critères.

14. L'AGCM, à son tour, a retenu dans sa pratique décisionnelle que le critère géographique  des zones de chalandise peut être en première approximation limité à l'échelon administratif des provinces italiennes. Toutefois, l'AGCM a aussi indiqué que l'échelon administratif de la province pourrait ne pas être approprié pour les provinces caractérisées par des frontières administratives non régulières ou par la présence de centres urbains de grandes dimensions.6 Dans certains cas, l'autorité a aussi affiné l'approche de l'échelon administratif avec des critères plus spécifiques tels que les zones isochrones.

15. La partie notifiante estime que l'approche par province est celle qui est utilisée à titre principal par l'AGCM. En application de ce critère, la partie notifiante a identifié 5 marchés affectés par la transaction, où la part de marché cumulée serait supérieure à 20%. Il s'agit des marchés aval de la distribution au détail à dominante alimentaire dans 5 provinces, et en particulier les marchés des supermarchés dans les provinces d'Imperia, Milan, Varese et Aoste, et le marché des magasins de proximité dans la province de Milan.

16. Quant à la distinction entre hypermarchés, supermarchés et magasins de proximité, il faut observer que, dans sa pratique décisionnelle la Commission a également mené une analyse fondée sur un marché global du commerce de détail de l'alimentation, comprenant tous les commerces de détail proposant un assortiment représentatif de produits alimentaires (en particulier supermarchés et hypermarchés).8 En suivant cette approche, le résultat obtenu serait sensiblement diffèrent (seuls les marchés des provinces d'Aoste et Varese seraient affectées par la transaction), mais les marchés concernés seraient également de dimension locale.

17. Au niveau national en Italie, la part de marché toutes surfaces confondues (en mètres carrés de surface de vente dans la grande distribution à dominante alimentaire) de Carrefour est [5-10]%, tandis que celle des 53 magasins-cible est estimée à [0-5]%.

2. Les  marchés amont de l'approvisionnement en produits de consommation courante

18. La partie notifiante définit les marchés amont de l'approvisionnement comme la vente de biens de consommation courante par les producteurs à des clients tels que les grossistes, les détaillants et d'autres entreprises (hôtels, cafés, restaurants, etc.). Dans des décisions précédentes, la Commission a procédé à une segmentation de ce marché en 23 familles ou groupes de produits.

19. La Commission considère que la position d’un distributeur au niveau national détermine la puissance d’achat qu’il exerce sur ses fournisseurs. Par conséquent, elle considère de façon constante que les marchés amont de l’approvisionnement sont de dimension nationale.10 La partie  notifiante,  en  suivant  cette  approche,  considère  donc  que  ces  marchés  sont de dimension  nationale.  La  partie  notifiante  a  produit  ainsi  des  données  pour  21  des    23 catégories, au motif qu'en Italie les données disponibles ne permettent pas de dissocier les segments de la droguerie et du bricolage, et que la partie notifiante n'est en possession d'aucune donnée fiable concernant le segment de la parapharmacie, sur lequel les magasins de Billa ne sont pas toutefois présents.

20.  La part de marché de Carrefour sur tous les segments de l'approvisionnement est comprise entre [0-5]% (charcuterie) et [10-20]% (jouets/loisirs/détente), avec un faible chevauchement d'activités.

3. Appréciation

 21.  Au vu de ce qui précède, conformément aux paragraphes 16 et 17 de la Communication sur le renvoi des affaires en matière de concentration,12 l'opération risque d'affecter de manière significative la concurrence sur un ou plusieurs marchés en Italie, dans la mesure où sur le marché de la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire, segmenté sur la base de la surface de vente des magasins (hypermarchés, supermarchés et magasins de proximité), les parts de marché cumulées des parties seraient supérieures à 20% dans cinq marchés locaux. Même en considérant le marché de la distribution au détail de produits de consommation courante à dominante alimentaire, tous formats confondus, les parts de marché cumulées des parties seraient supérieures à 20% dans deux marchés locaux.

22. En outre, les marchés concernés présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts et sont situés à l'intérieur de l'Italie.13

23. Dès lors la Commission considère que les critères de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations sont remplis.

24. Le renvoi semble également justifié par le fait que l'AGCM dispose des instruments et  d’une expertise significative pour l’examen des opérations de concentrations dans le secteur du commerce de détail. L'AGCM a déjà adopté plusieurs décisions en matière de concentrations dans ce secteur, et a également mené une enquête récente sur le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire.14

25. Enfin, le renvoi demandé préservera le principe du "guichet unique", dans la mesure où cette affaire sera renvoyée dans sa totalité à une seule autorité de concurrence.

VI. RENVOI

26. Sur la base des informations fournies par les parties dans leur mémoire motivé, la Commission considère que les conditions de renvoi, telles que prévues à l’article 4 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations, sont réunies dans le cas présent, dans la mesure où la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un ou plusieurs marchés à l’intérieur d’un État membre et qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.

27. La communication sur le renvoi des affaires en matière de concentration (paragraphe 17) indique que: «les parties requérantes sont essentiellement tenues de démontrer que l’opération risque d’affecter la concurrence sur un marché distinct d’un État membre, effet qui peut être significatif, et qui doit par conséquent être examiné en profondeur» et que «ces indications peuvent très bien n’être que préliminaires».

