Commission, 18 mars 2019, n° M.9040
COMMISSION EUROPÉENNE
Décision
France Télévision/Métropole Télévision/TF1/JV
Objet: Affaire M.9040 – France Télévisions/Métropole Télévision/TF1/JV Décision de la Commission suite au mémoire motivé présenté conformément à l’article 4, paragraphe 4 du règlement n° 139/20041 relatif à un renvoi de l'affaire à la France et de l'article 57 de l'accord sur l'Espace économique européen2
Madame, Monsieur,
1. INTRODUCTION
(1) Le 11 février 2019, la Commission a reçu, au moyen d'un mémoire motivé, une demande de renvoi au titre de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations concernant un projet de transaction mentionné en objet. Les parties demandent que l'opération soit examinée dans sa totalité par les autorités compétentes de la France.
(2) Conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations, avant de notifier officiellement une opération de concentration à la Commission, les parties peuvent demander que la Commission procède au renvoi partiel ou total de l'affaire à un Etat membre lorsque la concentration risque d’affecter la concurrence de manière significative sur des marchés à l’intérieur de cet Etat membre qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.
(3) Une copie de ce mémoire motivé a été envoyée à tous les Etats membres le 11 février 2019.
(4) Par télécopie du 1 mars 2019, l’Autorité de la concurrence, en tant qu'autorité compétente de la France, a informé la Commission que la France acceptait la demande de renvoi.
2. LES PARTIES
(5) France Télévisions (ci-après « FTV »), société détenue à 100 % par l’Etat français, est la société mère du groupe France Télévisions. FTV a pour activité principale, directement ou via ses filiales, l’édition de chaînes de télévision du service public français, bénéficiant sur le territoire de la France métropolitaine d’autorisations d’émettre en clair sur la Télévision Numérique Terrestre (« TNT »)3. FTV exploite également un ensemble d’activités liées à son activité principale d’éditeur de services de télévision : production audiovisuelle et cinématographique, acquisition de droits audiovisuels, commercialisation d’écrans publicitaires, édition et distribution de programmes et de produits dérivés dans les domaines de la fiction, de l’animation, de la découverte et de la culture (exploitation de licences), développement de services numériques (plateforme direct et replay France.tv).
(6) Métropole Télévision (ci-après « M6 ») est une filiale détenue à 48,26 % par RTL Group, lui-même détenu à hauteur de 75,1 % par le groupe Bertelsmann. M6 a pour activité principale, directement ou via ses filiales, l’édition de chaînes de télévision bénéficiant, sur le territoire de la France métropolitaine, d’autorisations d’émettre en clair sur la TNT4. M6 exploite également des chaînes thématiques ne bénéficiant pas d’une autorisation d’émettre sur la TNT en clair5. Par ailleurs, M6 exploite un ensemble d’activités liées à son activité principale d’éditeur de chaînes de télévision : production audiovisuelle et cinématographique, acquisition de droits audiovisuels, commercialisation d’écrans publicitaires, édition et distribution de DVD et de CD musicaux, développement de produits dérivés de l’antenne (télé-achat et e-commerce, exploitation de licences, spectacles musicaux ou jeux de sociétés), développement de services digitaux (plateforme 6Play). Enfin, M6 contrôle le groupe de radio RTL France qui dispose de plusieurs autorisations d’émettre des programmes radiophoniques en France métropolitaine et développe différentes activités liées à l’exploitation de ces services de radio.
(7) Télévision Française 1 (ci-après « TF1 ») est une filiale détenue à 43,8 % par le groupe Bouygues qui est actif dans les secteurs de la construction, des télécommunications et des médias6. TF1 a pour activité principale, directement ou via ses filiales, l’édition de chaînes de télévision bénéficiant, sur le territoire de la France métropolitaine, d’autorisations d’émettre en clair sur la TNT7. TF1 édite également des chaînes thématiques ne bénéficiant pas d’une autorisation d’émettre sur la TNT8. TF1 exploite enfin d’autres activités liées à son activité principale d’éditeur de chaînes de télévision : production audiovisuelle et cinématographique, acquisition de droits audiovisuels, commercialisation d’écrans publicitaires, édition et distribution de DVD et de CD musicaux, développement de produits dérivés de l’antenne (télé-achat et e-commerce, exploitation de licences, spectacles musicaux ou jeux de sociétés), développement de services digitaux et interactifs (plateforme mytf1.fr, exploitation des services (TVoD) MYTF1 VOD, et (SVoD) Tfou Max dédié à l’animation jeunesse).
