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Décisions

Cass. com., 14 octobre 2020, n° 18-20.922

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

PARTIES

Demandeur :

Extia (SAS)

Défendeur :

Globalis Media Systems (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Guérin, conseiller doyen faisant fonction de président

Rapporteur :

Mme Boisselet

Avocats :

SCP Célice, Texidor, Périer, SCP Baraduc, Duhamel et Rameix

Versailles, 12e ch., du 12 juin 2018

12 juin 2018

Faits et procédure  

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 12 juin 2018), la société Globalis Média Systems (la société Globalis), qui exerce une activité de conseil en informatique, a reproché à la société Extia, société de conseil en ingénierie, d'avoir embauché deux de ses anciens salariés, MM. Moysan et Breton, tenus par une clause de non-concurrence, et l'a assignée en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

Examen des moyens  

Sur le premier moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

2. La société Extia fait grief à l'arrêt de la déclarer responsable de faits de concurrence déloyale au détriment de la société Globalis alors : « 1°/ que la responsabilité extra-contractuelle de la société qui a embauché un salarié au mépris de la clause de non-concurrence qui le liait à un précédent employeur, ne peut être retenue qu'à la condition qu'une faute délictuelle soit caractérisée à son encontre, ce qui suppose établies une connaissance précise de la clause et de sa portée et une participation consciente du nouvel employeur à sa violation; en énonçant que la clause de non-concurrence "tombe sous la substance des contrats de sous-traitance pour la mise à disposition à temps de personnels des entreprises de services du numérique", la cour d'appel - paraissant avoir confondu les contrats de travail avec les contrats de sous-traitance couramment conclus par les entreprises du numérique avec leurs clients - s'est prononcée par un motif inintelligible et en tout état de cause inopérant, impropre à caractériser la faute délictuelle de la société Extia ; elle a ainsi privé sa décision de toute base légale au regard des dispositions de l'article 1240 du code civil ;

2°/ qu'à supposer même qu'une clause de non-concurrence soit fréquemment insérée dans les contrats de travail conclus par les employeurs appartenant à ce secteur d'activité, la cour d'appel ne pouvait présumer pour autant la connaissance que le nouvel employeur avait eue de la nature de la clause, de sa validité et de son champ d'application, de telle sorte que sa faute délictuelle ne pouvait être présumée ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1240 du code civil ;

3°/ que la cour o d'appel ne pouvait retenir pour seul motif de sa condamnation le fait que M. Moysan aurait été recruté "pour être placé auprès de la société e-TF1" en violation de l'interdiction qui était faite au salarié de détourner les clients de son ancien employeur, sans rechercher, comme le commandaient les conclusions de la société Extia, si cette dernière ne comptait pas la société e-TF1 parmi ses clients bien avant l'embauche de M. Moysan et si les nouvelles fonctions de ce salarié n'étaient pas de nature différente de celles qu'il avait exercées pour le compte de la société Globalis, de telle sorte que la société Extia en le recrutant et en le mettant provisoirement au service de son client e-TF1 n'avait participé à aucun détournement de clientèle; en statuant ainsi, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1240 du code civil ;

4°/ que la cour d'appel ne pouvait statuer comme elle l'a fait sans répondre aux conclusions de la société Extia qui invoquait pour sa défense l'illicéité des clauses de non-concurrence en cause et en contestait en tout état de cause la portée et l'étendue ; ainsi la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour  

3. Après avoir relevé que la clause de non-concurrence litigieuse était usuelle dans les contrats de travail conclus dans le domaine d'activité des sociétés Extia et Globalis, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain d'appréciation, et peu important qu'elle ait, par une impropriété de langage, mentionné que ces stipulations étaient habituelles dans les contrats de sous-traitance conclus pour la mise à disposition, à temps, de personnels des entreprises de services du numérique, que la cour d'appel a retenu que la société Extia ne pouvait soutenir en avoir ignoré l'existence lors de l'embauche de M. Moysan, ce qui implique qu'elle en a également mesuré la portée.