28. Sur le fondement des renseignements fournis par les parties dans leur mémoire motivé, la Commission estime que le principal impact de l'opération sur la concurrence est susceptible d'avoir lieu sur des marchés distincts en Italie. Elle estime par ailleurs que la demande de renvoi est cohérente avec le paragraphe 20 de la communication précitée.

VII. CONCLUSION

 29. Pour les raisons exposées ci-dessus et étant donné que l'Italie a exprimé son accord, la Commission a décidé de renvoyer l'affaire à l'Italie dans sa totalité. Cette décision est adoptée en application de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations.

 

 

 

1. JO L24, 29.1.2004, p.1 ('le règlement sur les concentrations'). Applicable à compter du 1er décembre 2009, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ('TFUE') a introduit divers changements, parmi lesquels le remplacement des termes 'Communauté' par 'Union' et 'marché commun' par 'marché intérieur'. Les termes du TFUE seront utilisés dans cette décision.

2. Après la transaction 47 de ces magasins seront contrôlés par GS S.p.a., 2 par SSC – Società Sviluppo Commerciale, et 4 par Diperdi S r.l.

3. Articles 5.1, 5.2 et 5.3 du contrat signé entre les parties le 11 juin 2014, Annexe 2.1.4 au mémoire motivé.

4. C3037 Schemaventuno-Promodes/Gruppo GS, Provvedimento n. 6113, 18 juin 1998, paragraphes 50 et suivants, où l'autorité italienne a défini deux 'zones d'attraction dominante' pour la province de Vercelli, et trois pour celle de Turin.

5. P.ex. C11903 Coop Estense, Provvedimento n. 24397, 5 juin 2013, paragraphe 21. Voir également C11916 Coop Lombardia/Due Ipermercati del gruppo Lombardini, Provvedimento n. 24504, 12 août 2013, section V.

6. Décision de la Commission européenne, COMP/M..1221 Rewe/Meinl du 3 février 1999, paragraphe 10.

7. Produits de grande consommation: (1) Liquides, (2) Droguerie, (3) Parfumerie/hygiène, (4) Epicerie sèche,(5) Parapharmacie, (6) Produits périssables en libre-service; frais traditionnel: (7) Charcuterie, (8) Poissonnerie, (9) Fruits et Légumes, (10) Pain et Pâtisserie fraîche, (11) Boucherie; bazar: (12)  Bricolage,(13)     Maison, (14) Culture,(15) Jouets/loisir/détente, (16) Jardin, (17) Automobile;

8. Toutefois, l'autorité italienne a indiqué qu'il existe des zones de chevauchement de ces marchés, puisque les supermarchés de dimension inférieure à 1500 m2 peuvent être en concurrence avec les magasins de proximité, tandis que les supermarchés de superficie supérieure aux 1500 m2 peuvent être en concurrence avec les hypermarchés, v. par exemple C10363 Esselunga/21 punti vendita, Provvedimento n. 20992,  paragraphe 42.

9. Décision de la Commission européenne, COMP/M.1684 Carrefour/Promodès du 25 janvier 2000,  paragraphes 15-16. Dans la même affaire, la Commission a également indiqué que l'analyse concurrentielle devait également tenir compte de facteurs nationaux tels que la centralisation au niveau national de la politique d’assortiment, des campagnes de publicité, voire des actions de promotion des produits ou de fidélisation de la clientèle. electroménager/photo/cinéma/son:  (18)  Gros  Electroménager,  (19) Petit  Electroménager,  (20) Photo/Ciné, (21)  Hi-fi/Son,  (22)  TV/Vidéo;  textile:  (23)  Textile,  chaussures.  Voir  la  décision  de  la      Commission Carrefour/Promodès précitée; et la décision de la Commission M.2115 Carrefour/GB du 28 septembre 2000.

10. Décision de la Commission européenne, COMP/M.4096 Carrefour/Hyparlo du 4 mai 2006.

11. Par exemple, dans le segment jouets/loisirs/détente, où Carrefour détient la part de marché plus élevé par rapport aux autres segments ([10-20]%) l'augmentation serait de [0-5]%. Les parts de marché considérés pourraient aussi être moins élevées dans la mesure où ces parts ont été calculés sur la base des données à disposition de Carrefour, et relatives au marché global des ventes effectuées par les hypermarchés et les supermarchés sur le territoire italien, à l'exclusion des autres canaux de distribution. Cette base de calcul plus étroite pourrait donc surestimer les parts de marché de Carrefour.

12. JO C56, 5.3.2005, p. 2.

13. En ce qui concerne les deux provinces affectés qui sont à la frontière avec la France (Aoste et Imperia) il résulte des soumissions des parties que  le marché des supermarchés dans la province d'Aoste n'est pas  capable d'attirer des consommateurs français car le passage principal de la frontière doit se faire par un tunnel (Mont-Blanc) pour un prix de 40 euros environ; dans la province d'Imperia, le supermarché le plus proche de la frontière (Ventimiglia) n'est pas de dimension telle à occasionner des mouvements importants de consommateurs français (724 m2). La partie notifiante soutient aussi qu'en France l'offre de commerce est suffisamment importante et que les consommateurs sont le plus souvent attachés au caractère national de  leurs commerces de proximité aussi pour des raisons pratiques (par exemple, étiquetage des produits).

14. Conclusions publiées le 24 juillet 2013, Indagine conoscitiva sul settore della Grande Distribuzione Organizzata (GDO), IC43, online à l'adresse http://www.agcm.it/indagini-conoscitive-db/open/C12564CE0049D161/973E4D42D69C4A11C1257BC60039BBA0.html.