Commission, 29 mai 2017, n° M.8407
COMMISSION EUROPÉENNE
Décision
LA Poste/Suez RV/NewCo
Madame, Monsieur,
Objet: Affaire M.8407 – La Poste / Suez RV / NewCo
Décision de la Commission suite au mémoire motivé présenté conformément à l’article 4, paragraphe 4 du règlement n° 139/20041 relatif à un renvoi de l'affaire à la France et de l'article 57 de l'accord sur l'Espace économique européen2
1.INTRODUCTION
(1) Le 18.04.2017, la Commission a reçu, au moyen d'un mémoire motivé, une demande de renvoi au titre de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations concernant un projet de transaction mentionné en objet. Les parties demandent que l'opération soit examinée dans sa totalité par les autorités compétentes de la France.
(2) Conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations, avant de notifier officiellement une opération de concentration à la Commission, les parties peuvent demander que la Commission procède au renvoi partiel ou total de l'affaire à l'Etat membre où la concentration risque d’affecter la concurrence de manière significative sur un ou plusieurs marché à l'intérieur de cet Etat Membre qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.
(3) Une copie de ce mémoire motivé a été envoyée à tous les Etats membres le 18.04.2017.
(4) Par télécopie du 04.05.2017, l'Autorité de la concurrence ("ADLC") en tant qu'autorité compétente de la France, a informé la Commission que la France acceptait la demande de renvoi.
2. LES PARTIES
(5) La Poste S.A. ("La Poste") est l’opérateur historique du service public postal en France. Sa branche "Recy'Go" est active dans la collecte et le recyclage de déchets de bureaux.
(6) Suez RV France S.A. ("Suez RV") est active au niveau mondial dans les services de gestion de l’eau et des déchets. Concernant les déchets de bureau, Suez a développé une offre de collecte et de valorisation auprès de tiers sous les noms de "OFFICE" (Île-de-France) et "SITADINE" (Lyon) notamment.
(7) La Poste et Suez RV, ensemble, les "Parties".
3. L’OPÉRATION ET LA CONCENTRATION
(8) Les Parties envisagent de créer NewCo, une entreprise commune, qui sera active en France dans la collecte et la valorisation des déchets de bureau et qui sera contrôlée conjointement par les Parties et regroupera leurs activités dans ces domaines.
(9) L’Opération crée une entreprise commune de plein exercice au sens de l’article 3, paragraphe 4, du Règlement sur les concentrations dans la mesure où elle accomplira de manière durable toutes les fonctions d'une entité économique autonome.
4. DIMENSION EUROPEENNE
(10) En 2016, les entreprises concernées réalisent un chiffre d’affaires mondial consolidé de plus d'EUR 5 milliards. Chacune d’entre elles réalise un chiffre d’affaires dans l’Union de plus d'EUR 250 millions. Bien que La Poste réalise plus des deux tiers de son chiffre d’affaires total dans un seul et même État membre (la France), tel n'est pas le cas de Suez RV.
(11) L’opération notifiée a donc une dimension européenne selon l’article 1 paragraphe 2 du règlement sur les concentrations.
5. APPRECIATION
A. Marchés de services pertinents
(12) En ce qui concerne la détermination des marchés de produits pertinents, dans sa pratique décisionnelle3, la Commission a considéré qu’il existe des marchés de services de gestion des déchets distincts, à savoir: (i) les déchets non dangereux (ou déchets banals), (ii) les déchets dangereux (ou déchets industriels spéciaux) et (iii) les déchets spécifiques (ou déchets soumis à une réglementation spéciale). Toujours dans sa pratique, la Commission a ainsi segmenté le marché des déchets banals entre les déchets ménagers et assimilés ("DMA") et les déchets banals d'entreprise ("DBE")4. Au sein des DBE, la Commission a envisagé plusieurs segmentations supplémentaires, dont notamment les DBE commerciaux, à savoir les déchets générés par les usines, les bureaux et les magasins5.
(13) En l’espèce, la Commission constate que NewCo sera essentiellement active sur le marché de la collecte des DBE commerciaux en France.
(14) En ce qui concerne le marché de la valorisation matière des déchets banals, dans sa pratique décisionnelle6, la Commission a segmenté ce marché par type de matières à valoriser comme le papier, le carton, le plastique, le métal, le verre, etc.