3. L’OPÉRATION ET LA CONCENTRATION
(8) L’opération envisagée (« l’Opération ») consiste dans la création d’une entreprise commune (dénommée Salto) par FTV, M6 et TF1 (ci-après collectivement les « Mères » ou les « Parties » ou les « Parties Notifiantes » et individuellement une « Mère »). Salto aura deux activités : la distribution de services de télévision et de médias audiovisuels à la demande et l’édition d’une offre de vidéo à la demande par abonnement (« SVOD »). Salto proposera des offres en « Over The Top » (« OTT »), c’est-à-dire qu’elles seront disponibles – uniquement via Internet – sur ordinateur, tablette, téléphone mobile ou sur téléviseur via la fonction « cast to TV »9. Les offres de Salto seront proposées directement aux consommateurs, sous la forme d’un abonnement payant mensuel. Salto commercialisera également, de façon marginale, des données de consommation agrégées (data).
(9) Chaque Mère détiendra un tiers du capital social et des droits de vote dans Salto. Par ailleurs, chacune des Mères disposera d’un droit de véto10 sur les principales décisions concernant Salto qui relèvent des décisions « stratégiques » au sens de la pratique décisionnelle de la Commission (i.e. approbation du budget et du plan d’affaires, et nomination ou révocation des dirigeants)11. Salto sera donc contrôlée conjointement par chacune de ses Mères.
(10) De plus, sur la base des informations fournies par les Parties dans leur mémoire motivé, la Commission considère qu’il y a suffisamment d’éléments permettant de conclure que Salto accomplira de manière durable toute les fonctions d’une entité économique autonome et constituera donc une entreprise commune de plein exercice au sens de l’article 3, paragraphe 4 du règlement sur les concentrations. Cette conclusion est notamment basée sur les éléments suivants :
(a) Salto disposera d’un personnel d’encadrement se consacrant à ses activités quotidiennes et aura accès à toutes les ressources nécessaires, en termes de financement, de personnel et d’actifs (corporels et incorporels), pour opérer de manière indépendante sur le marché ;
(b) Les activités de Salto iront au-delà d’une fonction spécifique pour les Mères dans la mesure où Salto développera une activité propre de distribution de chaînes de télévision de la TNT en clair sur sa propre plateforme OTT et sous sa propre marque. Salto développera également une activité propre d’éditeur SVOD à partir d’achats qu’elle effectuera directement auprès d’ayants droit de son choix, au regard de la ligne éditoriale qu’elle aura définie ;
(c) Sur la base de son Plan d’Affaires12, les revenus de Salto seront essentiellement composés de recettes provenant des abonnements commercialisés auprès des consommateurs. Il est également prévu que Salto distribuera un certain nombre de chaînes et services tiers non édités par les Mères et, en ce qui concerne son offre SVOD, les achats de droits se feront quasi-exclusivement auprès d’ayants droits tiers [stratégie commerciale – négociation avec les tiers] ;
(d) Salto est conçue pour fonctionner de manière durable. Elle est créée sur la base d’un pacte d’associé13 d’une durée de […], renouvelable pour une durée de […] par renouvellement tacite.
(11) Sur la base des éléments ci-dessus, l’Opération constitue donc une concentration au sens des articles 3, paragraphe 1, point b) et 3, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations.
4. DIMENSION EUROPEENNE
(12) Les entreprises concernées réalisent un chiffre d’affaires mondial consolidé de plus de 5 milliards d’euros14 (FTV : 3 107 million d’euros ; M6 (Bertelsmann) : 17 190 million d’euros ; TF1 (Bouygues) : 32 904 million d’euros). Chacune d’entre elles réalise un chiffre d’affaires dans l’Union européenne de plus de 250 millions d’euros (FTV : […]; M6 (Bertelsmann) : […]; TF1 (Bouygues) : […]) et chacune des entreprises concernées ne réalise pas plus des deux tiers de leur chiffre d’affaires total dans l’Union européenne à l’intérieur d’un seul et même État membre15.
(13) L’Opération est donc de dimension européenne en application de l’article 1, paragraphe 2, du règlement des concentrations.
5. APPRECIATION
(14) L’Opération concerne le secteur de la télévision en France.
(15) Les principaux marchés concernés par l’Opération sont ceux sur lesquels Salto sera active, à savoir, sur la base des informations fournies par les Parties dans leur mémoire motivé, (i) l’acquisition de droits de diffusion (en particulier les droits SVOD) ; (ii) la fourniture de services télévisuels aux clients finals (en particulier la fourniture de services de télévision payante et la fourniture de services de SVOD) aux clients finals16. A ces marchés s’ajoute (iii) le marché de l’édition et de la commercialisation de chaînes de télévision et de leurs services associés sur lequel Salto sera présente du côté de la demande et les Mères du côté de l’offre.
A. Marchés de produits/services pertinents
A.1. Acquisition de droits de diffusion
(16) Selon les Parties notifiantes, Salto sera active en ce qui concerne l’acquisition (i) de programmes de stock (incluant en particulier les fictions EOF17) ; (ii) de séries américaines récentes ; et (iii) de films de catalogue (incluant des films EOF et des films américains).
(17) En ce qui concerne les programmes de stock, il s’agit d’un ensemble de droits portant sur des produits tels que des fictions, des documentaires ou encore des animations, à l’exclusion toutefois des films de cinéma et des séries américaines récentes qui ont été considérés par l’Autorité de la concurrence comme faisant partie de marchés pertinents distincts18.
(18) Au sein des programmes de stock, l’Autorité de la concurrence a notamment envisagé l’existence d’un marché spécifique des fictions EOF19. L’ Autorité de la concurrence ainsi que la Commission ont également envisagé de segmenter l’acquisition des programmes de stock entre (i) les programmes inédits et les programmes « de catalogue » (programmes ayant déjà fait l’objet d’une diffusion)20 et entre (ii) les droits destinés à des services linéaires et ceux destinés à des services non linéaires qui font généralement l’objet de contrats distincts21.
(19) Au sujet de la possible segmentation entre les droits destinés à une diffusion linéaire et ceux destinés à une diffusion non-linéaire, les Parties notifiantes précisent que bien que le niveau de parts de marchés cumulées des Mères puisse, en théorie, augmenter dans l’hypothèse d’une délimitation par mode de diffusion (i.e. limitée au linéaire), elles considèrent que la question d’une telle segmentation peut demeurer ouverte dans la mesure où elle n’est pas de nature à modifier les conclusions de l’analyse concurrentielle.
(20) En ce qui concerne les séries américaines récentes, l’Autorité de la concurrence a considéré qu’elles constituent un marché distinct au regard notamment de l’évolution de l’attractivité de ces contenus qui relèvent « un caractère de contenu attractif autonome »22.
(21) Enfin, en ce qui concerne les films de catalogue23 et plus largement l’ensemble des œuvres cinématographiques (films de catalogue et films récents), l’Autorité de la concurrence effectue traditionnellement une segmentation en fonction de l’origine de l’œuvre acquise, française ou étrangère (principalement américaine)24.
(22) Dans le cas présent, la définition exacte du marché de l’acquisition des droits de diffusion peut rester ouverte, dans la mesure où les conclusions de l’analyse du bien-fondé de la demande de renvoi restent inchangées quelle que soit la définition retenue.
A.2. Edition et commercialisation de chaînes de télévision
(23) Au stade intermédiaire, les éditeurs commercialisent auprès de distributeurs les chaînes qu’ils ont constituées à partir de programmes produits en interne ou acquis sur le marché amont des droits de diffusion. Les chaînes de télévision linéaires sont commercialisées en aval auprès des téléspectateurs par les distributeurs de télévision payante ou par le biais des services de télévision gratuite.
(24) La pratique décisionnelle de la Commission a ainsi identifié un marché de gros de l’édition et de la commercialisation de chaînes, segmenté selon que les chaînes concernées sont gratuites ou payantes. S’agissant des chaînes payantes, la Commission a également considéré que les chaînes dites premium et les chaînes relevant d’offres basiques de télévision payantes relevaient de marchés distincts. La Commission a également envisagé plusieurs segmentations supplémentaires, notamment en fonction du contenu thématique concerné (cinématographiques, sportifs, information, etc.), laissant toutefois ouverte la question de la délimitation précise des marchés pertinents à cet égard25.
