Commission, 7 septembre 2015, n° M.7651
COMMISSION EUROPÉENNE
Décision
BAIN CAPITAL/DAVIGEL GROUP
Madame, Monsieur,
Objet: Affaire M.7651 – BAIN CAPITAL/DAVIGEL GROUP
Décision de la Commission suite au mémoire motivé présenté conformément à l’article 4, paragraphe 4 du règlement n° 139/20041 relatif à un renvoi partiel de l'affaire à la France et de l'article 57 de l'accord sur l'Espace économique européen2
I. INTRODUCTION
1. Le 14 août 2015, la Commission a reçu, au moyen d'un mémoire motivé, une demande de renvoi partiel au titre de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations concernant le projet de transaction mentionné en objet. Les Parties demandent que l'opération soit examinée en ce qui concerne les marchés français par l'Autorité de la Concurrence.
2. Conformément à l’article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations, avant de notifier officiellement une opération de concentration à la Commission, les Parties peuvent demander que la Commission procède au renvoi partiel ou total de l'affaire aux Etats membre où la concentration risque d’affecter la concurrence de manière significative sur des marchés qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.
3. Une copie de ce mémoire motivé a été envoyée à tous les Etats membres le 14 août 2015.
4. Par télécopie du 26 août 2015, l'Autorité de la Concurrence en tant qu'autorité compétente de la France, a informé la Commission que la France acceptait la demande de renvoi.
II. LES PARTIES
5. Bain Capital Europe LLP (Royaume-Uni, 'Bain Capital') est un fonds d'investissement actif dans l'ensemble des secteurs de l'économie. Brake Bros Ltd. (Royaume-Uni, 'Brake') est actif dans la distribution de produits alimentaires destinés à la consommation hors domicile ('CHD'). Il est actif en France, au Royaume-Uni, en Suède et en Irlande. Brake a été acquis par Bain Capital en 2007.
6. Davigel SAS (France) et Davigel España (France) (ensemble 'le Groupe Davigel') sont spécialisées dans la distribution de produits alimentaires destinés à la consommation hors domicile ("CHD") respectivement en France, Belgique et Luxembourg et en Espagne. Elles sont respectivement des filiales de Nestlé France et Nestlé España SA. Le groupe Davigel est principalement actif en France et dans une moindre mesure en Espagne et en Belgique. Bain Capital et le groupe Davigel seront désignées comme "les Parties"
III. L’OPÉRATION ET LA CONCENTRATION
7. L'opération concerne l'acquisition du contrôle exclusif du groupe Davigel par Bain Capital. En application du contrat de cession d'actions signé le 22 juillet 2015 par les Parties, l'ensemble des actions du groupe Davigel sera apportée à Cucina French Holdings Ltd ('Cucina FH'), une société créée et contrôlée par Bain Capital.
8. [Mécanisme de financement de l'Opération].
9. La transaction consiste donc en l'acquisition indirecte du contrôle exclusif par Bain Capital sur l'ensemble du Groupe Davigel au sens de l'article 3, paragraphe 1, point b) du règlement sur les concentrations.
IV. DIMENSION EUROPEENNE
10. Les deux entreprises concernées ont un chiffre d'affaires total mondial de plus de 5 milliards d'euros (Bain Capital: EUR […]; Groupe Davigel: EUR […]). Chacune d'entre elles réalise un chiffre d'affaires au sein de l'Union européenne supérieur à 250 millions (Bain Capital: EUR […], Groupe Davigel: […]) et seul le Groupe Davigel réalise plus des deux tiers de son chiffre d'affaires européen au sein d'un seul État membre (la France). La transaction notifiée a donc une dimension européenne.
V. APPRECIATION
11. Le Groupe Brakes et le Groupe Davigel sont des grossistes en produits alimentaires spécialisés dans la distribution en gros de produits alimentaires destinés à la CHD. Les acteurs de la CHD, qui constituent les clients des grossistes sont très variés et comprennent les cafés, hôtels, restaurants ("CHR"), la restauration collective telle que les restaurants d'entreprise, les cantines scolaires, les hôpitaux, l'armée.
12. Brakes et Davigel sont princialement actives dans la distribution de produits surgelés et de glaces et dans une moindre mesure de produits frais.3
A. Marchés pertinents
a) Le marché de la distribution par les grossistes à la CHD de produits alimentaires surgelés à destination de la restauration collective
13. Par le passé, la Commission a défini des marchés de produit distincts en ce qui concerne la distribution de produits surgelés destinés au (i) secteur de la vente au détail et (ii) la consommation hors domicile en raison de différences entre la nature du service, la structure des prix, la taille des lots, les exigences en termes d'hygiène et l'existence d'équipes de ventes dédiées.4 Au sein de la consommation hors domicile, la Commission a également distingué la fourniture auprès de restaurateurs commerciaux (hôtels, restaurants, restauration rapide, pizzeria et sandwicheries) de la fourniture auprès de restaurateurs collectifs (usines et bureaux, cantines, hôpitaux, écoles) mais a laissé cette sous-segmentation ouverte. En ce qui concerne les catégories de produits, la Commission a précédemment considéré une potentielle subdivision entre (i) les produits surgelés, (ii) les produits réfrigérés et (iii) les produits frais.
14. De même, au sein de la distribution de produits alimentaires destinés à la CHD, la Commission a envisagé une segmentation en fonction du mode de distribution en distinguant les grossistes des entrepôts de libre-service de gros désignés sous le terme de "cash and carry" (tels que Metro ou Promocash). La Commission a pu considérer que les acteurs du cash and carry appartiennent à un marché de produits distinct de celui sur lequel les grossistes interviennent.
15. De manière constante, la Commission a considère que le marché pour la distribution de produits alimentaires à la CHD possédait une dimension nationale étant donné l'existence (i) de canaux de distribution nationaux, (ii) de chaines logistiques nationales, (iii) de marques et d'images de marque distinctes d'un pays à l'autre et (iv) de contrats de ventes nationaux. a) Marché de la distribution par les grossistes de crème glacée pour la consommation hors domicile
16. En ce qui concerne les marchés de produit relatif à la distribution en gros de crème glacée pour la consommation hors domicile, la Commission a de manière constante défini des marchés distincts pour (i) la crème glacée dite "d'achat d'impulsion" (consommation dans les lieux publics et les lieux de divertissement), (ii) la crème glacée à destination de la restauration (pour les restaurants, cafés, etc.) et (iii) la crème glacée destinée à la consommation à domicile (vendue via des distributeurs directement aux consommateurs finaux).8 Les Parties ne sont actives que sur le marché de la crème glacée pour les "achats d'impulsion" et à destination de la restauration.
17. S'agissant du marché géographique, la Commission a considéré dans ses décisions précédentes que le marché des crèmes glacées était national étant donné les préférences nationales des consommateurs, l'existence de marques nationales, la saisonnalité des ventes liée aux conditions météorologiques locales, la stratégie nationale d'achat des fournisseurs et l'existence de chaînes de distribution nationales. 9 Dans une décision récente, l'Autorité de la Concurrence a considéré quant à elle que le marché pour la distribution par les grossistes de produits pour la CHD – qui comprend les crèmes glacées – était en partie national mais possédait également une dimension locale lorsque les grossistes entrent en concurrence sur un marché local pour la fourniture d'acteurs locaux tels que les restaurants et cafés.
B. Appréciation
18. La transaction crée des chevauchements horizontaux pour deux des marchés mentionnés ci-dessus: (i) le marché de la distribution par les grossistes de produits surgelés pour la consommation hors domicile à destination de la restauration collective, et (ii) le marché de la distribution par des grossistes de crème glacée pour la restauration hors domicile.
19. Ces deux marchés sont des marchés affectés étant donné que la part de marché cumulée pour chacun de ces marchés résultant de la transaction excède 20% en France.
20. Sur le marché de la distribution de produits alimentaires surgelés pour la consommation hors domicile à destination de la restauration collective, les Parties ont une part de marché cumulée de [20-30]% en France avec une augmentation de part de marché non négligeable (Brake: [10-20]%; Davigel: [5-10]%).11
21. Sur le marché de la distribution par les grossistes de crème glacée pour la restauration hors domicile, les Parties ont une part de marché cumulée de [20-30]% en France avec une augmentation relativement limitée de part de marché (Davigel: [10-20]%; Brake: [0-5]%). Sur le marché de la distribution en gros de crème glacée pour la restauration, les Parties ont également une part de marché cumulée supérieure à 20% ([20-30]% en France en 2014, [20-30]% en 2013 et [20-30]% en 2012). La hausse de parts de marché est encore modérée (Davigel: [10-20]%; Brake: [0-5]%).
22. Les marchés affectés sont nationaux ou pour les glaces présentent également une dimension infra-nationale. En outre, la France est le seul Etat Membre où les Parties sont actives de manière significative. Sur tous les autres marchés européens, les parts de marchés des Parties sont inférieures à [0-5]%.
Facteurs additionnels
23. Comme l'illustrent les nombreuses décisions12 de l'Autorité de la Concurrence Française sur ce sujet, celle-ci a une grande expérience dans le domaine. En particulier l'Autorité de la concurrence Française a très récemment adopté une décision concernant deux concurrents de Brake et Davigel qui étaient aussi actifs sur le marché français.13
24. La Commission a précédemment renvoyé de nombreux cas concernant des marchés proches, tels que la distribution de produits alimentaires14, aux autorités nationales de la concurrence.