(15) En l'espèce, la Commission prend acte que NewCo sera active sur le marché de la valorisation du DBE commerciaux de papier/carton en France.
B. Marchés géographiques pertinents
(16) En ce qui concerne la détermination des marchés géographiques pertinents, dans sa pratique décisionnelle7, la Commission a jusqu'à présent considéré que le marché de la collecte des DBE et le marché de la valorisation du papier/carton sont de dimension nationale8.
(17) En l'espèce, l'ADLC considère, quant à elle, que le marché de la collecte des DBE peut revêtir une dimension infranationale, donc à une dimension plus limitée que nationale, correspondant à des zones de collecte qui incluraient au minimum un département et les départements limitrophes. Il paraît même que dans son analyse, l'ADLC a, à plusieurs reprises, pris pour référence la zone géographique d'un seul département9.
(18) À ce propos, la Commission constate ainsi que, selon la pratique décisionnelle la plus récente de l'ADLC, les marchés géographiques sur lesquels la concurrence risque principalement d'être affectée sont de dimension infranationale.
C. Appréciation
Position des Parties
(19) La Commission prend acte que les Parties demandent le renvoi de la totalité de l’affaire à l’ADLC pour les raisons suivantes.
(20) Premièrement, NewCo n’ayant vocation à être active qu’en France métropolitaine, l’Opération envisagée n’est susceptible d’avoir un impact que sur le seul territoire français.
(21) Deuxièmement, conformément au point 18 de la Communication de la Commission sur le renvoi, le critère du marché distinct est rempli lorsque "le ou les marchés géographiques sur lesquels la concurrence est affectée par l’opération […] sont nationaux ou infranationaux". Ce critère est rempli en l'espèce.
(22) De plus, la note en bas de page 21 de cette Communication prévoit aussi que si l'existence de "marchés affectés" au sens du formulaire RS est généralement suffisante, "[l]es parties peuvent néanmoins relever d'autres facteurs qui pourraient être utiles pour l'analyse concurrentielle de l'affaire (chevauchement de marchés, intégration verticale, etc.)".
(23) Enfin, l'ADLC connaît bien ce secteur de gestion des déchets puisqu’elle a eu l’occasion de l’examiner à de nombreuses reprises dans le cadre de son activité de contrôle des concentrations. Sa pratique décisionnelle est ainsi plus dense et plus récente que celle de la Commission10.
(24) Selon les Parties, les critères de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations seraient donc remplis.
Appréciation de la Commission
(25) Sur la base des informations soumises à la Commission il ne semble pas y avoir de marchés affectés au sens du droit de l'Union. Pourtant, la Commission estime ainsi que l’Opération risque d'affecter de manière significative la concurrence sur les marchés de la collecte des déchets et de leur valorisation dans certains départements en France où les activités des Parties se chevauchent horizontalement, ainsi que par le biais des effets verticaux que l'Opération entraîne. La Commission considère que ces marchés locaux peuvent, en l'espèce, être considérés comme des marchés distincts, et que la concurrence sur ces marchés risque d'être affectée de manière significative par la concentration.
(26) Notamment, sur un plan horizontal, les Parties détiennent des parts de marché combinées supérieures à 20% sur le marché de la collecte de DBE commerciaux dans Bouches-du-Rhône ([20-30]%), la Creuse ([30-40]%), la Dordogne ([20- 30]%), l'Eure-et-Loir ([20-30]%), la Nièvre ([30-40]%) et le Bas-Rhin ([30- 40]%).
(27) Aussi, sur le plan vertical, les sociétés mères sont également actives sur des marchés situés en amont ou en aval des marchés sur lesquels NewCo sera active et dont l'essentiel des effets seront en France11.
(28) Ainsi, les critères de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations sont remplis.
6. RENVOI
(29) Sur la base des informations fournies par les Parties dans leur mémoire motivé, la Commission considère que les conditions de renvoi, telles que prévues à l’article 4 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations, sont réunies dans le cas présent, dans la mesure où la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un ou plusieurs marchés à l’intérieur d’un État membre et qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.
(30) La communication sur le renvoi des affaires en matière de concentration12 (paragraphe 17) indique que: « les parties requérantes sont essentiellement tenues de démontrer que l’opération risque d’affecter la concurrence sur un marché distinct d’un État membre, effet qui peut être significatif, et qui doit par conséquent être examiné en profondeur" et que "ces indications peuvent très bien n’être que préliminaires ».