(25) Dans le cas présent, la définition exacte du marché de l’édition et de la commercialisation de chaînes de télévision (et de leurs services associés) peut rester ouverte, dans la mesure où les conclusions de l’analyse du bien-fondé de la demande de renvoi restent inchangées quelle que soit la définition retenue.
A.3. Fourniture de services télévisuels aux clients finals
(26) En aval, les distributeurs de services de télévision diffusent les chaînes de télévision et les contenus télévisuels et les rendent accessibles aux téléspectateurs, voire interviennent en tant qu’agrégateurs de chaînes, en commercialisant des « bouquets » de chaînes de télévision. Les services ainsi proposés aux téléspectateurs consistent en des (i) bouquets de chaînes de télévision linéaires ; et (ii) contenus agrégés dans des offres de services non-linéaires, comme la vidéo à la demande, la SVOD, la vidéo à la demande à l’acte et le Pay Per View (« PPV »). Les chaînes et les contenus télévisuels peuvent être diffusés via diverses infrastructures techniques incluant le câble, le satellite et l’IPTV (« Internet Protocol Television »). Les fournisseurs OTT proposent pour leur part des chaînes et contenus, de manière linéaire comme non-linéaire, sur internet.
(27) La pratique décisionnelle de la Commission a ainsi distingué la fourniture de services de télévision gratuite des services de télévision payante. La Commission a également envisagé de segmenter les marchés de la fourniture de services de télévision payante selon (i) le caractère linéaire ou non-linéaire du service ; (ii) la technologie de distribution (câble, satellite, IPTV ou TNT) ; (iii) les offres premium ou basiques. Dans les cas récents, la Commission a laissé la question de la délimitation des marchés aval ouverte26.
(28) Dans le cas présent, la définition exacte du marché de la fourniture de services télévisuels aux clients finals peut rester ouverte, dans la mesure où les conclusions de l’analyse du bien-fondé de la demande de renvoi restent inchangées quelle que soit la définition retenue.
B. Marchés géographiques pertinents
(29) La pratique décisionnelle de la Commission a considéré que l’ensemble des marchés relatifs à l’acquisition de droits de diffusion, à l’édition et commercialisation de chaînes de télévision ainsi qu’à la fourniture de services télévisuels aux clients finals sont de dimension nationale ou infranationale (ou, au plus, correspondent à des zones linguistiques homogènes) sur la base de facteurs tels que les différences de régimes réglementaires, les barrières linguistiques ou encore différences culturelles27.
C. Appréciation
(30) Comme rappelé au paragraphe 16 de la communication sur le renvoi des affaires en matière de concentrations,28 pour que la Commission renvoie une affaire à un ou plusieurs États membres en vertu de l'article 4, paragraphe 4 du règlement sur les concentrations, deux conditions doivent être remplies: (i) il faut qu'il y ait des éléments indiquant que la concentration risque d'affecter d'une manière significative la concurrence sur un ou plusieurs marchés ; et (ii) le ou les marchés en cause doivent être situés à l'intérieur d'un État membre et présenter toutes les caractéristiques d'un marché distinct.
(31) Ces deux conditions qui forment les critères juridiques pour l’analyse d’une demande de renvoi sont analysées successivement dans les sections C.1. et C.2. ci-dessous. De plus, conformément aux paragraphes 19 à 23 de la communication sur le renvoi des affaires en matières de concentration29, un certain nombre de facteurs additionnels qui sont pertinents pour l’analyse de l’opportunité du renvoi de l’Opération sont analysés dans la section C.3. ci-dessous.
C.1. Critères juridiques : première condition
(32) Les Mères sont concurrentes sur un nombre important de marchés de la chaine de valeur du secteur audiovisuel en France et font partie des principaux acteurs sur un certain nombre de ces marchés. En particulier, les Mères comptent toutes les trois parmi les principaux éditeurs de chaînes de télévision bénéficiant d’autorisations d’émettre en clair sur la TNT en France.
(33) Sur la base des informations fournies par les Parties notifiantes, la Commission considère que l’Opération donne lieu à un certain nombre de liens verticaux entre l’activité des Mères et les activités anticipées de Salto étant susceptibles de constituer des marchés verticalement affectés. C’est par exemple le cas en ce qui concerne l’activité d’éditeurs de chaînes de la TNT en clair des Mères, qui comptent parmi les principaux acteurs du secteur, et la fourniture de services télévisuels aux clients finals (distribution de ces chaînes et leur service de rattrapage) par Salto pose la question d’éventuelles stratégies de verrouillage de l’accès aux chaînes des Mères afin de favoriser Salto au détriment des distributeurs concurrents.
(34) En ce qui concerne d’éventuels chevauchements horizontaux, les Parties notifiantes estiment que Salto et ses Mères seront actives sur des marchés pertinents distincts et que l’Opération n’entraîne donc pas de chevauchements horizontaux. A ce stade, la Commission note toutefois qu’il existe certains chevauchements potentiels entre les activités des Mères et celles de Salto qui pourraient, selon la définition de marché qui sera retenue, donner lieu à des chevauchements horizontaux dont l’impact sur le marché devra être analysé.
(35) Enfin, étant donné que les Mères sont toutes les trois concurrentes sur un certain nombre de marchés sur lesquels elles constituent chacune des acteurs importants, l’Opération peut potentiellement donner lieu à des risques de coordination entre les Mères. C’est par exemple le cas en ce qui concerne les marchés de l’acquisition de droits de diffusion, où les Mères ont des parts de marché supérieures à 30 % voire supérieures à 50 % concernant plusieurs types de droits. A ce titre, les Parties notifiantes identifient les marchés plausibles suivants comme susceptibles d’être affectés : (i) l’acquisition de droits pour les programmes de stock (hors fictions EOF) ; (ii) l’acquisition de droits pour les fictions EOF ; (iii) l’acquisition des droits de diffusion de séries américaines récentes ; et (iv) l’acquisition de droits pour les films EOF de catalogue.
(36) Sur la base des éléments ci-dessus, la Commission considère que l’Opération risque d'affecter d'une manière significative la concurrence sur certains marchés du secteur de l’audiovisuel en France.
C.2. Critères juridiques : deuxième condition
(37) Les marchés sur lesquels la concurrence est susceptible d’être affectée concernent les marchés du secteur de l’audiovisuel sur lesquels les Mères et/ou Salto sont actives (ou pour Salto deviendront actives). Comme expliqué ci-dessus au paragraphe 33, la pratique décisionnelle constante de la Commission et de l’Autorité de la concurrence a estimé que ces marchés étaient de dimension nationale ou infranationale (ou, au plus, correspondaient à une zone linguistique homogène).
(38) Enfin, à ce stade, les services de Salto ne seront proposés que sur le territoire français30. En effet le projet a été élaboré par les Mères au regard du périmètre des droits dont elles disposent et le modèle économique de Salto reste, au moins dans un premier temps31, restreint à cette échelle.
(39) Sur la base des éléments ci-dessus, la Commission considère que les marchés pour lesquels il existe des éléments indiquant un risque que la concurrence soit affectée de manière significative par l’Opération sont limités à la France et présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.
C.3. Autres facteurs
(40) Tout d’abord, la Commission a récemment adopté des décisions de renvoi à un État membre dans le secteur qui est concerné par l’Opération, à savoir le secteur des médias et de l’audiovisuel. Ces décisions incluent en particulier (i) le renvoi en 2014 du projet d’acquisition de DTS par Telefónica à l’autorité de concurrence espagnole sur la base d’une requête de la partie notifiante au titre de l’article 4 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations32 et (ii) le renvoi en 2018 de l’analyse du projet de création d’une entreprise commune de plein exercice entre Liberty Global et Mediahuis à l’autorité de concurrence belge sur la base d’une requête de la Belgique au titre de l’article 9, paragraphe 2, point a du règlement sur les concentrations33.
(41) En ce qui concerne l’Opération, l’Autorité de la concurrence dispose d’une expérience significative et très récente dans l’analyse concurrentielle du secteur de l’audiovisuel en France. Elle a en effet analysé, à de multiples reprises, des opérations de concentrations dans le secteur.34 Elle a également rendu le 21 février 2019 un avis n° 19-A-04 relatif à une demande d’avis de la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation de l’Assemblée nationale dans le secteur de l’audiovisuel. A ce titre, l’Autorité de la concurrence possède une connaissance approfondie des caractéristiques propres au secteur de l’audiovisuel français et, en particulier, de son cadre réglementaire et de la dynamique concurrentielle actuelle dans ce secteur.
(42) Enfin, le renvoi demandé préservera le principe du « guichet unique », dans la mesure où l’affaire sera renvoyée à une seule autorité de concurrence, ce qui constitue un facteur important d’efficacité administrative.
(43) Sur la base des éléments ci-dessus, la Commission considère donc que l’Autorité de la concurrence est l’autorité la mieux placée pour examiner l’Opération.
6. RENVOI
(44) Sur la base des informations fournies par les Parties dans leur mémoire motivé, la Commission considère que les conditions de renvoi, telles que prévues à l’article 4 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations, sont réunies dans le cas présent, dans la mesure où la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un ou plusieurs marchés à l’intérieur d’un État membre qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.
(45) La communication sur le renvoi des affaires en matière de concentration35 (paragraphe 17) indique que: «les parties requérantes sont essentiellement tenues de démontrer que l’opération risque d’affecter la concurrence sur un marché distinct d’un État membre, effet qui peut être significatif, et qui doit par conséquent être examiné en profondeur" et que "ces indications peuvent très bien n’être que préliminaires».
(46) Sur le fondement des renseignements fournis par les Parties dans leur mémoire motivé, la Commission estime que le principal impact de l'Opération sur la concurrence est susceptible d'avoir lieu sur des marchés distincts en France. Elle estime par ailleurs que la demande de renvoi est cohérente avec le paragraphes 17 à 23 de la communication précitée.
7. CONCLUSION
(47) Pour les raisons exposées ci-dessus et étant donné que la France a exprimé son accord, la Commission a décidé de renvoyer l'affaire à la France dans sa totalité. Cette décision est adoptée en application de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations et de l'article 57 de l'accord EEE.
1 JO L24, 29.1.2004, p. 1 (le « règlement sur les concentrations »). Applicable à compter du 1er décembre 2009, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (« TFUE ») a introduit divers changements, parmi lesquels le remplacement des termes « Communauté » par « Union » et « marché commun » par « marché intérieur ». Les termes du TFUE seront utilisés dans cette décision.
2 JO L 1 du 3.1.1994, p. 3 (l'« accord EEE »).
3 A savoir les chaînes de télévision nationales France 2, France 3 (et son réseau de chaînes régionales), France 4, France 5, France Ô, franceinfo. FTV comprend également 24 antennes régionales France 3 et 9 antennes et autant de radios ultramarines.
4 A savoir les chaînes M6, W9 et 6ter.
3 A savoir Paris Première, qui bénéficie d’une autorisation d’émettre sur la TNT cryptée, Téva, M6 Music, et Série Club (chaîne co-contrôlée avec le groupe TF1 à hauteur de 50 %.
4 Le groupe Bouygues contrôle en particulier la société Bouygues Telecom, qui a une activité de fournisseur d’accès à internet.
5 A savoir les chaînes TF1, TF1 Séries FILMS (anciennement HD1), TMC, TFX (anciennement NT1), et LCI (chaîne dédiée à l’actualité).
6 A savoir TV Breizh, Ushuaïa TV, Histoire et Série Club (chaîne co-contrôlée avec le groupe M6 à hauteur de 50 %).
7 Fonctionnalité permettant de visualiser, sur téléviseur connecté, un flux de contenus disponibles sur des appareils déjà connectés à Internet tels que les ordinateurs, les tablettes et les téléphones mobiles.
8 Protocole d’Accord, article 2.3.2. d. ii. de l’Annexe C du protocole d’accord, p. 16.
9 Communication consolidée sur la compétence de la Commission, en vertu du règlement (CE) n° 139-2004 du Conseil relatif au contrôle des opérations de concentration entre entreprises, JO C 95, 16.04.2008, p. 1, paragraphes 65 et 67.
10 Annexe D du protocole d’Accord.
11 Annexe C du Protocole d’Accord. Afin de garantir la pérennité de Salto, les Parties ont convenu une période d’inaliénabilité des parts de Salto pendant une durée de […].