25. Au vu de ce qui précède et de la connaissance et l'expérience qu'elle a du secteur, l'Autorité Française de la concurrence semble être l'autorité la mieux placée afin d'apprécier les effets de la transaction.
VI. RENVOI
26. Sur la base des informations fournies par les parties dans leur mémoire motivé, la Commission considère que les conditions de renvoi, telles que prévues à l’article 4 paragraphe 4 du règlement sur les concentrations, sont réunies dans le cas présent, dans la mesure où la concentration risque d’affecter de manière significative la concurrence sur un ou plusieurs marchés à l’intérieur d’un État membre et qui présentent toutes les caractéristiques de marchés distincts.
27. La communication sur le renvoi des affaires en matière de concentration 15 (paragraphe 17) indique que: «les parties requérantes sont essentiellement tenues de démontrer que l’opération risque d’affecter la concurrence sur un marché distinct d’un État membre, effet qui peut être significatif, et qui doit par conséquent être examiné en profondeur" et que "ces indications peuvent très bien n’être que préliminaires».
28. Sur le fondement des renseignements fournis par les parties dans leur mémoire motivé, la Commission estime que le principal impact de l'opération sur la concurrence est susceptible d'avoir lieu sur des marchés distincts en France. Elle estime par ailleurs que la demande de renvoi est cohérente avec le paragraphe 20 de la communication précitée.
VII. CONCLUSION
29. Pour les raisons exposées ci-dessus et étant donné que la France a exprimé son accord, la Commission a décidé de renvoyer l'affaire à la France en ce qui concerne les marchés distincts en France. Cette décision est adoptée en application de l'article 4, paragraphe 4, du règlement sur les concentrations et de l'article 57 de l'accord EEE.
1. JO L24, 29.1.2004, p. 1 («le règlement sur les concentrations»). Applicable à compter du 1er décembre 2009, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne («TFUE») a introduit divers changements, parmi lesquels le remplacement des termes «Communauté» par «Union» et «marché commun» par «marché intérieur». Les termes du TFUE seront utilisés dans cette décision.
2. JO L 1 du 3.1.1994, p. 3 (l'«accord EEE»).
3. Les marchés de distribution de produits frais ne sont pas affectés.
4. M.3658 – Orkla/Chips (2005); M.2302 – Heinz/CSM (2001); M.1990 – Unilever/Bestfoods (2000).
5. M.6813 – McCain Foods Group/Luthosa Business (2013), M.4216 – CVC/Bocchi/De Weide Blik (2006), M.1740 – Heinz/United Biscuits Frozen and Chilled Foods (1999).
7. JO C56, 5.3.2005, p. 2.
8. M.6753 – Orkla/Rieber & Son (2012), M.5975 – Lion Capital/Picard Group (2010) and M.3658 – Orkla/Chips (2005).
9. M.2640 – Nestlé/Schöller (2002) para 17; M.422 – Unilever France/Ortiz Miko (1994) para 21.
10. M.422 – Unilever France/Ortiz Miko (1994) para 21 and 28; M.2640 – Nestlé/Schöller, para 21 (2002).
11. 15-DCC-80. Décision du 26 juin 2015 relative à la prise de contrôle par Pomona SA de huit adhérents du réseau Relais d'Or Miko et de la société Lux Frais, para 48.
12. Il convient de noter que la part de marché cumulée des Parties sur le marché de la distribution en gros de produits surgelés pour la consommation hors domicile à destination de restaurateurs commerciaux est inférieure à 20% mais néanmoins importante ([10-20]%. Brake: [5-10]%; Davigel: [10-20]%).
13. Autorité de la concurrence, décision n° 10-DCC-60 du 14 juin 2010 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Soparo (groupe Rolland) par le groupe R&R Ice Cream; Autorité de la concurrence, décision n° 12 DCC-11 du 6 février 2012 relative à l'acquisition de la société des Etablissements Jean Didier et Cie par la société Pro-à-Pro Distribution SA.; Autorité de la concurrence, décision n° 14-DCC-01 du 2 janvier 2014 relative à la prise de contrôle exclusif par le groupe Pomona de certains actifs de la société Européenne Food.
14. 15-DCC-80. Décision du 26 juin 2015 relative à la prise de contrôle par Pomona SA de huit adhérents du réseau Relais d'Or Miko et de la société Lux Frais, para 48.
15. M.6143 – Princes/Premier Foods Canned Grocery Operations.