(31) Sur le fondement des renseignements fournis par les Parties dans leur mémoire motivé, la Commission estime aussi que le principal impact de l'opération sur la concurrence est susceptible d'avoir lieu sur des marchés distincts en France. Finalement, elle estime par ailleurs que la demande de renvoi est cohérente avec le paragraphe 20 de la communication précitée.
7. CONCLUSION
(32) Pour les raisons exposées ci-dessus et étant donné que la France a exprimé son accord, la Commission a décidé de renvoyer l'affaire à la France dans sa totalité. Cette décision est adoptée en application de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations et de l'article 57 de l'accord EEE.
1 JO L24, 29.1.2004, p. 1 (le «règlement sur les concentrations»). Applicable à compter du 1er décembre 2009, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne («TFUE») a introduit divers changements, parmi lesquels le remplacement des termes «Communauté» par «Union» et «marché commun» par «marché intérieur». Les termes du TFUE seront utilisés dans cette décision.
2 JO L 1 du 3.1.1994, p. 3 (l'«accord EEE»).
3 COMP/M.7137, EDF / Dalkia en France; COMP/M.5464, Veolia Eau / Société des Eaux de Marseille / Société des Eaux d’Arles / Société Stéphanoise des Eaux. COMP/M.5464, Veolia Eau / Société des Eaux de Marseille/ Société des Eaux d’Arles / Société Stéphanoise des Eaux.
4 COMP/M.5901, Montagu / GIP/ Greenstar.
3 COMP/M.7137, EDF / Dalkia en France.
4 COMP/M.5464, Veolia Eau / Société des Eaux de Marseille / Société des Eaux d’Arles / Société Stéphanoise des Eaux.
5 COMP/M.5464; IV/M.1059 - Suez Lyonnaise des Eaux / BFI; IV/M.916 - Lyonnaise des Eaux / Suez.
Décision n° 17-DCC-40 du 29 mars 2017 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Coved par la société Paprec Group, points 14-17; Décision n° 16-DCC-71 du 17 mai 2016 relative à la prise de contrôle exclusif de la société SLG Recycling Finance par la société Derichebourg Environnement, point 12; Décision n° 13-DCC-44 du 4 avril 2013 relative à la création d’une entreprise commune par les sociétés SNN et Recycling Invest, point 14
6 Entre autre, voir les décisions récentes suivantes: Décision n° 16-DCC-158 du 28 octobre 2016 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Bartin Recycling par la société Derichebourg SA; Décision n° 16-DCC-71 du 17 mai 2016 relative à la prise de contrôle exclusif de la société SLG Recycling Finance par la société Derichebourg Environnement; Décision n° 14-DCC-108 du 4 août 2014 relative à la prise de contrôle exclusif d’Esterra par Veolia Propreté; Décision n° 13-DCC-44 du 4 avril 2013 relative à la création d’une entreprise commune par les sociétés SNN et Recycling Invest; Décision n° 13-DCC-02 du 7 janvier 2013 relative à la création d’une entreprise commune par les sociétés Routière de l’Est Parisien et Compagnie Maritime Marfret; Décision n° 12-DCC-17 du 6 février 2012 relative à l’acquisition de la société Recylux Group SA et de certains actifs immobiliers par la société Ecore BV; Décision 10-DCC-114 du 10 septembre 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de la société ISS Environnement par la société Paprec France; Lettre C2008-71 du ministre de l’économie du 14 août 2008 au conseil de la société Sita France relative à une concentration dans le secteur du traitement des déchets métalliques et du recyclage des métaux; Lettre C2007-168 du ministre de l’économie du 23 janvier 2008 aux conseils de la société Veolia Propreté SA relative à une concentration dans le secteur de la gestion et traitement des déchets.
7 Les marchés/segments amont ou aval sur lesquels les sociétés mères sont actives regroupent (i) la collecte de DBE commerciaux, (ii) le marché de la valorisation de papier/carton, ainsi que (iii) certains marchés où seuls Suez est présent (i.e. le marché de la collecte de DBE industriels en France, le marché de la collecte de DBE de la construction-démolition en France, les marchés de la valorisation du plastique, du métal et du bois en France, le marché du négoce de papier/carton valorisé en France, et le marché du traitement des D3E en France).
8 12 JO C56, 5.3.2005, p. 2