12 Chiffre d’affaires calculé conformément à l’article 5 du règlement sur les concentrations. 15 […].
13 Salto sera active seulement de façon marginale sur le marché de la vente de données. Ce marché ne fait donc pas l’objet d’un examen dans cette décision. Dans leur mémoire motivé (Annexe H), les Parties ont également fourni une description des marchés sur lesquels les Mères sont actives. L’analyse de ces marchés au titre d’éventuels effets coordonnés liés à l’Opération n’est pas de nature à modifier les conclusions de l’analyse du bien-fondé de la demande de renvoi.
14 Les œuvres audiovisuelles d’expression originale française (« EOF ») font l’objet d’une réglementation spécifique prévoyant des obligations de contribution à la production et des quotas de diffusion.
15 Voir par exemple les décisions de l’Autorité de la concurrence : 16-DCC-10, 21 janvier 2016 et §15 ; 17-DCC-29, 3 mars 2017, § 12-15.
16 Voir par exemple les décisions de l’Autorité de la concurrence : 10-DCC-11, 26 janvier 2010, § 87 ; 16-DCC-10, 21 janvier 2016, § 15-22 ; 17-DCC-29, 3 mars 2017, § 12-15.
17 Voir par exemple les décisions de l’Autorité de la concurrence : 16-DCC-10, 21 janvier 2016, § 26- 29 ; 17-DCC-29, 3 mars 2017, § 18.
18 Voir par exemple la décision de la Commission européenne M.7282, 16 septembre 2014, § 46 ; et les décisions de l’Autorité de la concurrence : 16-DCC-10, 21 janvier 2016, § 37 ; 17-DCC-29, 3 mars 2017, § 20 ; 17-DCC-76, 13 juin 2017, § 20.
19 Voir par exemple les décisions de l’Autorité de la concurrence : 10-DCC-11, 26 janvier 2010, § 61 ; 12-DCC-100, 23 juillet 2012, § 45 ; 14-DCC-50, 2 avril 2014 ; 17-DCC-92, 22 juin 2017 ; § 150 ; 17-DCC-93, 22 juin 2017, § 46.
20 Cette catégorie recouvre les films qui ont déjà fait l’objet d’un premier cycle d’exploitation à compter de l’ouverture de la fenêtre d’exploitation concernée et qui constituent ainsi des films de rediffusion (voir les décisions de l’Autorité de la concurrence 09-DCC-41 ; 9 septembre 2009, 15 et 12-DCC-100, 23 juillet 2012, § 56).
21 Décisions de l’Autorité de la concurrence : 10-DCC-11, 26 janvier 2010 ; 12-DCC-100, 23 juillet 2012 ; 14-DCC-50, 2 avril 2014, § 69 ; 17-DCC-93, 22 juin 2017, § 63.
22 Voir par exemple, la décision de la Commission européenne M.8665, 6 février 2018
23 Idem.
24 Cette conclusion s’applique également à l’ensemble des marchés du secteur de l’audiovisuel sur lesquels il est anticipé que Salto ne sera active mais sur lesquels les Mères sont actives.
25 JO C56, 5.3.2005, p. 2.
26 JO C56, 5.3.2005, p. 2
27 De manière plus spécifique, les Parties notifiantes ont indiqué que Salto sera active en France métropolitaine, dans différents territoires d’outremer, à Monaco et en Andorre.
28 [Stratégie commerciale –zone géographique].
29 Décision de la Commission européenne : M.7313, 22 août 2014.
30 Décision de la Commission européenne : M.8944, 23 novembre 2018. Parmi les autres exemples on peut également citer le renvoi en 2010 de l’analyse du projet d’entreprise commune de plein exercice entre les télédiffuseurs allemands ProSiebenSat.1 et RTL aux autorités de concurrence autrichienne et allemande (décision de la Commission européenne : M.5881, 24 septembre 2010) et le renvoi en 2011 de l’analyse du projet d’acquisition de Kabel Baden-Württemberg par Liberty Global Inc à l’autorité allemande de concurrence (décision de la Commission européenne : M.5900, 16 juin 2011).
31 Voir par exemple les décisions de l’Autorité de la concurrence : 17-DCC-76, 13 juin 2017 ; 17-DCC-92, 22 juin 2017 ; 17-DCC-93, 22 juin 2017 ; 14-DCC-50, 2 avril 2014 ; 16-DCC-10, 21 janvier 2016 et 18-DCC-106, 29 juin 2018
32 JO C56, 5.3.2005, p. 2.