4. L'arrêt relève ensuite que la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de travail de M. Moysan lui faisait interdiction de travailler auprès de clients de la société Globalis et qu'il avait été, en violation de cette clause, recruté par la société Extia pour être mis à la disposition de la société e-TF1, auprès de laquelle la société Globalis l'avait précédemment placé. Par ce seul motif, la cour d'appel, qui n'était pas tenue d'effectuer la recherche inopérante invoquée à la troisième branche, ni de répondre aux conclusions visées par la quatrième branche, en l'état du jugement du 25 janvier 2016, devenu irrévocable, par lequel le conseil des prud'hommes de Nanterre a jugé licite la clause de non-concurrence insérée dans le contrat de travail de M. Moysan, a légalement justifié sa décision.

5. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le second moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

6. La société Extia fait grief à l'arrêt de la condamner à payer des dommages-intérêts à la société Globalis alors « que la responsabilité d'un tiers dans la violation d'un contrat auquel il n'est pas partie suppose que soient caractérisés non seulement l'existence d'une faute contractuelle mais aussi un préjudice et un lien de causalité entre l'une et l'autre et que le préjudice soit évalué d'une manière objective ; en statuant comme elle l'a fait sans caractériser le préjudice pas plus que le lien de causalité qui l'unirait à la prétendue violation de la clause du contrat de travail qui liait l'un des salariés à la société Globalis, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

7. Ayant retenu que la société Extia avait sciemment embauché M. Moysan en violation de la clause de non-concurrence qui le liait à la société Globalis et qu'elle l'avait placé de façon déloyale auprès d'un des clients de cette société, c'est à bon droit que la cour d'appel, qui a ainsi établi le lien de causalité entre la faute commise et le préjudice subi, en a déduit que la société Extia devait réparation de ce dernier.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le moyen unique du pourvoi incident

Enoncé du moyen

9. La société Globalis fait grief à l'arrêt de condamner la société Extia à lui verser la seule somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts alors « qu'elle soutenait, en le justifiant, que la violation de la clause de non-concurrence stipulée dans le contrat de travail de M. Moysan était à l'origine, non seulement de la résiliation d'un des contrats dont M. Moysan avait la charge, conclu avec la société e-TF1, mais encore du défaut de renouvellement de l'ensemble des contrats qui l'unissaient à la société e-TF1, et de la cessation de leurs relations commerciales ; pour la débouter cependant de sa demande de réparation intégrale de son préjudice, la cour d'appel s'est bornée à affirmer, sans s'en expliquer, que son préjudice total ne pouvait "représenter le cumul de la perte du contrat et la perte du client de la société e-TF1" ; qu'en statuant ainsi la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'ancien article 1382 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance no 2016-131 du 10 février 2016, devenu article 1240 du même code. »   

Réponse de la Cour  

Vu l'article 1382, devenu 1240, du code civil et le principe de la réparation intégrale du préjudice :

10. Selon le texte susvisé, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

11. Pour fixer à 35 000 euros le montant des dommages-intérêts propres à réparer les faits de concurrence déloyale, l'arrêt retient que, si le placement déloyal de M. Moysan par la société Extia auprès de la société e-TF1 est indemnisable, la réparation du préjudice qui en est résulté ne peut représenter le cumul de la perte du contrat et de la perte du client de la société e-TF1 telles qu'elles sont revendiquées par la société Globalis.

12. En se déterminant ainsi, par un motif péremptoire, sans expliquer en quoi il était exclu que le préjudice causé à la société Globalis par les actes de concurrence déloyale commis par la société Extia puisse résulter non seulement de la perte du contrat conclu avec la société e-TF1, géré par M. Moysan, mais aussi, comme elle le soutenait, de la disparition totale de la relation d'affaires stable qu'elle entretenait avec cette société e-TF1, dans le cadre de laquelle elle exécutait d'autres contrats que ceux gérés par M. Moysan, qui n'avaient pas été renouvelés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;  

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi principal ;

Et sur le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne la société Extia à payer à la société Globalis Media Systems la somme de 35 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 12 juin 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;  

Remet, en conséquence, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles, autrement composée ;  

Condamne la société Extia aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Extia et la condamne à payer à la société Globalis Media Systems la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé.